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Full text of "Revue des langues romanes"

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\ 


REVUE 


DES 


LANGUES  ROMANES 


REVUE 

DES 

LANGUES  ROMANES 

PUBLIER 

PAR  LA.  SOCIÉTÉ 

POUR  L'ETUDE  DES  UNGUES  liOUANES 
Tome  XLIV 


(V"  SiRlB  —  T0«B^) 


MONTPELLIER 

An  SUREAU  DBS  PUBLICATIONS 
DB  LA  SOOIKTB 

POnB  I/ÉTDDI  DU  LANaCIS  BOlUim 

Bna  ds  rAnclen-Ooanlsr,  i 


PARIS 
G.PEDONE-LAURIEL 

Libriin-Édittiir 

13,  ItUB  SOUFFLOT 


PL/jc^C  3'4  0 


;j't;HO  co7,>. 


:i?  ^9  1902       ) 


REVUE 


DBS 


LANGUES  ROMANES 


LA  RESPELIDO 

CHANTBB  AU  BANQUET   DB   LA   SANTO-BSTELLO 
(Maguelone,  27  mai  1900). 


Nautre,  en  plen  jour 
Voulèn  parla  toujour 
La  lengo  dôu  Miejour, 
Vaqui  lou  Pelibrige  ! 

Nautre,  en  plen  jour 
Voulèn  parla  toujour 
La  lengo  dôu  Miejour, 
Qu'acô's  lou  dre  majour. 

La  maire  Prouvènço  qu'a  batu  l'aubado, 
La  maire  Prouvènço  que  tèn  lou  drap  eu, 
L'a  panoa  crebado 
La  peu 
Dôu  rampèu  ! 

Fiéu  animous 
Dôu  Lengadô  famous, 
Fasès  giscla  lou  moust 
De  vôsti  vigno  fièro, 
Fiéu  animous 

XLiv.  —  Janvier-Février  1901. 


LA.  RESPELIDO 

Dou  Lengadô  famous, 
Fasès  giscla  lou  moust 
Di  vigno  de  Limons. 

La  maire  Prouvènço  qu'a  batu  Taubado, 
La  maire  Pro^avènço  que  tèn  lou  drapèu, 
L'a  panca  crebado 
La  peu 
Dou  rampèu  ! 

Li  bèu  cousin 
Don  noble  Limousin, 
Vendrés  entre  vesin 
Nous  pourgi  vosto  ajudo  ; 

Li  bèn  cousin 
Don  noble  Limousin, 
Vendrés  entre  vesin 
Coupa  nôsti  rasin. 

La  maire  Prouvènço  qu'a  batu  l'aubado, 
Ls  maire  Prouvènço  que  tèn  lou  drapèu, 
L'a  panca  crebado 
La  peu 
Dou  rampèu  ! 

Li  bon  garçoun 
E  manjo-pastissoun  ' 
Que  sabès  li  cansoun 
De  la  Ciéuta  Moundino, 

Li  bon  garçoun 
E  manjo*pastissoun 
Que  sabès  li  cansoun, 
Gantas  à  l'unissoun  : 

La  maire  Prouvènço  qu'a  batu  l'aubado, 
La  maire  Prouvènço  que  tèn  lou  drapèu 
L'a  panca  crebado^ 
La  peu 
Dou  rampèu  ! 

1  Escais-noum  di  Toulousen. 


LA  RESPBLIDO 

Li  Cevenôu, 
Vivarés,  Carsinôu, 
Planen  e  mountagnôu, 
Yeioi  la  respelido  I 

Li  Cevenôu, 
Vivarés,  Carsinôu, 
Planen  e  mountagnôu, 
Fau  faire  sang  de  n6u  ! 

La  maire  Prouvènço  qu'a  batu  Taubado^ 
La  maire  Prouvènço  que  tèn  lou  drapèu, 
L*a  panca  crebado, 
La  peu 
Dôu  rampèu  ! 

Li  Cantalés, 
Enfant  di  vièi  Gales, 
Fau  bèn  que  davalés 
Emé  la  carlamuso, 

Li  Cantalés, 
Enfant  di  vièi  Gales, 
Fau  bèn  que  davalés 
E  que  nous  régalés. 

La  maire  Prouvènço  qu*a  batu  Taubado, 
La  maire  Prouvènço  que  tèn  lou  drapèu, 
L'a  panca  crebado, 
La  peu 
Dôu  rampèu  1 

Anen,  anen^ 
Li  bràvi  Dôuûnen, 
Au  brande  miejournen 
Adusès  vôsti  drolo, 

Anen,  anen, 
Li  bràvi  Dôuûnen, 
Au  brande  miejournen 
Venès,  que  li  menen  I 

La  maire  Prouvènço  qu'a  batu  Taubado, 
La  maire  Prouvènço  que  tèn  lou  drapèu, 


8  LA  RESPELIDO 

L'a  panca  crebado, 
La  peu 
Dôu  rampéu  I 

Brandin  •  b  randant , 
Gascoun  e  Givaudan, 
Biarnés  e  Bigourdan, 
Fasen  la  farandoulo, 

BrandiD-brandant, 
Gascoun  e  Givaudan^ 
Biarnés  e  Bigourdan, 
Tôuti  vous  counvidan. 

La  maire  Prouvènço  qu'a  batu  l'aubado, 
La  maire  Prouvènço  que  tèn  lou  drapéu, 
L'a  panca  crebado, 
La  peu 
Dôu  rampèu  ! 

Nautre,  en  plen  jour 
Voulèn  parla  toujour 
La  lengo  dou  Miejour» 
Vaqui  lou  Felibrige  ! 

Nautre,  en  plen  jour 
Voulèn  parla  toujour 
La  lengo  dôu  Miejour, 
Qu'aco's  lou  dre  majour. 

La  maire  Prouvènço  qu*a  batu  Taubado, 
L'a  maire  Prouvènço  que  tèn  lou  drapèu, 
L'a  panca  crebado, 
La  peu 
Dôu  rampèu! 

F.  Mistral. 


LA  RESPELIDO 


Er  populàri,  nouta  pèr  Jacquier,  d'Arle. 


Nautre  en    plen       jour    Vou  -  lôn    par  -  la     tou- 


jour     La    len-go   dôu  Mie  -  jour,  Va-qui  lou  Fe  -  li- 


bri-ge,  Nautre  en  plen       jour   vou-lén  par  -  la    tou- 


jour    la    len-go  dôu  Mie  -   jour,  QuVcô's  lou  dre  ma- 


1 


* 


^^^ 


r  r  F  '    ^^^^ 


jour.         La         mai-re  Prou  -  vèn-ço  qu'a      ba-tu  Tau- 


* 


ba-do,  La       mai  -  re  Prou  -  vèn  -  ço  que      ton   lou  dra- 


i 


^^ 


r  r  r  I  ^  ^  ^  I  ^  "H 


peu,  L'a     pan-ca    cre  -  ba-do    la       peu  dôu  ram-pèu  1 


LES  FRANÇAIS  EN  PIÉMONT 

GUILLAUME  du  BELLAY  et  le  MARÉCHAL  de  MONTEJEHAN 

(JuiUet-aoùt  1538) 


Le  manuscrit  269,  de  la  collection  Dupuj,  contient  toute 
une  série  de  lettres  de  Guillaume  du  Bellay,  seigneur  de 
Langej,  au  cardinal  Jean  du  Bellay,  son  frère,  dont  dix  sont 
partiellement  ou  entièrement  chiffrées.  En  nous  aidant  d'un 
fragment  déchiffré  en  marge  (f^  44  v°)  nous  avons  pu  recon- 
stituer Talphabet  dont  se  servait  Guillaume,  et  traduire  ces 
dix  lettres,  ou  plus  exactement  neuf,  car  de  la  lettre  du 
1*'  août,  il  existe  un  déchiffrement  du  temps.  Ce  sont  ces 
lettres  que  nous  publions. 

Elles  sont  toutes  comprises  entre  le  2  juillet  et  le  5  août 
1538,  datées  de  Turin,  où  Guillaume  du  Bellay  était  gouver- 
neur, et  relatives  aux  affaires  du  Piémont.  Elles  n'intéressent 
pas  seulement  la  biographie  de  Guillaume  et  du  maréchal  de 
Montejehan,  lieutenant  général  du  roi  au  Piémont,  avec 
lequel  il  était  alors  en  conflit,  elles  nous  font  connaître,  en 
outre,  avec  les  causes  de  ce  conflit,  la  situation  misérable 
du  Piémont  après  la  conquête  française  et  la  politique  des 
agents  du  roi  pour  maintenir  cette  province  dans  Tobéis- 
sance. 

La  campagne  d'octobre- novembre  1537,  conduite  par  Mont- 
morency, nous  avait  donné  le  Piémont  que  nous  laissa  la  trêve 
de  Monçon  (16-28  nov.  1537).  Le  roi,  qui  avait  suivi  l'expédi- 
tion, voulut,  avant  de  rentrer  en  France,  pourvoir  au  gouver- 
nement de  la  nouvelle  province  qu'il  s'agissait  d'attacher  à  la 
France,  soit  qu'on  se  réservât  de  l'échanger  contre  le  Milanais, 
soit  pour  nous  garder  ouvertes  les  routes  d'Italie.  Le  sieur  de 
Montejehan  fut  nommé  lieutenant  général,  et  Guillaume  du 
Bellay,  gouverneur  de  Turin.  La  tâche  qui  s'imposait  à  eux 


LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT  11 

était  difficile  :  le  pays,  épuisé  par  plusieurs  années  de  guerre, 
pouvait  difficilement  nourrir  les  troupes  qui  devaient  le 
garder;  les  soldats  mécontents,  mal  payés,  étaient  toujours 
prêts  à  se  mutiner  ;  enfin  l'accord  était  loin  de  régner  entre 
les  chefs,  entre  Montejehan  et  Guillaume  du  Bellay  en  parti- 
culier. 

Montejehan,  homme  d'un  caractère  impatient  et  brusque^ 
ne  sut  pas  assez  se  garder  de  son  entourage;  il  se  laissa 
circonvenir  par  certains  seigneurs  italiens  qui  le  poussèrent 
à  des  mesures  vexatoires  dans  la  répartition  des  garnisons 
et  la  levée   des   contributions.   Le   mécontentement    était 
général  et  ne  pouvait  profiter  qu'au  duc  de  Savoie  dont  les 
agents  intriguaient  partout.  Guillaume  du  Bellay,  qui  savait 
de  quel  prix  était,   pour  François  1",  la  possession  du  Pié- 
mont, le  voyait,  et  ne  put  s*empécher  de  le  faire  remarquer 
au  lieutenant  général,  qui  lui  en  témoigna  peu  de  gré.  De 
menus  incidents,  envenimés  par  la  jalousie,  vinrent  accroître 
Tanimosité  entre  Montejehan  et  son  subordonné,  dontPhumeur 
était  plus  indépendante  qu'il   n'eût  fallu.  A  la  suite  d'une 
mutinerie  des  bandes  italiennes  qui  faillirent  prendre  un  des 
forts  de  Turin,   Langey  fit  trancher  la  tête  aux  chefs  des 
mutins  ;  Montejehan   renvoya,  sans  les  châtier,  les  autres 
rebelles,  ce  qui  parut  un  blâme  indirect  de  la  rigueur  de 
Langey.  Puis  comme  celui-ci,  privé  des  lansquenets  que  l'on 
délogeait  de  Turin,  par  mesure  d'économie,   ne  s'y  sentait 
plus  en  sûreté  et  demandait  à  garder  les  300  hommes  nouvel- 
lement envoyés  à  un  de  ses  capitaines,  le  maréchal  refusa 
tout  net.  C'est  à  ce  moment  précis  qu'éclate  entre  les  deux 
officiers  un  conflit  très  vif,  à  propos  d'un  taillon  que  le 
maréchal  veut  lever  sur  les  habitants   de  Turin.    Langey 
représente  avec  vivacité  que  c'est  demander  la  ruine  de  ces 
pauvres  gens  et  les  jeter  dans  les  bras  du  duc  de  Savoie,  dont 
on  ne   savait  encore  s'il  accepterait  la  trêve  de  Nice.    Il 
refuse   publiquement  d'obéir,  alléguant  qu'il  a  du  roi   des 
ordres  contraires  à  ceux  que  veut  donner  le  maréchal.  D'où 
une  scène  violente  dont  les  lettres  qui  suivent  exposent  les 
détails  et  les  conséquences  ainsi  que  les  démarches  faites  par 
les  députés  du  pays  pour  être  moins  durement  traités. 


12  LES  FRANÇAIS   EN  PIEMONT 

1.  —  Oaillaame  du  Bellay  à  Jean  du  fiellay  < 

Turin,  2  juillet. 

[F®  62].  J'aj  présentement  reçu  voz  lettres  par  un  des 
chevaulx-legiers  de  mon  frère  ' ,  données  à  Prejust  le  23™" 
du  passe  et  pour  responce  au  premier  article,  M.  le  Mares- 
chal  ^  a  délibère  daller  à  la  court.  A  ce  que  jentens  Villan- 
dry  *  luy  a  escript  que  pour  chose  du  monde  il  ne  laisse  quil  ny 
aille,  mais  de  se  desfaire  de  la  charge  de  ce  pays  ne  croyez  quil 
en  ayt  aucunement  envie,  car  ce  luy  est  une  trop  bonne  vache  à  laict. 
Bien  vouldroit-il  mavoir  oste  hors  de  devant  ses  yeulx.  Prou  de  gens 
le  mavoient  dict  parcy  devant  mais  je  nen  povoye  riens  croire  sur  les 
bons  propoz  quil  me  tenoit.  Dimanche  dernier  je  m*en  voulu[s]  esclar- 
cir  me  trouvant  seul  avecques  luy  après  les  propoz  que  nous  avions 
euz  ensemble  dont  je  vous  ay  escript  ^  et  luy  priay  que  pour  Ihon- 
neur  de  Dieu  il  ne  me  tinst  en  ceste  agonie  de  me  laisser  parmy  gens 
desquelx  jay  à  me  garder  autant  comme  des  ennemys,  que  je  ne 
povoye  vivre  ne  veiller  que  en  craincte  et  que  à  la  longue  ou  je  y 
mourroye  ou  je  seroye  contrainct  de  demander  mon  congie  plus  tost 
que  désire  icy  ordinairement  en  craincte  de  recevoir  une  honte  et  le 
roy  dommage.  Croyez  quil  ne  faillit  à  recueillir  soubdainement  la 
parole  et  après  longue  protestation  quil  me  aimoit  comme  frère  me 
remonstra  que  je  ne  debvoye  demander  mon  congie  soubz  une  telle 
couleur,  quil  sembleroit  que  je  neusse  point  la  vertu  de  me  faire 


*  Le  petit  texte  indique  les  parties  déchiffrées. 

*  Martin  du  Bellay,  sieur  de  la  Herbaudière,  commandait  une  bande 
de  200  chevaux  légers  ;  il  fut  gouverneur  de  Turin,  à  partir  de  novem- 
bre 15B8,  lorsque  Guillaume  du  Bellay  revint  en  France  pour  rétablir 
sa  santé  fortement  ébranlée,  et,  plus  tard,  lorsque  celui-ci  fut  lieutenant 
général  du  Piémont  (1540-1543). 

3  René,  s'  de  Montejehan,  en  Anjou,  lieutenant  général  du  roi  en 
Piémont,  maréchal  de  France  en  février  1538.  Cf.  le  P.  Ansblmb, 
Histoire  généalogique..,  VII,  174  sqq.  Le  P.  Anselme  se  trompe  en  don- 
nant 1538  comme  date  de  la  mort  de  Montejehan.  Le  maréchal  mourut 
seulement  à  la  fin  septembre  1539.  Cf.  Mémoires  de  Martin  et  Guillaume 
du  Bellay,  éd.  Michaud  et  Poujoulat,  467  et  B.  N.  f.  fs.  2990,  65,  un 
cartel  adressé  de  Turin,  le  19  septembre  1539,  par  Montejehan  malade, 
au  comte  Guillaume.  Ribieb,  au  tome  I  de  ses  Lettres  et  Mémoires 
d* Estât  a  publié  une  quinzainede  lettres  de  Montejehan  datées  de  1538-1539. 

*  Jean  Breton,  s'  de  Villandry,  secrétaire  des  finances. 

B  Lettre  à  Jean  du  Bellay  du  1"  juillet.  Dupuy  269  f«-  43-45. 


LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT  1 3 

obéir,  mais  que  je  lui  demandasse  telz  gens  que  je  vouldroye  et  quil 
les  me  bailleroit,  sil  ny  en  avoit  qui  fussent  à  mon  gre,  que  plus  test 
je  codourasse  ma  délibération  de  demander  congie  sur  le  besoing 
que  javoye  dentendre  à  mes  affaires  ;  quil  me  vouloit  advertir  comme 
mon  amy  afin  que  je  men  gardasse  ;  quon  sestoit  mocque  à  [la]  court 
de  quelques  propos  que  je  y  avoye  escriptz  que  javoye  des  gens  (v**) 
de  qui  je  ne  me  povoye  faire  obéir.  Or  tant  y  a  que  de  ceste  matière  je 
nay  escript  chose  que  vous  nayez  veue  ne  qui  soit  de  ceste  teneur. 
Je  ne  scay  si  luy  en  auroit  escript  ou  faict  porter  parole  soubz  main 
pour  me  desadvantager,  mais  tant  y  a  que  aussi  se  mutinèrent  ceul& 
de  Montcallier  '  que  ceulx  de  Turin  et  commencèrent  les  premiers 
et  le  contraignirent  de  composer  à  eulx,  là  où  les  miens  neurent  riens 
de  moy  davantage  que  ce  que  libéralement  je  leur  avoye  offert, 
avant  la  mutinerie.  Dimanche  furent  nos  propoz.  Hyer  il  envoya 
quérir  le  seigneur  Jehan  Paule  '  auquel  il  déclara  que  dedans  dix  ou 
doze  jours  il  doit  aller  à  la  cour  et  le  laisser  icy  lieutenant  du  roy, 
luy  demandant  sil  seroit  content  daccepter  le  gouvernement  de  Turin 
au  cas  quil  lui  en  face  despeseher  ses  lettres  à  la  court. 

Yoyla  ce  que  je  vous  pajs  mander  de  nouvelles  quant  à 
ce  premier  article  de  vostre  lettre.  Quand  au  second,  d*icj 
en  avant  je  suyvray  vostre  advis quant  jescripray  à  M.  le  con- 
nestable  ',  vous  pryant  menvoyer  tout  larticle  de  ma  lettre  dont 
mescrivez.  Ledict  Jehan  Paule  a  eu  advis  de  M.  le  connestable  que 
tost  il  luy  mandera  si  et  quant  il  debvra  aller  à  la  court.  Cela  et 
les  stigmates  quil  a  au  visage  le  fera  temporiser. 

Ce  porteur  sera  le  conte  Berlinger,  auquel  je  vous  prye 
faire  tout  layde  quil  vous  sera  possible  en  ses  affaires. 

Aussi  je  vous  prje  supplier  à  M.  le  connestable  quil  vueille 
pourveoir  le  juge  de  Briansonnoys  de  lestât  de  président  des 
comptes  de  ce  pajs  :  il  est  homme  qui  le  mérite  et  qui  le 
scaura  très  bien  faire. 

M.  le  Mareschal  a  envoje  ung  commissaire  pour  recon- 


i  Moncalierif  où  résidait  le  maréchal  de  MontejehaUf  se  trouve  sur  le 
Pô,  à  quelques  kilomètres  au  sud  de  Turin. 

'  Giovanni-Paolo  da  Cerri,  de  la  famille  Orsini,  fils  du  fameux  Renzo 
da  Cerri,  gentilhomme  italien  au  service  de  la  France,  très  en  faveur 
auprès  de  François  I*',  qui  le  nomma  successivement  gentilhomme  de  la 
chambre  et  colonel  général  des  bandes  italiennes. 

3  Anne  de  Montmorency,  connétable  de  France  depuis  le  10  février 
1538. 


14  LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT 

duire  en  France  les  gens  nouveaux  venus  au  cap°*  Gulphe^. 
Il  se  fonde  sur  ce  quil  fault  descharger  le  Roy  de  despence  ;  mais 
il  yauldroit  trop  myeulx  le  descharger  de  tant  de  capitai[F<»  63]nes 
car  en  moins  de  deux  mil  cinq  cens  hommes  françois  nous  avons  plus 
de  vingt-cinq  enseignes  de  sorte  que  les  estatz  ne  montent  gueres 
moins  que  la  paye  des  souldars.  On  dict  que  X  ^  vaà  Rome.  Je  voul- 
droye  que  on  luy  donnast  charge  de  passer  par  ce  pays  et  veoir  com- 
ment il  est  traicte. 

A  tant  je  me  recommande  humblement  à  v'<*  bonne  grâce. 
De  Turin  II"'^  jour  de  juillet  1538. 

V"  plus  obéissant  et  meilleur  frère, 
Guillaume  du  Bbllay. 

Et  au  dos  :  A  Monseigneur^  Monseigneur  le  cardinal  du 
Bellay. 

2.  —  Ouillaume  du  Bellay  à  Jean  du  Bellay 

Turin,  5  juillet. 

[po  64].  Je  ne  scay  si  je  auray  loisir  de  parachever  la  pré- 
sente avant  que  ce  porteur,  homme  de  M.  de  la  Rochepousay 
soit  desloge.  Par  le  conte  Berlinger  et  par  le  s'  Georges  de 
Connigran  je  vous  avoye  escript,  mais  le  conte  Berlinger  partit 
la  nuyt  et  celluy  auquel  j  avoye  baille  mes  lettres  pour  luy 
porter  à  Montcallier,  dès  le  soir  me  trompa  ;  laultre  nest 
point  aile.  Jay  depuys  faict  bailler  les  mesmes  lettres  à  ung 
gentilhomme  venant  de  Venise,  desp esche  par  M.  de  Roddez  ^. 

Devant  hyer  furent  assemblez  les  estatz.  L'intention  estoit  de  leur 


*  René  de  Gulpho,  «  sieur  de  Neple  »  ou  Nesle,  un  des  cent  gentils- 
hommes de  la  maison  du  roi,  capitaine  de  mille  hommes  de  pied. 
Guillaume  dn  Bellay  avait  en  lui  pleine  confiance.  On  venait  de  lui 
envoyer  de  France  trois  cents  hommes  nouveaux  que  Montejehan  ren- 
voya, malgré  les  instances  de  Langey.  Cf.  Archives  nationales  J.  962, 158. 

*  Le  chiffre  désigne  un  personnage  que  nous  n'avons  pu  identifier.  11 
s'agit  peut  -être  d'Adhémar  de  Monteil,  s'  de  Grignan,  qui  fut  envoyé  à 
Rome  au  milieu  d'août  1538  et  passa  par  le  Piémont  t  pour  illec  pour- 
veoir  à  plusieurs  affaires  concernant  la  justice,  police  et  soulagement  des 
sujets  dud.  pays...  »  B.  N.  f.  Glairambault,  1215,  f.  76vo  . 

s  Georges  d'Armagnac,  évéque  de  Rodez,  ambassadeur  à  Venise  de 
1536  â  1538. 


LES  FRANÇAIS  EN  PIÉMONT  15 

demander  ung  tailion  qui  eust  bien  monte  troys  cens  mile  francz.  Leur 
délibération  estoit  de  respondre  que  Ion  pnst  de  ceulx  qui  ont  pille  le 
peuple,  troys  cens  mile  escuz  quilzen  ont  extorque,  et  au  demourant  se 
bien  desgorger.  Sur  quoy  Ihomme  ^  neust  failly  de  se  persuader  que 
ceust  este  de  ma  participation,  par  quoy  je  len  adverty  et  luy  conseillay 
de  ne  demander  ledict  tailion,  mais  leur  proposer  qu'estant  adverty  des 
extorsions  qui  leur  ont  este  faictes,  il  estoit  délibère  den  faire  bonnes 
informations  et  leur  en  faire  la  raison,  et  que  pour  obvier  que  à  ladvenir 
ne  sen  fist  de  semblables,  à  ce  que  le  peuple  demourast  en  liberté  de 
cultiver  les  terres  et  faire  sa  marcbendise,  il  avoit  délibère  de  rescinder 
le  nombre  des  gens  de  guerre,  et  ce  quil  en  retiendroit,  les  retiendroit 
tous  ôs  villes  fortes  esquelles  le  peuple  leur  fourniroit  vivres  à  ung 
taux  auquel  le  souldar  pust  vivre  de  la  soulde  du  Roy  et  quen  ce  fai- 
sant il  establiroit  ung  capitaine  de  justice  qui  puniroit  de  mort  tous 
ceulx  qui  prendroient  quelque  chose  sans  payer,  ou  sortiroient  de  leur 
garnison  sans  bulletin  du  gouverneur,  qui  estoit  chose  que  ceulx  qui 
me  avoient  este  ordonnez  pour  la  contribution  de  Turin  mavoient  ceste 
année  accorde  libéralement.  La  proposition  faicte,  les  estatz  remirent 
la  responce  à  hyer,  [v^]  et  fut  la  responce  en  somme  quilz  estoient  si 
mengiez  que  possible  ne  leur  estoit  de  fournir  vivres  au  taux  quon 
demandoit,  car  la  moytie  du  peuple  estoient  mortz  de  faim,  ce  qui 
restoit  navoit  que  mengier,  peu  de  gens  avoient  semé  et  que  ce  peu 
qui  avoient  semé  navoient  recueilly  pour  resemer.  Apres  longs  propos, 
il  se  aigrit  et  leur  dist  que  silz  ne  laccordoient  libéralement,  il  le  leur 
feroit  faire  par  force  et  que  silz  avoient  [este]  maltraictez  par  le  passe, 
ilz  le  seroient  pis  à  ladvenir.  Hz  respondirent  que  tant  quilz  en  au- 
roient,  ilz  en  bailleroient,  mais  quilz  neussent  riens,  ilz  deshabiteroient, 
lui  demandant  congie  daller  vers  le  Roy  luy  demonstrer  leur  paouvrete. 
Ce  quil  leur  accorda,  disant  que  la  responce  quilz  en  auroient  estoit 
toute  faicte,  car  le  Roy  se  reposoit  sur  luy  des  affaires  de  par  deçà  et 
les  renvoyeroit  à  luy,  et  pour  ce,  quilz  se  délibérassent  des  lors  de 
fournir  vivres  aux  taux  quil  imposeroit,  car  il  donneroit  aultrement 
liberté  aux  souldars  den  prendre  où  ilz  en  trouveroient.  Ainsi  se  des- 
partirent. Je  parlay  depuys  à  eulx  particulièrement  et  mesmement  à 
ceulx  qui  autrefois  mavoient  bien  voulu  faire  ce  party,  et  men  avoient 
prye.  Hz  me  respondirent  que  alors  ilz  avoient  de  quoy  le  faire  et 
lofroient  afin  davoir  liberté  de  semer  de  quoy  maintenant  recueillir 
pour  avoir  le  moyen  dy  continuer;  mais  que  nayant  eu  ce  moyen,  ilz 
ny  pourroient  maintenant  fournir,  que  premiement  ilz  n'ayent  faict  une 
cueillette,  ofrans  que  Ion  face  recensir  le  peuple  et  tout  ce  quilz  ont 

1  Le  maréchal  de  Montejehan. 


16  LKS  FRANÇAIS  EN  PIEMONT 

de  vivres  et  quilz  soient  penduz  sans  remission  [F<*  65]  en  cas  qne  Ion 
ne  trouve  quatre  choses  ;  lune  quil  est  mort  de  faim  depuys  ung  an 
en  ça  le  tiv  rs  du  peuple  et  que  plusieurss  se  sont  penduz,  noyez  et  tuez 
de  desespoir,  —  laultre  que  tous  les  vivres  du  pays  ne  scauroient 
fournir  à  nourrir  ung  moys  ce  peu  qui  reste  dudit  peuple,  —  la  tierce 
que  par  les  registres  des  notaires  on  trouvera  que  depuys  deux  ans  le 
quart  des  maisons  et  possessions  ont  change  de  maistres,  et  ceolx  qui 
ont  vendu  lont  faict  pour  satisfaire  aux  contributions  quilz  ont  payées, 
—  la  quarte  que  le  tiers  de  la  vendange  avenir  est  desja  vendu  pour 
satisfaire  ausdictes  contributions  ;  remonstrent  davantage  que  silz 
veulent  recueillir  lan  qui  vient,  il  fault  quilz  achaptent  du  grain  pour 
semer,  des  benfz  pour  labourer,  provisions  pour  vivre  cependant,  et 
que  de  leur  adjouxter  ceste  autre  charge,  dachatter  vivres  à  cher  prix 
pour  les  revendre  aux  souldars  aux  deux  tiers  meilleur  marche,  il  est 
jmpossible  quilz  vivent  ;  et,  en  effect,  en  beaucoup  de  lieux,  les  prez 
demeurent  à  fauscher  et  le  ble  à  seyer,  que  les  maistres  aiment  mieulx 
le  laisser  perdre  que  le  recueillir  pour  aultruy.  Je  ay  tout  ce  que 
dessus  remonstre  à  Ihomme,  afin  quil  ne  les  desesparast  du  tout, 
mesmement  cependant  nous  ne  scavons  desquelx  est  le  Duc,  en  sorte 
quil  les  a  remys  à  reparler  à  euix  encores  aujourd'huy.  Et  pour  con- 
clusion, si  le  Duc  n'est  pour  nous  et  nous  désespérons  ce  peuple,  il 
sera  force  que  le  roy  entretienne  tousjours  icy  une  grosse  force  qui 
luy  costera  beaucoup  en  soulde  et  encol^es  k  nourrir,  car  si  le  pays 
nest  cultive,  il  fauldra  faire  venir  vivres  dailleurs.  Lesdictz  estatz  ont 
faict  compte  que  à  retenir  icy  seulement  quatre  mil  hommes  de  pied 
sans  chevaulx,  linterestz  de  les  nourrir  au  taux  de  leur  soulde  montera 
cinq  cens  escuz  par  jour,  si  les  vivres  namendent  [v^],  Lhomme  que 
scavez  me  ramadoue  fort,  mais  c*est  par  le  conseil  de  sa  femme  et  me 
promet  bien  que  ces  dix  ans  nous  ferons  grand  chère  ensemble.  Il  se 
tient  si  asseure  de  M.  le  connestable  quil  ne  craint  fouldre  ni  ton- 
nerre. 

Lhomme  qui  doibt  aller  vers  M.  le  connestable  touchant 
lestât  dont  vous  luy  avez  parle  de  par  moy  mescripvit  hyer 
une  lettre  que  je  vous  envoyé  pour  le  communicquer  audict 
seigneur,  si  voyez  que  bon  soit.  Il  tient  la  chose  plus  faisable 
que  jamais.  Dedans  Ihuictiesme  de  ce  moys,  il  partira  pour 
aller  informer  ledict  seigneur  de  bouche.  Lentreprinse  na 
point  este  communicquee  au  conte  de  Biandras  qui  est  aile  par 
delà  et  ne  la  luy  veulent  ceulx  qui  conduisent  cest  oeuvre 
communicquer  tant  que  ce  soit  faict.  A  tant  je  prye  à  Dieu 


t 


LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT  17 

Yoas  donner  en  santé  bonne  et  longue  vie.  De  Thurin  le  cinqn* 
jour  de  juillet  mdxxxvui. 

Yostre  plus  obéissant  frère  et  meilleur  amj. 

Guillaume  du  Bellay. 

Et  au  dos  :   Monseigneur,  Monseigneur  le   cardinal  du 

BSLLAY. 

3.  —  Ouillaume  du  Bellay  à  Jean  du  Bellay 

Turin,  6  juillet. 

[F*  72].  Vous  scaurez  tant  de  nouvelles  par  M.  deRoberval 
que  ce  me  sera  cause  de  faire  la  présente  plus  courte  et  au 
demourant  je  ne  mestendraj  à  le  vous  recommander,  car  vous 
scavez  lancienne  amytie  qui  est  entre  luy  et  moy.  Il  vous 
comptera  de  quelques  practiques  quon  a  suscite  contre  luy  de 
faireàungmoyne  son  cousin  prendre  habit  de  prestre  séculier 
affîn  quil  hérite.  Il  fault  quil  sayde  de  tous  ses  amys  pour 
donner  audict  moyne  quelques  bénéfices,  pour  le  contenter. 
Il  sen  adresse  tant  a  M.  le  cardinal  de  Lorraine  que  à  celuy 
de  Bourbon  et  je  vous  condamne  den  faire  aussi  de  vostre 
part  plus  que  sera  possible  jusques  à  III  ou  IV  ou  V  Itz. 
Touchant  mes  affaires  de  Picardie  jay  nouvelles.  Quoy  que 
je  vous  escripve,  je  me  double  quil  ne  soit  tant  mon  amy  quil 
dit.  Vous  le  congnoistrez  par  le  rapport  quil  fera  dune  cherge 
quil  a  de  M.  le  Mareschal  de  reciter  les  paroles  qui  ont  este  ce 
jourdhuy  entre  mondict  sieur  le  mareschal  et  moy,  lequel,  après  avoir 
faict  pour  luy  et  son  honneur  en  la  matière  dont  je  vous  escripvy  hyer 
ce  que  jeusse  peu  faire  pour  mon  père,  finirent  (sic)  en  menasses  que 
là  où  il  me  commanderoit,  il  scauroit  bien  la  me  faire  faire,  ou  bien 
me  faire  trencher  la  teste  ;  et  fut  pour  ce  que  me  commandant  que  je 
contraignisse  les  gens  de  ceste  ville  à  faire  quelque  chose  dont  ilz 
sestoient  excusez,  je  le  priay  que  je  ne  men  empeschasse  point  dau- 
tant  que  ce  seroit  contre  les  instructions  que  jay  du  Roy.  Il  me  dict 
lors  que  par  le  Sang  Dieu,  quant  il  me  commanderoit  une  chose,  force 
me  seroit  de  le  faire.  Je  luy  responds  lors  que  quant  il  me  comman- 
deroit ce  quil  doibt,  force  ne  me  seroit,  mais  volunte  selon  mon  deb- 
voir^  et  comme  javais  tousjours  faict  autant  que  le  moindre  souldart 
quil  eust;  mais  que  des  choses  dont  javois  expresse  commission  du 
Roy  je  ne  feroye  le  contraire  pour  commission  dhomme  du  monde,  si 
le  Roy  mesmes  ou  qui  a  la  principale  charge  de  ses  afiaires  ne  le  me 

2 


18  LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT 

commandoit  ;  et  lors  il  me  menassa  que  de  ces  tes  les  propos  seroient 
longs,  et  il  a  envoyé  défendre  aux  postes  quilz  ne  portent  lettres  de 
moy,  ne  baillent  chevaulx  sans  son  commandement  et  a  jure  qui! 
escripra  au  Roy  de  cest  affaire,  et  que  par  le  Sang  Dieu  ce  quil 
escripra  sera  creu. 

Je  ne  supplye  M.  le  Gonnestable  sinon  que  je  ne  soye  condam[v°]ne 
sans  estre  ouy,  car  nonobstant  quil  ayt  jure  que  sil  y  a  homme  qui  en 
parle  ou  escripve  aultrement  quil  en  escripra,  il  luy  rompra  la  teste, 
il  y  avoit  de  gens  de  bien  qui  diront  vérité.  Jenvoyeray  par  escript  le 
discours  de  tout  et  si  on  trouve  que  je  ne  mande  vérité,  et  que  jaye 
donne  occasion  de  me  user  dung  tel  langage,  que  on  me  tranche  la 
teste.  Jentens  quil  mande  à  M.  le  Gonnestable  pour  le  preocuper  contre 
moy  que  jescripvoye  secrètement  au  Roy  des  nouvelles  sans  prendre 
ladresse  dudict  seigneur  connestable.  La  lettre  fera  foy  de  tout  ce  que 
jay  escript.  On  me  vient  davertir  que  ledict  sieur  mareschal  tend  sur 
ceste  casserie  que  Ion  fera  de  gens  darmes  y  faire  comprendre  ma 
compagnye.  Je  vous  supplye  pour  Ihonneur  de  Dieu  y  avoir  lœil  et  de 
rechiefà  ce  que  je  ne  soye  condamne  sans  estre  ouy. 

De  Turin,  ce  VI™®  jour  de  juillet  mdxxxviii. 
Yostre  plus  obéissant  et  meilleur  frère. 

Guillaume  du  Bellay. 

Et  au  dos  :   Monseigneur ,  Monseigneur  le   cardinal   du 

BsLLàT. 


4. —  Guillaume  du  Bellay  à  Jean  du  Bellay 

Turin,  11  juillet. 
J'ai  sceu  que  Lantenay,  lequel  et  le  gênerai  de  Bretaigne^  sont 
ainsi  quon  ma  dict  principaulx  auteurs  de  ce  trouble,  sen  va  bien 
délibère  de  parler  sur  moy  en  mon  absence.  Je  vous  prye  faire  dire 
de  ma  part  quil  advise  à  ne  dire  chose  quil  ne  veuille  maintenir 
lespee  à  la  main  :  cela  luy  pourra  changer  ses  instructions.  Monsieur 
le  mareschal  faict  contre  moy  son  principal  fondement  sur  les  muni- 
tions que  jay  mal  administrées.  Si  cela  se  mect  à  information  et  aux 
registres  des  munitionnaires  à  qui  a  myeulx  faict  de  luy  ou  de  moy, 
jay  cause  gaingnee.  Vray  [est]  que  je  vouldroye  avoir  ung  fons  de 
mil  escuz,  comme  je  vous  escripvis  hyer'  ,  ou  de  doze  cens    pour 

*  Antoine  Bullioud  :  cf.  de  lui  une  lettre  adressée  au  chancelier  <  de 
Montcallyer,  dernyer  jour  de  may  [1538]  >aux  Archives  nationales  J  967, 
10«. 

s  Nous  n'avons  pas  cette  lettre* 


LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT  19 

estre  hors  de  toute  doubte  et  fascherie.  Ledict  mareschal  vient  icy 
pour  y  faire  dicy  en  avant  son  séjour.  Dieu  veuille  que  ce  soit  à  bonne 
fin.  Mais  je  me  tiendray  sur  mes  gardes,  car  trop  de  vens  madver- 
tissent  que  je  le  face  et  pour  ce  le  tout  que  Ion  men  estera  sera  le 
meilleur,  tant  pour  la  seurete  de  ma  personne  que  pour  le  profit  du 
Roy.  Mais  je  vouldroye  estre  08t[e]  sans  reproche.  De  Turin  ce 
unziesme  de  juillet  1538  ^ 

Votre  plus  obéissant  et  meilleur  frère, 

Guillaume  de  Bbllat. 
et  au  dos  :  A  Monseigneur 

Monseigneur  le  cardinal  du  Bbllat. 

5.  —  Gaillaume  du  Bellay  à  Jean  du  Bellay 

Turin,  12  juillet. 

[F°  41]  On  fait  si  grand  guectàce  que  jenenvoye  de  mes  nouvelles 
que  je  ne  puys  pas  escripre  quand  je  vouldraye.  On  a  amusé  Chaulne  ^, 
deux  jours  avant  que  jeusse  de  luy  mes  lettres.  Cependant  on  a 
y^attiltre  des  capitaines  pour  se  venir  plaindre  devant  luy.  En  ma  pré- 
sence, Monsieur  le  mareschal  porta  la  parole  que  je  lui  avoye  escript 
comment  on  mavoit  baille  tous  les  mutins  et  que  lung  des  bastions 
estoient  en  leur  garde,  item  que  Gulfe  es  toit  celuy  qui  avoit  chastye 
les  mutins.  Et  alors  Ache  sortit  le  premier  en  place  disant  que  si!  y 
avoit  personne  qui  dist  quil  fust  mutin  quil  soutiendroit  le  contraire 
de  sa  personne  ;  à  la  sienne,  Aguerre,  que  sil  avoit  homme  qui  dist 
quil  fut  coulpable  de  la  mutinerie,  ceulx  exceptez  quil  doibt  excepter, 

*  Le  même  jour,  Guillaume  du  Bellay  écrit  au  connétable  de  Mont- 
morency pour  lui  expliquer  son  dilférend  avec  le  Maréchal  de  Montejehan 
et  offre,  en  termes  énergiques,  de  se  justifier  : 

«  Je  me  offre,  Monseigneur,  et  me  rends  prisonnier  des  ceste  heure 
pour  aller  me  justiffier  la  où,  et  quand  il  me  sera  commande,  consens 
et  prie,  sinon  quil  plaise  au  roy  et  à  vous  en  disposer  aultrement,  que 
préalablement  et  avant  questre  ouy  en  mes  justifications,  je  soye  et 
demeure  suspendu  de  tous  mes  estatz  jusques  à  ce  que  mesdictes  justi- 
fications soient  deuement  et  amplement  veriflBees.  Vous  suppliant  , 
Monseigneur,  que  là  où  je  la  scauray  faire  au  contentement  et  satis- 
faction du  roy  et  vostre,  il  vous  plaise  estre  moien  que  je  soye  entière- 
ment restitue,  de  sorte  que  je  nen  demeure  en  loppinion  du  monde 
davoir  faict  chose  dont  jaye  mérite  diminution  de  degré.  >  (Dupuy, 
269,  f.  54.) 

*  Louis  d'Oignies  s'  de  Ghaulnes,  écuyer  d'écurie  du  roi. 


20  LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT 

il  diroit  par  le  congie  de  M.  le  Mareschal,  quil  avoit  menty,  deman- 
dant congiede  sen  aller  justifier  vers  M.  le  Gonnestable,  puys  que  on 
se  desfioit  de  luy  ;  Ossun  quon  luy  avoit  faict  tort  descripre  tant  de 
bien  de  Gulfe  et  luy  avoir  desrobe  son  honneur,  car  il  avoit  estainct 
la  mutinerie  et  que  sans  luy  ceulx  de  la  ville  eussent  este  maistres 
des  souldars  ou  eulx  de  ceulx  de  la  ville.  A  Ache,  je  repondy  quil 
avoit  bien  grande  envie  de  dancer,  de  prendre  la  défense  de  chose  qui 
ne  luy  touchoit,  veu  que  lors  de  la  mutinerie  il  nestoit  des  capitaines 
de  cette  ville,  quant  à  ce  que  jauroye  escript,  que  lescripture  en 
feroit  foy;  bien  scavoye  avoir  escript  que  les  bastions  estoient  en  garde 
des  mesmes  mutins  qui  mavoient  assailly,  ce  quiestoit  vray  lorsque  je  le 
escripvyz;  [à]  Aguerre  que  jestoye  dadvis  quon  luy  donnast  le  congie 
quil  demandoit,  qui  conques  eut  escript  de  luy  ou  parle  à  luy  ton- 
choit  de  resp[vo]ondre,  ce  bien  lui  âvoye  je  faict  descrire  en  sa 
justification,  et  quant  à  se  fier  ou  mesfier  de  luy  que  je  luy  en  avoye 
dict  ma  fantasie,  mais  puys  quil  pensoit  quon  ne  se  fiast  de  luy, 
falloit  dire  sil  nen  avoit  certainete  quil  craingnist  quil  en  eust  en  luy 
quelque  occasion,  ce  que  je  remettoye  à  luy;  à  Ossun  que  pryant 
par  lettre  quon  me  donnast  les  gens  de  Gulfe,  y  allegant  le  devoir 
dudict  Gulfe,  loccasion  ne  sadonnoit  descrire  de  luy,  mais  que  lors 
en  là  lettre  par  laquelle  javoye  escript  le  discours  de  la  mutination, 
j avoye  escript  le  devoir  quil  avoit  faict,  sans  luy  desrober  son 
honneur  ;  au  demeurant  à  M.  le  Mareschal,  quil  me  pardonnast  et 
que  ces  motz  quil  mavait  baille  tous  les  mutins  nestoient  point  en  ma 
lettre  [offrant  avoir]  recours  à  icelle.  A  tout  fut  présent  plus  de  trente 
capitaines  et  prou  daultres  choses  furent  dictes  que  je  vous  manderay 
par  homme  exprès.  Ledict  sieur  est  icy  pour  faire  résidence  dicy  en 
avant.  Javoye  este  adverty  quil  avoit  délibère  de  se  vouloir  tenir  au 
chasteau,  mais  je  préoccupe  luy  comptant  que  le  roy  mavoit  mande 
par  La  Fosse  *  que  je  fortifiasse  ledict  chasteau  et  que  je  m'y 
logeasse.  Je  ne  scay  quil  en  fera  ;  mais  il  nest  possible  estant  les 
choses  comme  elles  sont  que  pour  le  service  du  roy  je  demeurasse 
icy  avecques  luy.  Je  vous  prye  y  pourveoir  le  myeulx  que  vous  pourrez 
à  mon  honneur.  Vray  est  que  deslogeant  dicy  je  pense  bien  que  ma 
compagnye  yra  à  Cassan.  Les  communes  envoient  trente  [F°  42]  am- 
bassadeurs faire  entendre  leur  traictement.  Ung  personnage  ma  dict 
quil  pense  avoir  este  cause  que  ledict  sieur  soit  entre  contre  moy  en 

1  Barnabe  d'Urre,  sieur  de  la  Fosse,  gentilhomme  angevin,  que. 
Guillaume  du  Bellay  employait  volontiers  et  qui  avait  été  chargé  de 
plusieurs  missions  en  Allemagne.  Cf.  Winckelmann,  Politische  kor- 
respondenz  der  Stadt  Strassbwg  im  Zeitalter  der  Reformation  II, 
505-507  ;  ///,  122,  126,  127. 


LES   FRANÇAIS  EN  PIÉMONT  21 

jalousie,  parce  que  ledict  sieur  se  conseillant  à  luy,  il  luy  dist  quil 
pensoit  advenant  longue  trêve,  que  le  roj  ne  vouldroit  faire  icy  tant 
de  despence  et  quil  ne  laisseroit  icy  quen  chacune  ville  quelques  genz 
soubz  chacun  gouverneuet  par  adventure  à  moy  quelque  préémi- 
nence sur  les  aultres,  pour  gouverner  pays  avec  le  conseil  du  Parle- 
ment ;  il  dist  que  depuys  lors  il  a  tousjours  veu  aller  tout  de  travers 
De  Turin  à  hazte,  sur  la  mynuit  desrobant  lopportunité  de  ce  courrier, 
le  doziesme  de  juillet  [1538]. 

6.  —  Gaillaume  da  Bellay  à  Jean  du  Bellay 

Turin,  14  juillet. 

[F®  58].  Lopinion  que  jay  de  la  peine  en  laquelle  vous  estes  pour 
moy  est  bien  lune  des  bonnes  parties  de  celle  où  je  suys,  qui  me  meut 
de  vous  escrire  tant  souvent.  Depuys  ma  lettre  dernière  Ihomme  ma 
tenu  par  diverses  foys  aussi  gratieulx  propos  quil  fist  oncques  jusque 
à  me  dire  quil  ne  fut  oncques  tant  marry  de  chose  qui  luy  advint  quil 
a  este  de  ce  qui  luy  est  advenu,  dautant  quil  me  tient  pour  homme  de 
bien  et  de  service,  autant  que  homme  quil  congneut  jamais  et  non  en 
une  sorte  mais  en  plusieurs  ;  mais  que  je  le  contraigny  de  me  dire  ce 
quil  me  dist  pour  luy  avoir  si  absolutement  dict  devant  tant  de  gens 
que  je  ne  luy  obeiroye  point,  car  sil  ne  meust  aussi  respondu  il  ny 
eust  eu  gouverneur  en  tout  le  pays  qui  neust  entrepris  sur  cest  exem- 
ple de  me  respondre  de  mesmes.  Si  ceust  este  à  part  quil  le  eust  endure 
de  moy  pour  me  congnoistre  colère  et  que  pour  lestre  luy-mesmes,  il 
scayt  par  expérience  quelx  propos  peuvent  eschapper  [à]  ung  homme 
en  sa  grande  colère  et  que  pour  ce  qui  est  advenu  il  ne  vouldroit  moins 
faire  pour  moy  que  par  le  passe,  quil  vouldroit  scavoir  de  moy  veu 
que  autrefoiz  je  luy  avoye  si  sagement  dict  quil  debvoit  estimer  heu- 
reux estant  facture  de  M.  le  Connestable  quil  navoit  gens  par  deçà  de 
ceulx  qui  ont  les  charges  qui  ne  fussent  de  mesmes,  qui  seroit  cause 
que  allans  tous  dung  bransle  le  roy  en  seroit  myeulx  servy,  que  luy 
de  sa  part  a  cherche  tous  moyens  possibles  dentretenir  les  choses  en 
ceste  sorte  et  mesmement  avecques  moy  duquel  il  confessoit  avoir 
este  fort  soulage,  comme  il  avoit  escript  au  roy  et  à  M.  le  Connestable  ; 
mais  que  je  scavoye  bien  quil  navoit  gueres  faict  despeches  sans  les 
me  communiquer,  voire  sans  les  me  bailler  à  faire  à  moy-mesmes, 
quil  vouldroit  scavoir  de  moy  dont  estoit  procedee  ceste  desfiance  que 
javoye  prise  de  luy  [v°].  Quant  au  premier  article  que  je  luy  eusse 
absolutement  nye  de  luy  obéir,  je  le  luy  nyay  à  plat,  bien  advouay  luy 
avoir  dict  que  sil  vouloit  contraindre  ceste  ville  à  ce  quil  disoit,  que 


22  LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT 

faire  le  pourroit  comme  lieutenant  du  roy,  mais  que  moy  ne  le  pouvay 
faire  pour  avoir  instructions  à  ce  contraires  ;  et  puys  luy  poursuyvy 
[le]  demourant  des  propos,  selon  le  discours  que  je  vous  enay  envoyé. 
Il  me  interrompit  disant  que  de  cela  les  presens  en  seroient  creuz,  mais 
quil  nen  failloit  venir  là  et  que  ce  seroit  resjouyr  les  ennemyz  de  lung 
et  de  laultre  et  au  contraire  mettre  les  amyz  en  peine,  car  si  nous  en 
venions  là,  il  est  certain  que  la  vie  de  lung  et  de  laultre  seroit  espe- 
luchee  dun  bout  à  aultre  par  noz  ennemyz  qui  diroient  :  «  En  ung  tel 
ou  en  ung  tel  jour,  il  fist  une  telle  folye,  en  un  tel  une  telle,  on  ne 
pouvoit  pas  espérer  quil  fist  aultrement  ailleurs.  »  Et  que  ceste  estoit 
la  cause  quil  navoit  este  dadvis  que  jenvoyasse  par  M.  de  Chaulne 
la  lettre  que  je  luy  avoye  monstree  (cest  celle  dont  je  vous  ay  envoyé 
la  minute  par  Crissay),  car  de  telles  matières,  moins  escripre  est  le 
meilleur,  adjouxtant  que  des  paroles  que  nous  avions  eues,  luy  à  ceste 
cause  nen  avoit  voulu  escripre,  sinon  pour  satisfaction,  ung  petit  mot 
à  M.  le  Connestable  de  créance  sur  Roberval,  lequel  de  ce  quil  en 
avoit  ouy  dire  à  ceulx  qui  furent  presens  en  diroit  le  moins  qu'il  pour- 
roit (s'il  est  ainsi  quil  dist,  la  vue  en  descouvrera  le  fait).  Apres  ceste 
interruption  je  repris  mon  propoz  disant  que  de  ce  quil  avoit  escript 
en  ma  faveur  je  lavoye  sceu  et  men  sentaye  tenu  à  luy  et  avoye  mys 
peine  de  ne  men  monstrer  ingrat.  Quant  à  persévérer  que  tous  fus- 
sions tousjours  allez  dung  bransle,  je  pensoye  ^que^  par  grande 
obéissance  avoir  donne  à  congnoistre  comme  je  le  desiroye;  de  l'hon- 
neur quilmavoitfaitde  mecommunicquerlesdepeschesetmemp[F°59] 
loyer  à  les  faire,  je  le  pensoye  avoir  recongneuparley  avoir  fidèlement 
servy  et  que  je  estoye  seur  quil  ne  se  trouveroit  le  estre  si  fidèlement 
par  ceulx  que  maintenant  il  y  employoit  et  qui  lavoyent  mis  en  des- 
fiance de  moy,  laquelle  sienne  desfiance  de  moy  avoit  cause  que  jen 
eusse  de  luy,  et  sus  cest  article  debattismes  plusieurs  propos  con- 
tenuz  ou  discours  que  je  vous  ay  envoyé.  Il  viendra  a  ceste  raison  de 
me  bailler  par  escript  les  causes  dont  il  se  plaingt  de  moy,  afin  den 
tyrer  de  moy  responce  par  escript,  de  quoy  je  nentens  faire  difficulté. 
Je  désire  fort  scavoir  comment  cecy  a  este  pris  à  la  court  mesmement 
du  Roy  et  de  M.  le  Connestable  et  conseil  de  vous  si  je  doibz  plier  ou 
rompre  ;  cependant  je  ne  me  pourmeneray  guères  par  les  rues.  De 
tout  ce  que  je  vous  ay  escript  ou  escripray  vous  userez  selon  que  le 
temps  le  portera  et  quant  fauldra.  rabiller  quelque  chose  userez  des 
blancz  que  je  vous  ay  envoyez,  car  vous  scavez  que  cela  vault,  item 
qui  voit  gens  en  division  rapporte  aucune  foiz  plus  que  vérité  a  lune 
ou  laultre  partie.  Je  vouidroye  aussi  scavoir  que  sera  de  ma  compai- 
gnye  et  si  jauroy  perdu  ce  que  jay  despendu  à  faire  faire  les  sayes  et 
à  faire  venir  les  harnoys.  Pour  faii-e  passer  ce  pacquet  je  lay  baille 
au  frère  de  feu  Bernardin  Gentil,  pour  lequel  je  vous  escryz  de  telles 


LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT  23 

escriptures.  Vous  serez  tousjours  quitte  dalleguer  que  ce  temps  nest 
propice  et  que  pour  le  présent  ilz  ne  sen  adressent  à  vous,  car  vous 
ne  leur  scauriez  faire  plaisir  que  nayez  bonne  volunte.  De  Turin,  ce 
quatorziesme  jour  de  juillet  [1535]. 

Au  dos  :  A  Monseigneur,  Monseigneur  le  cardinal  du 
Bbllat. 

7.  -—  Guillaume  du  Bellay  à  Jean  du  Bellay 

Turin,  24  juillet. 

[F®  66].  Je  ne  vous  feray  pas  longue  lettre  car  je  ne  scay  si  ma  lettre 
ira  seurement.  Jay  receu  quattre  vostres  lettres  par  Maillart,  ja[y] 
monstre  au  président  ^  et  la  Foucauldiere  le  long  discours  que  je  vous 
ay  envoyé:  ils  afferment  qui l  contient  vérité  ;  le  vicaire  dAst^,  Fauria, 
Perceval  Dodolo  es  choses  quils  ont  este  presens  en  disent  autant  et 
accordent  tous  sur  le  principal  poinct  de  la  désobéissance,  que  je  dyz 
à  M.  le  Mareschal  quand  il  me  parla  de  contraindre  les  gens  de  cette 
ville  que  faire  le  povoit  comme  lieutenant  du  Roy,  mais  que  moy 
pour  avoir  mandement  contraire,  par  instructions  signées  de  la  main 
du  Roy  ne  men  povoye  empescher,  et  que  sur  la  fin  quant  il  me 
demanda  si  je  scavoye  pas  bien  quil  estoit  lieutenant  du  roy  et  que 
javoye  à  luy  obéir,  luy  respondiz  que  tousjours  lavoy  je  faict  autant 
que  le  moindre  souldart  de  son  armée  et  feroye  en  toutes  choses, 
sauf  où  je  auroy  mandement  contraire,  auquel  cas  je  vouldroye 
attendre  nouveau  mandement  du  roy  ou  de  qui  a  le  principal  manie- 
ment de  ses  affaires  après  hiy.  Cela  ne  me  semble  fort  eslongnant  de 
ce  que  le  Roy  vous  dist  que  je  le  debvoye  pryer  de  memployer  ailleurs, 
cependant  quil  feroit  faire  lexecution  par  ung  aultre.  Et  tant  y  a  que 
quiconques  eust  entrepris  de  faire  cette  exécution  eust  entrepris  chose 
veu  le  temps  qui  est  [qui  eust]  peu  apporter  une  dangereuse  consé- 
quence ;  la  charge  à  laquelle  il  vouloit  que  je  contraignisse  ladicte 
ville  ne  eust  moins  monte  de  quinze  mile  francs  par  moys;  quant  aux 
munitions,  il  ne  scauroit  nyer  qu'il  n'eust  sceu  plus  tost  que  lorsque 
jen  faisoye  vendre  aux  lansquenetz  et  que  je  ne  luy  en  eusse  sou- 
vent parle  et  escript  pour  y  pourvoir  et  que  lui  ne  fist  depuys  le  sem- 
blable à  Montcallier  et  à  plus  grande  perte  du  Roy  que  moy.  Et  si 

1  François  Errault,  s'  de  Ghemans. 

*  Le  vicaire  d'Ast,  Alberto  Gato  ou  Gasto,  nommé  conseiller  et  maître 
des  requêtes  ordinaire  en  Piémont  et  pour  toute  l'Italie,  par  lettres  du 
roi  données  à  Moulins,  7  mars  1537  [1538].  Arch.  Nat.  J.  993  7*.  Cf.  Ici. 
J.  %1 11  19. 


24  LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT 

cest  homme  continue  etnest  ferme  en  ses  promesses,  je  vous  asseure 
bien  qoil  adviendra  de  linconvenient  et  lourdement;  la  détention  des 
ambassadeurs  des  communes  a  fort  désespère  ce  pays,  outre  ce  quil 
estoit  desj  a  (vo).  Cest  homme  a  envoie  la  bande  de  mon  frère  en  Bour- 
gogne et  ma  mande  que  je  contremande  la  mienne  à  tant  quil  eust 
aultres  nouvelles  du  Roy.  Je  nen  ay  rien  faict  ;  jentens  bien  quil  fera 
ce  quil  pourra  à  ce  qu'elle  ne  vienne  afin  quelle  soit  comprise  des 
premières  à  la  casserie.  Vous  escripray  de  brief  bien  au  long. 

Je  vous  prje  vous  souvenir  dung  mémoire  que  je  vous  aj 
envoyé  par  Cresse  pour  ung  de  Androis  *,  il  est  homme  qui  le 
mérite.  Jehan  Martin,  lung  des  secrétaires  de  M.  le  Mares- 
chal  me  prje  vous  faire  requeste  que  vous  demandiez  ou 
faciez  demander  pour  luy  roffice  de  contrerolleur  des  postes 
en  Piémont  et  Italie.  Je  ne  puys  si  tost  envoyer  Thistoire^ 
que  damandez  car  jay  faict  transporter  hors  de  ceste  ville  tous  mes 
papiers,  propter  metum  judeorum. 

Je  vous  prie  soliciter  le  remboursement  des  parties  de 
Savillan^  car  il  y  a  ung  paouvre  homme  qui  en  est  fuitif  hors 
dudict  Savillan  il  y  a  troys  moys  et  je  ne  scay  quelle  bende 
couldre  pour  le  rembourser.  De  Thurin  à  haste  ce  vingt- 
quatriesme  juillet. 

8.  —  Guillaume  du  Bellay  &  Jean  du  Bellay 

Turin,  1"  août. 

[Chiffre  F°  75;  déchiffrement  du  temps  F°73]. 

Vous  scaurez  par  Morville  l'honneur  que  ma  voulu  faire  le  Mares- 
chal  en  ceste  ville,  entreprinse  dont  je  vous  ay  escript,  hoc  est  me 
tradere  in  societatem  criminis  et  malevolentie.  Son  armée  estant 
arrivée  à  Villesalet  *,  les  habitants  ne  luy  voulurent  ouvrir  les  portes  ; 
là-dessus  larmee  se  desfit  pour  aller  fourraiger  par  les  villaiges.  Il 

1  Antonin  Andrée,  collatéral  au  conseil  de  Turin.  Cf.  Ar.  Nat.  J.  961, 
1119;  j.  962, 15«*  et  deux  lettres  de  lui  au  chancelier.  J  967,  21i,  22,  de 
Turin,  6  avril  1537  [n.  s.  1538],  28  avril  1538. 

*  Il  s'agit  probablement  des  Ogdoades,  auxquelles  Guillaume  travail- 
lait à  ce  moment  et  dont  il  ne  nous  est  resté  que  le  fragment  conservé 
par  Martin  du  Bellay,  livres  V,  VI  et  VII  des  Mémoires, 

3  Savigliano,  près  de  la  Maira,  à  l'est  de  Saluces. 

4  Villasaletto,  sur  la  Maira,  au  nord  de  Goni. 


LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT  25 

my  vouloit  envorer  mettre  ordre  à  la  police,  c'est-à-dire  me  inimic- 
queravecqaes  le  s'  Jehan  Paule  qui  est  desja  chef,  dont  je  mexcusay 
très  bien.  Ils  ont  depuys  faict  baterie  audict  Villesalet  et  donne 
assault  dont  ilz  ont  este  repoussez,  perdu  gens  beaucoup  sans  les 
bleciez,  une  pièce  de  leur  artillerie  rompue  et  les  roues  dune  aultre. 
On  y  envoyé  quatre  canons  de  renfort;  cecy  le  pourra  refroidir 
d'entreprendre  le  Montdevys^  Desja  ma^tjil  donne  charge  denvoyer 
veoir  si  on  y  vouldra  accepter  ma  compaignie,et  quil  leur  pardonnera 
son  mal  talent  ;  encores  est-il  ce  nonobstant  en  espérance  quelle  ne 
demeurera  point  icy,  et  de  ses  gens  qui  lont  rencontrée  sur  chemin 
ont  bien  tasche  à  la  deffaire  semant  le  bruyt  quelle  estoit  cassée.  Je 
nay  point  de  nouvelle  de  Gonnort  *,  par  quoy  je  suy  à  délibérer  de 
bailler  mon  enseigne  à  Ursay.  Je  vous  prye  soliciter  le  payement  de 
madicte  compaignie.  Hyer  les  gens  de  ceste  ville  furent  vers  luy  en 
grande  humilité  luy  requérir  quil  pardonnast  à  leur  ambassadeur  ;  ilz 
nen  purent  emporter  sinon  que  le  Roy  luy  fauldroit  ou  quil  feroit 
trencher  la  teste  audict  maistre  Georges  ^  et  à  ses  adherens.  Ledict 
maistre  Georges  a  témérairement  escript,  mais  sa  détention  a  ete  pre- 
ceddente  et  vousasseure  que  sil  a  mal,  il  en  sortira  de  grand  esclan- 
dre, et  si  ceste  longue  tresne  ne  fent,  desja  en  feust  sorty.  Dieu 
veuille  que  tout  aille  bien.  De  Turin,  1<"  août  1538*. 

9.  —  Guillaume  du  Bellay  &  Jean  du  Bellay 

Turin,  entre  2  et  5  août. 

[po  70.]  Je  ne  scay  que  penser  que  depuys  la  venue  de  Christofle  *, 
par  tant  de  gens  qui  sont  venus  je  nay  jamais  eu  nouvelles  de  vous 

1  Mondovi,  dans  le  bassin  du  Tanaro,  à  l'est  de  Goni. 

^  René  du  Bellay,  sieur  de  Rocheserviere  et  de  Gonnor,  issu  d'une 
autre  branche  de  la  famille  du  Bellay,  frère  aîné  de  Joachira  du  Bellay. 

3  G.  KiBiÈR^ Mémoires  d'Estat...  I,  180. —  Les  scindics  et  conseillers  de 
Turin  au  connestable  sur  Venvoi  et  députation  de  leur  député  vers  leroyy 
7  août  1538  (en  faveur  de  maistre  Georges,  conseiller  et  médecin  du  Roy, 
leur  ambassadeur).  —  Il  s'agit  d'un  Georges  Antiochia  dont  une  lettre 
latine  adressée  au  chancelier  est  conservée  aux  Argh.  Nat.  J.  967,  28 
«  Taurini  VIII  apprilis  1538.  » 

*  Le  même  jour  Guillaume  du  Bellay  écrit  au  connétable  de  Mont- 
morency pour  le  remercier  de  son  attitude  bienveillante  et  pour  l'assu- 
rer qpie  son  différend  avec  le  maréchal  de  Montejehan  a  réellement  été 
provoqué  par  les  causes  qu'il  a  dites .  Dupuy  269,  f .  40. 

'  Christophe  de  Siresmes,  désigné  quelquefois  sous  son  titre  d'élu 
d'Avranches,  fut  chargé  de  diverses  missions  en  Piémont,  puis  en 
Espagne.  Cf.  Arch.  Nat.  J  961",  21. 


26  LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT 

ou  que  ce  soit  que  voz  lettres  ne  majent  este  baillées  ou  que  vous  ayez 
quelque  indisposition,  ou  que  vérité  nayant  moyen  destre  oye  mes 
affaires  aillent  par  delà  si  mal  que  vous  ne  men  veuillez  escripre  ; 
quoy  que  ce  soit  je  vous  prye  ne  plaindre  de  madvertir  soubvent,  car 
avoir  de  voz  nouvelles  en  ceste  affliction,  encores  quelles  ne  fussent 
comme  je  les  désire,  mest  toutes  foyz  consolation.  Cest  homme  continue 
de  plus  en  plus  à  me  rechercher  et  je  luy  donne  occasion  de  se  contenter, 
si  est  ce  que  les  offices  dont  me  faict  rapport  ne  me  signifient  aucune 
reconciliation.  11  a  tenu  icy  Chemere  (?)  troys  jours,  ma  compaignye 
demeurant  cependant  en  meschant  village  près  d'Exilles  *  où  il  ny  a 
que  frire,  sur  la  despesche  dune  commission  pour  la  envoyer  loger  es 
terres  du  mandement  de  Montdevis  ;  si  est-ce  que  de  son  consentement, 
puys  après  ?olicitation  jay  envoyé  scavoir  si  on  la  y  vouldroit  accepter, 
luy  me  promettant  quen  ce  faisant  il  leur  pardonnera  son  maltalent  et 
croy  quil  verra  aussi  bien  que  de  mettre  le  roy  en  despense  dy  aller 
avecques  artillerie,  veu  le  hazard  où  il  a  este  de  ne  venir  au  dessus  de 
Villesalle  (qui  ne  vault  la  moyndre  de  quattre  entre  les  quatorze  villes 
du  Montdevis)  sans  y  faire  despense  de  cinquante  mille  escuz.  A  Suse 
on  na  voulu  laisser  entrer  madicte  compagnie  dedens  la  ville,  à  peine 
leur  bailler  vivres  pour  argent  et  sen  est  on  excuse  sur  le  mandement 
de  luy  (v"),  quand  jauray  bien  tout  supporte,  si  est-ce  que  si  jay  à 
deraourer  icy,  la  raison  vouldroit  que  je  y  eusse  tant  madicte  compaignye 
ensuyvant  l'intention  du  fundateur  que  les  chevaulx  legiers  de  Termes 
ne  d'Ossun  •  et  sen  contentera  li  ville  beaucoup  myeulx.  Et  sachez, 
quoy  qu'il  ayt  tousjours  dict  davoir  contremande  la  sienne  que  tou- 
tesfoyz  ad  ce  que  jentens  elle  sapproche  fort.  Je  ne  scay  pas  si  estant 
venu  faire  icv  sa  résidence,  son  intention  auroit  este  de  faire  contre- 
mander  la  myenne,  tant  que  la  sienne  fust  entrée  en  ceste  ville,  il  eust 
couleur  de  mander  que  luy  estant  icy,  c'est  despense  superflue  dy  tenir 
ung  gouverneur  et  y  estant  sa  compaignye  dy  faire  la  mienne  ;  en  soit 
ce  que  à  Dieu  plaira.  Bien  voudroye  je  nen  sortir  ignominieusement 
et  avecques  le  malcontentement  du  Roy. 

Mon  parlement  par  aventure  me  canoniseroit,  nisi  hic  alium  erga 
civitatem  induat  animum.  Hz  ont  este  ces  jours  passez  le  supplier 
avecques  les  plus  humbles  requestes  quil  fut  possible  et  contmuant  en 

1  Exilles,  dans  la  haute  vallée  de  la  Doria  Riparia. 

'  Paul  de  la  Barthe,  seigneur  de  Termes,  originaire  de  TAriège, 
capitaine  de  chevau-légers  ;  fut  chargé  plus  tard  de  l'intérim  du  gouver- 
nement du  Piémont,  durant  l'absence  de  Guillaume  du  Bellay  (novem- 
bre 1541  à  mai  1542).  —  Pierre  d'Ossun,  gentilhomme  gascon,  capitaine  de 
chevau-légers,  réputé  par  sa  hardiesse.  Cf.  le  dicton.  :  «  Sagesse  de  Termes 
et  hardiesse  d'Ossun.  »  Brantôme,  IV.  5. 


LES  FRANÇAIS  EN   PIEMONT  27 

tontes  leurs  replicques  en  la  mesmes  humilité  que  son  plaisir  fust  de 
pardonner  au  médecin,  etsile  regret  de  sa  prison  luy  avoitfaictescripre 
témérairement  quil  condonast  la  faulte  sinon  aux  précédens  services 
de  luy  au  moins  à  ceulx  de  toute  la  communite  laquelle  estimeroit  de 
tant  ceste  grâce  que  son  ambassadeur  luy  fust  rendu  que  si  on  les 
récompensoit  des  pertes  qu'ils  ont  [F°  71]  souffertes  pour  le  service 
du  Roy.  Jamais  nen  sceurent  tyrer  aultre  response  sinon  que  quant  à 
eulx  il  leur  feroit  plaisir  en  aultres  choses,  mais  que  de  cecy  n'en 
parlassent,  et  qu'il  avoit  envoyé  vers  le  Roy  duquel  il  se  tenoit 
asseure  destre  creu  plus  que  le  médecin,  et  qu'il  auroit  la  teste  et  de 
luy  et  de  tous  ceulx  qui  luy  adhèrent  en  sa  conspiration.  Les  paouvres 
gens  s'en  retournèrent  et  sont  si  confuz,  que  je  craindroye  beaucoup 
quil  en  advint  inconvénient  au  service  du  Roy,  si  les  choses  estoient 
ainsi  que  je  les  ay  veues.  Encores  estre  double  leur  ennuy  dung  bruyt 
quon  leur  a  faict  courir  ce  soir:  quil  luy  est  venu  lettres  par  ung 
homme  de  Lantenay,  comment  le  Roy  veult  quil  face  telle  et  si  rigo- 
reuse  justice  quil  luy  plaira  dudict  médecin.  Eulx  ne  craignent  point 
rigoreuse  justice,  mais  que  ceulx  mesmes  ne  jugent  qui  accuserontet 
déposeront.  Croyez  quil  fut  pris  à  Rriançon  solennellement  dedens 
l'église,  les  portes  rompues,  religieux,  sindicz  de  la  ville,  ung  médecin 
qui  lavoit  hante  battuz  et  trainsnez.  On  a  bien  faicl  mettre  en  avant 
aux  gens  de  la  ville  que  silz  veulent  promettre  que  ledict  médecin  nyra 
ny  escripra  à  la  court,  et  eulx  nyront  ny  escripront,  quil  sera  relasche  ; 
oiais  ilz  ne  veulent  accepter  ceste  obligation. 

Jeuz  hyer,  ung  segond  accès  de  reucheute  de  fiebvre  ;  le 
premier  et  le  segond  mont  duré  chacun  xvii  heures.  Les 
médecins  me  pressent  fort  de  changer  laer  et  ce,  sur  peine 
•linconvenient  de  ma  personne;  dung  coste  je  pense  questant 
icy  en  personne  M.  le  Mareschal  et  le  faisant  par  son  congie, 
il  ne  seroit  par  delà  trouve  maulvais,  daultre  coste  je  crains 
que  si  mestant  la  ville  baillée  en  garde  par  le  Roy  et  par 

raondit  sieur  le  Mareschal Javoye  hyer  lxii  malades,  [v°] 

raon  homme  qui  escripvoit  soubz  moy  rendant  lesprit  à  Dieu 
men  a  diminue  le  nombre  ;  Mademoiselle  de  Mingoden  est  fort 
esbranlee  après,  et  Pensefohe  (?)  gueres  myeulx  ;  ma  femme 
commence  à  amender,  à  laquelle  fault  aussi  changer  daer.  Ce 
luest  dommage  dudict  clerc.  Vous  maviez  aultrefoiz  escript 
d'ung  dont  vous  avoit  parle  le  viconte  Philippe  le  Tyrand  ; 
aussi  le  nepveu  du  feu  procureur  do  Touraine,  homme  de  bien 
bon  esprit  et  voisin,  et  qui  a  succède  à  ce  que  son  oncle  avoit 


28  LES  FRANÇAIS   EN  PIEMONT 

achepte  sur  les  moulins  de  Yendosme  et  la  Josseliniere  \  ma 
parle  aultrefoiz  pour  luy  et  faict  parler  plusieurs  foiz  par 
Cotereau  ^  etaultres.  Je  vous  prje  si  jay  a  demourer  icy,  men 
envoyer  lung  deulx  ou  aultre  ;  mais  prjez  bien  celuy  qui  vous 
en  baillera  ung,  quil  me  le  baille  tant  pour  sen  desfaire  que 
pour  vous  faire  plaisir.  Le  recepveur  de  Sens  mavoit  très  bien 
pourveu  de  cestuy-cy  que  jay  perdu.  Ce  porteur  sera  le  seigneur 
Georges  de  Connegran,  que  bien  congnoissez,  qui  va  tant  pour 
ses  affaires  propres  (mais  despesche  par  M.  le  Mareschal) 
comme  pour  quelques  nouvelles  quil  a  que  Ion  poursuyt  de 
faire  juger  contre  le  seigneur  Caingnin  ^,  que  ce  soit  à  lui  a 
demander  sa  partie  au  combat.  Je  vous  recommande  sesdictes 
affaires  tant  que  je  puys  et  mesmement  ung  qui  me  touche  : 
c'est  que  Tannée  passée,  luy  estant  en  garnison  à  Quiers, 
print  ung  prisonnier  quil  mist  à  rençon  et  lequel  il  estoit  prest 
de  délivrer  en  baillant  caution.  Labbe  Borgarel  *,  sil  est  par 
delà  en  peult  parler.  Messieurs  de  Bottières  ^,  et  président  de 
Piémont  me  dirent  que  pour  le  grantz  interestz  du  Roy,  il 
estoit  besoing  davoir  ledict  prisonnier  pour  linterroger  et 
confronter  àaultres.  Ledict  Connigran,  sur  la  responcee  que 
je  luy  fyz  de  le  luy  renvoyer  ou  la  rençon,  le  consigna  es  mains 
de   lescorte,  que   ledict  sieur  de   Bottieres   y  envoya  pour 

^  Les  terres  dont  il  est  ici  question  avaient  été  possédées  par  la  famille 
de  du  Bellay. 

2  Ce  Cotereau  est  peut-être  Claude  Cotereau,  Tami  de  Dolet,  qui  lu 
dédia,  en  1539,  le  Genêt hliacum,  et  un  des  secrétaires  de  Jean  du  Bellay. 
Nous  avons  deux  lettres  de  lui:  B.  N.  f.  fs  3.921,  f«>  104-107  et  108  et  le 
ms.  5.976  du  fds.  latin,  qui  contient  en  copie  les  trois  premiers  livres  et 
un  fragment  du  quatrième  de  la  première  Ogdoade  de  Guillaume  du  Bellay, 
lui  a  appartenu  comme  en  fait  foi  le  quatrain  écrit  en  tête  : 

Egregium  si  quid  nostras  illabitur  aureis 

Vel  nota  dignum  vidimus  hïs  oculis 

Scripsimus  his  brevibus,  tantum  ut  quod  tempore  nostro 

Gestum  est  id  possit  posteritate  frui. 

(Glaud.  CoTEREUS  Turonensis.) 

3  Francesco  di  Gonzaga,  s'  de  Bozzolo,  surnommé  El  Cagnino. 

♦  Marchione  Borgarello,  originaire  de  Chieri  en  Piémont,  avait  pris  à 
ferme  le  ravitaillement  des  troupes  françaises  du  Piémont. 

Guignes  Guiffrey,  s'  de  Bottieres,  gentilhomme  dauphinois,   prédé- 
cesseur de  Guillaume  du  Bellay,  au  gouvernement  de  Turin. 


LES  FRANÇAIS  EN  PIÉMONT  29 

ramener.  Jentens  quil  fut  pendu.  Ledict  Connigran  demande 
estre  satisfaict  de  la  rençon  ou  par  le  Roy  ou  par  moj  suyvant 
laloj  qui  respond  si  paye. 

Présentement  à  heure  de  cinq  heures  de  nuict,  jay  faict  ouvrir  la 
porte  à  La  Motte  qui  est  venu  de  Suse  en  poste  mande  (?),  comme  il 
dict,  par  M.  le  Mareschal,  de  sen  venir  à  lettre  veue;  cela  me  faict 
penser  quelque  chose  du 

[La  suite  manque.] 

10.  —  Guillaume  du  Bellay  à  Jean  du  Bellay 

Turin,  6  août. 

[Fo  68].  Les  pauvres  gens  de  ceste  ville  ne  scavent  que  [1]  conseil  ilz 
doibvenl  prendre  tant  ilz  [ont]  de  peur  que  rnaistie  Georges  soit  exécute 
indicta  causa.  Hz  envoyent  vers  le  Roy  mais  ilz  ne  peuvent  stante 
ediclo  sinon  par  journées,  et  pour  ce  craignent  que  ce  soit  trop  tard. 
Si  est-ce  que  si  on  luy  faict  injustice,  il  pourroitcher  couster  au  Roy, 
principalement  si  le  duc  de  Savoye  naccorde  avecques  luy*.  Jam 
agunt  inter  8e  coitionesque  minime  mihi  placent  et  le  duc  vient  à 
Yvree  tenir  ses  estatz,  nescio  qua  spe  ;  mais  il  a  remply  ce  pays  de 
lettres  et  le  peuple  partim  spCy  pari  im  metu  que  dedens  la  fin  de  ce 
moysil  sera  restitue  en  tout  son  pays;  par  quoy  seroit  à  craindre  que 
gens  désespérez  se  baillassent  à  luy  de  peur  de  estre  baillez.  Par 
adventure  ne  seroit  mal  dadvertir  M .  le  Connestable  que  pour  con- 
tenter ce  peuple,  on  le  menast  vers  le  Roy  et  que  là  on  fist  son  procez. 
Hz  auront  patience  si  auditus  et  defensus  rite  damnetur.  Le  président 
ma  secrètement  adverty  quil  doubte  fort  quon  leur  face  court  procès. 
Ce  porteur  a  este  plus  de  troys  moys  après  cest  homme  pour  avoir  son 
coQgie,  sans  lobtenir  et  maintenant  insperato  est  despesche  en  poste 
aux  despens  du  Roy  duquel  il  est  bien  fort  bon  serviteur  et  seroit 
chose  cruelle  si  on  ne  luy  faisoitbon  traictement.  Mais  il  est  ennemy 
capital  dudict  raaistre  Georges.  Je  ne  scay  si  ceste  est  poinct  la  cause 
que  maintenant  on  le  despesche.  Je  nentens  poinct  larticle  de  vostre 
lettre  venue  quant  X^  non  estre  payeur  des  propos  tenuz  par  Lan- 

*  A  la  trêve  de  Nice  (18  juin  1538),  François  !«' avait  gardé  les  places 
du  duc  de  Savoie.  Celui-ci,  tout  en  se  plaignant  de  l'attitude  agressive  de 
Montejehan,  intriguait  dans  le  Piémont;  il  ne  ratifia  la  trêve  de  Nice 
que  lelSoct.  1538. 

^  Le  personnage  désigné  n'a  pu  être  identifié. 


30  LES  FRANÇAIS  EN  PIEMONT 

tenay  touchant  la  mort  de  Granges.  Je  vous  prye  raen  esclarcir  et 
nabandonner  point  la  court  tant  que  cest  affaire  de  maistre  Georges 
soit  vuyde,  au  moins  entendu.  Cedit  porteur  estoit  présent  aux  propoz 
dentre  M.  le  Mareschal  et  moy. 

[F®  68  v°].  La  responce  de  Montdevis  comme  ilz  sont  con- 
tens  daccepter  ma  compaignye  et  luy  fournir  vivres  au  taux 
qui  sera  ordonne  mest  venue  en  ung  mesmes  temps  qu*est 
arrive  mon  payeur.  S'il  fault  quelle  aille  là  comme  elle  en  est 
en  chemin  et  quil  y  faille  faire  la  monstre  je  seray  contrainct 
dy  envoyer  aussi  ceulx  que  jay  icy,  je  suys  après  M.  le  Mares- 
chal pour  entendre  sil  voudra  permettre  que  je  laye  en  ceste 
ville,  mais  on  me  dist,  je  ne  scay  sil  est  vray  quil  y  veult  faire 
venir  la  sienne  pour  la  y  avoir  auprès  de  luy. 

Quant  à  larticle  sur  lequel  vous  mescripvez  de  user  du 
moyen  de  Jovius,  j'ay  bonne  espérance  quelaffaire  se  conduira 
en  sorte  que  le  seigneur  se  y  trouvera  bien  servy.  Si  le  congie 
duquel  mescripvez  me  y  est  nécessaire  je  le  vous  manderay. 

Ce  porteur  sera  M.  de  Fauria,  lequel  va  en  partie  depesche 
par  M.  le  Mareschal,  et  en  partie  pour  ses  affaires.  Il  fut 
semons  il  y  a  environ  dix-huyt  moys  de  venir  au  service  du 
roy  et  de  mestre  ses  places  es  mains  dudict  seigneur,  ce  quil 
.  fist  libéralement  et  sans  marchander  pour  la  nourriture  quil 
avoit  eue  en  France.  Ces  dictes  places  out  este  prises  sur  les 
gens  du  roy  et  ne  les  luy  veult  on  rendre  quelque  chose  que 
porte  la  tresve.  Il  se  trouve  sans  maison,  sans  meuble,  sans 
argent,  sans  estât  ou  entretien,  avecques  femme  et  enfans  en 
maison  de  loage,  chose  qui  mérite  ou  quon  luy  face  rendre  le 
sien,  ou  quon  luy  eu  baille  daultre  ou  moyen  de  vivre  en 
attendant,  joinct  que  pendant  la  guerre  de  lannee  passée,  il 
ny  a  eu  colonnel  itallien  qui  ayt  eu  plus  belles  bendes  que  les 
siennes.  Je  vous  recommande  son  affaire  tant  que  je  le  puys. 
De  Turin,  le  5  aoust  1538. 

En  post'Scriptum  : 

J'ay  baille  mon  enseigne  à  M.  Dursay,  et  faict  Cressay 
mareschal  des  logis.  Je  ne  pense  pas  que  jeusse  peu  estre 
myeulx  pourveu  en  chefz  que  je  suys. 

Présentement  est  arrive  le  secrétaire  de  M*  le  Mareschal  ; 
je  ne  scay  quelles  nouvelles  il  a  apportées. 


LES  FRANÇAIS   EN  PIEMONT  31 

Grâce  aux  objurgations  de  Guillaume  du  Bellaj  et  du  con* 
Détable,  le  député  des  villes  du  Piémont,  M®  Georges  Aiitio- 
chia,  fut  enfin  relaxé  sur  Tordre  formel  du  Roi  et  put  se  rendre 
à  la  cour^  Quant  au  différend  qui  avait  éclaté  entre  Monte- 
Jehan  et  Langey,  il  fut  apaisé  par  Tintervention  amicale  de 
Montmorency'.  Mais  il  en  subsista  entre  les  deux  personnages 
une  certaine  gêne  mêlée  de  méfiance,  et  comme  Montejehan 
s'était  fixé  à  Turin,  Langey,  profitant  de  ce  que  sa  santé 
demandait  qu'il  changeât  d'air,  fit  un  vojage  d'inspection 
autour  de  Turin  et,  finalement,  s'arrêta  à  Murel,  d'où  sont 
datées  ses  lettres  de  septembre  et  d'octobre.  Il  y  tomba  gra« 
vemeiit  malade  de  la  fièvre  qui  le  minait  depuis  plusieurs 
mois.  Il  demanda  son  congé,  qu*il  finit  par  obtenir.  Et  à  la  fin 
de  novembre,  il  quitta  le  gouvernement  de  Turin,  où  le  rem- 
plaça son  frère,  Martin  du  Bellay  ^.  11  devait  y  revenir  à  la  fin 
de  l'année  suivante,  après  la  mort  de  Montejehan,  comme 
lieutenant  général  du  Piémont,  et  exercer  cette  charge  jusqu'à 
sa  mort  (9  janvier  1543). 

V.-L.   BOURRILLY. 


*  Cf.  dans  Ribibr,  Lettres  et  Mémoires  d' Es taX  des  roys...  I,  181  sqq  : 
Remontrance  au  roy  faite  par  le  député  des  villes  du  Piémont,  délivré  de 
prison. 

*  Cf.  RiBiER,  op.  cit,,  p.  191,  G.  du  Bellay  au  connétable,  de  Vinieu 
26  août  1538. 

3  B.  N.  fds  aairambault,  1215,  f.  76  vo. 


DESCRIPTION 

D*UN 

MANUSCRIT  DES  QUATRE  FILS  AYMON 

ET  LÉGENDE  DE   SAINT  RENAUD 


Je  voudrais  vous  soumettre  quelques  remarques  au  sujet  du 
manuscrit  qui  présente  la  plus  ancienne  forme  de  la  Chanson 
des  Quatre-Fils-Aymon  :  c'est  le  ms.  39,  La  Vallière,  de  la 
Bibliothèque  Nationale,  coté  actuellement  24.387  du  Fonds 
français.  Et,  comme  la  légende  de  Renaud  et  de  ses  frères  n'a 
pas  été  encore  en  France  Tobjet  d*une  étude  définitive  et 
complète,  j*emprunterai  à  un  ouvrage  allemand*  quelques 
renseignements  sur  un  fait  curieux  et  peu  connu,  sur  le  cuite 
dont  Renaud  de  Montauban,  canonisé  par  Timagination  popu- 
laire et  devenu  saint  Renaud,  a  été  honoré  en  Allemagne. 

D'après  la  source  latine  la  plus  ancienne  de  la  légende  de 
Renaud,  Vita  sancii  Beynoidi,  le  chevalier  mourut  le  14  mai  800, 
il  y  a  exactement  onze  cents  ans  :  on  estimera  donc  équitable, 
dans  une  réunion  de  romanisants^,  de  fêter  ce  onzième  cente- 
naire de  Tun  des  personnages,  sinon  les  plus  authentiques, 
du  moins  les  plus  célèbres  et  les  plus  sympathiques  de  notre 
poésie  iiu  moyen  kge,  «  Les  noms  de  Renaud  de  Montauban  et 
de  ses  frères  nous  suggèrent  tout  ce  que  la  poésie  et  le  roman 
ont  pu  imaginer  de  splendide  et  de  romantique,  »  dit,  sans 
exagération  aucune,  l'Anglais  Dunlop  *;  et  Caxton,  Tillustre 

ï  Das  deutsche  Volksbuch  von  der  Heymonskindem  nach  dem  Nieder- 
laendischen  bearbeitet  von  Paul  von  der  Aeltz  par  le  D'  Fridrich  Pfaff, 
Seelbupg  im  Breisgau,  1887. 

*  Le  Congrès  des  Langues  romanes  de  Montpellier  a  tenu  ses  séances 
publiques  le  26  mai  1900. 

3  f  Renaud  de  Montauban  and  his  three  brothers,  whose  names  suggest 
every  thing,  that  is  splendid  and  romantic  in  poetry  or  fiction.  «  (Dunlop, 
The  Uistory  of  Fiction,  P.  p.  460.) 


mprimenr 

l'Oiford,  Il 
'opinion  dt 
ipprendre 
iesiretb  to 


'«trouve  r 
ippris  qu 
T&gédie,  ( 
iymon  ^ 


Léman 


if^e,  for 
•écrit  ail 
ionnes, 

"l-ïï,  à 

'ilenciei 
jinuscri 


'^«ûforii 


■'Biie 


DES  QUATRE  FILS  AYMON  33 

imprimeur  anglais,  en  publiant  vers  1489  une  traduction  du 
livre  Les  qtmtre  Filz  Aymorty  que  son  protecteur,  le  comte  Jean 
d^Oxford,  lui  avait  adressé,  justifie  son  entreprise  en  alléguant 
Topinion  du  philosophe',  que  tout  homme  désire  naturellement 
apprendre  des  choses  nouvelles  :  «  that  everj  man  naturallj 
desireth  to  know  and  to  can  news  things.  » 

Quand  il  s'agit  d'époques  lointaines  et  oubliées,  Ton  y 
retrouve  Tattrait  de  la  nouveauté,  et  nous  ne  sommes  point 
surpris  qu*en  1818  un  Breton  ait  offert  à  ses  compatriotes  une 
tragédie,  dont  le  sujet  est  pris  de  Thistoire  des  Quatre-Fils- 
Aymon  '. 

I 

Le  manuscrit  39  La  Valliéra  est  un  in-folio  de  33  centimètres 
4  millimètres  de  haut,  sur  24  centimètres  5  millimètres  de 
large,  formé  de  77  feuillets  (parchemin).  M.  Michelant  Ta 
décrit  ainsi:  a  Les  cinquante  premiers  feuillets,  sur  trois 
colonnes,  rayés  à  soixante  lignes,  ensemble  dix-huit  mille 
vers^ ,  contiennent  le  poème  de  Renaud  ;  les  feuillets  suivants, 
51-77,  à  deux  colonnes,  contiennent  le  commencement  du 
Roman  de  Sapience^  d'Hermant  le  Jeune,  maître  de  chœur  à 
Yalenciennes.  Cette  seconde  partie  provient  d'un  autre 
manuscrit,  que  le  relieur  a  sans  doute  joint  au  premier  pour 
grossir  le  volume  et  lui  donner  une  meilleure  apparence.  » 

Du  Roman  de  Sapience,  Je  dirai  peu  de  chose.  L'écriture 
[deux  colonnes  à  la  page,  qui  est  rayée  pour  48  vers)  est  nette, 
bien  formée,  plus  grosse  que  dans  la  première  partie  du  volume. 

1  Aristote,  Métaphysique,  I. 

'  «  Buez  ar  Pevar  Mab  Emon,  duc  d'Ordon,  laquet  e  form  un  Drajedi. 
E.  Montroulez,  1848.  »  416  p.  m-8".  Un  exemplaire  se  trouve  au  British 
Muséum.  Cf.  Michelant,  Renaus  de  Montauban,  p.  504,  et  Emile  Sou- 
vestre,  Les  derniers  Bretons^  1843,  p.  260.  Le  D'  Pfaff  a  rassemblé,  avec 
une  érudition  très  sûre,  dans  l'introduction  de  son  livre,  tout  ce  que  l'on 
savait  en  1887  sur  les  origines  et  la  destinée  de  la  légende  des  Fils 
Aymon. 

^  On  verra  plus  loin  que  ce  chiffre  est  nécessairement  inexact,  parce 
«pie  le  nombre  des  vers  à  la  colonne  diffère  à  plusieurs  reprises  dans 
la  s\]ite  du  manuscrit. 


34  DESCRIPTION  d'UN  MANUSCRIT 

Le  texte  est  incomplet  dans  Texemplaire,  bien  que  le  dernier 
feuillet  soit  rempli  jusqu^au  bas  de  la  seconde  colonne  du  verso. 
La  laisse  interrompue  est  le  commencement  de  la  prière  que 
Marie  prononce,  lors  de  son  Assomption,  lorsque  Jésus  lui 
apparaît  : 

Beax  filz,  ce  savent  tuit  que  tu  te  corroças, 
Les  eves  feïs  croistre  et  dedans  las  noias  ; 
Dan  Noë  et  ses  filz,  beax  sire,  en  réservas. 
De  lui  vint  Abrahans  et  ses  fils  Ysaas 
Et  lacob  ses  boens  filz.  Toz  ces  .III.  enoras. 
De  cez  vint  Moyses,  Aaron,  Ysaas, 
lobel  et  Abacuc,  li  boens  Iheremias, 
Samuel  li  prophètes,  Enoch  et  Helyas. 

Je  reviens  à  la  première  partie  du  manuscrit,  c^est-à-dire  au 
texte  du  roman  des  Fils  Ajmon,  texte  qui  a  été  suivi  par 
M.  Michelant,  de  la  page  1  à  la  page  410  de  Tédition  qu*il  a 
donnée  de  ce  roman,  en  1862,  dans  les  publications  du  Litte' 
rarisckes  Verein  de  Stuttgart.  Cette  édition  peut  être  considérée, 
encore  aujourd'hui,  comme  la  seule  que  nous  possédions  de  la 
vénérable  Chanson  de  geste  ;  elle  est  très  rare,  et  Texemplaire 
de  la  Bibliothèque  Universitaire  de  Montpellier  a  été  acquis 
avec  toute  la  collection  du  Litterarisches  Verein,  lors  de  la 
vente  des  livres  de  M.  Adelbert  von  Relier,  le  savant  et 
regretté  professeur  de  Tubingue. 

L'on  reproche  souvent  à  Michelant  d'avoir  abandonné  le 
manuscrit  La  Yallière  vers  la  fin  du  roman,  et  d'avoir 
complété  le  texte  à  l'aide  d'une  version  différente  empruntée 
au  ms.  775  de  la  Bibliothèque  Nationale. 

Il  s'en  est  expliqué  d'une  manière  vague,  qui  tendrait  à  faire 
supposer  qu'il  n'avait  pas  apporté  toute  l'attention  nécessaire 
à  l'étude  des  manuscrits  qu'il  avait  à  sa  disposition. 

Après  avoir  constaté  que  le  ms.  La  Yallière  offre  d'abord  une 
langue  correcte  et  une  écriture  fine  et  jolie,  il  remarque  que 
langue  et  écriture  s'altèrent  insensiblement,  et  qu'au  feuillet  39 
l'écriture  prend  un  caractère  tout  autre  et  très  désagréable: 
«  Die  sckrift  ist  auch  spàter  gleich  mit  dem  Eingang,  es  ist  etne 
kàbsche,  sehr  reinliche  minuskeL  Mehr  und  mehr  aber  àndert  sich 
sprache  und  schrift,  und  gegen  dos  ende  verschlimmert  sich  beide^ 


DES   QUATRE  FILS   AYMON  35 

Ms  bl.  59  die  hand  einen  ganz  abweichenden  charakter  und  ein 
hôcht  unangenehmes  aussehen  anm'mt.  »  Dès  lors,  d'après 
Michelantf  le  scribe  a  reprodait  son  original  mécaniquement, 
sans  le  comprendre,  et  à  partir  du  folio  43  6,  il  était  nécessaire 
de  recourir  à  un  autre  manuscrit  pour  le  pèlerinage  de  Renaud 
et  le  duel  desesûls;  il  a  choisi  le  ms.  775,  parce  qu*illui  semblait, 
pour  le  reste  du  roman,  le  plus  voisin  du  ms.  La  Vallière.  Les 
deux  textes  concordent  d'ailleurs  pour  la  un  du  récit,  qui  a  pour 
objet  la  pénitence  de  Renaud,  ouvrier  de  la  cathédrale  de 
Cologne,  martyr  et  saint. 

La  description  de  Michelaut  est  inexacte  à  force  d'être 
incomplète. 

Ouvrons  le  manuscrit  La  Vallière  au  feuillet  39,  là  où 
M.  Michelant  annonce  un  changement  de  langue  et  d'écriture*. 

Le  verso  du  feuillet  38  est  d'une  écriture  claire,  carrée; 
il  y  a  soixante  vers  à  la  colonne.  Le  recto  du  feuillet  39  est 
d'une  écriture  sûrement  plus  récente  ;  il  y  a  soixante-cinq 
vers  à  la  colonne.  Aucun  doute  n'est  possible  :  cette  seconde 
partie  est  un  manuscrit  qui  a  été  ou  copié,  ou  tout  simple- 
ment cousu  à  la  suite  de  la  première  version,  qui  était  très 
probablement  incomplète.  Ainsi  le  reproche  fait  à  Michelant 
d'avoir  abandonné  le  ms.  La  Vallière,  là  où  il  lui  semblait 
d'une  autre  date  et  d'une  autre  main,  n'est  plus  aussi  bien 
fondé  qu'il  le  paraissait  d'abord.  Reste  à  examiner  s'il  n'eût 
pas  mieux  valu  reproduire,  malgré  ses  défauts,  la  un  du 
manuscrit,  mais  cela  nous  écarterait  du  sujet  auquel  nous 
devons  d'abord  nous  limiter. 

Le  ms.  La  Vallière  est  un  recueil  de  deux  versions  de 
dates  différentes,  cela  est  établi.  En  y  regardant  de  plus  près, 
nous  constatons  que  la  première  partie  elle-même  est  loin 
de  présenter  ce  caractère  d'uniformité  que  Ton  rencontre 
dans  les  copies  de  la  plupart  des  chansons  de  geste,  et  parti- 
culièrement dans  celles  des  autres  versions  des  Fils  Aymon. 

Au  feuillet  11,  recto,  le  scribe,  pour  remplir  Us  colonnes, 
a  été  obligé  de  couper  les  vers  en  deux;  au  verso  du  même 
feuillet,  la  réglure  n'est  que  de  quarante-huit  lignes  au  lieu 

*  Voir  la  photographie  ci-jointe  d'une  partie  des  feuillets  38  verso  et 
39  recto. 


36  DESCRIPTION   D  UN   MANUSCRIT 

de  soixante,  et,  malgré  cela,  de  nombreux  vers  sont  encore 
coupés. 

Le  feuillet  12,  recto,  est  réglé  à  cinquante-huit  lignes.  La 
colonne  C  est  incomplète  ;  quelques  vers  sont  encore  coupés 
aux  colonnes  A.  et  B. 

Feuillet  13,  recto,  11  a  été  réglé  à  soixante  lignes.  A  la 
colonne  B,  Ton  trouve  encore  deux  vers  coupés  et  formant 
quatre  lignes.  A  la  colonne  C,  les  interlignes  et  récriture  ne 
changent  point  jusqu* au  vers  onze,  inclusivement  : 

Entre  lui  et  ses  frères  ki  preus  sunt  et  sénés. 

Puis  avec  le  vers  douze  : 

En  la  cit  de  Dordon  fu  li  quens  Renaus  nés, 

commence  une  écriture  jaunie,  d*allure  plus  lourde,  et  Ton 
a  seulement  trente -neuf  lignes,  ce  qui,  pour  la  colonne,  n'en 
fait  que  cinquante  et  une  au  lieu  de  soixante. 

Folio  13,  verso.  Les  trois  colonnes  sont  à  cinquante  lignes; 
récriture  est  jaune  et  grosse.  L'on  y  compte  treize  vers 
coupés  à  rhémistiche  et  formant  chacun  deux  lignes. 

Folio  14.  Il  est  réglé  à  cinquante-neuf  lignes. 

De  ce  feuillet  il  n'y  a  rien  à  dire,  sauf  que  l'écriture  reste 
plus  lourde  et  plus  grosse  que  dans  les  premières  pages  du 
manuscrit  ;  mais  au  feuillet  15  on  compte  encore  quatorze 
vers  coupés. 

L'écriture,  plus  soignée  à  partir  de  la  lettre  ornée, folio  15, 
verso,  B,  ne  reprend  son  allure  première,  élégante  et  fine, 
qu'au  folio  17,  verso,  B,  au  vers  : 

Cil  s'en  tornent  a  tant,  de  color  sunt  mué. 

Le  feuillet  22  offre  cette  particularité,  qu'au  recto  et  au 
verso,  il  est  rayé  à  soixante- dix  lignes  à  la  colonne,  soit  dix 
de  plus  que  pour  les  autres,  et  que,  pour  faire  entrer  plus  de 
matière,  l'écriture  est  petite.  Le  couteau  du  relieur  a  fait 
disparaître  le  premier  vers  des  colonnes  B,  C,  recto;  A,  verso, 
et  la  moitié  des  initiales  de  la  colonne  A,  verso.  Le  scrihe 
serrait  ainsi  les  lignes,  parce  qu'il  remplaçait  un  feuillet,  ou, 
parce  qu'ayant  laissé  un  feuillet  en  hlanc^  il  était  obligé  de 


DES   QUATRE  FILS  AYMON  37 

tenir  compte  du  nombre  des  lignes  qa'il  fallait  y  faire  entrer. 

L'écriture  des  feuillets  23  et  24  est  encore  d'un  type  gros 

et  lourd.  L'on  y  rencontre  (folio  24,  recto  C)  un  vers  coupé  : 

Ogier  de  Danemarce,  pas  ne  vos  somonnons 

A  cet  endroit,  l'orthographe  est  mauvaise  (V.  Michelant, 
p.  221,  V.  29,  suiv.). 

L'écriture  fine  et  régulière  reprend  au  folio  25,  recto,  et 
se  continue.  Le  premier  vers  de  ce  feuillet  est  : 

Puis  pardona  la  mort  et  Longis  fist  pardon 

(Michelant,  p.  226,  v.  26). 

Le  dernier  feuillet  de  cette  écriture  est,  comme  nous 
Tavons  dit  déjà,  le  feuillet  38. 

Il  est  à  remarquer  que,  du  feuillet  25  au  feuillet  38,  le 
scribe  s'amuse  à  prolonger,  avec  dessins,  le  jambage  de  cer- 
taines lettres  à  la  marge  supérieure  et  même  à  la  marge  in- 
férieure de  la  page.  Or  cela  se  rencontre  également  au 
commencement  du  manuscrit  :  ce  mode  d'ornement  consiste 
en  jambages  menés  assez  loin  de  la  ligne  et  coupés  par  de 
petits  traits  horizontaux. 

Ces  observations  peuvent  se  résumer  de  la  façon  suivante  : 

P  Les  dix  premiers  feuillets  (Michelant,  p.  1-95,  v.  23)  et 
le  commencement  de  la  première  colonne  du  f.  11  jusqu'à 
Michelant,  p.  96,  v.  14  incl.,  forment  une  première  partie 
d'une  même  écriture  ; 

2®  Puis  Ton  se  trouve  en  face  d'une  série  de  parties  diffé- 
rentes de  la  première,  et  où  le  scribe,  qui  n'était  probable- 
ment pas  celui  du  début,  est  évidemment  dominé  par  la 
nécessité  de  remplir  des  pages  laissées  en  blanc.  L'on  avait 
peut-être  prévu  une  version  plus  développée  que  celle  qu'il  a 
reproduite  ; 

3*  A  partir  du  feuillet  25,  la  petite  écriture  reprend  très 
reconnaissable  ; 

4**  Une  partie  vraiment  distincte  commence  au  feuillet  39 
avec  une  écriture  de  date  plus  récente,  un  texte  de  valeur 
moindre  et  un  plus  grand  nombre  de  lignes  à  la  page. 

11  en  résulte  que  le  ms.  La  Vallière,  qui  donne  la  plus 


38  DESCRIPTION  d'uN  MANUSCRIT 

ancienne  version  de  la  Chanson  des  Fils  Ajmon,  est,  si  Ton 
me  passe  Texpression,  formé  de  pièces  et  de  morceaux,  ce 
qui  n'empêche  point  cette  version  d'être  supérieure  à  toutes 
les  autres.  Elles  peuvent  servir  à  la  compléter  ou  à  la 
corriger  :  aucune  n'en  égale  le  mérite  et  l'intérêt. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'examiner  la  valeur  de  l'édition 
Michelant  que  j*ai  comparée  avec  le  manuscrit  La  Vallière  et 
d'autres.  J'ai  constaté  que  des  vers  ont  été  omis,  que  d'autres 
ont  été  intercalés  sans  qu'il  en  soit  fait  mention  ;  j'ai  noté  de 
mauvaises  lectures,  de  mauvaises  corrections.  Tout  cela  est 
véniel,  et  Michelant  garde  le  mérite  d'avoir  publié  un  des 
textes  les  plus  importants  de  notre  littérature  du  moyen  âge, 
celui  dont  la  popularité  s'est  le  plus  longtemps  maintenue. 
Mais  il  est  regrettable  que  la  fin  de  la  version  du  manuscrit 
La  Vallière  n'ait  pas  été  éditée,  quels  que  soient  les  défauts 
que  l'on  j  relève.  Elle  n'est  pas  isolée.  Les  manuscrits  de 
Peter-House  et  de  l'Arsenal  sont  de  même  origine  et  per- 
mettraient de  la  corriger.  Elle  est,  d'ailleurs,  pour  le  fond  du 
récit,  conforme  à  celle  qui  a  servi  de  base  au  résumé  en  prose 
de  la  Bibliothèque  bleue. 

Je  citerai,  d'après  les  trois  manuscrits  que  j'ai  indiqués,  un 
même  passage. 

Renaud  a  délivré  Jérusalem.  Après  quelques  jours  de  fête, 
il  fait  ses  adieux  au  roi  Thomas  et  part  pour  la  France.  Dans 
son  vojage,  il  aborde  à  Palerme,  où  il  est  accueilli  par  le  roi 
Simon.  La  Bibliothèque  bleue  permet  de  retrouver  aisément 
cet  endroit  dans  la  suite  du  récit.  Je  donne  les  textes  sans 
correction,  sauf  une  seule  au  vers  10  du  texte  emprunté  au 
ms.  La  Vallière. 

Ms.  La  Vallière. 

Moult  par  fu  grans  la  joie  sus  en  la  ter  David. 
.X.  jors  i  fu  Renaus,  et  puis  si  s'en  parti, 
Biauz  hemois  enmena,  noblement  8*en  parti  ; 
Mais  Mangis  li  hermites  ainz  robe  n'i  saissi, 
5 .     Ne  si  ne  vost  monter,  don  Benaus  fu  marri. 
Tôt  jors  aloit  a  pie,  si  estoit  adurci. 
Li  rois  lo  convoia,  avec  lui  si  ami, 
Et  li  contes  de  Raimes  et  Joffrois  l'Angevin. 


DES   QUATRE  FILS  AYMON  39 

A  Jafe  entra  en  mer,  et  li  rois  s'en  parti  ; 
10.     Et  la  nés  s'en  ala  bien  [.I.  mois]  et  demi 

Conques  ne  virent  terre,  don  furent  ansoti. 

A  la  sesme  semaine  lor  est  avenu  si, 

A  Paleme  arîverent,  ce  fu  par  .1.  lundi. 
A  Paleme  est  Renaus  arives  el  gravier. 
15.     Li  rois  fu  en  la  tor  del  palais  plenier, 

La  nef  vit  bien  au  port,  ce  poes  afichier. 

Ce  dist  Simon  de  Pnille^  :  Si  m  Vit  .S.  Richier, 

En  la  neif  a  ricbe  hom,  ice  poes  afichier 

As  chevaz  et  as  armes  don  tant  voi  manoier. 
20.     Ne  sai  dont  il  est  nez,  bien  samble  droit  princier. 

Faites  mètre  mes  seles,  s^irai  à  lui  plaidier. 

Qte  lo  ferai  o  moi,  se  ge  puis,  herbergier. 

Car  n'istrade  la  viUe  devant  .1.  an  entier, 

Se  cil  sires  n'en  pense,  qui  tôt  a  a  jugier. 

• 

Ms.  de  Peter-House. 

Qranz  fu  la  joie  sus  en  la  tor  David*. 
.X.  jors  i  fu  Renaus,  et  puis  si  s'en  parti. 
Bel  hernoiz  enmena,  noblement  se  vesti  ; 
Mes  Maugis  li  hermites  aine  robe  n*i  vesti, 
5.     N'ainc  cheval  ne  mena,  dont  fist  Renaut  marri. 
Toz  tens  aloit  a  pie,  tant  estoit  endurci. 
Li  rois  le  convoia,  s'ot  o  lui  ses  amis, 
Le  visconte  de  Rames,  Joifroi  Tamanevi. 
A  Naples  entre  en  mer  et  li  rois  s'en  parti  ; 
10.     La  nef  ala  par  mer  bien  .1.  moiz  et  demi. 


1  D'après  M.  Gaston  Paris,  Bertrand  de  Bar-sur-Auhe,  auteur  d'un 
Àimeri  de  Narbonne  (commencement  du  XIII*  siècle),  imagina  de  relier 
la  geste  des  Narbonnais  à  la  geste  royale,  en  donnant  à  Ernaud  de 
Beaulande  trois  frères,  Renier  de  Gênes,  père  d'Olivier  et  d'Aude,  Milon 
de  Pouilie  (auquel,  plus  tard,  on  attribua  un  filsj  Simon  de  Fouille^ 
héros  d'un  poème  sans  valeur  sur  une  expédition  en  Orient)  et  Girard 
de  Vienne.  Littérature  française  au  moyen  âge,  p.  71.  —  La  généalogie 
de  la  Maison  de  Monglane,  donnée  par  Albéric  de  Trois-Fontaines  (mort 
en  1246),  attribue  également  Simon  pour  fils  à  Milon  de  Pouilie.  V.  G. 
Paris,  Histoire  poétique  de  Gharlemagne,  p.  102,  et  appendice  11, 
p.  469. 

*  lia  oublié  «  Moult  par  ».Ges  oublis  sont  fréquents  dans  ce  manuscrit, 
et  l'on  y  a  souvent  des  hémistiches  de  quatre  syllabes. 


«0  DESCRIPTION  d'uN  MANUSCRIT 

En  la  semé  semaine  lor  est  avenu  si 
Que  a  Palerne  vindrent,  ce  fut  par  .1.  mardi. 
A  Palerne  est  Renaus  arivez  ou  gravier, 
E  li  rois  si  estoît  en  son  pales  plenier. 

15.     La  nef  voient  au  port  il  et  si  chevalier. 

Ce  dit  Simons  de  Puille  :  Foi  que  doi  .S.  Bichier, 
Ce  est  nef  a  preudome,  bien  voi  au  deschargier, 
As  chevaux  et  a  armes  que  voi  tant  manoier. 
Je  ne  sai  qu'il  est,  mes  bien  semble  paumier. 

20.     Je  voeil  aler  a  lui  parler  et  pledoier. 
Si  le  ferai  o  moi,  se  je  puis,  herhergier, 
Car  bien  semble  haut  home  qui  terre  ait  a  baillier. 

Ms.  de  TArsenal. 

Mont  demainnent  grant  joie  sus  en  la  tor  David. 

Régnant  i  fu  .III.  jors,  et  puis  s'en  départi, 

Bon  harnoiz  enmena^  noblement  fu  vestis  ; 

Mais  Maugis  li  hermitez  ainz  robe  n'i  vesti 
5      Et  ala  tout  a  pie,  dont  Regnaus  fu  marris. 

Li  rois  les  convoia  et  li  contes  ainssins. 

A  Jafez  entra  en  mer,  adonc  sont  départi. 

Regnaus  ala  par  mer  bien  .1.  mois  et  demi. 

A  la  sepme  semaine  lor  est  avenu  ci  : 
10.     A  Palerne  arrivèrent  a  .1.  jor  d'un  mardi. 

A  Palerne  arrivèrent  an  lor  nef  ou  gravier. 

Ce  fu  Simons  de  Puille  il  et  cil  chevaliers. 

Li  roi8  f  u  en  la  tor  de  son  palais  plenier, 

La  nef  voient  mont  bien  arriver  ou  gravier. 
15.     Lors  dit  li  rois  Simons  :  Saichiez  qui  est  paumiers 

Et  si  est  richez  bons  d'armes  et  de  destriers. 

Faites  mettre  vo  celle,  je  vueil  a  lui  pleidier. 

Si  le  ferai  o  moi,  se  je  puis,  herbergier. 

Bibliothèque  bleue. 

«  Il  y  eut  de  grandes  réjouissances  publiques  pondant  trois 
mois,  et  le  peuple  appelait  Renaud  et  Maugis  les  sauveurs  de 
la  chrétienté.  Après,  Renaud  et  Maugis  demandèrent  leur 
congé  au  roi  qui  fut  fort  triste,  et  qui  eût  bien  voulu  qu'ils 
eussent  toujours  resté  près  de  lui,  mais  cela  ne  se  pouvait 
pas.  Le  roi  leur  fit  équiper  un  vaisseau,  leur  donna  de  beaux 


DES   QUATRE  FILS  AYMON  41 

présents,  puis  ils  s*embrassèreQt  en  pleurant  et  se  séparèrent. 
Ils  s'embarquèrent  au  port  de  Jalfa,  et  demeurèrent  six  mois 
sar  mer,  sans  pouvoir  prendre  terre.  Ëuôn,  Dieu  les  conduisit 
à  Palerme  où  était  le  roi  Simon,  qui  les  reçut  à  bras  ouverts, 
et  les  mena  dans  son  Louvre  ^  » 

Un  rapide  examen  permet  de  reconnaître  que  les  trois 
manuscrits  sont  d^une  même  famille,  que  le  ms.  La  Vallière 
est  le  plus  ancien  et  le  moins  incomplet  des  trois  et  qu'on 
peut  Taméliorer  à  Taide  des  deux  autres. 

Au  V.  3  le  ms.  de  P.  H.  donne  «  se  vesti  »  au  lieu  de  la 
répétition  «  s'en  parti  ».  L'A.  a  «fuyestis». 

Au  V.  10  L.  V.  a  a  bien  .IL  et  demi  ».  La  leçon  des  deux 
ms.  conforme  à  la  mesure  et  au  bon  sens  est  :  «  bien  .L  mois 
et  demi  » . 

Au  V.  15  P.  H.  et  TA.  indiquent  o  en  son  palais  plenier  », 
et  au  V.  16,  Ton  doit  accepter  «  il  et  si  chevalier  »  d'après 
P.  H.  La  leçon  de  l'A.  confirme,  en  fait,  cette  correction. 

Le  passage  que  j'ai  choisi  n'offre  point  de  difficulté  sérieuse, 
mais  il  me  paraît  prouver  qu'il  n*est  point  impossible  de 
restituer  passablement,  en  comparant  les  trois  manuscrits, 
la  fin  de  la  version  que  Miohelant  a  renoncé  à  éditer. 

11  esta  regretter  que  le  texte  de  l'Arsenal  ait  été  copié  non 
seulement  avec  étourderie,  mais  trop  souvent  avec  un  désir 
d'abréger  même  aux  dépens  du  sens,  comme  on  le  voit  pour 
la  seconde  laisse.  Il  reproduit^  avec  des  altérations  qui  indi- 
quent la  date  relativement  récente,  un  texte  d'une  valeur 
presque  égale  à  celle  de  la  première  partie  du  ms.  La  Val- 
lière. 

Quant  au  ms.  de  Peter  House,  il  dérive,  en  d'autres  en- 
droits, d'une  source  moins  ancienne,  mais  comme  il  a  été  très 
consciencieusement  établi,  il  est  utile  à  consulter. 

11  suffirait  donc  aujourd'hui  de  reproduire,  en  la  modifiant 
çàet  là,  l'édition  de  Michelant  jusqu'à  l'endroit  où  elle  i^e 

*  La  nouvelle  Bibliothèque  blette,  t.  II,  pour  le  pèlerinage  à  Jérusalem 
et  l'appui  que  Renaud  et  Maugis  donnent  au  roi  de  Sicile,  est  conforme, 
pour  le  fond,  aux  textes  cités  ci-dessus,  mais  avec  des  ornements 
dans  le  goût  romanesque. 


4  2  DESCRIPTION  D  UN  MANUSCRIT 

sépare  du  ms.  La  Vallière  ;  puis  d'éditer  la  fin  de  ce  manu- 
scrit à  Taide  des  mss.  de  TArsenai  et  de  Peter-House.  L'on 
aurait  ainsi  la  meilleure  version  de  la  chanson  des  Quatre  - 
Fils-Aymon .  J'ai  commencé  ce  travail ,  il  y  a  quelques 
années,  et  j'espère  le  soumettre  bientôt  à  la  Société  des 
Langues  romanes.  L'on  pourrait,  désormais,  se  procurer  aisé- 
ment un  poème  qui  est  d'une  importance  capitale:  par  l'Epo- 
pée chevaleresque  italienne,  la  légende  des  Fils  Ajmon  a 
exercé  une  influence  générale  sur  la  formation  et  le  dévelop* 
bemeut  de  TËpopée  moderne. 


II 


Parmi  les  études  dont  cette  légende  a  été  l'objet,  une  des 
plus  intéressantes  est  assurément  Tintroduction  que  le  D' Fri- 
drich  Pfaff  a  mise  en  tête  de  sa  reproduction  de  l'édition 
allemande,  que  Paul  von  der  Aeltz  donna,  en  1604,  du  rema- 
niement hollandais  en  prose  du  roman  des  Quatre  Fils  A jmon. 
J'y  puise  quelques  détails  peu  connus  sur  la  destinée  de  ce 
que  Ton  a  cru  longtemps  les  reliques  de  Renaud  de  Montau- 
ban. 

Renaud  meurt,  en  effet,  à  Cologne,  victime  de  sa  piété,  et  la 
fin  de  son  histoire  est  toute  semblable  à  celle  de  la  vie  d'un 
saint  véritable.  L'on  suppose  que  quelque  confusion  de  noms 
et  l'imagination  populaire  transformèrent  l'aventureux  ad- 
versaire du  roi  Charles,  le  cousin  de  l'enchanteur  et  larron 
Maugis,  en  un  martyr,  qui,  sur  les  bords  du  Rhin,  fut  Tobjet 
d'une  particulière  vénération. 

Dès  1205,  Ton  constate  l'existence  d'une  chapelle  de  Renaud 
à  Cologne.  En  1420,  Jean  de  Stummel,  doyen  des  Saints- 
Apôtres,  reconstruisit  la  chapelle  et  le  petit  couvent  qui  s  y 
était  ajouté.  En  1447,  Marguerite  Waldecken  réforma  le 
couvent  d'après  la  règle  de  saint  Augustin,  et  en  fut  la  pre- 
mière supérieure.  Elle  y  avait  trouvé  quatre  Carmélites  au 
vêtement  gris.  La  chapelle  possédait,  en  1472,  une  chasse 
contenant  la  tête  de  Renaud  et  d'autres  restes  du  héros. 
Joannes  Bertelius,  abbé  d'Echternach,  raconte,  dans  son 
Hisioria  Luxemburgensis  {Coloniae^  1605,  p.  197),  que  sur  l'un 


DES   QUATRE  FILS   AYMON  43 

des  murs  de  la  chapelle  de  Renaud,  à  Cologne,  était  peinte  une 
image  représentant  les  quatre  frères  sur  leur  cheval,  Renaud 
la  tête  ceinte  de  Tauréole.  Cette  chapelle  reçut  des  legs  et 
des  fondations  pieuses.  La  dernière  supérieure  du  couvent  a 
été  A.-E.  Offermanns,  en  1800.  Mais  le  siècle  qui  s'achève  a 
été  peu  tolérant  d'abord  pour  les  traditions  de  toute  sorte, 
dans  lesquelles  il  ne  voyait  que  motif  à  révolte  où  à  raillerie  : 
en  1804,  chapelle  et  cloître  furent  détruits.  Ils  étaient  situés 
à  Tangle  de  la  Marsilstein  et  de  IdkMauritiussieinwegj  àTendroit 
où  la  légende  place  le  meurtre  de  Renaud,  Depuis  lors  la  fête 
de  Renaud  est  célébrée  tous  les  ans,  le  dimanche  qui  suit  le 
7  janvier,  dans  Téglise  paroissiale  de  Saint-Maurice  ^ 

Cologne  n'en  demeure  pas  moins  la  ville  du  monde  où 
subsistent  le  plus  de  souvenirs  de  la  légende  des  Fils  Ajmon. 
Si  le  héros  a  la  Iteinoldsirasse,  son  coursier  fidèle  est  rappelé 
par  la  Bayardsgasse.  Un  beau  vitrail  de  la  cathédrale,  datant 
du  XVK siècle  et  don  de  la  ville  de  Cologne,  réunit  les  saints 
Georges,  Renaud,  Géréon,  Maurice.  L'on  a  une  belle  statue 
de  Renaud,  œuvre  de  P.  Fuchs  (XVIIP  siècle),  aux  n°"  33-34 
de  Riukenpfuhl  y  à  droite  du  portail  de  Saint-Maurice.  La 
représentation  la  plus  importante  des  Fils  Ajmon  qui  existe 
en  Allemagne  se  trouve  à  Cologne,  au  n<>46  de  la  Mejerstrasse, 
qui  en  1887  appartenait  à  M.  Baden,  brasseur.  Au-dessus  de 
l'arceau  de  la  porte  est  appliqué  un  beau  relief  où  Ton  voit  les 
quatre  frères  sur  Bajard.  M.  le  D'  Pfaff  a  reproduit  ce  relief 
au  titre  de  son  livre. 

L'église  de  Renaud,  à  Dortmund,  le  Trémoigne  de  la  Chanson 
de  geste,  date,  dans  ses  plus  anciennes  parties,  de  la  fin  du 
XII*  siècle.  Les  documents  en  font  mention  dès  1228.  C'est  un 
édifice  de  style  gothique,  dont  le  chœur,  d'un  caractère 
grandiose,  a  été  construit  de  1421  à  1450.  Le  clocher  s'est 
écroulé  plusieurs  foiS;  et  celui  que  l'on  voit  aujourd'hui  est 
du  commencement  du  XVIII*  siècle. 

Ce  monument  a  été  élevé  à  l'endroit  où  l'on  supposait  que 
s'était  arrêté,  de  lui-même,  le  char  qui  portait  les  restes  de 
Renaud.  On  sait  que  le  bon  chevalier,  après  son  pèlerinage  en 

*  Voir  Thomas,  Geschichte  der  Pfarre  St-Mauritius  zu  Kôln.  Kôln,1878. 
pp.  13-20. 


44  DESCRIPTION  D*UN   MANUSCRIT 

Terre-Sainte  et  la  victoire  de  ses  âls  dans  leur  duel  avec  les 
fils  de  Folques  de  Morillon,  résolut  d'expier  les  fautes  de  sa 
vie,  et  partit  secrètement  de  chez  lui,  déguisé  en  pèlerin. 
Arrivé  à  Cologne,  où  l'on  bâtissait  l'église  de  Saint-Pierre,  il 
voulut  être  employé  comme  manœuvre,  et,  dans  cet  humble 
métier,  montra  tant  de  zèle  et  une  vigueur  si  extraordinaire, 
que  ses  compagnons  de  travail,  pris  d'une  furieuse  jalousie,  le 
tuèrent,  par  surprise,  pendant  qu'il  prenait  son  repas.  La 
Bibliothèque  bleue^  altère  tellement  la  naïveté  de  nos  récits 
épiques,  que  l'on  m'excusera  de  lire  la  conclusion  de  la  légende 
dans  un  des  manuscrits,  le  n°  766  de  la  Bibliothèque  Nationale. 
Les  meurtriers  ont  jeté  le  corps  de  Renaud  dans  le  Rhin,  en 
le  chargeant  de  pierres  : 

Quant  ce  vint  vers  le  vespre,  que  li  soleus  coucha, 

Desor  le  cors  Renant  une  clarté  leva 

Que  li  poison  de  Tiaue  enter  lui  s'aûna, 

Le  cors  Renaut  ont  pris,  que  Dex  le  commanda. 
5.     Par  desor  Tiaue  amont  le  cors  Renaut  leva. 

Moult  f  a  grant  la  clarté  que  Dex  i  demostra. 

En  pès  tienent  le  cors  ne  torne  çà  ne  là. 

De  ci  à  la  cité  la  novele  en  ala. 

L'evesque  et  li  clergié  maintenant  s'aûna, 
10.    Jusques  desus  le  Rin  nus  d'aus  ne  s'aresta. 

Hé  Diex,  dist  li  evesques,  que  puet  ce  estre  là  ? 

Ce  est  .1.  bon  noiez,  por  Dieu  qui  tôt  cria. 

Li  larron  l'ont  ocis,  seignor,  or  i  parra. 

Entrez  en  .1.  batel  et  si  l'amenez  ça. 
15.     Alez  delivrement,  si  verron  que  sera. 

Cil  entrèrent  ou  Rin,  que  demore  n'  i  a. 


1  Encore  le  fond  y  est-il  en  somme  respecté.  Mais  la  nouvelle  Biblio- 
thèque bleue^  dans  les  deux  volumes  où  elle  a  réuni  les  Fils  Aymon,  Jean 
de  Calais  et  Geneviève  de  Brabant,  nous  donne  le  plus  fâcheux  des 
remaniements,  celui  où  Ton  a  eu  la  malencontreuse  idée  de  puiser  dans 
les  récits  romanesques  d'Arioste.  La  fin  de  la  narration  est  défigurée  plus 
que  tout  le  reste  :  Renaud,  voulant  protéger  des  jeunes  filles  contre 
Pinabel,  est  entraîné  par  son  adversaire  dans  le  Rhin  où  ils  se  noient 
tous  les  deux.  L'on  ne  peut  plus  du  tout  comprendre  pourquoi  le 
souvenir  de  Renaud  demeura,  à  Cologne  et  à  Dortmund,  l'objet  d'un 
véritable  culte. 


DES   QUATRE  FILS   AYMON  45 

Li  batelier  entrèrent  très  enz  oa  Bin  par  non, 

Li  cors  ont  aporté  très  enmi  le  sablon. 

Le  sac  ont  descosu  li  nobile  baron  : 
20 .     C'est  11  ovriers  saint  Père  qu'ont  ocis  li  larron. 

Au  mostier  Tenportèrent  sanz  nule  arestoison, 

Devant  Tautel  saint  Père  li  dus  Renant  mit  on. 

Les  ovriers  qui  i  sont,  à  raison  mis  a  Ton. 

Larrons,  ce  dist  li  mestres,  par  le  cors  saint  Faron, 
25.     Vos  l'avez  mort  vos  toz,  que  nos  bien  le  savon. 

Vos  en  serez  pendus  en  haut  comme  larron. 

Sire,  font  li  ovrier,  jà  ne  vos  celeron  : 

Voirement  l'avons  mort,  come  traïtor  félon. 

Pendus  en  devons  estre,  que  deservi  l'avon. 
30.     Seignor,  dist  li  evesques,  jà  ne  vos  destruiron  ; 

Mes  por  ce  que  vos  estes  traïtor  et  larron^ 

Vos  forjugerez  mes  à  tôt  dis  ce  roion. 

A  icete  parole  trestoz  les  banion. 

A  TApostole  alèrent  por  querre  le  pardon. 
35.     Seignors,  dist  TApostoile,  oez  que  vos  jujon. 

Que  penensier  soiez  .VII.  anz  parmi  le  mont, 

Touz  nuz  piez  et  en  langes,  ainsi  le  vos  dison. 

Sire,  moult  volontiers,  chascuns  d'aus  li  respont. 

Or  lairons  des  penans,  de  Renaut  vos  diron. 
40.     Enterrer  le  voloit  li  clergiez  à  bandon. 

Moult  fu  grant  la  miracle  à  la  messe  chantant. 
Enterrer  le  voloit  le  bon  clergié  sachant. 
Quant  vint  à  l'enterrer  le  cors  Renaut  le  franc. 
Le  cors  Renaut  s'esmut  par  le  Jhesu  commant, 
Du  mostier  s'en  issi,  que  le  virent  la  gent. 

45.     L'evesques  s'escria  hautement  en  oiant  : 

Baron,  or  tost  après,  sanz  nulz  atargement. 
Adont  sont  arotez  li  petit  et  li  grant, 
Et  li  saint  cors  Renaut  s^en  est  alez  devant, 
Droitement  vers  Tremoigne  se  va  acheminant. 

60.     Quant  fu  près  une  liue,  si  com  trovon  lisant, 
Il  n'ot  saint*  en  la  vile  por  li  n'alast  sonant. 

Les  cloches  tôt  par  eus  ont  el  mostier  soné. 
Li  clergié  s'en  merveille  de  celé  poesté. 
L'evesques  ist  de  la  vile,  n'i  a  plus  demoré, 

1  «  sain  u  =  cloche. 


46  DESCRIPTION  D*UN  MANUSCRIT 

55.     Et  Gaichara  et  Alars  sont  avec  li  aie, 

Et  Richars  ensement  et  le  clergié  séné. 

L'evesque  vint  an  cors,  B*a  le  poile  levé  ; 

Et  qnant  connut  Benaut,  8*a  dn  cner  sospiré. 

A  tonz  commnnement  a  tôt  dit  et  conté, 
60.     Que  c'est  li  dus  Renans,  le  nobile  chasé, 

Celi  de  Montanban,  qni  tant  fn  redoté, 

Qui  vient  droit  à  Tremoigne  reposer  sa  cité. 

Qnant  li  frère  Toirent,  de  dolor  sont  pasmé. 

Pais  si  Tont  durement  tout  plaint  et  regreté. 
65.     Haï,  Renaus,  font-il^  franc  chevalier  membre, 

Que  porons  devenir  chetis,  maleuré  ? 

Adont  ont  lor  chevez  et  lor  dras  désiré. 

Touz  cens  qui  les  regardent,  si  en  ont  grant  pité. 

Mes  li  gentis  evesque  les  a  reconforté  : 
70 .     Baron,  aiez  en  vos  et  pès  et  amité. 

Nos  irons  après  li,  ]k  n*en  ert  trestomé. 

El  mostier  Pont  porté,  en  fiertre  fn  levé^ 

Des  fait  por  li  miracles,  le  roi  de  majesté. 

Saint  Renaut  a  à  non  en  iceli  régné. 

Le  voyage  miraculeux  du  corps  de  Renaud  prêtait  aux 
variantes,  et  Ton  en  rencontre  en  effet  plusieurs.  Le  ms.  766 
donne  une  des  versions  les  moins  anciennes,  ainsi  qu'en 
témoigne  la  langue,  et  le  récit  est  abrégé  en  certains  points, 
mais  aux  dépens  de  ce  qu'il  y  avait  de  poétique  dans  la  nar- 
ration :  le  fait,  malheureusement,  n'est  pas  isolé. 

L'église  de  Renaud,  à  Dortmund,  possédait  ses  restes  dans 
un  cercueil  d'argent.  Le  crâne  était  conservé  dans  une  chasse 
particulière  en  forme  de  tête.  Lorsque,  le  22  novembre  13T7, 
Charles  lY  vint  à  Dortmund,  il  fut  accueilli  par  une  procession 
solennelle  où  étaient  portées  les  reliques  du  saint  chevalier  : 
quand  le  prince  fut  arrivé  près  de  ces  restes  vénérés,  il  des- 
cendit de  cheval  et  baisa  la  tête  de  Renaud.  Le  jour  suivant, 
il  entendit  la  messe  à  Saint-Renaud ,  et,  après  le  service, 
demanda  qu'on  lui  fît  don  d'une  partie  des  reliques.  Les 
Bourgmestres  ouvrirent  le  cercueil  et  lui  accordèrent  deux 
os.  On  lui  remit,  en  outre,  le  livre  contenant  les  hauts  faits 
de  saint  Renaud,  que  l'on  avait  l'habitude  de  chanter  lors  de 
sa  fête. 


DES   QUATRE  FILS  AYMON  47 

L*aiinée  suivante,  Tépouse  de  Charles,  Elisabeth,  vint  à 
Dortmund  et  obtint  un  autre  don,  celui  d'un  des  bras.  Ces 
reliques  ont  été  léguées,  avec  d'autres,  par  Charles  lY  au 
royaume  de  Bohême,  et  elles  étaient  autrefois  montrées  au 
peuple  une  fois  par  an  dans  TEglise  du  Saint- Sacrement 
(Corporis  Christi)  au  Petit-Prague.  De  là,  elles  passèrent,  en 
1618,  à  Karlstein.  Depuis  1645,  elles  sont  à  la  cathédrale  de 
Prague,  au  Hradschin.  Les  reliques  de  Karlstein  se  trouvent 
dans  un  grand  meuble  avec  cases  distinctes,  don  du  comte 
Bernard  Ignace  de  Martinicz:  au  numéro  3  de  la  dixième  et 
plus  basse  rangée,  Stradomir^  plaçait,  en  1515,  Reinoldt  Ducis 
de  monte  Albano  brachia  duo,  quodlibet  eorum  in  argentea  theca 
inlra  vitrum.  Et  d'après  des  renseignements  pris  à  Prague  en 
1886,  les  reliques  cataloguées  par  Stradomir  se  trouvent  très 
exactement  au  Hradschin.  Ainsi  u*e  t  à  Prague  qu'il  faut  aller 
honorer  aujourd'hui  les  restes  de  Renaud,  car,  à  Cologne,  l'on 
ne  possède,  à  Saint-Maurice,  que  quelques  parcelles  provenant 
de  l'ancienne  chapelle  des  Augustines. 

L'église  de  Saint-Renaud,  à  Dortmund,  existe  encore,  bien 
que,  depuis  la  Paix  de  Westphalie,  elle  soit  affectée  au  culte 
Ëvangélique.  Mais,  en  1792,  il  y  eut  une  grande  famine  dans  le 
pays,  on  battait  monnaie  de  tout,  et  Ton  finit  par  vendre,  le 
18  décembre,  l'on  ne  sait  à  qui,  pour  la  somme  de  SSOthalers, 
la  chasse  d'argent  qui  contenait  les  reliques  de  Renaud  de 
Montauban. 

Le  D'  Pfaff  me  semble  ne  pas  tenir  compte  d'un  événement 
qui  dut  jeter  quelque  désarroi  dans  Je  pays  et  qui  pouvait 
suggérer  l'idée  de  transformer  en  valeurs  aisément  transpor- 
tables les  richesses  de  l^église.  Les  Français  venaient  d'occuper 
Majence,  avaient  passé  le  Rhin,  étaient  à  Francfort.  On  s'ima- 
gine, sans  peine,  l'émoi  qui  se  produisit  à  l'approche  des  armées 
de  la  République,  émoi  dont  Goethe  a  conservé  le  vivant  sou- 
venir dans  le  premier  chant  de  son  immortel  poème  d'Hermann 
et  Dorothée.  La  description  du  long  défilé  des  émigrants  qui 
fuient  devant  l'ennemi,  et,  au  YP  chant,  le  tableau  des  espé- 
rances qui  s'éveillèrent  d'abord  partout,  a  quand  le  premier 

f  Auteur  d*un  catalogue  des  reliques   de  Karlstein,  que   Pessina  de 
Czechorod  a  reproduit  dans  son  Phosphorus  septicomis^  Prague,  1673. 


4  8  DESCRIPTION   I)'UN  MANUSCRIT 

éclat  d'un  soleil  nouveau  apparut,  que  Ton  entendit  célébrer 
les  droits  communs  à  tous  les  hommes,  l'enthousiasme  de  la 
liberté,  Thonneur  de  Tégalité,  »  et  des  déceptions  et  des  luttes 
sanglantes  qui  suivirent,  sont  au  nombre  des  plus  belles  pages 
de  Tépopée  moderne. 

Aujourd'hui,  dans  l'Eglise  de  Saint*Renaud,  entre  le  chœur 
et  la  nef,  à  droite  et  à  gauche,  l'on  a  deux  statues  de  bois 
colossales  sous  des  baldaquins.  L'une  représente  Gharlema- 
gne,  fondateur  de  Dortmund,  l'autre  an  chevalier  armé  de 
mailles  et  d'un  petit  bouclier  triangulaire.  On  suppose  que 
c'est  la  statue  de  Renaud,  mais  l'attribution  est  contestée. 

La  chronique  de  Westhoff  raconte,  qu'en  1377,  une  armée 
ennemie  lançait  contre  les  murs  de  Dortmund,  d'énormes  bou- 
lets de  pierre  :  Renaud  apparut  sur  le  rempart  conrme.ain 
ange  du  ciel,  et  rejeta,  de  sa  main,  ces  boulets  sur  les  HiAié- 
géants.  On  éleva  donc,  sur  le  mur,  une  statue  du  défenseur 
de  la  ville:  il  était  représenté,  le  bras  étendu,  et  Westhoff 
prétend  avoir  vu  cette  statue  en  1538.  D'ailleurs,  remparts 
et  statue  n'existent  plus  depuis  longtemps. 

Le  musée  de  Dortmund  possède  un  gantelet  de  fer,  attri- 
bué à  Renaud,  et  un  fer  à  cheval  attribué  à  Bajard:  il  a  plus 
d'un  pied  de  large,  et  n'est  probablement  qu'une  vieille  ensei- 
gne de  maréchal -ferrant. 

Des  monnaies  de  Dortmund  portent  Timage  de  saint  Renaud  : 
les  plus  anciennes  remontent  au  XIV*  siècle. 

On  constate  qu'au  XIIP  siècle,  la  corporation  la  plus 
considérée  de  Dortmund  avait  saint  Renaud  pour  patron. 

L'on  rencontre,  en  dehors  de  Cologne  et  de  Dortmund, 
deux  églises  consacrées  à  Renaud;  l'une  est  l'église  parois- 
siale de  Iloxel,  près  de  Munster,  l'autre  est  une  chapelle  à 
Hœhscheid,  au  sud-ouest  de  Solingen.  Elle  est  agréablement 
entourée  d'arbres  et  voisine  d'un  bois.  Le  second  dimanche 
après  la  Pentecôte,  un  grand  marché  se  tient  près  de  la  chapelle 
et  Ton  y  vient  de  toute  la  contrée.  Dans  le  chœur  est  Uiie  statue 
de  Renaud,  tenant  un  marteau,  en  souvenir  de  l'arme  que  ses 
meurtriers  employèrent  pour  le  tuer;  mais  il  faut  avouer  que 
les  habitants  ne  conservent  de  la  légende  qu'une  forme  très 

altérée. 
Quel  est  l'homme  dont  les  restes   ont  été,  pendant  des 


DES  QUATRE  FILS  AYMON  49 

siècles,  Tobjet  de  la  dévotion  de  tout  un  peuple?  M.  Pfaff,  au 
terme  de  sa  patiente  étude,  s'est  posé  la  question  sans  pouvoir 
y  répondre.  Il  est  à  peine  besoin  de  dire  qu'il  n*y  a  nulle  part 
aacnne  trace  d'une  canonisation  de  Renaud. 

Je  serais  assez  disposé  à  croire  que  les  villes  de  Cologne 
et  de  Dortmund  furent  engagées  à  honorer  la  mémoire  de 
Renaud,  par  l'exemple  de  Saint-Jacques  de  Compostelle, 
d'Aix-la-Chapelle,  de  Saint-Denis,  dont  les  prétentions  sont 
la  seule  explication  de  la  composition  de  l'Histoire  de  Charte- 
magne  et  de  Roland^  attribuée  à  Turpin,  et  du  Voyage  de  Charte- 
magne  à  Jérusatem  et  à  Comtantinopte,  Vous  me  permettrez  de 
rappeler  ce  que  j'ai  dit  à  propos  de  ce  dernier  texte  dans  notre 
Remèdes  Langues  romanes:  u  La  légende  monastique,  naïve 
et  sir  îère,  quand  elle  reste  sur  son  véritable  terrain  et  se 
bort  à  raconter  les  merveilles  de  la  Vie  des  saints,  prend  un 
caractère  tout  autre  quand  elle  aborde  la  matière  des  Chan- 
sons de  Geste.  Ce  n'est  point,  en  effet,  pour  célébrer  les  hauts 
faits  de  Charlemagne  et  de  ses  Paii's  que  les  auteurs  de  la 
Chronique  latine  de  Turpin  ont  le  soin  de  tracer  l'itinéraire 
qui  mène  à  Saint- Jacques  de  Compostelle,  de  nous  apprendre 
les  noms  de  toutes  les  églises  où,  d'après  eux,  auraient  été 
ensevelis  les  glorieux  morts  de  Roncevaux  :  c'est  pour 
stimuler  le  zèle  des  pèlerins  et  les  encourager  à  suivre  le 
chemin  par  lequel  ont  passé,  d'après  eux,  Charlemagne  et  son 
armée.  De  même,  quand  les  moines  de  Saint-Denis  rédigent 
l'histoire  d'un  voyage  de  Charlemagne  en  Orient,  c'est  uni- 
quement en  vue  de  justifier  l'authenticité  des  reliques  qu'ils 
étalaient  à  la  foire  du  Lendit.  » 

Pour  Cologne  et  Dortmund,  il  est  possible  que  la  vanité  soit 
seule  en  cause.  C'était  un  grand  honneur  pour  ces  deux  villes 
d'occuper  une  place  importante  dans  une  des  Chansons  de 
Geste  qui  devint  le  plus  tôt  populaire,  et  il  était  tout  naturel 
d'en  profiter,  en  entourant  d'une  vénération  publique  la  mé- 
moire du  chevalier  dont  la  gloire  effaçait  celle  de  tous  les 
compagnons  de  Charlemagne,  à  l'exception  du  seul  Roland. 

Un  point  demeure  obscur.  Comment  la  dernière  branche 
des  Quatre-fils-Aymon  peut-elle  parler  d'un  culte  rendu  à 
Renaud,  si  elle  est  elle-même  l'origine  de  ce  culte?  L'auda- 
cieuse imagination  du  trouvère  est-elle  seule  en  cause  et  ne 

4 


50  DESCRIPTION  D*UN   MANUSCRIT 

poorraii-on  admettre  qae  déjà,  à  Cologne  oa  àDortmiuidy  était 
honoré  un  saint  personnage  d*un  nom  semblable  à  celai  de 
Renaad  ?  D'antres  hypothèses,  suggérées  par  Texamen  attentif 
des  nombreux  documents  à  consulter,  sont  encore  possibles. 

Une  seule  remarque.  M.  Pfaff  (p.  LUI)  suppose  que  le 
Beinolt  van  Montelban^  imitation  allemande,  en  vers,  de  notre 
Renaud  de  Montauban,  le  Renaui  van  Montalbaen,  imitation 
hollandaise  en  vers,  sont  les  seules  versions  où  Renaud 
périsse  écrasé  par  une  pierre  que  ses  compagnons  de  travail 
laissent  tomber  sur  lui.  Il  n'en  est  rien,  et  nous  trouvons  éga- 
lement cette  variante  dans  le  ms.  766  de  la  Bibliothèque 
nationale,  auquel  j'ai  emprunté  le  récit  du  vojage  du  char 
portant  le  corps  de  Renaud. 

Dans  les  Nouveaux  Essais  de  Critique  et  (THistoire,  Taine 
consacre  quelques  pages  à  l'édition  de  Michelant.  Sur  bien 
des  points,  je  serais  obligé  de  marquer  mon  désaccord  avec 
l'illustre  critique.  Il  insiste  beaucoup  trop  sur  le  commence- 
ment de  la  Chanson,  le  Beuues  d Aigremont^  si  différent  de 
l'histoire  proprement  dite  des  Quatre-Fils-Ayman.  Il  n'y  con- 
state que  brutalité  :  «  Ils  sont  trop  forts,  trop  prompts  aux 
coups,  trop  enfoncés  dans  la  vie  animale...  Ils  ont  passé  leur 
vie  à  chasser  ou  à  se  battre,  mangeant  de  fortes  viandes  et  de 
la  venaison,  habitués  au  sang  et  aux  coups,  encore  voisins, 
pour  les  muscles  et  les  instincts,  du  lion  et  du  tigre.  »  Ce  n'est 
pas  ainsi  que  nous  sommes  accoutumés  à  voir  Renaud  de 
Montauban  ^ 

Dans  la  seconde  partie,  Taine  reconnaît  que  Renaud  est  le 
modèle  de  la  loyauté  féodale,  mais  à  expliquer  les  origines 
de  ce  lien  de  la  société  du  moyen  âge,  il  néglige  de  montrer 
quelles  en  furent  les  conséquences  morales  de  toute  sorte. 
Renaud  est  un  caractère  autrement  complexe  que  Taine  ne 

1  Renaud  unit  les  qualités  de  Roland  et  d'Olivier  : 

Rollans  est  preuz  et  Oliviers  est  sage, 
Ambedui  sunt  merveillus  vasselage. 
Taine  ne  voit  pas  qu'à  côté  de  la  Chanson  de  Geste,  vrai  chant  de 
bataille,  se  développait  toute  une  poésie  très  différente  dans  les  romans 
dits  bretons:  un  des  derniers  ouvrages  de  Ghrestien  de  Troyes,  le  Pe»*- 
ceval  ou  Conte  du  Graalj  a  été  composé  vers  1175.  Il  n'est  pas  démontré 
que  nos  versions  des  Fils  Aymon  soient  de  date  beaucoup  plus  ancienne. 


DES  QUATRE  FILS   AYMON  51 

suppose,  et,  de  tous  les  héros  de  notre  épopée,  c*est  celai  en 
qui  commence  le  plus  nettement  à  se  marquer  révolution  dont 
le  terme  devait  être  Thomme  moderne. 

Il  est  singulier  que  le  personnage  de  Tenchanteur  Maugis, 
du  bon  larron,  qui  finit  dans  un  ermitage,  n*ait  pas  attiré 
l'attention  de  Taine. 

Mais,  au  commencement  de  son  article,  il  a  écrit  quelques 
lignes,  qui  expriment  une  méthode  :  «  Le  principal  service 
que  les  écrits  littéraires  rendent  à  Thistorien,  c'est  qu'ils  lui 
mettent  devant  les  jeux  les  sentiments  éteints.  Aucun  autre 
document,  surtout  dans  les  temps  lointains  et  les  peuples 
incultes,  ne  rend  ces  sentiments  visibles.  Les  chartes,  les  lois 
et  les  constitutions  montrent  les  pièces  de  la  machine  sociale, 
et  non  le  ressort  de  Taction  morale  » . 

C'est  ce  que  Bacon,  le  maître  de  Taine  et  de  toute  Técole 
expérimentale,  a  exprimé  par  une  de  ses  images  un  peu 
étranges,  mais  qui  ont  le  mérite  de  représenter  vivement  sa 
pensée  et  de  se  graver  dans  la  mémoire  :  a  Nul  doute  que  si 
rhistoire  du  monde  était  destituée  de  cette  partie  (de  This- 
toire  littéraire),  elle  ne  ressemblât  pas  mal  à  la  statue  de 
Poljphème  ajant  perdu  son  œil  ;  car,  alors,  la  partie  qui 
manquerait  à  son  image,  serait  précisément  celle  qui  aurait 
pu  le  mieux  indiquer  le  génie  et  le  caractère  du  personnage^.  » 

Ainsi  rhistoire  de  nos  aïeux  est  dans  Tœuvre  de  nos  trou- 
vères :  c'est  là  que  nous  retrouvons  leur  génie,  leur  caractère, 
et,  dans  une  jeunesse  intacte  et  naïve,  ces  sentiments,  moiixs 
éteints  que  ne  le  suppose  Taine,  qui  firent  Tàme  française  : 
vaillance,  droiture  et  courtoisie.  L'âme  française.  Messieurs, 


1  Bacon,  De  la  Dignité  et  de  l'Accroissement  des  Sciences^  L.  II,  ch.  4. 
Après  avoir  distingué;  1" l'histoire  sacrée  ou  ecclésiastique;  2«  l'histoire 
civile  proprement  dite,  qui  retient  le  nom  du  genre  ;  3^  enfin,  l'histoire 
des  lettres  ou  des  arts,  il  juge  que,  pour  cette  dernière  partie,  l'on  n'a 
que  de  maigres  traités  sans  utilité  :  «  Mais  parle-t-on  d'une  histoire 
complète  et  universelle,  jusqu'ici  on  n'en  a  point  publié  de  telle,  disons- 
le  hardiment.  Nous  indic[uerons  donc  le  sujet  d'une  telle  histoire,  la 
manière  de  la  faire  et  le  parti  qu'on  en  peut  tirer.  »  En  développant 
ce  programme,  il  constate  que  «  l'on  peut,  dans  une  semblable  histoire, 
observer  les  mouvements  et  les  troubles,  les  vertus  et  les  vices  du  monde 
intellectuel,  tout  aussi  bien  qu'on  observe  ceux  du  monde  politique.  > 


52  DESCRIPTION  D'uN  MANUSCRIT 

on  en  pent  médire,  nuûs  doos,  romaninnts,  nous  saTons  que, 
pendant  des  nèeles,  elle  fat  la  fleur  de  la  cÎTilisation  chré- 
tienne. 

D*ane  part,  ia  pins  ancienne  Tersion  de  la  Chanson  des 
Qnatre-Pils-Ajmon,  de  Tantre  les  derniers  vestiges  de  la 
légende,  conservant,  à  la  fin  du  XIX*  siècle,  une  existence 
TiTace  dans  les  pays  Rhénans,  tels  sont  les  termes  extrêmes 
que  nous  avons  marqués  dans  cet  exposé  sommaire. 

Bntre  ees  deux  termes,  qu'est  dcYenue  la  légende  ? 

Le  personnage  de  Renaud  présentait  un  triple  caractère  : 
d*abord  le  chevalier  en  lutte  avec  son  suzerain,  réduit  aux 
pires  extrémités,  aventureux  et  prudent,  champion  indompta- 
ble, ami  fidèle  etlojal;  c*est  le  Renaud  de  Tépopée  italienne, 
tel  que  Pulci,  Boiardo,  Arioste,  Font  vu,  modernisé  d'ailleurs 
à  leur  goût  ^  L'imagination  populaire  admirait  en  lui  la  bon- 
homie, le  dévouement  aux  siens,  Tindalgence  pour  les  petits, 
répoux  de  la  douce  Clarice  et  le  père  des  gentils  bacheliers 
Ajmon  et  Y  von,  le  cousin  de  l'ingénieux  Maugis,  le  maître 
du  cheval-fée,  de  Timmortel  Bajard,  qui  reparait  tous  les 
ans  à  la  nuit  de  la  Saint-Jean,  dans  la  forêt  d'Ardennes  :  le 
succès  de  la  version  en  prose,  dans  toute  l'Europe,  est  un  des 
faits  les  plus  intéressants  de  l'histoire  littéraire.  Mais  il  a 
vaincu  les  Maures  à  Toulouse  >  ;  il  a  expié  ses  fautes  en  allant 
pieds-nus  en  Terre-Sainte,  par  ses  exploits  à  Jérusalem  et  en 
Sicile,  par  sa  fin  pieuse  et  repentante,  par  sa  mort,  lorsque 
0  ouvrier  de  Dieu  »,  il  est  traîtreusement  assassiné  :  c'est  le 
défenseur  de  la  chrétienté,  c'est  un  pénitent  illustre,  c'est  un 
martyr  :  par  là  il  appartenait  à  la  dévotion  commune  :  son 
front  sera  couronné  de  l'auréole  sainte. 


1  M.  Rajna  a  rencontré  le  nom  de  Filz  Aimon  à  demi  italianisé  sous 
la  forme  Fizaimoney  employé  comme  nom  propre  à  la  date  de  1261 
(Romania^  janvier  1889,  p.  59).  C'est  une  preuve  curieuse  de  la  prompte 
diffusion  du  récit  français  en  Italie. 

*  La  bataille  de  Toulouse,  où  le  roi  Eudes  d* Aquitaine  (le  roi  Yon  des 
FiU-Aymon)  repoussa  une  première  invasion  musulmane,  eut  lieu  en 
721,  le  dernier  mois  de  Tan  103  de  THégire,  sous  le  Kalifat  de  Yésid  II. 
Le  Wali  d'Espagne^  Alsama  ben  Melik  el  Hadrami,  y  périt  avec  nom- 
bre d'autres  des  premiers  conquérants  de  TEspagne  (Gonde,  Historia  de 
la  daminacion  de  los  Arabes  en  Espana^  1. 1,  c.  21). 


DES  QUATRE  FILS  AYMON  53 

Nous  ne  savons  si  la  figure  de  Renaud  a  droit  à  une  place 
dans  l'histoire  :  le  problème  est  un  des  plus  difficiles  à  résou- 
dre. Mais,  qu'importe?  les  héros  qu'a  consacrés  la  longue 
admiration  des  peuples,  continuent  à  vivre  d*une  vie  sur 
laquelle  le  temps  ne  peut  rien,  dans  la  mémoire  reconnais- 
sante de  rhumanité.  De  notre  courte  enquête,  il  résulte  que 
nous  pourrons  fêter,  en  janvier  prochain,  Renaud  de  Mon- 
tauban  sans  scrupule  :  le  bon  chevalier  demeure  digne  de 
notre  hommage. 

Ferdinand  Castbts. 


CONTES  LENGADOUCIANS 

Dau  pioch  de  Sant-Loup  au  pioch  de  Sant-Gla 

(Suite) 


VIII 
PICHOTS  CONTES  DE  MOUN  GRAND 

AS   COULLÂGAS  DE    «  PAUL  BBRT  » 

AiQO*s  de  contes  vièls  e  pus  vièls,  d*aqaeles  que  se  disoun 
un  pauc  pertout  dins  nostre  béu  Mièjour.  Ce  qu'empacha 
pas  que  sountoujour  nous.  E  mêmes,  mai-que-mai,  lou  que 
lous  conta  se  preten  èstre  lou  moussu  en  quau  Tafaire  es 
arrivât.  Ou  se  Tafaire  es  pas  arrivât  à-n-el,  arrivèt  à  soun 
fraire,  à  sa  sorre  beléu,  à  soun  cousi  se  eau,  franc  que  seguès- 
se  à  sa  cousina.  Aiço's  anfin  de  contes  de  ma  Grand-la-Borgna. 
léu,  lous  ai  batejats  de  moun  grand,  d'abord  qu'es  el  que  me 
lous  countèt  lou  prumiè.  Lou  laisse  parla  que  parlarà  milhou 
que  iéu. 


VIII 
PETITS  CONTES  DE  MON  GRAND-PÉRE 

AUX  OOLLBGDES  DE  «   PAUL  BERT  » 

Ce  sont  ici  des  contes  connus,  archi-connus,  de  ceux  qui  ont  cours 
un  peu  partout  en  pays  d'Oc.  Ils  ne  laissent  pas,  néanmoins,  d'être 
toujours  de  mise.  Et  même,  d'habitude,  celui  qui  les  dit  se  donne 
comme  l'un  des  acteurs  ou  des  témoins  de  l'aventure  qu'il  rapporte. 
A  moins  que  la  dite  aventure  ne  soit  tout  simplement  arrivée  à  son 
frère,  à  sa  sœur  peut-être,  à  son  cousin  au  besoin,  ou,  s'il  le  faut,  à 
sa  cousine.  Bref,  et  pour  tout  dire,  ce  sont  ici  des  contes  de  Grand- 
mère  rOie.  Je  les  ai  baptisés  <c  Contes  de  mon  grand-père  »  parce 
que  c'est  mon  grand-père  lui-même  qui,  le  premier,  me  les  narra.  Je 
le  laisse  parler  :  il  parlera  bien  mieux  que  moi. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  55 

1.  —  Lou  Perrouquet 

Ere  anat,  —  i'a  d'aco  mai  de  quatre  matis,  —  enco  de 
mèstre  Picarede,  lou  bouché  de  la  Tripariè-Vièlha,  per  ie 
croumpà  sas  pèls. 

Intrère  dins  la  boutiga. 

—  Holà  !  te  vejaqui,  coullèga?me  faguèt.  Es  pas  debesoun 
de  te  demanda  couma  sian  :  se  vei  prou  que  tas  fèbres  soun 
pasmarridas.  Nautres  anan  pas  trop  mau  atabé:  veja,  sièi 
Ion  pus  malaute...  Saique  vènes  querre  aquelaspèls?... 

—  Acha  un  pauc  !  Se  vos  que  vengue  per  jougà  de 
Tauboi?... 

—  Moun  ome,  te  caudrà'sperà 'n  moumenet.  La  fenna  es 
aoada  faire  la  plaça,  e  pode  pas  quità  la  boutiga  soula.  Assèta- 
te:  sièspas  pressât? 

M'assetère,  e  barjacaven,  — que  Picarede  ie  sabiè  à  la  bar- 
jacada  e,  iéu,  dounave  pas  ma  part  as  chis,  —  quoura  intrèt 
una  genta  doumaiselota. 

—  Avez-vous  du  bœufe^mossieu  Piquer ède'i 


1 .  —  Le  Perroquet 

J'étais  allé,  —  il  y  a  de  cela  plus  de  quatre  matins,  —  chez  maître 
Frappefort,  le  boucher  de  la  Triperie -Vieille,  pour  lui  acheter  ses 
peaux. 

J'entrai  dans  la  boutique. 

—  Holà  !  te  voilà,  collègue  ?  me  cria-t-il.  Pas  besoin  de  te  demander 
comment  ça  va  :  Ton  voit  assez  que  tes  fièvres  ne  sont  pas  mauvaises. 
Cane  va  pas  trop  mal  chez  nous,  merci:  vois- tu,  c'est  encore  moi  le 
plus  malade...  Tu  viens,  peut-être,  prendre  ces  quelques  peaux? 

—  Belle  demande!...  Voudrais-tu  pas  que  je  vienne  jouer  du 
hautbois?... 

—  Mon  ami,  il  te  faudra  m'attendre  un  petit  moment.  Ma  femme 
est  allée  faire  son  marché:  je  ne  puis  laisser  le  magasin.  Assieds-toi; 
tu  n'es  pas  très  pressé  ?... 

Je  m'assis  et  nous  babillions,  —  car  Frappefort  était  docteur-ès- 
babillage,  et  je  ne  donnais  pas,  non  plus,  ma  langue  aux  chiens,  — 
lorsqu'une  petite  demoiselle  entra. 

—  Avez-vous  du  bœufe,  mossieu  Frappefort  ? 


56  CONTES  LANGUEDOCIENS 

—  Voui,  madoumaisèla,  e  dau  rei  das  biôus.  Dequé  vons 
baile?  Una  trancha  de  mola?...  You  'n  lecarés  loas  dets. 

—  Non,  baillez-mot  une  livre  de  l'épok* 

le  bailèt  de  l'épole;  mes,  cop-sus-cop,  lou  perrouquet  — ' 
s'ai  pas  dich  que  i'aviè'  n  perrouquet,  ara  hou  dise,  —  lou 
perrouquet  se  fourrèt  à  cridà  coama  un  avugle  : 

—  Es  de  vacal...  Es  devaca!...  vaca!...  vaca  ! 

—  A  tus,  couoàrrou  !  repouteguèt  nostre  bouché.  Sap  pas 
mai  qu'aquela  antièna^  e  série  de  lapin  que  diriè  ce  mêmes. 
Boutas,  n'en  fagués  pas  cas,  madoumaisèla. 

Sabe  pas  s*èra  de  vaca  ou  s'èra  pas  de  vaca,  tant  i'  a  que, 
pas  pus  lèu  la  filheta  partida,  Picarede  agantèt  moussu  lou 
perrouquet  per  las  pèls  dan  col  e  lou  trempoulhèt  dins  un 
ferratat  d'aiga,  couma  un  paquet  de  rabetas. 

—  Aco  t'aprendrà,  sou-dis,  à  garda  ta  lenga. 

La  bèstia,  pecaire!  ne  quinquèt  pas  una,  e,  de-ravaletas, 
venguèt  au  canton  dau  ûoc  per  se  caufà  e  se  secà.  Lou  cat  se 
ie  trouvava  que  beviè  la  calou  e  s'alisava,  afeciounat. 


—  Vouij  mademoiselle,  et  du  roi  des  bœufes.  Que  vous  donnerai- 
je  ?...  Une  tranche  de  filet?...  Vous  vous  en  lécherez  les  doigts. 

—  Non,  baillez-moi  une  livre  de  l'épole  . 

11  lui  donna  une  livre  de  Vépole  ;  mais  soudain,  le  perroquet,  —  si 
je  n'ai  pas  dit  qu'il  y  avait  un  perroquet,  je  le  dis  maintenant,  —  le 
perroquet  se  mit  à  crier  comme  un  aveugle  : 

—  C'est  de  la  vache  !...  c'est  de  la  vache  !,..  vache  !...  vache  ! 

—  A  toi,  nigaud  !  grogna  notre  boucher.  Il  ne  sait  que  cette  an- 
tienne. Ça  serait  du  lapin,  qu'il  braillerait  même  chanson.  Allez,  allez. 
Mademoiselle,  n'en  faites  pas  le  moindre  cas. 

Je  ne  sais  si  c'était  de  la  vache  ou  si  ce  n'était  pas  de  la  vache, 
toujours  est-il  qu'il  advint  ceci  :  dès  que  la  fillette  fut  partie.  Frappe- 
fort  empoigna  Monsieur  du  perroquet  par  la  peau  du  cou,  et  vous  l'é- 
broua  dans  un  seau  plein  d'eau,  comme  on  ferait  d'un  paquet  de  radis. 

—  Ça  t'apprendra,  dit-il,  à  retenir  ta  langue. 

La  bestiole,  —  pauvrette  !  —  ne  souffla  mot.  Elle  s'en  vint,  traî- 
nant de  l'aile,  jusqu'au  coin  du  feu  pour  se  réchaufier  et  se  sécher. 
Le  chat  s'y  trouvait  déjà,  buvant  la  chaleur  et  lissant  ses  poils,  fri- 
leusement. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  57 

Aladounc^  tout  embalausit,  Ion  perrouquet  ie  fai  : 
—  Coussi?...  Amaitus  as  dich  qu'èra  de  vaca  ?.. 


2.  —  La  Garitat 

S*aquel  dimenche  eriàs  estats  à  la  prumîèira  messa  de 
Balharguet,  d*ausi  lou  prone  que  se  ie  faguèt  ne  sérias  de- 
mourats  enclausits  touta  la  senmaiia.  Oi^  santa-ûeu  !  coussi 
prechét  moussu  lou  curât!...  Amai  vous  hou  diguèsse  d'aqui  à 
deman... 

—  E  sus  dequé  prechèt  tant  ? 

Sus  dequé?...  sus  lou  malastre,  sus  la  misera  de  la  paura 
Gouletouna  que,  pecaire  !  après  una  longa  vidassa  de  trigos, 
de  patimen  e  de  cruciûmen,  se  trapava  à  la  carrièira,  ara  que 
lou  âoc  venié  de  ie  devouri  ce  darniè  que  ie  demourava  ;  sus 
la  caritat,  lou  pus  grand,  lou  pus  sant  devé  das  crestians,.... 
dequé  te  sabe  iéu?...  Vous  dise  que  prechèt  dos  ouras  de 
reloge  couma jamai  de  sa  vida  aviè  pas  prêchât,  e  qu'auriàs 


Alors,  ébaubi,  le  perroquet  lui  fît  : 

—  Comment?...  Toi  aussi  tu  as  dit  que  c'était  de  la  vache?... 

2.  -—  La  Charité 

Si  ce  dimanche-là  vous  aviez  assisté  à  la  première  messe,  à  6a- 
Iharguet,  vous  auriez  ouï  un  beau  prône.  A  coup  sûr  en  fussiez-vous 
demeurés  émerveillés  durant  toute  une  semaine...  Oh  !  saprelotte  I 
comme  il  prêcha,  Monsieur  le  curé  de  Balharguet  I...  J'aurais  beau 
vous  le  dire  jusques  à  |  «tmain... 

—  Et  sur  quoi  prêcha- t-il  donc  S'  bien  ? 

Sur  quoi?...  sur  le  malheur,  sur  la  misère  de  la  pauvre  Coulètoune 
qui,  hélas  !  après  une  longue  vie  de  tracas,  de  privations  et  de  souf- 
frances, se  trouvait  réduite  à  Taffreux  dénûment,  maintenant  que 
rincendie  avait  dévoré  les  derniers  biens  qui  lui  restaient  ;  sur  la 
charité,  le  plus  grand,  le  plus  saint  devoir  des  chrétiens,...  que  sais-je 
moi  ?..  Je  vous  dis  qu'il  prêcha,  deux  heures, d'affilée,  comme  jamais 
de  sa  vie  il  n'avait  prêché.  Et  vous  eussjez  sangloté,   ou  pleuré  ou 


5^  CONTES  LANGUEDOCIENS 

souscat,  ou  ploarat,  ou  badat  couma  lous  autres ,  vautres 
atabé,  amai  segués  pas  de  Balbarguet. 

Mes  lou  que  lou  mai  badèt  seguèt  lou  vièl  Crocacebas.  Âh  ! 
crese  que  si  que  badèt  aquel  d'aqui,  presemple!  Pioi,  sourti- 
guèt  un  das  prumiès,  escarrabilhat  couma  un  passerou,  la 
mina  risoulièira,  e,  sans  mai  d'armanaos,  galoi  e  ravoi, 
s'enanèt  querre  sa  cabra. 

^  Tè  !  diguèt  en  la  menant  à  la  panra  Couletouna,  as  agut, 
per  moia  !  trop  de  penas  :  aqui  ma  cabra,  te  la  done. 

Ë,  mai  countent  qu'una  cauquilhada  au  leva  dau  sourel, 
s'enanèt  alandà  la  porta  de  soun  estable. 

Lou  vèspre,  quand  Durand  fasiè  soun  cabus>  dos  cabras  que 
passavoun,  intrèroun  per  asard  dins  Testable  doubert;  mèsi 
quand  vouguèroun  sourti,  adissiàs  !  tout  seguèt  barrât  couma 
se  deu. 

Cau  vous  dire,  avans  d'anà  pus  lient,  qu'à  Balbarguet,  lou 
curât  es  pas  pus  ûer  que  quaucun  mai  :  nourris  de  pouls,  de 
canards,  de  lapins,  e  mèmamen  dos  cabras.  Quand  a  passât 
lou  tems  de  sègas,  que  siègue  lou  dimenche  ou  lous  jours  de 


admiré,  ébahis,  comme  les  autres,  vous  aussi,  bien  que  vous  ne  soyez 
pas  de  Balbarguet. 

Mais  celui  qui  admira  le  plus,  ce  fut  le  vieux  Crocoignons.  Ah  !  je 
crois  qu'il  écouta  bouche  bée  celui-là,  par  exemple  !  Puis,  il  sortit 
un  des  premiers,  sautillant  comme  un  passereau,  la  mine  réjouie,  et, 
sans  autre  forme  de  procès,  tout  guilleret,  tout  radieux,  il  s'en  alla 
quérir  sa  chèvre. 

—  Tiens  !  dit-il  en  la  menant  à  la  pauvre  Goulètoune,  tu  as  eu,  par 
ma  foi  !  trop  de  peines  :  voilà  ma  chèvre,  je  te  la  donne. 

Sur  ce,  plus  content  qu'une  alouette  au  lever  du  soleil,  il  s'en  fut 
ouvrir  grandement  les  portes  de  son  étable. 

Le  soir,  quand  Durand'  faisait  son  plongeon,  deux  chèvres  qui 
passaient,  entrèrent,  par  hasard,  dans  Tétable  grande  ouverte  ;  mais, 
quand  elles  voulurent  en  ressortir,  bonsoir  !  tout  fut  fermé  de  maî- 
tresse façon. 

Il  faut  vous  dire,  avant  d'aller  plus  loin,  qu'à  Balbarguet  le  curé 
n'est  pas  plus  fier  que  les  paysans  du  cru  :  il  élève  des  poulets,  des 

1  Nom  populaire  du  soleil. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  59 

senmana,  dona  lou  vanc  à  sas  cabras  que  s*envan  cercà  soun 
vieare  per  lou  campèstre. 

De  maoièra  que  dounc,  lou  dimenche  que  parlan,  las  dos 
cabras  quMntrèroun  enco  de  Crocacebas  se  capitavoun  tout 
juste  las  dau  capelan.  Aqueste,  couma  pensas,  seguèt,  Te ude- 
man,  prou  matiniè  per  las  veni  réclama. 

—  Escusàs,  moussu  lou  Curât,  diguèt  lou  yièl  Crocacebas^ 
aquelas  dos  cabras  soun  mieunas. 

—  Presemple,  soun  vostrasl...  E  desempioi  quoura,  sieu- 
plèt!...  D'abord  n*aviàs  pas  qu'una  e  m'en  dich  que  ier  la 
dounères  à  Couletouna. 

—  Es  be  per  aco.  Menjan  :  diguères  pas,  ier,  dins  vostre 
prone  :  n  Quau  baila  as  paures,  baila  à  Dieu  ?  » 

—  Si  fèt,  hou  diguère. 

—  E  i*ajustères  pas  :  a  Dieu  rend  lou  double  de  ce  que  ie 
bailoun  ?  » 

—  Tout  aco's  vrai,  mes... 

—  Ta  pas  de  mes,  moussu  lou  Curât  :  ai  donnât  una  cabra 
à  Couletouna,  lou  bon  Dieu  me  n*a  rendut  dos.  Se  i'avèsbailat 


canards,  des  lapins,  et  même  il  entretient  deux  chèvres.  Quand  le 
temps  de  la  moisson  est  passé,  que  ce  soit  le  dimanche  ou  les  jours  de 
semaine,  le  curé,  comme  tout  le  monde,  laisse  aller  ses  chèvres  en 
liberté  :  celles-ci  cherchent  leur  pâture  dans  les  haies  et  dans  les 
guérêts. 

Or,  les  deux  chèvres  qui  entrèrent  chez  Crocoignons,  ce  dimanche- 
là,  c'était  tout  justement  les  deux  chèvres  de  Monsieur  le  Curé. 
Celai-ci,  comme  bien  vous  pensez,  ne  tarda  pas,  le  lendemain  matin, 
à  venir  réclamer  son  bien. 

—  Faites  excuse.  Monsieur  le  Curé,  répondit  le  vieux  Crocoignons; 
ces  deux  chèvres  sont  à  moi. 

—  Par  exemple,  elles  sont  à  vous  I...  Et  depuis  quand,  s'il  vous 
plaît?...  D'abord,  vous  n'aviez  qu'une  chèvre,  et  l'on  m*a  môme  dit 
que  vous  l'aviez  donnée,  hier,  à  Coulètoune. 

—  Précisément,  c'est  pour  cela.  Voyons:  ne  dites-vous  pas,  hier , 
dans  votre  prône  :  «  Qui  donne  aux  pauvres,  prête  à  Dieu  ?  » 

—  Si  fait,  je  le  dis. 

—  Et  n'ajoutâtes-vous  pas  :  a  Dieu  rend  au  double  ce  qu'on  lui 
prête  ?  » 

—  Parfaitement,  mais... 


60  CONTES  LANGUEDOCIENS 

las  dos  vostras,  que  voq^d  rende  quatre  ou  nou,  aco  m'arregarda 
pas.  Mes  per  aqnestas,  soun  ben  mieunas  ! 
Ë  Tagèt  pas  plan  de  lou  tira  d*aqui. 

3.  —  La  Musica 

La  musica,  se  dis,  leva  dau  languimen  lous  esooutaires 
e  fai  leva  lou  pèd  asdansaires.  Yai  ben.E  as  musicaires  dequé 
ie  leva?...  Lous  musicaires,  aco  pot  lous  leva  de  pertout. 
S'hou  voulès  pas  creire,  escoutàs  aquesta. 

Zinzinzin,  lou  viôulounaire,  s^en  tourna  va  de  bon  mati,  —  èra 
pas  auba,  —  de  la  fèsta  de  Sauta-Rocs.  Pourtava,  qu'acos  èra 
un  présent  d'una  amiga,  dos  fougassas  roussèlas  e  bêlas  que- 
noun-sai. 

E  i'ar rivet  ce  qu'encara,  presemple!  jamai  de  sa  vida  i'èra 
pas  arrivât  :  faguèt  lou  rescontre  de  dous  loups  ;  dous. 

Emb'  aco,  r-  à  ce  que  dis,  —  se  dounèt  pas  à  la  pôu  e  agèt 
l'esprit  prou  pounchut  per  ie  bailà,  en  espérant,  sas  dos  fou- 
gassas tant  bêlas  e  tant  roussèlas.  Lous  dous  loups  se  ie  tra- 


—  11  n'y  a  pas  de  mais,  Monsieur  le  Curé:  j'ai  donné  une  chèvre  à 
Coulètoune,  le  bon  Dieu  m'en  a  rendu  deux.  Si  vous,  vous  avez  donné 
les  deux  vôtres,  quHl  vous  en  rende  quatre  ou  point,  ça  n'est  pas  mon 
affaire.  Mais,  pour  celles-ci,  elles  sont  bien  miennes  ! 

...  Et  il  n'y  eut  pas  moyen  de  le  tirer  de  là. 

3.  —  La  Musique 

On  dit  que  la  musique  tire  d'ennui  les  auditeurs  et  qu'elle  fait  tirer 
le  pied  aux  danseurs.  Fort  bien.  Et  aux  musiciens  que  leur  tire-t-elle?. .. 
Les  musiciens,  ça  peut  les  tirer  de  partout.  Si  vous  refusez  de  le 
croire,  écoutez  un  peu  l'histoire  que  voici  : 

Zinzinzin,  le  violoneux,  s'en  revenait  de  grand  matin,  —  ce  n'était 
pas  encore  l'aube,  —  de  la  fête  de  Saute- Rochers.  Il  portait,  pré- 
cieux présent  d'une  bonne  amie,  —  deux  fougaces  dorées  et  belles  à 
miracle. 

Et  il  lui  arriva  ce  qui  encore,  par  exemple!  ne  lui  était  jamais  arrivé 
de  sa  vie  :  il  rencontra  deux  loups  ;  deux. 

Dans  tout  ça, —  à  ce  qu'il  prétend,  —  la  peur  ne  le  saisit  pas  trop, 


CONTES  LANGUEDOCIENS  6l 

guèroun  dessus,  affamats  :  e  gnieu  !  e  gnaa  !  brafa  tus,  brafa 
iéu!  Entramen,  Zinzinzin  s*entanchèt  d*escarlimpà  sus  un 
aubre  e,  coumaabitava  sus  la  pus  grossa  branca,  vai  se  capità 
qu^un  boutou  de  sa  vèsta  rasclèt  contra  una  corda  de  soun 
esturmen,  ce  que  faguèt:  Zan/.,, 

Lous  dons  loups  issèroun  las  aurelhas. 

—  Outre,  sou-diguèt  Tome,  semblariè  que  yoloun  dansa!... 

B,  zou  1  rascla  que  rasclaràs  :  «  E  io  tant-là,  passa  se  vos 
passa:,  » 

Ah  I  moun  bel  amie,  auriàs  vist  couri  aqueles  loups!... 
Couma  quand  vous  demandoun  de  pagà  vostres  vièls  deutes. 

~  Oh  !  sacre -noum-de-sort!  bramava  Zinzinzin;  s'agèsse 
iéu  sachut  qu'aimessiàs  tant  la  musica,  auriàs  pas  agut  mas 
dos  fougassas,  voulursl... 

4.  —  De-Profundis  per  Nostre-Segne 

Despioi  que  i*a  de  Pénitents  blancs  à  Balharguet,  ce  que  se 
leva  à  las  quêtas,  oufrandas,  e  dequé  sabe  iéu,  lou  jour  dau 
Divendres-Sant,  es,  de  drech,  per  la  Counfrariè. 


et  il  eut  assez  de  présence  d'esprit  pour  jeter,  tout  d'abord,  aux  deux 
maudites  bêtes,  ses  fougaces  si  belles  et  si  dorées.  Les  loups  se  pré- 
cipitèrent dessus,  affamés  :  et  grouin  !  et  grouan  !  bouffe,  toi  !  bouffe, 
moi  !...  Pendant  ce  temps,  Zinzinzin  se  hâta  de  grimper  sur  un  arbre. 
11  atteignait  la  plus  grosse  branche,  lorsque,  par  hasard,  un  bouton 
de  sa  veste  racla  Tune  des  cordes  de  son  instrument,  ce  qui  fit  izan  I 
Les  deux  loups  dressèrent  les  oreilles. 

—  Ouais  ! ...  dit  le  bonhomme,  semble-t-il  pas  qu'il  veulent  danser?. . . 
Et,  zou!  râcIe  que  racleras  :  €  Eio  ianUlà^ passez  et  repassez.,.  » 
Ah  I   Messeigneurs,  vous    auriez  vu  courir  ces- loups  !...  Comme 

lorsqu'on  vous  réclame  le  paiement  de  vos  vieilles  dettes. 

—  Oh!  sacré-nom  du  sort!  braillait  Zinzinzin;  que  n^ai-je  connu 
plus  tôt  votre  ardent  amour  de  la  musique  :  vous  n'auriez  pas  eu  mes 
deux  fougaces,  voleurs  !... 

4.  —  De  Profandis  pour  Notre-Seigneur 

Depuis  qu'il  y  a  des  Pénitents  blancs,  à  Balharguet,  le  produit  des 
quêtes,  offrandes  et  tutti  quanti  effectuées  le  Vendredi-Saint,  appar* 
tient,  de  plein  droit,  à  la  Confrérie. 


62  CONTES  LANGUEDOCIENS 

Aqnel  an,  lou  capelan  toambèt  malaute,  malaute  que  de 
talamen,  lou  Dijôus-Sant  au  vèspre.  E  caliè  pas  pensa  que  se 
pousquèsse  leva  Tendeman,  nimai  èra  pas  causa  prèsta  per 
faire  veni  un  curât  d'en  quicon-mai. 

Lous  Pénitents^  pecaire  !  èroun  desvariats.  Pas  ges  de  ca- 
pelans,  pas  ges  d'oufices,...  e  pas  ges  d'argent  atabé.  Coussi 
faire?  S'aoampèroun  toutes,  tant  que  seguèroun,  dins  sa  Ca- 
pèla,  chacun  diguèt  sa  moucioun,  chamalhèroun  dos  ouras  de 
reloge,  e,  finalamen,  decidèroun  que  lou  Prieu  fariè  lou  cape- 
lan. Era  un  orne  d'âge,  serions,  que  sabiè  toutes  lous  ouûces 
de  per  cor.  Dins  d'abilhages  de  glèisa,las  gens  lou  prendrièn 
facillamen  per  quauque  capelan  estrangè. 

De-fèt,  Fouace  se  diguèt,  couma  à  Tacoustumada.  Lou  Prieu 
s'en  tirava  mai-que-ben.  E  mêmes,  quand  seguèt  au  moumen 
que  se  eau  aloungà  au  pèd  de  Tautèl  per  faire  veire  que  lou 
Bon-Dieu  vèn  de  mouri  sus  la  crous,  se  virant  de -vers  lou 
pople  aginoulhat,  lou  Prieu  ajustèt  aiço  de  soun  sicap  : 

—  E  ara,  mous  fraires,  diguen  toutes  un  de-profundis  per 
lou  paure  Nostre-Segne  que  vèn  de  mouri  :  lou  Bon-Dieu 
reçage  soun  ama  I . . . 


Cette  année-là,  le  curé  tomba  malade,  malade  gravement,  le  Jeudi- 
Saint  dans  la  soirée.  Et  il  ne  fallait  pas  penser  qu'il  put  se  lever  le 
lendemain.  Et  c'était  trop  tard,  aussi,  pour  mander  un  abbé  de  quelque 
autre  paroisse. 

Les  Pénitents,  hélas!  étaient  tout  effarés  et  consternés.  Pas  de 
prêtre,  pas  d'offices...  et  point  d'argent  non  plus.  Comment  faire  ?  Us 
s'assemblèrent  tous,  tant  qu'ils  furent,  dans  leur  chapelle,  chacun 
émit  sa  motion,  ils  chamaillèrent  deux  heures  durant,  et,  en  fin  de 
compte,  ils  décidèrent  que  le  Prieur  tiendrait  la  place  du  curé.  C'était 
un  homme  d'âge,  sérieux,  sachant  tous  les  offices  sur  le  bout  du  doigt. 
Sous  des  vêtements  d'église,  les  gens  le  prendraient  facilement  pour 
quelque  prêtre  étranger. 

En  effet,  l'office  fut  célébré  comme  à  l'accoutumée.  Le  Prieur  s'en 
tirait  admirablement.  Et  même,  quand  il  en  fut  à  cet  endroit  où  l'of- 
ficiant doit  se  coucher  au  pied  de  l'autel,  pour  exprimer  plus  fortement 
que  Jésus  expire  sur  la  Croix,  faisant  face  au  peuple  à  genoux,  le 
Prieur  ajouta  ceci  de  son  propre  chef: 

—  Et  maintenant,  mes  frères,  disons  tous  un  de  profundis  pour 
le  pauvre  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  vient  de  mourir  :  Dieu 
veuille  recevoir  son  âme  I... 


CONTES  LANGUEDOCIENS  6  3 

5.  —  La  Gateta  blanca 

Un  cop  Taviè  'n  segnou  qu'aviè  'n  vièl  castèl  dins  un  bosc. 
Mes  dins  aqael  castèl  degus  poudié  pas  ie  demourà,  de  tant 
que  la  nioch  ie  veniè  de  trèvas. 

Lou  segnou  faguèt  assaupre  que  bailariè  mila  francs  à 
toutes  lous  qu'anarièn  coucha  dins  soun  castèl  una  soula 
niouchada. 

Una  vièlha,  qu'aviè  'na  cateta  blanca,  diguèt: 

—  léu,  i'anarai. 

Prenguèt  un  gigot  de  moutou  e  i*anèt  embé  sa  cateta.  Alu- 
mèt  un  grand  fioc,  faguèt  coire  sount  gigot,  n'en  bailèt  la 
mitât  à  sa  cateta  e  mangèt  Tautra  mitât. 

Vejaqui  que,  quand  se  sarrèt  mièja-iiioch  :  «  Boum  I  boum  ! 
boum  !  )>  quaucun  tabasèt  la  porta. 

—  Ë  diga-ie  que  courdures,  que  podes  pas  i'anà  doubri, 
faguèt  la  cateta. 

—  Courdure.  Pode  pas  veni  vous  doubri. 

Un  parel  d'ouradas  après  :  «  Boum  !  boum  I  boum  I  x> 


5.  —  La  petite  Chatte  blanche 

11  était  un  fois  un  seigneur  qui  avait  un  vieux  château  dans  un  bois. 
Mais  ce  vieux  château,  personne  ne  pouvait  l'habiter,  parce  qu'il  était 
hanté,  la  nuit,  par  des  revenants  et  des  fantômes. 

Le  seigneur  fit  assavoir  qu'il  donnerait  mille  franco  à  tout  homme 
ou  toute  femme  qui  coucherait  dans  son  château,  une  seule  nuitée. 

Une  vieille,  qui  avait  une  petite  chatte  blanche,  dit  : 

—  Moi,  j'irai. 

Elle  prit  un  gigot  de  mouton  et  s'en  fut  au  château  avec  sa  chatte 
blanche.  Elle  alluma  un  grand  feu^  fit  cuire  son  gigot,  en  donna  une 
moitié  à  sa  chatte  blanche  et  mangea  l'autre  moitié. 

Voilà  que,  sur  le  coup  de  minuit:  «  Boum!  boum  I  boum  !  »  quelqu'un 
heurta  très  fort  à  la  porte. 

—  Dis  que  tu  couds,  que  tu  ne  peux  pas  aller  ouvrir,  fit  la  chatte 
blanche. 

—  Je  couds.  Je  ne  peux  pas  venir  vous  ouvrir. 

Une  couple  d'heures  après:  u  Bopm!  boum!  boum  !  » 


64  CONTES  LANGUEDOCIENS 

—  E  diga-ie  que  laves  la  terralha. 

—  Lave  la  terralha.  Pode  pas  veni  vons  doubri. 

Un  parel  d'ouradas  après:  «  Boom!  boum!  boum!  » 

—  E  diga-ie  qu'escoubes  Toustau. 

—  Escoube  Toustau.  Pode  pas  veni  vous  doabri. 

E  pioi  lou  jour   venguèt.  La  vièlha    sourtiguèt  embé  sa 
catetae  anèt  enco  dau  segnou  que  ie  bailèt  sous  mila  francs. 
Una  vesina  d'aquela  vièlha  venguèt  ie  dire  : 

—  Prestàs-me  vostra  cateta  que  iéu  i*anarai,  atabé,  gagna 
mous  mila  francs. 

—  Aqui  Tavès.  Prendrés  un  gigot  e  n'i  'en  dounarés. 

La  vesina  prenguèt  un  gigot  de  moutou  e  i'anèt  embé  la 
cateta.  Alumèt  un  grand  ûoc,  faguèt  coire  soun  gigot,  lou 
mangèt  e  bailèt  pas  que  lous  osses  à  la  cateta. 

Yejaqui  que^  quand  se  sarrèt  mièja-nioch  :  a  Boum  !  boum  ! 
boum  !  »  quaucun  tabasèt  la  porta. 

—  E  diga-ie  que  courdures,  se  vos,  faguèt  la  cateta  d'un 
er  de  fougna. 

—  Courdure.  Pode  pas  veni  vous  doubri. 


—  Dis  que  tu  laves  la  vaisselle. 

—  Je  lave  la  vaisselle.  Je  ne  peux  pas  venir  vous  ouvrir. 
Une  couple  d'heures  après  :  «  Boum!  boum!  boum!  » 

—  Dis  que  tu  balaies  la  maison. 

—  Je  balaie  la  maison.  Je  ne  peux  pas  venir  vous  ouvrir. 

Et  puis  le  jour  vint.  La  vieille  sortit  avec  sa  chatte  blanche  et  s'en 
fut  chez  le  seigneur  qui  lui  remit  ses  mille  francs. 
Une  voisine  de  cette  vieille  vint  lui  dire  : 

—  Prêtez-moi  votre  chatte  blanche:  j'irai^  moi  aussi,  gagner  mes 
mille  francs 

—  La  voilà.  Vous  prendrez  un  gigot  et  vous  lui  en  donnerez. 

La  voisine  prit  un  gigot  de  mouton  et  s'en  fut  au  château  avec  la 
chatte  blanche.  Elle  alluma  un  grand  feu,  fit  cuire  son  gigot,  le 
mangea  et  ne  donna  que  les  os  à  la  chatte  blanche. 

Voilà  que,  sur  le  coup  de  minuit  :  «  Boum  !  boum  !  boum  !  »  quel* 
qu'un  heurta  très  fort  à  la  porte. 

—  Dis  que  tu  couds,  si  tu  veux,  conseilla  la  chatte  blanche,  d*an 
air  boudeur. 

—  Je  couds.  Je  ne  peux  pas  venir  vous  ouvrir. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  «5 

Un  parel  d'ouradas  après  :  «  Boum  !  boum  !  boum  !  » 

—  E  diga-ie  que  laves  la  terralha,  se  vos. 

—  Lave  la  terralha.  Pode  pas  veni  vous  doubri. 
Un  parel  d'ouradas  après  :  «  Boum  !  boum  I  boum  !  » 

—  E  doubris-ie,  se  vos. 

La  vesina  anèt  doubri.  Intrèt  un  ome.  La  cateta,  entra- 
men^  s*amaguèt  dins  lou  poutagè. 

—  Boudieu  I  moussu,  qu'avès  unagrossa  testa? 

—  Es  per  milhou  tène  moun  capèl. 

—  Boudieu!  moussu,  qu'avès  de  grands  lois? 

—  Es  per  milhou  veire  lou  mounde. 

—  Boudieu  !  moussu,  qu'avès  de  longas  dents  ? 

—  Es  per  milhou  manjà  las  fennas  trop  curiousas. 

E  la  mangèt.  Pioi,  quand  seguèt  manjada,  s'enanèt.  La 
cateta  aladounc  sourtiguèt  dau  poutagè  e  s'entournèt  enco  de 
sa  mèstra. 

—  Eh!  be,  dequ*as  fach  de  la  vesina? 

—  La  trèva  Ta  manjada. 

—  Goussi? 


Une  couple  d'heures  après  :  «  Boum  !  boum  !  boum  !  i^ 

—  Dis  que  tu  laves  la  vaisselle,  si  tu  veux. 

—  Je  lave  la  vaisselle.  Je  ne  peux  pas  venir  vous  ouvrir. 
Une  couple  d'heures  après  :  «  Boum  !  boum  !  boum  !  » 

—  Et  ouvre  donc,  si  tu  veux. 

La  voisine  alla  ouvrir.  Un  homme  entra.  La  chatte  blanche,  cepen- 
dant, s'était  cachée  dans  le  cendrier. 

—  Bon  Dieu  !  Monsieur,  que  vous  avez  une  grosse  tête  ? 

—  C'est  pour  mieux  tenir  mon  chapeau . 

—  Bon  Dieu!  Monsieur,  que  vous  avez  de  grands  yeux  ? 

—  C'est  pour  mieux  voir  mon  monde. 

—  Bon  Dieu  !  Monsieur,  que  vous  avez  de  longues  dents  ? 

—  C'est  pour  mieux  manger  les  femmes  trop  curieuses. 

Et  il  la  mangea.  Puis,  quand  il  l'eut  mangée,  il  s'en  alla.  La 
chatte  blanche  sortit  alors  de  sa  cachette  et  retourna  chez  sa  mai- 
tresse. 

—  Eh(  bien,  qu'as-tu  fait  de  la  voisine? 

—  Le  revenant  l'a  mangée. 

—  Comment? 


66  CONTES  LANGUEDOCIENS 

—  Ci.  M*ayiè  pas  bailat  que  loos  osses  dan  gigot  :  i*ai 
dich  d^anà  doabrie  la  trè^a  Ta  manjada. 

Loa  gai  cantèt 
B  la  Boorneta  finigaèt. 

Mourala.  —  S'avès  ana  cateta,  qae  siègae  blanca  ou  non, 
avûiàa-yoaB  an  mens  de  ie  bailà...  d*argent. 

6.  ^  Ranba-CkLliaas 

CoHintaya  per  una  cassibralha  dan  promiè  namerot.  Viviè 
pas  que  à^amoulèn  rapidmtis  e  la  soola  causa,  saique,  qu^agèsse 
pas  raubat  èra  soun  noum.  Ah  1  fiques,  nàni,  Taviè  pas  raubat  1 
Ges  lou  poudièn  pas  milhou  caussà  qu^aquel,  d^abord  que  per 
las  galinas  èra  la  grèlla  e  que  n*en  fasiè  fi.  N*aviè  rapugat,  el 
soûl,  tant  e  mai  que  lou  pus  fier  rainard  de  la  creacioun 
desempioi  que  mounde  es  mounde,  e  sans  que  jamai  degus 
Tagèssepouscut  faire  agantà,  ni  per  gardas,  ni  per  gendarmas, 
ni  per  foutre  ni  montre.  Me  levarièn  pas  de  la  testa  qu^aquel 
paure  coulas  aviè  fach  pache  embé  lou  diable. 


—  Coi.  Elle  ne  m'avait  donné  que  les  os  dn  gigot  :  je  lui  ai   dit 
d* aller  ouvrir  et  le  revenant  l'a  mangée. 

Le  coq  chanta. 
Et  la  sornette  finit  là. 

Morale.  Si  vous  avez  une  petite  chatte,  qu'elle  soit  blanche  ou  non, 
avisez- vous  au  moins  de  lui  tenir...  de  Targent. 

6.  —  Fléau   des  Poules 

C'était  une  canaille  de  la  plus  belle  eau.  Il  ne  vivait  que  de  rapines, 
et  la  seule  chose,  sans  doute,  qu'il  n'eût  point  volée,  c'était  son  nom. 
/Vhl  mâtin,  non,  il  ne  l'avait  pas  volél  Aucun  autre  ne  l'eût  chaussé 
mieux  que  celui-là,  car,  vraiment,  il  était  TAttila  des  poules,  le  vrai 
fléau  des  basses -cours.  A  lui  seul,  il  avait  raflé  plus  de  volailles  que 
le  plus  fameux  renard  delà  Création,  depuis  que  le  monde  est  monde. 
Et  jamais  personne  ne  l'avait  pu  faire  prendre,  ni  par  des  gardes,  ni 
par  des  gendarmes,  ni  d'aucune  manière. On  ne  m'arracherait  pas  de  la 
tête  que  ce  bandit-là  avait  fait  pacte  avec  le  diable. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  67 

Eh!  be,  quand  seguèt  prou  vièl,  tout  deglesit  e  mièoh 
escrancat,  que  per  força  ie  cauguèt  dire  adieu  à  soun  vilèn 
mestiè,  agèt-ti  pas  lou  front  de  voudre  faïre  la  bugada  de  sa 
coanciença  gamada  e  de  8*anà  counfessà?... 

Lou  capelan,  que  counouissiè  Toubriè,  —  èra  lou  paure 
moussu  Fangous,  pecaire  !  —  ie  diguèt  couma  aiço  : 

—  M'anés  pas  cercà  d'armanacs^  sieuplèt,  e  coupon  court» 
Quant  de  oops  n'avès  raubat  de  galinas  ? 

—  Ah  !  presemple,  moussu  lou  Curât,  se  m'hou  caliè  dire 
serièi  be  dins  Temboul.  S'es  pas  gaire  passât  de  senmanas, 
durant  una  orantena  d'ans,  sans  que  n'en  faguèsse  lou  croc  per 
qaaucas  unas. 

—  Digàs-me,  aladounc,  quanta  es  estada  vostra  pus  forta 
rafla.  Cinq?...  dèch  ?... 

—  Dèch,  dises? 

—  Vint? 

—  Doublas,  moussu  lou  Curât. 

—  Malurous,  quaranta? 

—  Ni  mai,  ni  mens  :  Tavès  devignat. 

—  Quaranta  galinas  d'un  oopl...  e  avès  raubat  quau  sap 


Eh  bien!  quand  il  fut  très  vieux,  cacochyme  et  mi-décrépit,  quand 
il  dut  renoncer,  bon  gré  mal  gré,  à  son  vilain  métier,  n'eût-il  pas  le 
front  de  vouloir  lessiver  sa  conscience  pourrie,  et  n'alla-t-il  pas  se 
confesser?... 

Le  curé,  qui  connaissait  le  paroissien,  —  c'était  défunt  M.  Fangous, 
le  pauvre  I  —  lui  parla  comme  ceci  : 

~  N'allez  pas,  s'il  vous  plaît,  me  conter  des  sornettes,  et  coupons 
court.  Combien  de  fois  avez-vous  volé  des  poules  ? 

—  Ahl  par  exemple.  Monsieur  le  curé,  s'il  fallait  que  je  le  dise, 
je  serais  bien  embarrassé.  11  ne  s'est  guère  passé  de  semaines,  durant 
une  quarantaine  d'années,  sans  que  je  ne  m'en  approprie  délicatement 
quelques-unes. 

—Dites-moi,  alors,  quelle  a  été  votre  plus  grande  rafle.  Cinq  ?. .  Dix  ?  . 

—  Dix,  dites-vous? 

—  Vingt  ? 

—  Doublez,  Monsieur  le  curé. 
~  Misérable,  quarante  ? 

—  Ni  plus,  ni  moins  :  vous  l'avez  deviné. 

—  Quarante  poules  en  une  seule  fois!...  Et  vous  avez  volé  qui  sait 


68  CONTES  LANGUEDOCIENS 

quant  de  copsi...   Nàni  !   oh!  nàni ,   pode  pas  vous  bailà 
Tassoulucioun.  Aco'  s  trop.  Vous  caudriè  restitua. 

—  Mes,  vesès  be,  moussu  lou  Curât,  qu'es  pas  poussible. 

—  E  coussi  voulès,  atabéy  qu*au  Bon-Dieu  ie  siègue  poussi- 
ble  de  vous  perdounà  quand,  au  jour  dau  jujamen,  tout  aoo 
ie  sera,  amount,  per  vous  enculpà,  se  restituas  pas?,.. 

—  Coussi,  moussu  lou  Curât,  las  galinas  ie  seran  ? 

—  Ben  segu  que  ie  seran. 

—  Amai  sous  mèstres?... 

—  Amai  sous  mèstres. 

—  Dequé  me  dises  aqui  I...  Restituarai,  moussu  lou  Curât, 
restituarai,  seguès  tranquille.  D'abord  que  las  galinas  e 
sous  mèstres  ie  seran,  amoundaut,  pas  tant  foutrau  que  de 
pas  restituai...  Chacun  ie  reprendra  las  sieunas,  pas  vrai? 
Boutas,  poudès  me  bailà  l'assoulution  sans  crenta  :  vous 
assegure  que  ie  las  quitarai  prene  1... 

7.  —  Pic  e  Repic 

Mèstre  Jan  Cougourla  qu*aviè,  saique,  las  idèias  dins  lous 
nivous,  aquelvèspre,  intrèt,  per  distracioun,  enco  d'un  apou- 


combien  de  fois  !...  Non  !  ohl  non,  je  ne  puis  pas  vous  donner  Tabso- 
lution.  C'est  beaucoup  trop.  Il  faudrait  restituer. 

^  Mais,  vous  voyez  bien,  Monsieur  le  curé,  que  la  chose  n'est  pas 
possible. 

—  Et  comment  voulez-vous,  aussi,  qu'il  soit  possible  à  Dieu  de 
vous  pardonner  quand,  au  jour  du  jugement,  tout  ça  sera  là-haut 
pour  vous  accuser  ,  si  vous  n'avez  pas  restitué  ? 

—  Comment,  Monsieur  le  curé,  les  poules  y  seront? 

—  Certainement  qu'elles  y  seront. 

—  Ainsi  que  leurs  vrais  maîtres  ? 
-—  Ainsi  que  leurs  vrais  maîtres. 

—  Que  me  dites- vous  là  !...  Je  restituerai,  Monsieur  le  curé,  je 
restituerai,  soyez  tranquille.  Puisque  les  poules  et  leurs  maîtres  se- 
ront là-haut,  pas  si  bête  que  de  ne  pas  restituer  1...  Chacun  y  repren- 
dra les  siennes,  n'est-ce  pas?...  Allez!  Allez,  vous  pouvez  me  donner 
l'absolution  :  je  vous  assure  que  je  les  leur  laisserai  prendre  !... 

7.  —  Dn  Tac  an  Tac 

Maître  Jean  Citrouille  qui  avait,  sans  doute,  les  idées  un  tantinet 


CONTES  LANGUEDOCIENS  69 

ticaire  de  la  villa  en   creseguent  d'intrà  dins  un  bnrèu  de 
tabat.  Tout  aco  pot  arriva. 

Pamens,  un  cop  en  mitan  de  la  boatiga,  s'avisèt  de  sa 
bardoutada. 

—  Ëscusàs,  moussu,  faguèt  au  vendeire  de  poutingas  ; 
saique  me  serai  troumpat.  Dequé  vendes  aici  ?... 

L'autre,  un  jouine  escoulan  drouguiste,  de  veire  Ter  favàs 
de  Tome,  se  pensèt  qu*aviè  à  faire  en  quauque  Jan-iou-Sot, 
e  que  ie  passava  bêla  per  loa  galejà. 

—  Vendèn,  sou-dis,  de  testas  d'ase, 

—  Badinas?... 

—  Noun  pas  de  segu...  oh  !  cerqués  pas,  las  avèn  pas  aici 
dedins  :  las  tenèn  dins  un  membre  pus  fresc,  aqui  darriès  lou 
magasin...  Mes  se  vou*n  caliè  una?... 

—  Ara  me  parlas  couma  se  deul...  Tamben,  me  disièi: 
per  un  magasin  de  testas  d*ase  soun  pas  gaire  coussuts,  n'en 
veses  pas  mai  qu'une...  Adissias,  moussu:  lou  bon  Dieu  vous 
la  mantengue  ! 

...  Tau  crei  de  guilhà  Guilhot —  Es  el  souvent  que  Guiihot 
guilha.  G.  Thbrond. 


embrumées  ce  soir-là,  entra,  par  distraction,  chez  au  apothicaire  de 
la  ville,  croyant  bel  et  bien  entrer  dans  un  bureau  de  tabac.  Tout 
ça  peut  arriver. 
Cependant,  quand  il  fut  dans  la  boutique,il  s'aperçut  vite  de  sa  méprise. 

—  Excusez-moi,  monsieur,  dit-il  au  vendeur  de  drogues,  je  me 
serai  probablement  trompé.  Que  vendez-vous  ici  ? 

Le  marchand,  un  jeune  élève  en  pharmacie,  voyant  Tair  nigaud  du 
bonhomme,  pensa  qu'il  avait  affaire  à  quelque  Jean -le- Niais,  et  que 
roccasion  se  présentait  belle  de  rire  un  brin  aux  dépens  d'autrui. 

—  Nous  vendons,  dit-il  des  têtes  d'ânes. 

—  Vous  badinez  ?,.. 

—  Non  pas,  certes...  oh  I  ne  cherchez  pas,  nous  ne  les  avons  pas  ici 
dedans  ;  nous  les  tenons  dans  une  pièce  plus  fraîche,  là,  derrière  le 
magasin...  Mais  s'il  vous  en  fallait  une?... 

—  Maintenant  vous  me  parlez  comme  il  faut!...  Aussi,  je  me 
disais:  pour  un  magasin  de  têtes  d'ânes  ça  n'a  pas  l'air  très  assorti,  on 
n'en  voit  qu'une...  Bonsoir,  Monsieur:  le  bon  Dieu  vous  la  conserve  ! 

...  Tel  cuide  se  gausser  d'aultrui  —  Qu'aultrui  souvent  de  lui  se 
gausse. 

(il  suivre.)  G,  T. 


ÉTABLISSEMENT  DU  MARCHÉ 
A  MONTAGNAC 


Le  document  suivant  n'est  pas  daté,  mais  récriture  et  sur- 
tout le  nom  de  Tévêque  d*Agde,  par  lequel  il  débute,  permettent 
de  suppléer  à  cette  absence  de  date.  L*écriture  paraît  être  de 
la  fin  du  XIIP  ou  du  commencement  du  XIV*  siècle.  Le  nom 
de  l'évéque  est,  sans  conteste  possible,  bien  qu'une  partie  de 
la  première  lettre  soit  déchirée,  Tésive  ou  Tésine.  Or,  si  Ton 
se  rapporte  à  la  Gallia  christiana^  on  trouve  un  nom  d'évêque 
qui  se  rapproche  beaucoup  de  celui-ci,  c'est  Thédise,  qui 
occupa  le  siège  épiscopal  d'Agde  de  1215  à  1233.  Thédise  est 
incontestablement  l'auteur  de  la  concession  d«  la  charte 
qu'on  va  lir^,  parce  qu'il  est  le  seul  évéque  d'Âgde  qui  ait 
été  seigneur  de  Montagnac.  On  peut  donc  dater  du  premier 
tiers  du  XIII*  siècle  l'établissement  du  marché  hebdomadaire 
du  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Béziers. 

Mais  ce  n'est  qu'une  copie  que  nous  avons  eue  sous  les 
yeux,  ne  portant  pas  plus  de  date  que  de  signature  ou  de 
sceau,  et  l'écriture  permet  d'avancer  que  cette  copie  est 
postérieure  d'au  moins  cinquante  ans  à  l'original.  Là,  peut- 
être,  se  trouve  Texplication  de  la  mauvaise  orthographe  du 
nom  de  Tévêque. 

Ce  document  fait  partie  des  Archives  communales  de 
Montagnac^  liasse  I,  n°  9.  Ces  Archives,  très  riches,  et  qu'il 
nous  a  été  donné  de  parcourir  cinq  ou  six  jours  durant,  ne 
sont  pas  encore  inventoriées.  Mais  nous  savons  qu'elles  sont 
en  bonnes  mains  et  que  l'inventaire  se  fera  un  jour.  Sou- 
haitons ,  dans  l'intérêt  de  l'histoire  et  de  la  philologie,  que 
ce  jour  soit  prochain. 

Aug.  Vidal. 

Te8ive,divina  permi88io[ne]  avesque  d'Agde,  a  totz  losfizels  deCrist 
als  quais  las  letras  p  (mot  illisible),  salutz  e  nostre  senhor  Jhu  Crist. 
Fer  las  presens  letras  volem  esser  manifestât  que  nos,  de  cossell  e 


ÉTABLISSEMENT  DU  MARCHÉ  A  MONTAGNAC    71 

de  voluntat  d*en  Ouillem  de  Montanhac  menutz,  en  Pos  de  Mod- 
tanhac  e  d*en  Guillem  de  Montanhac,  senhors  del  castel  deMontanhac, 
conestablem  per  tosz  temps  for  o  mercat  el  castel  davanditzt  en  aytal 
manîeyra  empro  que  aqui  feria  sexta  o  el  dia  de  divendres  sia  fais  a 
toUs  tems  ;  establem  yplamens  que  las  costumas  que  en  la  cieutat 
d'Agde  so  servadas,  el  for  el  castel  de  Montanhac  sian  servadas  las 
costumas,  empro  son  aytals  :  Quique  majso  propria  en  la  cieutat 
d'Agde  non  a,  si  ven  blat  quai  que  sia  pagua  de  cascu  sestier  una 
copa  que  es  la  (mot  illisible  sS^')  part  d'aquel  sestier.  Item,  quique 
caval  vendra  el  for  o  el  mercat,  tan  comprayre  quan  vendeyre,  sino 
n*e8  cieutadas  d*Agde,  paga  XII  d.  Item,  cascus  comprayre  e  ven- 
deyre estrang  de  cascu  moto  e  de  cascuna  feda  paga  mesalla.  Item, 
de  cascuna  cabra  e  de  cascun  boc  paga,  cascus  estrang,  poges.  Item, 
de  cascuna  porc  o  trueja,  I  den.  Item,  de  dozena  de  pels  comprayre  e 
vendeyre  estrang,  III  mesaillas.  Item,  de  saumada  de  blat,  si  es  ven- 
dada,  paga  mesalla.  Item  sabatier  e  coyratier,  si  tenon  el  for  e  el 
mercat,  cascus  paga  pogesa.  Item,  drapier,  cascus,  pogesa;  si  empro 
menon  bestia,  mesalla.  Item,  de  saumada  de  sebas,  de  tota  frucha, 
si  alcuna  caso  la  menon  ne  vendra,  dona  mesalla.  Item,  de  dotzena 
de  fromatges  menutz  o  grands,  comprayre  e  vendeyre  estrang  paga 
III  mesallas.  Item,  quique  vi  estrang  aportara,  e  pueis  vendra  aquel 
vi  en  la  cieutat  d*Agde  a  taverna,  sia  cieutadas  d'Agde  o  non,  paga 
II  den.  de  cascu  mieg.  Item,  cascu  maselier  que  buou  o  vaca  vendra 
el  masel  dona  la  lenga  d*aquel  meteis  buou  o  d^aquela  mesennia 
vaca;  si  empro  porc  o  trueja  vendra,  dona  llllbes.  ^;  si  empro 
av[e]rt  om  que  non  sia  maseliers  buou  o  vaca  vendra  o  porc  o 
trueyas  el  masel,  si  maiso  propria  non  a  en  la  vila  d'Agde,  paga  aco 
metens.  Item,  de  cascu  cuer  de  buou  e  de  cascuna  bestia  grossa 
cascus  compraire  e  vendeire  estrang  paga  de  cascu  cuer  I  den. 


*  La  vraie  lecture  est  :  quatre  jambages  surmontés  du  signe  abré- 
viatif  de  m  et  bes  avec  un  intervalle  entre  b  et  es.  Faut-il  lire  membres, 
ou  bien  IIII  pes  ? 


VARIÉTÉS 


LA  SANTO  ESTELLO  A  MAGUELONNE 

Le  27  mai  1900,  vers  les  dix  heures  du  matin,  la  place  de  la  Comédie 
est  noire  de  monde.  Les  félibres  arrivent  et  se  dirigent  vers  la  gare 
de  Palavas  pour  se  rendre  à  Maguelonne.  Devant  le  square,  on  aper- 
çoit Mistral,  Félix  Gras,  à  qui  de  nombreuses  personnes  se  font  pré- 
senter. 

Le  train  qui  emporte  les  félibres  s'arrête  aux  Quatre-Ganaux  où 
les  attend  un  bateau  pavoisé.  Tandis  qu'il  remonte  lentement  vers 
Maguelonne,  on  chante  en  chœur  lou  soulômi  de  la  Rèino  Jano. 

Le  cortège  félibréen  a  déjà  été  précédé  d'une  foule  de  personnes 
venues  les  unes  à  pied,  les  autres  à  bicyclette  ou  en  voiture.  Il  y  a, 
sur  les  vertes  pelouses  de  Maguelonne,  près  de  trois  cents  personnes, 
disposées  soit  à  se  ranger  auprès  des  longues  tables  placées  à  Tombre 
des  grands  arbres,  soit  à  entamer,  derrière  les  massifs,  les  provisions 
qu'elles  ont  apportées. 

Mais  auparavant,  M.  Fabrège,  qui  a  offert  si  gracieusement  sa  pro- 
priété pour  cette  fête,  fait  visiter  Téglise,  et  donne  à  son  sujet  les 
renseignements  les  plus  intéressants. 

Le  temps  est  magnifique,  pas  un  souffle,  la  mer  bleue  est  calme  et 
muette.  A  midi  on  se  met  à  table  et  chacun  trouve  à  sa  place  Toriginal 
menu  que  voici  : 

CARTULARI   DE   LA   DINNADA 
DB  LA   SANTA-BSTBLLA   MA6AL0UNENCA 

27  de  mai  1900. 
APETISSADISSKS 

Saussissot  dau  Carsi 
Burre  dau  Clapas 
Garamotas  de  Testang  de  Tau. 

RELEVAT 

Boucada  de  Pèire  de  Prouvença  à  la  Bella  Magalouna. 
Boui-abaissa  de  las  Cabanas. 

INTRADA 

Costa  d^agnèl  dau  Pioch  de  Sant-Loup 
Filet  de  biôu  de  la  Jarjalhada. 


VARIÉTÉS  7  3 

ROUSTIT 

Capoas  e  pintadas  dau  mas  de  Fangousa. 

LBGUN 

Espàrgous  de  la  Gardiola. 

BNTRE-MÈS 

Reiaume  de  la  Rèina  Jana 
Fragas  e  dessèr. 

VINS 

Vin  blanc  dau  Sendic 
Froimtignan 
Saint-Jôrdi. 
Servit  à  Magalouna  pèr  Toste  Favier,  de  Mount-Peliè. 

Vers  la  fin  du  dîner,  Mistral  se  lève  et,  tenant  à  la  main  la  coupe 
d'argent  remplie  de  vieux  frontignan,  il  entonne  l'hymne  félibréen  : 
Coupo  santo,  qui  est  repris  en  chœur  par  toute  l'assistance. 

Puis,  c'est  le  capoulié  Félix  Gras,  qui  prononce  le  discours  sui- 
vant : 

Messies  b  gai  Gounfrairb, 

La  Mar  nous  fai  fèsto  e  la  Coupo  felibrenco  esbrihaudo  coume  un 
Sant-Soulèu  I 

La  Mar,  la  grando  Mar  latino  que  nous  adiiguè  dins  la  barqueto  di 
très  Mario  la  civilisacioun  que  de  Prouvènço  s'es  espandido  sus  tôuti 
li  mounde  ounte  dardaio  lou  soulèu,  la  grando  Mar  latino,  vuei, 
oundejo  verdouleto,  lusènto  e  sedouso  coume  un  blad  de  printèms 
e  nous  adus  sus  Tesquino  de  Terso  Santo  Estelle  la  miraclouso  ! 

Es  emé  Tajudo  de  Santo  Estelle  la  miraclouso,  Santo  Estelle  mirau 
de  venta,  tourre  depouëslo  e  rousié  d'amour,  que  lou  Felibrige  mounto 
à  soun  pountificat  ! 

Nosto  revoulucioun  se  coumplis  grando  e  pacefico  :  li  pourtau  de 
rUDÎversita  an  vira,  noun  sènso  gémi,  sus  si  goufoun  enrouveli  e  nosto 
divine  lengo  prouvençalo  es  intrado  coume  uno  clarta  dins  Tareoupage 
universitàri.  Deman  li  bachelié  de  tôuti  li  bacheleirat,  lis  estudiant 
e  coulegiau  de  nosto  raço  miejournalo  s'esplicaran  en  prouvençau  sus 
la  literaturo  felibrenco  davans  li  bericle  e  li  mourtié  cstabousi  di 
proufessour  e  catedrant  di  faculta. 

Saludelou  fiéude  Gascougno,  menistre  patriote,  que  s'estent  rapela 
qu'èro  lou  vesin  de  Montaigne  e  lou  counteirau  de  Jausserniu,  a 
ounoura  li  letro  franceso  en  fasènt  soun  dre  i  letro  prouvençalo  ! 


74  VARIETES 

Mai  la  revoulacioun  felibrenco,  fau  que  se  coampligae  fin-qa'au 
bout  ;  fau  que  la  daveren,  la  branco  dis  aucèu  I 

Quand  li  fiéu  di  bonrgés  e  di  catau,  quand  li  grato-papié  dis 
amenistracionn  auran  gagna  si  diplôme  en  fasènt,  tant  bèn  que  mau, 
une  versioun  prouvençalo,  auren  pancaro  esclapa  li  grasiho  dôu  grand 
couvent,  auren  pancaro  sauva  la  lengo  dôu  nis  de  la  serp.  Es  pas  lou 
tout  de  planta  Taubre,  fau  encaro  donna  la  bono  faturo  e  la  drudiero 
à  si  racinage,  e  iéu  vous  lou  dise.  Ion  païsan  es  à  la  raço,  es  à  Tuma- 
nita  ço  que  la  racine  es  à  l'aubre.  Es  dounc  au  pople,  es  au  païsan  de 
la  terro  que  faudra  durbi  lou  pourtalet  de  l'escolo  primàri,  car  es  dôu 
pople,  es  dôu  païsan  que  fau  fisa  aquel  ôutis  de  la  pensado,  es  au 
païsan,  manobro  de  Dieu  e  dôu  soulèu,  que  fau  fisa  aquéu  trésor  que, 
segound  la  paraula  dôu  Mèstre,  es  eu  la  PatHo,  es  eu  la  Libéria  I 

Messies  et  gai  Counfraire,  sabèn  qu'aquésti  darrié  Jour,  la  flour  de 
de  la  sciènci,  lis  afouga  e  li  saberu,  s'acampavon  à  Mount-Pelié  dins 
l'interès  de  Testùdi  di  Lengo  Roumano,  sabèn  que,  se  lou  pople  nous 
a  garda  lou  recaliéu  de  nosto  lengo  d*0,  es  li  filoulogue  majour,  en 
quau  tiran  vuei  la  capelado,  qu*an  ajuda,  mai  que  degun,  à  Tespan- 
dimen  dis  obro  felibrenco  de  nosto  reneissènço  dins  lou  mounde 
savent  de  nosto  terro  de  Franco  e  dis  estrangi  païs  ;  e  es  éli,  fau  lou 
dire,  que  nous  an  ajuda  &  buta  li  pourtau  de  TUniversita,  e  sara  éli, 
osco  seguro,  que  nous  ajudaran  à  durbi  lis  escolo  primàri  à  noste 
pople  dôu  Miejour.  Messies  li  sôci  di  «  lengo  roumano  »,  vosto 
messioun  es  auto  e  belle,  es  à  vàutri  de  counserva  lis  archiéu  de 
nôsti  tradicioun  ounte  deraoro  eternamen  vivènto  la  fe  d*uno  raço 
dins  soun  dre  de  resta  soubeirano  sus  la  terro  siéuno  1  Es  vôsti 
nebout,  es  vôsti  rèire-nebout,  soci  d'aquelo  jitello  dôu  Felibrige  que 
s'apello  la  Soucieta  di  Lengo  roumano,  qu*estudiaran  dins  milanto 
an,  à  constat  di  tensoun  e  di  serventés  cavaleirous  de  Bertran  de 
Bom,  li  cansoun  rustico  d*un  païsan  dôu  Paradou.  Es  vôsti  nebout  e 
rèire-nebout  que  faran  is  estudiant  d^alor  lou  raconte  de  nosto 
reneissènço,  que  deschifraran  dins  li  crounico  que  ié  laissaren  ;  ié 
diran  nôsti  lucho,  nôsti  desfèci,  nôsti  vitôri,  ié  diran  que  tau  jour  que 
vuei  sian  vengu  à  Magalouno  en  festo  Santés  telenco,  et  que  la  Mar, 
la  grande  Mar  latino,  nous  dansavo  à  Tendavans,  e  nous  aclamavo 
de  la  voues,  de  tôuti  sis  ausso,  e  que  la  Coupo  felibrenco  esbrihau- 
davo  coume  un  Sant-Soulèu;  ié  diran  que  rèn  mancavo  à  noste 
triounfle,  ni  Testrambord,  ni  lis  aclamacioun  dôu  pople,  ni  même  lis 
esclau  insultaire  que  courrien  desalena  dins  lou  revoulun  de  la  pôusso 
de  noste  càrri,  mai  que  li  proutestacioun  messourguiero  d'aquéli 
vento-bren  latin  èron  cuberto  pèr  lis  aplaudimen  de  la  foulo  e  pèr  lou 
cant  d'aqueste  refrin  nouvèu  de  noste  grand  pouèto  naciounau  : 


VARIETES  75 

V  La  maire  Prouvènço  qu'a  bâta  Taubado, 
La  mam  ProaTènço  que  tèn  lou  drapèu, 
La  panca  crebado 

La  peu 
D6u  rampèu  I  » 

Après  ce  discours,  accueilli  par  les  applaudissements  de  la  foule, 
sans  cesse  accrue,  M.  Fabrège  souhaite  la  bienvenue  à  ses  hôtes  en 
ces  termes  : 

TOAST  DB  M.   FABREGE 

An  nom  de  la  Belle  Maguelonet  ressuscitée  dans  la  reine  Marie- 
Thérèse^,  à  qui  j'adresse  un  respectueux  et  sympathique  souvenir, 
et  de  Pierre  de  Provence ^  dont  tout  félibre  est  le  féal,  au  nom  de  vos 
ancêtres,  Bernard  de  Tréviez,  qui  a  immortalisé  ces  deux  héros 
légendaires  du  littoral  dans  le  roman  le  plus  populaire  du  moyen 
âge,  et  de  Daudes  de  Prades,  qui  chanta,  ici  môme,  la  nature  et  les 
oiseaux,  je  rends  hommage  au  suzerain  du  génie  méridional,  sacré 
par  la  République  des  lettres,  roi  d'Arles  et  empereur  du  Midi,  à 
Mistral  I  à  Mistral,  qui  a  fixé  Pidiome  de  nos  pères  et  la  langue  des 
Troubadours,  dans  des  monuments  plus  durables  encore  que  ces 
marailles  cyclopéennes,  chefs-d'œuvre  d'inspiration  biblique,  d'un 
charme  homérique,  aux  stances  en  vers  inégaux,  mélodieuses  comme 
un  écho  de  la  Jérusalem  délivrée  !  à  Mistral,  type  incomparable  de 
simplicité,  de  dignité,  de  bonté,  personnification  de  la  foi  antique, 
de  l'espnt  chevaleresque,  de  l'originalité  provençale  et  de  cet  amour 
du  clocher,  principe  et  force  du  patriotisme,  et  qui,  au  Munster  de 
Strasbourg,  a  élevé  si  haut  les  aspirations  indéfectibles 

D'un  viei  poplefièr  et  libre  ^. 

Mistral  a  chanté  Hé  Isclo  d'Or.  La  plus  fortunée  des  îles  est  au- 
jourd'hui celle  qui  le  reçoit,  celle  qui  vous  reçoit,  Mesdames  et 
Messieurs,  vous,  illustre  capoulié  et  maîtres  du  gai  savoir^  profes- 
seurs des  antiques  Écoles,  l'honneur  de  l'Église  de  Maguelone,  et 
représentants  des  Universités  nationales  et  étrangères,  tous,  dans 
votre  domaine,  sur  cette  terre  classique  de  la  légende  et  de  l'épopée, 
de  la  chevalerie  et  de  la  poésie,  de  la  science  et  de  l'art,  dans  la 
vraie  patrie  des  Benoît  d'Aniane  et  de  Guillaume  d'Aquitaine,  de 
Bernard  de  Tréviez  et  de  Raimbaud  d'Orange,  de  Guillaume  Durand, 

*  Mademoiselle  Marie-Thérèse  de  Ghevigné,  reine  du  félibrige. 
'  Mistral,  La  Coupo  santo. 


76  VARIETES 

le  Specidator,  et  de  Gaillaume  Pélicier,  un  des  pères  de  la  Renais- 
sance. 

Si  ces  ruines  parlent  à  votre  imagination,  si  la  poussière  des 
siècles  se  soulève  pour  former,  autour  de  vos  fronts  inspirés,  comme 
une  auréole  historique,  honneur  surtout  aux  félibres  qui  prêchent, 
avec  un  zèle  d'apôtre,  la  religion  des  traditions  locales  et  la  dévotion 
des  francs-parlers. 

Sénèque  raconte  que  Fempereur  Auguste,  pendant  son  séjour  en 
Gaule,  éleva  un  temple  à  Girius,  miûtre  des  vents,  dieu  qui  fait  la 
salubrité  du  monde,  salubritatus  cœli.  Ce  mistral  aérien,  n'est-il  pas  le 
symbole  du  divin  Mistral  ? 

Comme  ces  gentianes  d'azur  au  pistil  d'or,  autour  de  la  Coupo 
santo,  primeurs  des  Alpes,  cueillies  par  de  blanches  mains,  à  son 
intention^,  sa  poésie  éthérée  ne  prend  naissance  que  sur  les  sommets 
de  la  pensée;  elle  ne  descend  jamais  aux  bas-fonds  du  réalisme  :  et, 
en  recevant  les  nobles  passions  de  l'âme,  ainsi  que  la  brise  rafraî- 
chissante de  la  Méditerranée,  elle  fait  tressaillir  les  cœurs  d'amour 
et  d'enthousiasme  pour  doulce  et  chière  France  : 

Pèr  la  glori  dôu  terrai re 

Lis  estrambord 
E  l'en  avans  di  fors. 

La  coupe  passe  ensuite  de  main  en  main  et  nous  devons  nous  con- 
tenter de  donner  les  noms  de  ceux  qui  lahaussenten  portant  des  brinde. 

C'est  d'abord  notre  président  M.  Léon-G.  Pélissier,  puis  MM.  Jean- 
roy,  Marsal,  Messine,  Chabaneau,  Arnavieille,  Vermenouze,  Mouzin, 
Henri  Teulié,  le  D^  Banal,  Antonin  Glaize  qui  dit  les  vers  charmants 
que  voici  : 

LI   CAPRICE  DÔU   TEMS 

A   PRBDBRI   MISTRAL. 

Di  caprice  dôu  tèms  n'i  'a  pèr  perdre  la  tèsto  ; 
L'ome  es  coume  un  jouguet  de  vèire  entre  si  man  ; 
Lou  peg^n  dôu  dilun  lou  dimars  devèn  fèsto  ; 
Ço  qu'es  facile  vuei  fara  trima  deman  ; 

Lou  tèms  mestrejo  tout  :  lou  bon  Dre,  la  Justiço, 
Pèr  faire  flôri  n'an  tout-bèu-just  qu'un  moumen  ; 

1  M"*  Marguerite-Blanche  de  Rives,  dont  le  père,  archéologue  érudit, 
a  composé  un  magnifique  volume  sur  quelques  tissus  antiques  et  du 
haut  moyen  âge,  jusqu'au  XV«  siècle. 


VARIETES  77 

Se  vèn  à  i*  escapa  aoon  implacablamen  ; 
Courseja  pér  un  veat  d'Ënvejo  e  de  Maliço. 

Que  noun  veniés,  Mistral,  davant  que  tant  d'enfant 

Aguèssoun  ôublida  la  lengo  de  si  grand  ! 

Per  sauva  lou  Miejour,  se  n'an  pas,  li  Felibre  ! 

Fa  tout  ço  que  voulien,  an  f a  ço  qu'an  pouscu  ; 
Mai  se  trento  an  pulèu,  d'asard,  ères  nascu, 
Nostre  parla,  segur,  adeja  sarié  libre. 

MANDADIS 

«  Me  souveta  trento  an  de  mai, 
»  Moun  orne  !  —  Me  diras,  bessai,  — 
»  Pèr  ma  fe  me  la  baies  bello.  » 
Mai  fau  pas  lou  prendre  pèr  mau  : 
Trento  an  de  mai,  acô  n'es  qu'uno  bagatelle 
Pôr  lou  qu'es  immourtau. 

C'est  ensuite  le  tour  de  notre  confrère  le  D'  Marignan  : 

El  FELIBRE  E  SABENT  ACAMPA  A  MOUNT-PELIÈ 
PER  LA  SANTA- ESTELLA 

27  de  mai  1900. 

Aiço's  un  liô  sacra,  lei  pouèta,  lei  sage, 
Lei  sabent,  de  tout  tèms  à  la  sourça  an  begu, 
Felibre  dau  miejour  segues  lei  bèn  vengu, 
Venès  renouvela  l'antique  roumavage. 

Autour  d'aquel  sourgènt  mounte  tant  an  trempa 
Sei  labra  qu'avièn  set  d'aiga  limpida  e  clara, 
Autrafes  ses  vengu,  e  revenès  encara, 
Revenès,  coume  autour  dau  nis,  vous  acampa. 

Car  Mount-Peliè  nous  es  una  secounda  maire, 
La  maire  de  nosta  ama  e  de  nos  te  esperit  ; 
Lou  la  que  nous  pourgè  e  dount  seguèn  nourrit 
Es  aquel  dei  valent,  dei  fort  e  dei  troubaire. 

Es  aquel  qu'an  begu  Pétrarque  e  Rabelet, 
Es  aquel,  qu'en  passant,  tambèn  beguè  Moulièra, 
E  que  donna  toujour,  la  bona  nourriguièra, 
Desempiei  ioch  cents  an  que  raja  à  plen  galet. 


78  VARIÉTÉS 

E  pendent  ioch  cents  an,  alor  qoe  ans  loa  monnde 
Sas  Pnniver  entier,  loa  ciel  s'era  escorci, 
Vers  la  para  clarta  qae  raioanava  aici, 
Lei  pèlerin  venien  de  pertoot  en  aboande. 

Chacun  acoarrissiè  dins  soan  raive  encanta, 
Gerçant  la  fe  prefoonda,  e  la  lamiera,  e  Tauba, 
E  chacan  s'entoamava  empourtant  dins  sa  raaba 
Un  flo  de  la  sciença  e  de  la  verita. 

Mais  aici  la  sciença  es  gaia  e  sens  maliça, 
N'autre  n'avôn  pas  gès  d'aquelei  grand  sabent, 
Que  vous  portoun  sa  testa  ansin  qu'un  sacrament, 
Ë  dount  lou  regard  soûl  vous  donna  la  jaunissa. 

Nostei  sabent  soun  gai,  simple,  e  sens  embarras, 
Soun  pas,  toujour  inquiet,  penjas  sus  de  cadabre, 
Soun  fil  de  Rabelet,  cousin  de  Tabat  Fabre  ; 
E  quand  ou  fau,  tembèn,  ie  van  d'un  cacalas^ 

E  nosteis  escoulan  !  Flourida  magnifica, 
Espér  de  la  patria  e  dau  siècle  que  nai, 
Savoun  bèn  travailla,  bèn  rire,  aco  vau  mai 
Que  de  faire  à  vint  an,  déjà,  de  poulitica. 

Mais  nia  proun,  Praires,  avès,  aici,  toutei  begu, 
Mestre,  escoulan,  felibre  à  la  coupa  sacrada, 
Toutei  coumunian  dins  la  mema  pensada, 
Adounc  segues,  aici,  toutei  lei  bèn-vengu  ! 

D'  E.  Marignan. 


Les  brinde  terminés.  Mistral  ouvre  la  Cour  d'amour  en  chantant  sa 
nouvelle  chanson,  la  Regpelido,  que  tous  les  félibres  savent  aujourd'hui 
par  cœur. 

Vers  le  soir,  les  Félibres  furent  ramenés  en  bateau  jusqu'à  Palavas, 
où  M.  le  maire  Poncet,  entouré  du  Conseil  municipal,  les  reçut  et  leur 
offrit  un  vin  d'honneur.  Un  train  spécial  les  ramena  à  Montpellier  à 
l'entrée  de  la  nuit.  Et  lorsque,  vers  les  neuf  heures,  Mistral  et  les 
Félibres  traversèrent  la  place  de  la  Comédie,  les  orchestres  des  divers 
cafés  jouèrent  la  Coupo,  et  de  nombreux  applaudissements  les  saluèrent 

au  passage. 

A  r  «  Association  des  étudiants  »,  le  Président  reçut  les  Félibres 


VARIETES  79 

dans  la  salle  des  fêtes,  et  M.  Marc  Varenne  leur  souhaita,  en  gascon,  la 
bienvenue.  Après  un  discours  de  Misti'al,  Félix  Gras  chanta  la  chanson 
du  RH  En  Pèire. 

Ainsi  se  termina  cette  journée  qui  intéressa  vivement  les  membres 
et  les  invités  de  la  Société  des  Langues  Romanes. 

Henri  Tbuliâ. 


TROIS  BILLETS  INÉDITS  DE  FR.  GUIZOT 

J'ai  communiqué  jadis  à  IsiRevue  Rétrospective  (Nouvelle  série,  t.  XI, 

p.  241  sqq.)  des  lettres  adressées  au  journaliste  député  Alphonse 

Mahul,  par  divers  politiciens  du  temps  de  Louis-Philippe,  Guizot, 

Kémusat,  le  cardinal  de  Bonald.  De  nouvelles  recherches  dans  les 

mêmes  papiers  ^  m'ont  fait  retrouver  les   trois  billets   suivants   de 

Guizot,  adressés  au  même  personnage,  et  qui  ont,  à  défaut  d'autre 

importance,  l'intérêt  d'être  les  premiers  qu*ait  écrits  l'historien  au 

futar  auteur  du  Cartulaire  de  FAude. 

L.-G.  P. 

I 

A  Monsieur 
Monsieur  Mahul,  secrétaire  général 
de  la  Société  de  la  Morale  chrétienne. 
Rue  Jacob,  n^  7,  Paris. 

Il  me  sera  triste,  Monsieur,  d*avoir  à  présider  la  séance  publique 
de  la  Sociéié  de  la  Morale  chrétienne^  et  de  m'asseoir  à  la  place  d'un 
demes  amis  les  plus  chers.  Je  ne  puis  me  refuser  cependant  au  désir 
que  veut  bien  manifester  le  Conseil,  et  je  m'acquitterai  de  mes  fonc- 
tions. Veuillez  me  prévenir  du  jour  où  la  Commission  centrale  se 
réunira  pour  régler  l'ordre  de  la  séance.  Je  ne  manquerai  pas  de 
m'y  rendre. 

Agréez,  je  vous  prie,  l'assurance  de  toute  ma  considération  et  de 
mon  sincère  attachement. 

Guizot. 
Mardi,  11  mars  1828. 

11 

M.  VéroD  ira  vous  voir  ce  matin,  mon  cher  Monsieur.  Voulez-vous 
me  faire  le  plaisir  de  causer  avec  lui,  et  de  vous  mettre  un  peu  au 

^  Conservés  à  la  Bibl.  de  Garcassonne. 


no  TARIETES 

eonrsuit  des  affaires  de  la  Betwe  de  Pari»  qali  tous  montrera  ?  II 
faut  les  bien  eonnaitre.  Ifflle  pardons  de  toos  donner  cette  peine. 
Toot  à  iroos, 

GinzoT. 
Mardi,  10  heures  et  demie. 

111 

Ne  donnerez-Toas  pas  qoelqoe  chose  cette  semaine,  mon  cher 
Monsieur  ?  Votre  article  était  excellent  et  a  très  bien  rénssL  NoUe 
part  on  n'a  parlé  si  franchement.  N'anries-voos  pas  quelque  chose 
à  dire  sar  la  natore  des  complots  et  des  mouTements  carlistes  possi- 
bles dans  les  départements  da  Midi  et  sor  les  meilleurs  moyens  de 
les  prévenir  et  de  les  réprimer  ?  Ou  bien  pourriez-vous  parler  de 
Bordeaux?  Je  tous  demande  de  chercher  vous-même.  Ou  bien  sur  les 
élections  prochaines  et  la  manière  de  les  préparer  bonnes  ? 

Mille  et  mille  compliments. 

GUIZOT. 

MardL 


.    BIBLIOGRAPHIE 


A.  Blanc.  —  Le  livre  de  comptes  de  Jacme  Oliviei^  marchand  nar- 
botmais  du  XIV^*  siècle,  publié  avec  une  introduction,  un  glossaire j  des 
notes  et  des  tables,  tome  II,  1"  partie;  Paris,  Picard,  1899;  in-8o. 

(^  volume  de  672  pages  ne  forme  guère  que  la  moitié  d*un  ouvrage 
qae  son  importance  nous  fait  un  devoir  de  signaler,  dès  maintenant,  à 
Tattention  des  historiens  et  des  philologues.  L'érudit  auteur,  bien 
connu  des  lecteurs  de  cette  Revue ^  j  publie  non  seulement  le  livre 
de  comptes  (commencé  en  1391)  de  Jacme  Olivier,  mais  plus  de 
60  pièces  inédites,  échelonnées  entre  1175  et  1311,  se  rapportant 
toutes  à  Tbistoire  du  commerce  narbonnais,  alors  si  florissant.  La 
seconde  partie  du  présent  volume  comprendra  d'autres  pièces  de 
même  nature,  un  glossaire  des  mots  provençaux  et  un  index  des  noms 
de  personnes  et  de  lieux  ;  le  premier  volume  sera  consacré  à  Vlntro- 
ductîon.  On  sait  assez  par  les  comptes  déjà  publiés,  ceux  des  frères 
Bonis  et  de  Ugo  Teralh,  par  exemple,  l'importance  de  ces  documents 
pour  l'histoire  économique  et  sociale,  et  il  ne  m'appartient  pas  d'y 
insister;  ce  que  je  puis  dire»  c'est  que  la  présente  publication  n'offre 
pas  un  moindre  intérêt  linguistique.  Le  texte  des  Comptes  est  tout 
entier  en  dialecte  et  abonde  en  mots  techniques  et  rares  ;  il  en  est  de 
même  des  pièces  justificatives  en  langue  vulgaire  (traités  de  com- 
merce, leudes,  inventaires,  transactions  diverses)  ;  toutes  ces  pièces 
ont  été  copiées  sur  les  originaux,  et  les  épreuves  corrigées  sur  ceux-ci, 
dont  les  moindres  particularités  graphiques,  —  surtout  celles  du  livre 
de  comptes  —  ont  été  signalées.  11  est  donc  bien  peu  de  textes  de 
ce  genre  qui  se  présentent  au  philologue  dans  les  mêmes  conditions 
de  scrupuleuse  exactitude  ^  M.  Blanc  lui-même,  dans  une  série  d'ar- 
ticles récemment  publiés  ici  même,  a  montré  le  profit  que  pouvaient 
tirer  les  études  provençales  de  ces  sortes  de  documents.  Il  faut  le 

^  Ils  sont,  en  effets  publiés  ordinairement  par  des  historiens  ou  des 
archéologues  qui  s'intéressent  plus  au  fond -des  documents  qu'aux  détails 
de  forme; ceux  qu'a  publiés  Mouynès,par  exemple  dans  Tappendice  de  son 
Inventaire  des  archives  de  Narbonne^  l'ont  été  sur  des  copies  souvent 
assez  défectueuses. 


82  BIBLIOGRAPHIE 

remercier  sans  résenre  de  rimmense  labeur  qall  s'est  imposé  et 
souhaiter  qa'il  puisse  terminer  à  bref  délai  cette  très  méritoire  publi- 
cation. 

A.  Jkarrot. 


Delignières.  —  Nouoelles  recherches  sur  le  lieu  d^origine  de  Raoul  de 
Houdenc,  Trouvère  du  XIII**  siècle,  précédées  (Tun  aperçu  sommaire 
sur  le  mouvement  littéraire  en  France  à  partir  du  X'^  siècle.  Etude 
présentée  à  rAcadémie  d'Amiens,  dans  la  séance  du  9  février  1900,  par 
M.  Emile  Delionibbbs,  membre  correspondant.  Amiens ,  imprimerie 
Yvert  et  Tellier,  1901  ;  in-12  de  38  p. 

Si  Ton  reti'ancbe  de  cette  brochure  les  généralités  banales  et  les 
compliments  aux  «  chers  »  ou  i<  illustres  confrères  »,  voici  ce  qui  en 
reste,  qui  pouvait  être  exposé  en  quinze  lignes  :  M.  D.  croit  avoir 
découvert  dans  les  papiers  d*un  antiquaire  amiénois,  Nicolas  CoUenot 
(1732-1815),  la  preuve  que  Raoul  de  Houdenc  était  originaire  de  Hou- 
dant  en  Vimeu  (on  sait  que  la  question  du  lieu  de  naissance  du  vieux 
trouvère  passionne  et  divise  les  érudits  picards  et  franciens). CoUenot 
raconte  que,  «  en  1762,  un  vieux  curé  de  Houdant  en  Vimeu  lui  remit, 
comme  les  ayant  trouvés  dans  un  coffret  ancien»  encastré  et  scellé 
dans  la  muraille  de  Téglise,  des  (sic)  vieilles  pancartes.  Ces  pièces  , 
au  souvenir  de  Tauteur  du  manuscrit,  étaient  relatives  à  Térection  (sic), 
confirmation  des  souverains  et  dotation  de  divers  seigneurs,  et  aussi 
des  espèces  d'obituaires  et  cueilloirs.  »  CoUenot  donne  copie  de  l'un 
d'eux,  pris  au  hasard  et  conçu  en  ces  termes  :  «  Obit  pour  Raoul  de 
Houdan,  genti  conteur,  pour  quoi  rend  sidrachprost  à  cheans,  six 
blancs,  trois  œufs  et  deux  fouaches,  affecté  sur  manoir,  gardin, 
courlis  faisant  le  cuing  del  plache,  » 

Il  n'y  a  dans  tout  cela  rien  qui  paraisse  suspect  à  M.  D.  «  CoUenot 
était  doué,  parait-il,  d'une  mémoire  remarquable.  (Que  nous  importe 
la  mémoire  de  CoUenot,  s'il  a,  comme  le  croit  M.  D.,  copié  textueUe- 
ment  son  original  ?)  Et,  bien  qu'il  ne  sût  guère  écrire  de  bon  style  , 
son  activité  et  son  dévouement  à  la  Société  d'émulation  lui  avait  fait 
décerner  le  titre  de  président  honoraire.  On  ne  saurait  vraiment  sup- 
poser que  cet  homme  ait,  sans  intérêt,  ou  mû  par  un  sentiment 
exagéré  de  patriotisme  local,  imaginé,  composé  ainsi  de  toutes  pièces 
un  document...  » 

«  On  ne  saurait  supposer...  »  Voilà  précisément  la  question  :  car  ce 
sentiment  de  patriotisme  local,  dont  le  faux  en  question  aurait  été 
une  manifestation  «  exagérée   »,  paraît  ailleurs   à  M.    D.    «   fort 


BIBLIOGRAPHIE  83 

louable  »  (p.  24)  *  et  paraissait  peut-être  encore  plus  louable  à  Col- 
lenotqu'à  M.  D.  Etait-il  plus  patriote  que  consciencieux,  ou  inverse- 
ment ?  Voilà  la  question  qu'il  faudrait  résoudre  avant  de  considérer 
son  témoignage  comme  recevable.  Nous  la  laissons  volontiers  aux 
savants  locaux,  qui  pourraient  être  en  mesure  de  reconstituer  la 
psychologie  du  «  père  CoUenot.  » 

La  prétendue  copie  textuelle  dudit  Collenot  n*est  point  faite  pour 
inspirer  confiance.  On  peut  affirmer,  à  coup  sûr,  que  les  formes  six , 
œufs,  affecté,  ne  se  trouvent  point  dans  un  texte  du  XIII"»  siècle. 
Et  qu'est-ce  que  si  drach  prost  f  Y  a-t-il  là  mauvaise  lecture  ou 
maladroite  fabrication  ? 

Voici  encore  quelques  lignes  particulièrement  piquantes:  «  La  cer- 
titude de  l'existence  de  ce  document  probant  paraît  d'autant  plus 
grande,  que  l'extrait  ci- dessus  vient  confirmer  l'origine  picarde,  bien 
avérée,  de  Raoul  de  Houdenc  »  (p.  35). 

J'avoue  que  je  ne  comprends  plus.  M.  D.,  pour  établir  ladite 
origine,  s'appuie  uniquement  sur  l'opinion  d'érudits  a  dont  les 
assertions  font  autorité  »  (page  27)  ^,  sans  dissimuler,  d'ailleurs,  que 
cette  opinion  n'est  nullement  partagée  par  d'autres  érudits,  et  Tobjet 
de  sa  brochure  est  précisément  de  trancher  le  différent  par  un 
document  «  probant  ♦». 

L'auteur  de  la  Voie  de  Paradis  se  donne  comme  picard  et  la  Voie 
de  Paradis  est  de  Raoul  de  Houdenc  :  voilà ,  en  réalité,  le  seul 
argument  en  faveur  de  la  thèse  de  M.  D.  —  Il  n'ignore  pas  que 
M.  Friedwagner,  «  docteur  autrichien  »  (page  27),  a  récemment 
((  sapé  par  la  base  »  cet  argument,  en  soutenant  que  la  Yoie  de 
Paradis  n'est  point  de  Raoul;  mais  il  s'imagine  que  M.  Friedwagner 
n'a  pas  donné  les  preuves  de  cette  assertion.  Ces  preuves,  tirées  de  la 
langue  du  poème,  ont  été  fournies  dans  une  note  de  l'édition  de 
Meraugis  (page  LVIII,  n°  2).  M.  D.,  il  est  vrai,  ne  paraît  point  se 
douter  de  l'existence  de  cette  édition.  On  se  demande  même  comment 
il  a  pu  l'ignorer  ,  le  compte  rendu  qu'en  a  donné  M.  G.  Paris 
précédant  immédiatement,  dans  la  Romania  ^,  les  pages  mêmes  de 
M.  Friedwagner^  dont  M.  D.  a  pris  connaissance.  Quant  aux 
arguments  par  lesquels  il  prétend  écraser  son  adversaire,  en  voici 

*  Cf.  p.  35  :  «  M.  Vuilhorgne  avait  plutôt  intérêt  (!),  comme  habitant 
près  de  Beauvais,  à  cherchep  à  rattacher  ce  trouvère  à  son  pays.  » 
M.  D.  prête  aux  autres,  il  faut  Tavouer,  des  états  d'esprit  bien 
singuliers. 

*  On  est  tout  étonné  de  trouver  parmi  eux,  M.  Dinaux,  «  savant  belge  » 
(page  23),  et  même  M.  (sic)  Fauchet  (page  18). 

*  Tome  XXVII,  (page  307-18). 


B  4  BIBLIOQRAPHIE 

un  spécimen  :  «  Il  n^est  gaère  admissible  que  le  même  manuscrit 
aitrenfenné  les  œuvres  de  deux  poètes  différents  »  (page 29).  11  est  dou- 
teux que  M.  Friedwagner  prenne  la  peine  de  réfuter  des  arguments  de 
cette  force.  —  M.  D.  n*a  pas  remarqué  non  plus  que  le  passage  du  Songe 
d'Enfer  sur  lequel  il  s'appuie,  qui  ne  se  trouve  que  dans  deux  manu- 
scrits sur  neuf  ^,  est  très  probablement  interpolé;  enfin,  que  ce  pas- 
sage même  ne  revendique  nullement  pour  Raoul  la  paternité  de  la  Voie 
de  Paradis. 

A.  Jbanbot. 


F.  Wnlff.   —  La   rythmicité   de   Talezandrin  français.   Lund^    1900. 
[80  p.]. 

M.  Wulff  est  Suédois  et  veut  à  tout  prix  ritmer  les  vers  français 
à  la  suédoise.  Notre  alexandrin  est  essentiellement  un  vers  iambique  ; 
il  peut  aussi  contenir  des  anapestes  et  des  péons.  G^est  une  erreur  de 
croire  que  le  français  ne  distingue  pas  les  brèves  et  les  longues 
aussi  bien  que  le  latin  et  le  grec,  et  les  Français  n*ont  jamais  rien 
compris  à  leurs  vers.  Ils  en  ont  fait  de  beaux  sans  le  savoir  et  de 
laids  en  croyant  en  faire  de  beaux.  Ghénier  a  gâté  notre  versification 
en  substituant  trop  souvent  le  schéma  anapestique  au  schéma  iam- 
bique, et  les  romantiques  en  ont  consommé  la  destruction  par  remploi 
des  péons  et  du  vers  ternaire,  qui  prouve  quMls  n'entendaient  rien 
aux  principes  fondamentaux  de  l'alexandrin. 

Tout  cela  n'est  pas  bien  nouveau.  J*ai  eu  un  professeur  de  réto- 
rique qui  m'enseignait  que  : 

Oui,  je  viens  dans  son  temple  adorer  l'Etemel 

est  un  anapestique,  et  : 

Je  viens,  selon  l'usage  antique  et  solennel 

un  iambique.  C'est  à  peu  près  tout  ce  que  savait  ce  brave  omme  sous  la 
direction  de  qui  j'ai  fait  mes  «  umanités  ».  Encore  n'avait-il  pas  eu  le 
mérite  de  cette  importante  découverte;  c'est  un  secret  qu'il  tenait  d'un 
autre,  et,  à  moins  de  supposer  que  cette  trouvaille  se  soit  répétée  à  plu- 
sieurs reprises,  ce  qui  n'a  rien  d'invraisemblable,  la  tradition  en  remonte 
aisément  jusqu'à  la  renaissance.  A  cette  époque  l'étude  du  latin  et  du 
grec  amena  naturellement,  par  l'admiration  que  ces  langues  suscitaient 

1  M.  Friedwagner,  Die  Ashbumham-Handschrift  des  Songe  d'Enfer  y 
Graz ,  1898  (page  15).  (  Extrait  de  c  Festschrift  zum  VIII  allgemeinen 
deutschen  Neuphilologentage  i  ). 


BIBLIOGRAPHIE  85 

et  sartoat  parle  besoin  naturel  de  comparaison,  à  attribuer  au  français 
les  procédés  des  langues  anciennes.  De  là  les  tentatives  mort-nées  de 
vers  mesurés  en  français.  Quand  ce  besoin  de  comparaison,  dû  à  la 
faculté  A' assù dation  de  notre  cerveau,  est  bien  dirigé  et  soutenu  par 
un  sens  critique  affiné,  il  fait  surgir  les  sciences  de  comparaison  dont 
s  enorgueillit  le  XIX®  siècle  ;  mais  lorsqu'il  est  abandonné  à  son  libre 
coars,  il  se  laisse  prendre  à  des  apparences  trompeuses,  à  des  coïn- 
cidences fortuites  et  engendre  les  comparaisons  fausses  que  nous 
déplorons  tous  les  jours.  C'est  ainsi  que  tout  Français,  ignorant  la 
linguistique,  qui  étudie  l'allemand,  déclarera  autement  que  feu  et 
feuer  sont  le  même  mot  et  sera  tout  prêt  à  traiter  de  «  stupide  »,  pour 
employer  l'expression  de  M.  Wulff,  toute  opinion  divergente.  C'est 
ainsi  que  l'on  publie  encore  aujourdui  de  gros  livres  où  l'on  compare 
la  sintaxe  du  grec  avec  celle  du  latin  ;  il  est,  paraît-il,  très  remarquable 
qae  dans  ces  deux  langues  la  plupart  des  frases  aient  un  sujet,  un 
verbe  et  un  complément,  que  dans  toutes  deux  on  se  serve  d'un  temps 
passé  pour  exprimer  le  passé,  d'un  temps  futur  pour  exprimer  le  futur 
et  le  reste  à  l'avenant. 

Pour  en  revenir  à  la  téorie  de  M.  Wulff,  il  est  facile  d'i  répondre.  11 
n'i  a  pas  d'iambes,  ni  de  trochées,  ni  d'anapestes  dans  notre  poésie 
parce  que  nos  poètes  n'i  en  ont  jamais  mis. 

Quant  à  la  distinction  entre  sillabes  longues  et  sillabes  brèves  en 
français,  elle  est  très  peu  sensible  et  n'a  aucune  importance  pour  la 
versification.   Il  i  a  en  français  des  sillabes  toniques  et  des   sillabes 
atones,  mais  il  est  faux  de  dire  que  les  premières  sont  longues  et  les 
secondes  brèves  ;  les  monosillabes  toniques  nu,  cru,  vif,  vil^  latte, 
crotte  y  jet,  sont  Ausai  brefs  que  n'importe  quel  monosillabe  proclitique; 
il  en  est  de  même  de  la  sillabe  finale  des  mots  venu,  bourru,  esquif, 
pistil,  écarlate,  carotte,  projet  ;  dans  les  mots  en  -oMon,  Va  est  beau- 
coup plus  long  que  la  voyelle    tonique  •^on.   Sans  doute  on  peut 
appeler,  par  comparaison,  «  iambe  »  un  pied  composé  d'une  atone  et 
d'une  tonique  et  «  anapeste  »  un  pied  composé  de  deux  atones  et 
une  tonique.  Dans  ces  conditions  il  i  a,  au  moins  à  première  vue, 
des  anapestes  dans  le  premier  des  deux  vers  cités  plus  aut  et  des 
ïambes  dans  le  second.   Mais  dans  ce  dernier,  dira-t-on  que  u  et 
so-  »  est  un  iambe  au  même  titre  que  «  Je  viens  »?  11  i  a  un  accent 
secondaire  sur  «  so-»,  mais  un  accent  secondaire  ne  vaut  pas  un  accent 
primaire.  Dans  le  premier  vers,  il  i  a  un  accent  tonique  sur  «  Oui  »,  et 
des  accents  secondaires  dus  à  l'accentuation  binaire  sur  «dans  »,  «  a-», 
«TE-)).  Ce  vers  contiendrait  donc  beaucoup  plutôt  quatre  crétiques  que 
quatre  anapestes  ;  mais  ce  n'est  jamais  que  par  comparaison  que  l'on 
pourrait  appeler  ces  pieds   des  crétiques;  ils  présenteraient  même 


86  BIBLIOGRAPHIE 

cette  bizarrerie  inconnue  aux  vrais  crétiques  d* avoir  la  sillabe  initiale 
plus  faible  que  la  finale.  Et  d'ailleurs  le  fait  de  comparer  un  objet  à 
un  autre  n'a  jamais  donné  au  premier  la  nature  du  second.  Si  Ton 
compare  une  chouette  à  un  chat,  comme  Ta  fait  l'étimologie  populaire 
dans  le  mot  chat-uantj  il  n'en  résulte  nullement  qu'une  chouette  soit 
un  chat. 

M.  Wulff  a  beaucoup  trop  négligé  l'istoire  de  l'alexandrin  français 
ou  plutôt  il  en  a  imaginé  une  qui  est  toute  de  fantaisie.  En 
réalité  l'alexandrin  primitif  est  un  vers  sillabiquey  composé  de  deux 
émistiches  semblables  comprenant  chacun  six  sillabes,  dont  la  sixième 
est  une  tonique  et  peut  à  l'occasion  être  suivie  d'une  septième, 
dite  féminine,  qui  ne  compte  pas  dans  la  mesure.  Et  c'est  tout  ;  il  n'i 
a  rien  d'autre  à  chercher  dans  ce  vers.  Il  s'est  beaucoup  modifié  par 
la  suite  des  temps  et  je  n'ai  pas  à  retracer  ici  les  différentes  fases 
de  son  évolution.  On  les  trouvera  exposées  dans  mon  livre  Le  vers 
français,  qui  est  achevé  depuis  longtemps,  mais  n'a  pas  encore  paru 
parce  que  nos  éditeurs  fuient  comme  la  peste,  dans  le  domaine  des 
lettres,  tout  ce  qui  a  Paspect  scientifique,  et  réservent  exclusivement 
leur  mauvais  papier  aux  romans  sensationnels  et  aux  tartines  litté- 
raires vieux-jeu. 

M.  Wulff,  d'accord  en  cela  avec  la  plupart  de  nos  «  éminents  » 
critiques  littéraires,  ne  sent  pas  les  vers  français  ;  c'est  la  meilleure 
des  conditions  pour  ne  pas  les  comprendre.  M.  Wulff  va  de  nouveau 
me  reprocher  d'être  «  sévère  »  ;  les  raisons  de  mon  jugement  sont 
pourtant  bien  simples:  il  se  scandalise  des  critiques  que  j'ai  adressées 
à  ce  vers  de  Lamartine  : 

Tombe  sous  son  doux  fardeau, 

donc  il  ne  sent  pas  qu'elles  sont  méritées.  Il  écrit,  p.  62,  que 
M.  Rostand  voit  probablement  un  ternaire  dans  le  vers  suivant  : 

Une  chanson  qu'il  fit  blessa  quelqu'un  de  grand. 

Or  il  est  de  toute  certitude  qu'une  pareille  idée  n'a  jamais  pu  venir 
à  l'esprit  de  M.  Rostand.  Autant  dire  que  ce  vers  de  Racine  est  un 
ternaire  : 

Le  flot  qui  l'apporta   recule  épouvanté. 

«  Que  n'a-t-il  pas  été  écrit  en  prose  î  »  dit  M.  Wulff  de  Cyrano, 
Que  n'a-t-il  traité  du  ritme  de  la  prose!  dirions-nous  volontiers  de 
M.  Wulff;  car  il  paraît  avoir  étudié  de  très  près  la  prononciation  du 
français  et  il  a  d'excellentes  lignes  (p.  6,  11  et  12)  sur  la  «  rythmisa- 


BIBLIOGRAPHIE  87 

tionen  arrière  >:,  c'est-à-dire  sur  Taccent  secondaire  dû  à  l'accentu- 
ation binaire  et  sur  les  déplacements  de  cet  accent. 

Maurice  Orammont. 


W.  Meyer-Lûbke,  Die  Betonung  im  Gallischen.  —  [Sitzungsberichte  der 
Kais,Akademie  der  Wissenschaften  in  Wien^  Phil,  Hist.  Classe,  Band 
CXLIII,  IL],  71  p.  in-8o.  Vienne,  1901.  (En  dépôt  à  la  Librairie  Cari 
Gerold  fils). 

Le  mémoire  de  M.  Meyer-Lûbke  est  une  importante  contribution 
à  la  solution  d'un  problème  qui  exerce  depuis  quelque  temps  la  saga- 
cité des  romanistes  et  des  celtistes.  M.  Thurnejsen  a  attaché  son 
nom  à  une  théorie  d'après  laquelle  <(  les  Germains,  les  Celtes  et 
les  Italiotes  ont  cela  de  commun,  qu'à  l'origine  la  syllabe  initiale 
de  tous  les  mots  portait  Paccent.  »  (Cf.  Rh,  Muséum  XLIIl,  349.) 
M.  M.  L.  admettait,  dans  sa  Grammaire  des  Languies  Rom^ineSy  que 
l'accentuation  gauloise  différait,  à  la  vérité,  de  l'accentuation  latine, 
mais  il  se  refusait  à  admettre  que  l'accent  fût  uniformément  sur  la 
syllabe  initiale.  11  revient  sur  cette  question  après  avoir  rassemblé 
un  copieux  material.  Naturellement  M.  Meyer-Liibke  appuie  sa 
théorie  sur  l'étude  des  noms  propres  de^lieu.  Sans  se  perdre  dans  les 
détails,  il  prend  les  principaux  groupes  et  en  étudie  les  divers  repré- 
sentants. Nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  avec  quelle  rigueur  et 
quels  scrupules  scientifiques  cette  étude  est  conduite.  M.  M.  L.  a 
résumé  ses  conclusions  dans  les  lignes  suivantes  :  ce  Les  noms  de 
lieu  Gaulois  portent  presque  toujours  l'accent  sur  l'avant-dernière 
syllabe, si  la  voyelle  de  cette  syllabe  est  longue,  sur  Tantépénultième, 
si  la  voyelle  de  l'avant-dernière  syllabe  est  brève.  On  ne  peut  dé- 
montrer dans  aucun  cas  que  l'accent  portait  sur  la  quatrième  syllabe.» 
(P.  59)  C'est  aux  celtistes  à  nous  dire  ce  qu'ils  pensent  de  ces  con- 
clusions :  ils  auront  fort  à  faire  pour  les  infirmer,  si  l'on  songe  qu'elles 
sortent,  non  d'un  raisonnement,  mais  de  l'examen  rigoureux  d'envi- 
ron cinq  cents  exemples.  Nous  nous  contenterons  pour  notre  part 
de  quelques  critiques  de  détail.  —  P.  8  :  écrire  Tonnerre  au  lieu  de 
Tonnerres.  P.  9  :  à  côté  de  Esera,  de  Grégoire  de  Tours,  il  faut 
mettre  les  formes  Isra,  Isera,  Esera,  de  Frédégaire.(Cf.  Haag,  Die 
Latinitat  Fredegars^  §  23),  Esera  de  Venantius  Fortunatus  (éd.  Léo) 
VII,  4, 15,  qui,  elles  aussi,  supposent  l'accentuation  isara.  P.  14  : 
Arles.  M.  M.  L.  abandonne  la  théorie  qu'il  avait  soutenue  d'abord 
(Rom.  Qram.  1,  498),  à  cause  de  la  forme  Arlét.  II  accepte 
sans  enthousiasme  ,  à  ce  qu'il  semble  ,  l'explication  de  M .  A . 
Thomas  (dûrfte  die  Erklârung.,.  das  richtige  treffen).  Cette  dernière 


88  BIBLIOGRAPHIE 

donne  beaucoup  d*importance  à  un  nominatif  dans  la  formation  d*uii 
nom  de  lieu.  La  première  explication  de  M.  M.  L.  rendait  compte  de 
toutes  les  formes  (même  à  la  rigueur  d'Arlét,  où  il  n'y  avait  qu^à 
supposer  un  déplacement  d'accent),  mais  il  fallait  admettre  une  fois 
au  moins  V Anfangsbetommg .  Au  reste,  ce  mot  a  eu,  dès  la  période 
latine,  au  moins  trois  formes  :  Arelate  n.,  Arelasî,,  Arelatus  (toutes 
trois  dans  Georges  Lat  d.  W'ért,),  On  trouve  Arlato  dans  Frédé- 
gaire,  75,  14  (éd.  Krusch). 

P.  15:  Ligericcus  ^  Loiret.  N'y  a-t-il  pas  eu  au  moins  confusion 
de  îccu-îttu  PP.  16.  11  me  paraît  inutile  de  songer  à  une  étymologie 
populaire  pour  Aronc^  (fleuve)  ^  Aronna,  M.  M.  L.  se  demande  s'il 
y  a  eu  dissimi  lation  de  nn  en  nd  après  la  tonique  :  la  réponse  ne  sau- 
rait être  douteuse.  C'est  en  s'appuyant  sur  cette  dissimilation  que 
M.  W.  Foerster  tire  Gironde  de  Garumna  (Garonna  dans  Itin, 
Burdig.  éd.  P.  Geyer  3,  7;  Geronna  et  leronna  dans  Frédégaire, 
(cf.  Haag,op.ct^.)  et  cette  étymologie  est  bien  plus  vraisemblable  que 
celle  de  GarentoTUt  (p.  56),  dont  M.  M.  L.  se  défie  d'ailleurs.  Cf.  sur 
Gironde,  Zeitschrift  fur  Rom.  P^i7.1898,  p.  265  (M.  W.  Foerster  y 
cite  l'exemple  de  Oronnà  ^  Aronde») 

P.  16:  Cahors  est  l'orthographe  officielle,  mais  la  prononciation 
locale  est  Côuz  (quelque  chose  comme  angl.  Coto^^);  même  phénomène 
que  dans  pa-our  (  ^  pauore)  passé  à  pôu. 

P.  27.  La  forme  Hehriuno  de  l'édition  Wesseling  (lire  665  au  lieu 
de  535)  n'est  pas  reproduite  par  le  dernier  éditeur  P.  Geyer,  qui  a 
pourtant  suivi  le  texte  de  P.  11  a  Hebriduno  (Itin,  Hieros.  5,  25) . 

P.  29.  Aux  représentants  de  Lugdunum  on  peut  ajouter  Moun- 
legun  (village  de  l'Aude  ;  formes  citées  Montlauzunf  Montlezun)  avec 
un  g  paragogique. 

P.  42.  M.  M.  L.  reprend  l'étymologie  de  chêne  qu'il  rapporte  à  cas- 
sanus,  comme  il  l'avait  déjà  fait  dans  sa  Gram,  des  Langues 
Romanes. 

P.  47.  Lemausus  ue  peut  pas  donner  Limoux  en  languedocien. 
Pourquoi  ne  pas  y  voir  un  représentant  de  lat.  limosus  (cî,  lutosa^ 
p.  19)?  Limosa,  orum  désigne  dans  Pline  des  lieux  marécageux 
(cf.  Georges)  ;  le  locatif  Limo^e^  ou  même  tout  autre  cas  {ssmî  limosa) 
donnerait  la  forme  actuelle.  La  situation  de  Limoux  sur  les  bords  de 
l'Aude  rend  cette  étymologie  vraisemblable. 

P.  53.  Adesàte  est  représenté  dans  la  prononciation  locale  par 
Atsàt. 

P.  54.  M.  M.  L.  a  des  scrupules  à  admettre  la  dissimilation  voca- 


BIBLIOGRAPHIE  89 

liqae  de  e  dans  Airthaies:  mais  le  groupe  tr  joue  bien  son  rôle  pour 
faciliter  cette  dissimilation. 

Ihxd,  Comment  Argeniauo  donne-t-il  Argentalf  lly  aeu  confusion 
de  suffixe  ? 

P.  60.  Lodévo  (avec  un  e  fermé)  ne  rend  pas  exactement  la  pro- 
nonciation locale  :  je  suis  peut-être  pour  quelque  chose  dans  cette 
inexactitude  :  Ve  est  bien  fermé  et  la  forme  renvoie  sans  aucun  doute 
à  Lutëua;  mais  Vo  protonique  est  aujourd'hui  ou  (allemand  u)  et  le  v 
doit  être  remplacé  par  un  b,  d'où  Loudébo  ^ 

J.    ÂNGLADB. 


RoMANiA,  XXIX,  3  (juillet  1900).  —  P.  321.  Ovide  Densusianu. 
Sur  VaUéraiion  du  c  laUn  devant  e,  i,  dans  les  langues  ro77ian68.[Savant 
mémoire  où  sont  réunis  les  faits  qui  appuient  Topinion  émise  par 
M.  G.  Paris,  dans  V Annuaire  de  l'École  pratique  des  Hautes  Études 
pour  Vannée  1893,  que  «  le  c  suivi  de  e,  i,  avait  conservé  sa  valeur 
d'explosive  sourde  simple  jusqu'à  une  époque  relativement  assez  ré- 
cente et  qu'on  ne  trouve  aucun  exemple  d'une  prononciation  altérée 
de  ce  son  avant   le  VI«  siècle  en    Italie  et  avant  le  VU*  siècle  en 
Gaule].    —    P.   334.  R.  Menéndez   Pidal.  Etimologias  espaflolas  : 
abdega  (anc.  esp.),  acuytrar  (anc.  nav.),  aledaflo,  altozano,  antuzano, 
amelga,  armatostef  azomar,  azuzar,  basuraf  bodigo,    breva,  camélia, 
gamella,  cerrojo,  cibiella  (astur.),  cebilla  (santand.),  colondra  (astur.), 
corondel,    coUazo,   columbrar,   corambre,  cuclillas ,    chickôn,  ciciôn, 
cMsme,  chtste^  escabeche,  enridar  (anc.  esp.),  escamocho,   escamvjo^ 
escamondo,  escaramujo,  majuelo,  escorrozo,   escosa,  escripia  (astur.), 
escudir,  estrago  (nav.),  estragal  (santand.  astur.),  estropajo,  forgaaa 
(astur.),  gâchas,  golfîn,    golfo,  grieve^  grulla,  hqjaldre,  jalear,  jaleo 
(andal.),  jamelgo  {ajidgA.)^  jilguero,  pint€u:ilgo,  lecina  (arag.),    loro, 
manteca,  mielga,    bieldo,   mostrenco,nemigaja  (anc.  esp.),  ovndado, 
orofido,par  diez,  pejiguera,  peldaflo,  pulgar  (aatur.),  recadia,  recaia 
(anc.  esp.),  recel  (anc.  esp.),   recorro   (anc.  esp.),  rematar,  remate, 
remedir  remeir  [Anc.  esp.),  roano,  rogo,arruego  (arag.),rMC«o,  sangui- 
juelttj  sanguja,  seflerdâ,   seflaldâ  (astur.),  seroja,  serondo,  seyia,  seia 
(anc.  esp.),  tanadal  Uenlla  (anc.  esp.),  tolondro,  traginary  trechar,  tni- 
chuella,vedegambre,  velicomen,  verija,xana  (astur), yen^o,  enguedaty* en- 


*  P.  32:  c'est  par  erreur  que  r  de  prov.  freja  est  accentué;  p.  37: 
hrittmniques  au  lieu  de  britanniques;  p.  50:  1.  If.  Grammont  ;  itid. 
Trêves. 


90  BIBLIOGRAPHIE 

gar  (ane.  esp.).  —  P.  380.  F.  Lot.  Le  roi  Hoël  deKerahèSf  Ohès,  le 
vieil  barbé,  les  «  chemins  d'Ahès  »  et  la  ville  de  Carhaix.  [  L'auteur 
cherche  à  préciser  les  liens  qui  existent  entre  le  roi  Hoël,  de  Petite- 
Bretagne  (père  d'Iseut,  l'amante  de  Tristan),  Ohès,  «  le  vieil  barbé  », 
seigneur  de  Kerahès  (du  roman  d'Aiquin,  la  princesse  Ahès,  à  qui 
le  peuple  attribue  les  vieilles  routes  de  Bretagne,  et  le  nom  même 
de  la  ville  de  Carhaix,  en  breton  Ker-Ahes,  qui  serait,  d'après 
M.  Lot,  la  transcription  bretonne  de  cimias  Osismiorum  {Okès=Osismti 
ou  Osismios):  la  disparition  des  Osismii  aurait  induit  à  imaginer  un 
roi  ou  un  seigneur,  Ohès,  dont  Carohès  (Carhaix)  aurait  tiré  son 
nom]. — P.  403.  Paget  Toynbee.  Benvenutoda  Imola  andthe  Iliad  and 
Odyssey.  [Benvenuto  emprunte  une  partie  des  citations  d'Homère, 
qu'il  a  insérées  dans  son  commentaire  de  la  Divina  comedia,  à  la  tra- 
duction latine  de  Leontius  Pilatus,  que  son  ami  Pétrarque  a  dû  lui 
communiquer  :  le  reste,  il  le  doit  sans  doute  à  son  maître  Boccace. 

MÉLANGES.  —  P.  416.  G.  Paris.  La  légende  de  la  vieille  Ahès. 
[Peut-être  ce  nom  cache-t-il  le  nom  de  quelque  déesse  gauloise  à 
laquelle  on  aurait  attribué  la  protection  et  même  la  construction  des 
routes  (voy.  ci-dessus).  L*idée  qu'un  personnage  d'une  longévité 
cependant  exceptionnelle  renonce  à  des  constructions  commencées 
(ou  simplement  projetées),  à  cause  de  la  brièveté,  qui  lui  est  soudain 
révélée  (ici  par  la  rencontre  d'un  merle  mort),  de  la  vie  humaine  en 
général  et  de  sa  vie  en  particulier,  se  retrouve  dans  la  légende  de 
Mathusalem,  assez  répandue  au  moyen  âge.  Les  raisonnements  et 
les  textes  apportés  rendent  la  thèse  très  vraisemblable]. —  P.  224.  E. 
Ritter.  Une  prétendue  mention  de  VArchant  arlésien.  [Dans  le  testa- 
ment, de  1422,  du  cardinal  Jean  de  Brogny,  cité  par  M.  Suchier  (In- 
troduction aux  Narhonnais,  II,  p. Lxxxiii),  il  s'agit  d'Archamp  (Haute - 
Savoie)].  —  P.  425.  Ch.  Bonnier.  Un  nouveau  témoignage  de  la  chan- 
son de  Basin,  [Il  se  trouve  dans  le  Restor  du  Pa^oUj  de  Jean  Brise- 
barre,  composé  vers  1330]. —  P.  426.  G.  Paris.  Labaustre,  [Dans 
VEscoufle^  de  la  hiautes  1728  (rimant  avec  autres)  doit  être  corrigé  en 
de  labaustre  ^  alabastrum,  par  aphérèse  de  Va  ;  de  même,  dans  le 
Romande  Troie  [  vv.  14.560,  14.844  et  20.605),  il  faut  lire  de  labas- 
tre  en  rime  avec  emplastre,et  mentastre.  Pour  une  aphérèse  semblable, 
on  pourrait  rapprocher  benus  =  ebenus].  —  P.  429.  G.  Paris.  Osterin 
[Non  de  ostrum,  mais  du  germ.aust,  est  ;  le  sens  est  non  «  de  pourpre  » 
ou  «  étoffe  de  pourpre  »,  mais  «  étoffe  provenant  d'Orient  »]. 

Comptes  rendus.  —  P.  433.  F.  G.  Mohl.  Les  origines  romanes. 
Etudes  sur  le  lexique  du  latin  vulgaire.  [A.  Thomas  :  résumé  des 
conclusions  des  15  articles  qui  composent  l'ouvrage  ;  le  rapporteur, 
tout  en  refusant  d'accepter  la  thèse  fa voiite  de  M.  Mohl  (voyez  t.  XLIII, 


BIBLIOGRAPHIE  91 

compte  rendu  da  fascicule  d'avril))  rend  hommage  à  ses  brillantes 
qualités  et  à  son  érudition  étendue].  —  P.  438.  H.  Schuchardt,  Roma- 
nische  Etymologien,  IL  [A.  Thomas:  réserves;  M.  Th.  n'admet  pas 
turbare  comme  origine  de  trouver  et  s'en  tient  k* trôpare],  —  P.  440. 
G.  Lené.  Les  substantifs  postverbaux  dans  la  langue  française. 
[G.  Paris  :  c'est  le  sujet  qu'avait  étudié  Egger,  qui  considérait  à  tort 
(comme  M.  Lené  lui-même)  les  noms  tirés  des  verbes  sans  l'aide  de 
suffixes  comme  formés  par  apocope  de  l'infinitif;  travail  méritoire,  bien 
que  M.  G.  P.  n'accepte  pas  Popinion  de  l'auteur  sur  le  mode  de  for- 
mation des  noms  verbaux,  que  M.  L.  appelle  postverbaux.  M.  G.  P. 
résume  ainsi  sa  manière  de  voir:  «  le  sujet  parlant,  ayant  noté  le 
rapport  entre  cantuni  et  les  diverses  formes  du  verbe  dont  l'infinitif 
est  cantare,  a  créé  pour  d'autres  verbes  des  substantifs  ayant  le  même 
rapport  avec  les  formes  correspondantes  de  ces  verbes,  et  comme 
cantum  avait  l'accent  des  formes  rhizotoniques  (=:  avec  l'accent  sur 
le  radical),  il  a  instinctivement  donné  à   ses  créations  cette  même 
forme  ».  C'est  la  vérité  même].  —  P.  445.  Rudolf  Tobler,  Die  altpro- 
venzalische  Version  der  «  Disticha  catonis  ».  [P.  Meyer  ;  quelques 
corrections  à  ce  texte  mutilé  et  difficile  sont  proposées  par  le  rap- 
porteur, qui  a  publié  il  y  a  cinq  ans  des  fragments  du  même  texte, 
dont  une  petite  partie  seulement  correspond  à  ceux  de  M.  R.  Tobler]. 
—  P.  447.   A.  Vidal  et   A.  Jeanroy.  Comptes  consulaires  d'Albi. 
[P.  Meyer:  éloges,  quelques  critiques  de  détail].  —  P.  451.  Matteo 
Bartoli.  Ueber eine Studienreise  zur  Erforschung  des  Altromanischen 
Dalmatiens.  [M.  Roques:  favorable].  —  P.  452.  V.  Henry.  Lexique 
étymologique  des  termes  les  plus  usuels  du  breton  moderne.  [A. 
Thomas:  éloges,  quelques  observations  et  rectifications].  —  P.  453. 
Correspondance  :  lettre  de  M .  G.  Molh  à  M.  Marins  Roques  et  réphque 
de  celui-ci.  —  P.  464.  Chronique.  —  P.  470.  Livres  annoncés  som- 
mairement. 

4.  —  P.    489.   A.    Longnon.   Un   vestige  de   Vépopée    mérovin- 
gienne: la  chanson  de  Vabbé  Bagobert,  [Aux  noms   de  Floovant 
d'aîné  des  quatre  fils  de  Clovis),  de  la  fameuse  reine  Hrunehaut,  de 
Dagobert  I»*",  des  deux  premiers  Clovis  et  des  deux  premiers  Clotaire, 
une  chronique  latine  du  XII •  siècle,  écrite  par  un  moine  de  Pontlevoy, 
permet  de  joindre  celui  de  Dagobert  II,  qui  vécut  de  650  environ  à  679, 
comme  ayant  servi  de  sujet  à  des  chansons  de  geste.  M.  L.  appuie 
principalement  sa  thèse  sur  les  noms  propres  Grimaudus  ^  Grimaud, 
forme  française  de  Grimoald  (le  maire  du  palais  qui  avait  enfermé 
dans  un  cloître  le  jeune  fils  de  Sigebert  III)  et  Eduardus,  transcription 
postérieure  de  Childeberlus,  Hildehertus  (le  fils  de  Grimoald  mis  par 
son  père  sur  le  trône  d'Austrasie)].  —  P.  501.  E.  Galtier.  Byzantina. 


92  BIBLIOGRAPHIE 

[L'auteur  démontre  Torigine  byzantine  de  plusieurs  miracles  ou  contes 
dévots  du  moyen  âge,  qui  nous  sont  parvenus  soit  en  latin,  soit  en 
français.].  —  P.  528.  P.  Meyer.  Le  Psautier  de  Lambert  le  Bègue. 
[Ce  psautier  appartient  au  Musée  britannique;  les  noms  de  saints  qui 
figurent  dans  le  calendrier  prouvent  qu'il  est  d'origine  liégeoise  et 
certains  traits  particuliers  qu'il  présente  sont  dus  à  Lambert  le  Bègue, 
le  fondateur  des  Béguines.  En  effet,  au  v«  du  f°  7  est  une  miniature 
(reproduite  ici  en  phototypie)  avec,  en  tête,  ces  deux  vers  ; 

Cist  prudom  fist  prumiers  Tordne  de  beginage, 
Les  epistles  sain  Poul  mist  en  nostre  lengage; 

et  sur  une  banderole  qui  s'étend  d'un  bord  à  l'autre  de  la  miniature, 
on  lit: 

Ge  sui  ichis  Lambers,  nel  tenez  pas  a  fable, 
Ki  funda  sain  Crisophle,  ki  enscri  ceste  table, 

et  au  v°  du  même  f<^  se  trouve  une  curieuse  table- calendrier,  dunt 
M.  P.  Meyer  a  découvert  l'ingénieux  mécanisme,  qu'il  expose  d'une 
façon  fort  claire;  enfin  aux  f"  9  r**  et  10  r®  on  lit  deux  pièces  en  vers 
français  de  douze  syllabes,  relatives  la  première,  à  la  Nativité  ;  la 
seconde,  à  la  Sépulture  et  à  la  Résurrection  du  Sauveur,  qui  sont 
imprimées  à  la  fin  du  mémoire.  Un  court  appendice  présente  quelques 
observations  sur  V Antigraphum  Pétri  adressé  à  un  «  Lambertus, 
presbyter  de  Tectis  »  (Theux,  diocèse  de  Liège),  qu'on  a  peut -être 
eu  tort  d'attribuer  à  notre  Lambert,  écrivant  sous  le  pseudonyme  de 
Petpus.  ].  —  P.  546.  C.  Salvioni.  A  proposito  di  amis. 

MÉLANGES.  —  P.  559.  Paget  Toynbee.  Tartar  cloths  {Infemo, 
XVII,  14-17).  [Parlant  delà  peau  bigarrée  de  Geryon,  Dante  dit  que 
les  étoffes  des  Tartares  et  des  Turcs  n'ont  pas  de  plus  nombreuses 
couleurs  soit  pour  le  fond,  soit  pour  le  dessin.  Les  étoffes  dites  tar- 
tares, au  moyen  âge  (a.  fr.  tartaire)^  étaient  des  étoffes  de  soie  fabri- 
quées en  Chine,  mais  transportées  à  travers  les  pays  soumis  à  la 
domination  tartare.  D'après  le  commentateur  Casini,  sommesse,  dans 
le  texte  en  question,  désignerait  le  fond  uni,  soppraposte  les  applica- 
tions de  couleurs  et  de  figures  variées.]  —  P.  564.  A.  Longnon.  Les 
deux  Coquillart.  [Le  traducteur  de  Josèphe,  qu'on  confond  ordinai- 
rement avec  le  poiite  rémois, serait  son  père]. —  P.  570.  A.  Johnston. 
Development  of  latin  ë  in  tuscan-mente  awd-mento  forme.  —  P.  574. 
R.-J.  Cuervo.  Acudia.  [  Ce  mot,  qui  figure  dans  tous  les  diction- 
naires au  sens  de  «  espèce  de  luciole  »  (commune  dans  les  Indes  Occi- 
dentales, en  particulier  à  Cuba),  n'est  nullement  espagnol:  il  est  dû 
à  une  en*eur  d'interprétation  d'un  passage  de  VHistoria  de  Indias  de 


BIBLIOGRAPHIE  93 

Herrera,  où  il  est  question  du  cocuyo,  —  P.  578.  Ch.  Joret.  Norm, 
ecaré,  «  mettre  hors  de  soi,  troubler.  »  [  Ge  mot  est  d'origine  Scan- 
dinave], 

Comptes  rendus.  —  P.  579.  Forachimgen  zur  romanischen  Philo- 
logie, [M.  G.    Paris  fait  un  compte   rendu   élogieux    de  ces  onze 
mémoires  offerts  à  Péminent  romaniste   Hermann  Suchier,  à  Pocca- 
siondu  25™«  anniversaire  de  son  professorat].  —  P.  586.  W.  Bruckner, 
CJuirakienstikdergermanischenElemente  »mito2ient8cAen(C.  J.Cipriani  : 
éloges  avec  quelques  restrictions  de  détail).  —  P.  589.  E.  Walberg, 
le  Bestiaire  de  Philippe  de  Thaiin  (G.  Paris  :  favorable  ;  corrections 
assez  nombreuses  proposées  à  ce  texte  difficile). —  P.  593.  Ed.Cooke 
Armstrong,  le  Chevalier  à  répée(Q,  Paris:  assez  bon  travail;  le  texte 
pourrait  être  encore  amélioré  ;  la  partie  la  meilleure  de  ce  travail  est 
celle  qui  est  consacrée  à  Tétude  comparative  des  trois  ou  plutôt  des 
deux  éléments  dont  se  compose  le  récit  et  qui  donne  occasion  à  Pémi- 
nent critique  d'exposer  ses  vues  propres  sur  la  façon  dont  est  traitée, 
dans  le  poème,  la  curieuse  aventure  attribuée  à  Gauvain). —  P.  600. 
H.  Knust  et  Ad.  Birch-Hirschfeld,  El  libro  de  loa  enxiemplos  del  Conde 
Lucanor  et  de  Paironio^  de  Juan  Manuel  (Maria  Gojri:  édition  meil- 
leure que  les  précédentes,  mais  non  définitive). —  P.  602.  F.-G.Mohl. 
Note  rectificative  à  propos  du  rapprochement  du  mavrti  de  Vienne 
et  du  MAVRTB  archaïque  de  Tusculum.  (Voy.  ci-dessus,  au  compte 
rendu  de  XXIX,  3).  —  P.  604.  J.  Loth,  Le  nom  de  Carhaix  (observa- 
tions sur  Tarticle   de  M.  F.  Lot  sur  Le  roi  Hoèl  de  Kerahès,  dans 
Romania,  XXIX,  380   et  suiv.).  —  P.  605.  Réponse  de  M.  F.  Lot. 

Périodiques.  —  P.  611.  Stuclj  di  FUologia  romanza,   vol.  VIII 

(P.Meyer).—  P.  613. Zeitschrift fur  romaniiche Philologie, H^lll, 2-3 

(G.  Paris).  —  P.  616.  Zeitschrift  fur  franzosUche  Sprachs  und  Lite- 

rotor,  XIX,  2«  partie,  XX  et  XXI  (A.  Jeanroy).  —  P.  620.  BuUetin 

histmqiie  et  philologique  (années  1896, 1897, 1898).  —  P.  623.  Sechster 

Jahresbericht  des   Instituts  fur   Eumcmische  Sprcmhe  {Rumœnisches 

S«ninar)«tt  Leipzig ,  herausgegeben  von...  Prof.  D»"  Gustav  Weigand 

(M.  Roques  :   ce  volume  contient  Tétude  de  M.  Weigand  sur  les 

Samosch-undTheissdialekte  et  la  fin  du  Codex  de  la  famille  Dimonie; 

mais  la  partio  la  plus  importante  est  Vlatrorumamisches  Glossar,  de 

M.  Arthur  Byhan).  —  P.  624.  Chronique.  —  P.  628.  Livres  annoncés 

sommairement. 

Léopold    CONSTANS. 


CHRONIQUE 


Le  comité  réqionaliste  de  Toulouse.  On  nous  prie  d'insérer  la 
communication  suivante  : 

Le  Comité  régionaliete  fondé  le  18  février  dernier  se  propose 
d'organiser  à  Toulouse,  le  25  mai  prochain,  un  Congrès  régionaliste 
où  seront  discutées  les  questions  qui  intéressent  plus  spécialement  le 
Midi.  La  date  de  ce  Congrès  coïncide  avec  les  fêtes  de  la  Santo- 
Estèlo,  qui  vont  se  célébrer  à  Pau,  le  lundi  de  la  Pentecôte,  et  permet 
ainsi  de  réunir  à  leur  passage  les  félibres  qui  se  rendront  à  cette  fête. 

Le  Congrès  se  divisera  en  trois  parties  : 

I.  —  Décentralisation  administrative  ; 

II.  —  Décentralisation  économique  ; 

III.  —  Décentralisation  intellectuelle  :  1°  Enseignement;  2^ Œuvre 
de  ïïnitiative  privée  dans  le  domaine  des  Lettres,  des  Sciences  et  des 
Arts  :  Le  Félihrige. 

Nous  avons  pensé  que  vous  ne  resteriez  pas  indifférent  à  cette 
réunion  et  que  vous  tiendriez  à  y  participer.  Des  billets  de  chemin 
de  fer  à  moitié  prix  seront  délivrés  aux  congressistes  qui  en  feront 
la  demande  au  Comité. 

Nous  vous  prions  instamment  d'envoyer  votre  adhésion  avant  le 
15  avril,  date  de  rigueur,  soit  à  M.  Armand  Praviel,  secrétaire  du 
Comité  régionaliste,  9,  rue  de  l'Université,  soit  à  M.  Berthoumieu, 
trésorier,  rue  Denfert-Rochereau,  15. 

Seuls,  les  adhérents  au  Congrès  pourront  participer  à  ses  travaux 
et  y  faire  des  communications. 

Ce  droit  de  participation  est  fixé  à  5  francs. 

Veuillez  agréer,  M.,  nos  civilités  confraternelles. 

André  Sourreil,  capiscol  de  lEscolo  Moundino  ;  J.-  Félicien  Court, 
secrétaire  de  Zra  Terro  d'Oc;  Armand  Praviel,  directeur  de  UAme 
Latine;  René  de  Marans,  rédacteur  à  UAme  Latine;  Charles  De- 
LORME,  directeur  de  la  Revue  Provinciale;  Marc  Lafargue,  homme 
de  lettres  ;  Alphonse  Moulinieb,  directeur  de  L'Art  Méridional; 
Baron  Désazars  de  Montgaillard,  directeur  de  la  Revue  des  Pyré- 
néen ;   Emile  Cartailhag,  correspondant  de  l'Institut,  secrétaire  de  la 


CHRONIQUE  95 

Société   d'Archéologie  ;  Edouard    Privât,    archiviste -paléographe  ; 
ToUNY-  LÉBYS,  directeur  de  GaUia;G,  Berthouhieu,  administrateur 
de  La  Terro  d'Oc, 
Ont  déjà  adhéré  : 

Maurice  Babbès;H.  Beauquier,  député  ;  De  Bbaurbfaire-Frohent, 
rédacteur  en  chef  de  La  Tradition;  J.  Charles-Brun,  secrétaire  de 
la  Fédération  Kégionaliste  française  ;  Camille  Chabaneau,  professeur 
de  Littérature  romane  à  TUniversité  de  Montpellier  ;  L.  Constans, 
professeur  de  Littérature  romane  à  l'Université  d'Aix  ;  Emmanuol 
Delbousquet,  Gaston  Jodrdanne,  félibre  majorai  ;  Joachim  Gasquet, 
directeur  du  Pays  de  France  ;  Ch.  Le  Goffic  ;  René  Grivart,  secré- 
taire général  de  l'Union  Régionaliste  bretonne  ;  Emile  Pouvillon  ; 
Charles  Ratier,  félibre  majorai  ;  L.  Xavier  de  Ricard,  président 
de  la  Fédération  Régionaliste  française  ;  F.  Mistral. 

Lb  Cartulaire  db  Maguelonb.  — -  Deux  membres  de  l'Académie 
des  sciences  et  lettres  et  de  la  Société  archéologique  de  Montpellier, 
M.  F.  FABRàGK,  le  savant  et  brillant  écrivain,  propriétaire  et  historien 
de  l'antique  cathédrale  de  Maguelone,  et  l'érudit  archiviste  du  dépar- 
tement de  l'Hérault  et  de  la  ville  de  Montpellier,  M.  J.  Bbrthelé, 
viennent  d'entreprendre  la  publication  d'un  des  manuscrits  les  plus 
importants  de  nos  archives  locales,  le  Cartulaire  de  Maguelone,  recueil 
en  six  énormes  in-folios,  constitué  au  XIV®  siècle  et  qui  contient  près 
de  deux  mille  cinq  cents  documents^  relatifs  aux  différentes  localités 
comprises  dans  l'ancien  diocèse  de  Montpellier. 

On  y  trouvera  l'histoire  seigneuriale,  ecclésiastique,  commerciale, 
agricole,  etc.,  de  la  plupart  des  bourgs,  villages  et  mas  de  notre 
arrondissement,  depuis  le  XI®  siècle  jusqu'au  XIV®. 

Une  dizaine  de  paléographes  et  d'auxiliaires  ont  été  embrigadés 
pour  la  préparation  de  cette  œuvre  considérable.  Nous  citerons 
d'abord  quelques  anciens  étudiants  du  cours  de  paléographie  de  la 
Faculté  des  lettres,  notamment,  M.  B.  Gailhard,  docteur  en  droit, 
bibliothécaire  universitaire,  et  M.  Maurice  Tbissier,  diplômé  d'études 
supérieures  d'histoire.  L'Université  de  Montpellier  se  trouve  ainsi 
payer  sa  dette  de  reconnaissance  à  IVL  Fabrège  qui,  en  tant  de  cir- 
constances, et  notamment  lors  de  la  fondation  de  l'Institut  Bouisson- 
Bertrand,  lui  a  témoigné  une  sympathie  si  dévouée.  Mentionnons 
encore  la  collaboration  de  M.  Tabbé  Léon  Cassan,  archiviste  diocé- 
sain, qui  publie  en  ce  moment,  dans  les  Mémolirs  de  la  Société 
archéologique  de  Montpellier  (en  collaboration  avec  M.  Paul  Alads, 
ancien  archiviste  du  département  de  l'Aude,  et  avec  M.  Metnial, 
professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Montpellier),  les  cartulaires  des 
abbayes  d'Aniane  et  de  Saiht-Guilhem-le-Désert. 


96  CHRONIQUE 

La  publication  du  Cariulaire  de  Maguelone  formera  une  quinzaine 
de  volumes  in-4^.  Le  texte  des  documents  sera  accompagné  de  notes 
historiques,  topographiques,  etc.  Chaque  volume  sera  muni  de  tables 
chronologiques  et  méthodiques.  Plusieurs  cartes  y  seront  jointes,  qui 
présenteront  la  reconstitution  de  Tancien  diocèse  de  Montpellier  au 
moyen  âge. 

Aucune  de  nos  Sociétés  savantes  ne  disposant  de  ressources  assez 
considérables  pour  pouvoir  se  lancer  dans  une  entreprise  aussi  impor- 
tante, il  semblait  que  ce  vaste  manuscrit  dût  toujours  rester  inacces- 
sible au  grand  public.  Grâce  à  la  munificence  de  M.  Fabrège,  le 
Cartulaire  sera  bientôt  à  la  portée  de  tous  les  amis  de  notre  histoire 
locale.  L'érudition  montpelliéraine  a  trouvé  son  Mécène. 

{Le  Midi  Mondain.) 


Mot  nouveau.  ^  Quelques  lecteurs  de  la  Rbioub  ont  sans  doute 
remarqué  un  mot  nouveau  que  les  journalistes  emploient  volontiers 
en  parlant  des  affaires  d'Allemagne  ;  c'est  le  mot  mondial  ;  politique 
mondiale  traduit  Weltpolitik.  11  ne  paraît  pas  dater  de  loin,  et,  quoi- 
qu'il soit  difficile  de  prédire  sa  fortune,  il  n*y  a  pas  de  raison  pour 
qu'il  ne  prospère  pas!  Les  diplomates  furent  moins  bien  inspirés, 
quand,  il  y  a  quelques  années,  il  nous  gratifièrent  du  Hinterland  ; 
il  leur  aurait  été  si  facile  de  dire  arrière-pays, 

J.  ÀNGLADB.     ^ 


Le  Gérant  responsable  :  P.  Haublin. 


ONOMATOPÉES 
ET  MOTS  EXPRESSIFS 


On  appelle  onomatopées  les  mots  dont  le  son  imite  celui 
de  Tobjet  qu'ils  désignent.  Les  unes  sont  voulues,  comme 
glouglou^  frou-frou^  tictac^  c'est-à-dire  qu'elles  n'ont  pas 
d'autre  origine  que  l'imitation  même  d'un  bruit  de  la  nature. 
Les  autres  sont  accidentelles,  c'est-à-dire  qu'elles  ne  doi- 
Tant  leur  valeur  imitative  qu'à  l'évolution  fonétique  normale 
d'un  mot  qui  n'était  nullement  onomatopéique.  Tel  est  le 
verbe  vha.  fnehan  «  souffler  »  ,  qui  a  toutes  les  qualités 
nécessaires  pour  peindre  le  souffle  et  remonte  à  une  forme 
inexpressive  prégerm.  *  pnek-,  cf.  gr.  îtvê'w.  Dans  la  pratique 
il  est  souvent  inutile  et  il  serait  parfois  difficile  de  distinguer 
ces  deux  catégories. 

Les  poètes  ayant  généralement  senti  avec  une  remarqua- 
ble intensité  et  souvent  utilisé  avec  boneur  la  valeur  expres- 
sive des  mots  dont  nous  allons  nous  occuper,  nous  citerons 
maintes  fois  à  l'appui  de  nos  explications  des  vers  où  ils  l'ont 
mise  en  relief  et  renforcée. 


I 


L'onomatopée  n'est  jamais  une  reproduction  exacte,  mais 
une  approximation.  Les  sons  du  langage  ont  certaines  qualités, 
les  bruits  de  la  nature  en  ont  d'autres,  et  les  uns  ne  peuvent 
pas  recouvrir  strictement  les  autres.  Un  musicien  qui  vou- 
drait reproduire  le  bruit  du  tambour  au  moyen  d'un   piano, 

xuv.  -  Mars- Avril  1901.  "7 


98  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

n*aiTi¥erait  jamais  qn^à  Timiter,  qu'à  faire  quelque  chose  qai 
en  donnerait  ridée;  son  œuvre  ne  serait  qu^une  adaptation 
et  à  proprement  parler  une  traduction.  De  même   lorsque 
nous  rendons  par   une  onomatopée  un  son  extérieur  nous 
le  traduisons  en  notre  langage.  On  peut  même  dire  qu'il  i  a 
une  double  traduction;  non  seulement  nos  organes  émet- 
teurs de  sons  traduisent  à  leur  manière  les  données  que  leur 
fournit  notre  oreille,  mais  déjà  Pore  il  le  avait  interprété  et 
traduit  les  impressions  qui  lui  parvenaient.  Le  mot    coucou 
reproduit  assez  bien  le  cri  de  Foiseau  qu'il  désigne.  Un  soir 
que  j'entendais  un  coucou  répéter  son  chant  monotone,  je 
priai  un  de  mes  amis  de  Técouter  avec  attention  et  de  me 
dire  si  c'était  bien  coucou  qu'il  entendait  ou  quelque  autre  son. 
c  Alors,  me  dit-il,  tu  voudrais  que  le  coucou  ne  fasse  pas  cou- 
cou? —  Je  ne  veux  rien  du  tout  ;  écoute  et  dis-moi  ce  que  tu 
entends  ».  Au  bout  d'un  instant  il  me  répondit  qu'il  entendait 
bien  coucou  c  à  n'en  pas  douter»  et  qu'il  trouvait  d'ailleurs 
ma  question  assez  saugrenue.  «  Saugrenue  tant  que  tu  vou- 
dras ;  je  prétends  que  tu  n'entends  que  ou-ou,  c'est-à-dire  la 
même  voyelle  ou  répétée  deux  fois  avec  une  légère  dijfference 
d'intonation ,  mais  aucune  occlusive,  aucun  c  devant  elle.  » 
Après  quelques  minutes  il  était  convaincu  que  j'avais  raison. 
Mais  pourquoi  avait-il  cru  entendre  coucoit  jusqu'au  moment 
où  je  l'ai  averti  qu'il  n'i  avait  pas  de  c?  Parce  qu'il  avait  des 
abitudes,  comme  nous  en  avons  tous  ;  parce  que  dès  sa  plus 
tendre  enfance  on  lui  avait  appris  que  le  cri  de  cet  oiseau 
était  coucou ,   et  que    son   oreille  prévenue   n'avait  jamais 
entendu    autre  chose  ;    parce    que    d'autre    part  il    n'était 
guère  accoutumé   à  prononcer  deux  fois  de  suite  la  même 
voyelle  sans  consonnes   et  que  coucou  était  d'après  nos  abi- 
tudes rinterprétation  et  la  traduction  presque  obligatoires 
de  ce  qu'il  entendait.  En  effet  si  quelqu'un  imite  à  quelque 
distance  au  moyen  du  mot  coucou  le  cri  du  coucou,  son  imi- 
tation se  confondra  absolument    avec  le  vrai  cri  de  l'oi- 
seau, parce  qu'à  un  certain  éloignement  nous  confondons  les 
occlusives  ou  même  nous  ne  les  percevons  pas  du  tout  ;  de 
là  notre  abitude  de  les  restituer  dans  les  mots  que  nous  re- 
connaissons et  d'en  supposer  dans  les  autres.  Dans  ces  sortes 
de  suppositions  ce  n'est  pas  le  asard  qui  nous  guide  ;  ainsi 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  99 

le  cri  d*un  oiseau  que  l'on  entend  ou-ou,  c'est-à-dire  à  peu 
près  le  nom  du  grand-duc  en  allemand  ûku,  ne  saurait  être 
traduit  poupou,  boubou^  toutou,  doudou,  ni  même  gougou  ;  ce 
seraient  de  mauvaises  traductions.  Les  seules  occlusives  que 
nous  supposions  naturellement  devant  une  voyelle  sont  celles 
qui  ont  le  même  point  d'articulation  qu'elle.  Les  introduc- 
trices normales  de  la  voyelle  vélaire  ou  sont  les  occlusives 
vélaires  qei  g  ;  mais  cette  dernière  comporte  une  sonorité 
qui  est  excellente  pour  rendre  la  résonnance  prolongée  d'une 
cloche  dans  Tonomatopée  ding-dong^  mais  qui  serait  ici  une 
superfétation.  La  sourde  c  (g)  convient  donc  seule  absolu- 
ment, et  coucou  est  une  traduction  irréprochable. 

Le  mot  tictac,   désignant  le  bruit  que  fait  le   balancier 
d'une  pendule,  est  un  autre  exemple  fort  instructif.  Si  Ton  se 
met  en  face  d'un  balancier  et  qu'on  Técoute  en  commençant 
au  moment  ou  il  bat  à  gauche  on  entend  ttctac,  tic-tac  ;  si 
l'on  cesse  d'écouter,  et  que  l'on  recommence  au  moment  où 
il  bat  à  droite,  il  semble  que  l'on  doit  entendre  tac-tic,  tac-tic. 
Il  n'en  est  rien:  le  balancier  fait  toujours  tic-tac,  tic-tac,  ce 
qui  montre  bien  que  par  ce  mot  tic-tac  pous  ne  reproduisons 
pas  exactement  le  bruit  du  balancier  ;  nous  croyons  entendre 
tic-tac  parce  que  c'est  là  ce  que  nous    nous  attendons  à  en- 
tendre,  et  si  nous  essayons  de  changer  l'ordre  pour  entendre 
tac-tic  nous  entendons  encore  tic-tac  parce  que  la  force  de 
Tabitude  domine  les  impressions  de  notre  oreille.  Et  pourtant 
tictac  est  une  excellente  onomatopée;  le  balancier  fait  en- 
tendre  en  réalité   deux  petits  bruits    secs    qui  forcément 
différent  un  peu  l'un  de  l'autre;  c'est  cette  différence  qui  est 
marquée  par  la  modulation  que  produisent  les  deux  voyelles 
teta.  La  répétition  de  ces  deux  sillabes  analogues  qui  com- 
mencent et  finissent  de  même  marque  que  le  bruit  est  répété. 
Les  deux  voyelles,  extrêmement  brèves  et  sèches,  peignent 
bien  un  bruit  bref  et  sec.  Cette  qualité  est  encore  accentuée 
par  les  deux  occlusives  sourdes  qui  ouvrent  et  ferment  chaque 
sillabe.  C'est  donc  une   onomatopée  parfaite,  mais  ce  n'est 
pas  une  reproduction  exacte  des  bruits  qu'elle  imite. 

Si  c'est  l'abitude  qui  nous  contraint  à  entendre  tic-tac, 
qu'est-ce  qui  a  déterminé  ceux  qui  ont  créé  le  mot  à  ranger 
ses  deux    sillabes  dans  cet  ordre    plutôt  que   dans   Tordre 


100  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

inverse?  C'est  une  antre  abitude  beancoup  plus  générale  qui 
domine  tons  les  mots  à  redoublement  de  formation  purement 
onomatopéiqae.  Quand  ils  ne  sont  pas  constitués  par  la  répé- 
tition pure  et  simple  d'une  même  sillabe,  comme  coucou^  ron- 
ron, glouglou,  an  cri,  ils  ont  une  apofonie  spéciale  (cf.  Gram- 
mont,  La  dissimilation,  p.  170),  absolument  indépendante  de 
l^apofonie  ordinaire  des  langues  indo-européennes,  et  qui  veut 
que  leurs  voyelles  toniques  soient  toujours  t,  a,  ou,  sans  que 
cet  ordre  puisse  être  interverti.  Quelquefois,  mais  rarement, 
Va  est  remplacé  par  o  ouvert,  voyelle  de  valeur  à  peu  près 
équivalente,  comme  nous  le  verrons  plus  loin.  En  voici  quel- 
ques exemples  :  fr.  pif-paf,  pifpaf-pouf,  —  bim-boum,  bim- 
bam-boum,  —  flic-flac,  flic-floc,  —  cric-croc^  cric-croc, —  cli^-clac  ; 

—  ail.  pimpampum,  —  p^ffpoffp^fft  —  flickflack,  —  klippk/app, 

—  klitschklatsch,  —  ripsraps,  —  s^hwippschtoapp,  —  lirum- 
Idrum,  —  klimperklàmper,  —  klingklang,  —  singsang;  — 
angl.  criddle-craddle,  —  widdle-toaddle. 


II 


Lorsque  Victor  Hugo  a  écrit  dans  Napoléon  II  : 

Le  flot  sur  le  flot  se  replie , 

il  n'a  pas  voulu  dire  qu'un  âot  se  replie  sur  un  autre  une  fois 
pour  toutes,  mais  il  a  fait  sentir  ti'ès  nettement  que  les  flots 
se  succèdent  et  se  replient  les  uns  sur  les  autres  continuelle- 
ment et  d'une  manière  indéfinie.  De  même  dans  les  onomatopées 
le  redoublement  à  la  propriété  de  suggérer  l'idée  d'un  bruit  qui 
se  reproduit  d'une  façon  continue  et  un  nombre  de  fois  indé- 
terminé (cf.  La  dissimilation,  p.  164   sqq.).   Ou  bien  le  bruit 
qui  se  répète  est  toujours  à  peu  près  identique  comme   celui 
que  désignent  les   mots   fr.   glouglou,  ronron,  murmure,  gr. 
jSa^à^ca  a  je  bégaie»,  ou  bien  il  présente  une  certaine  modu- 
lation comme  ceux  qui  sont  traduits  par  les  onomatopées  cric- 
crac,  pif'paf'pouf,bim-bam'boum. 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  101 

Il  n'est  d'ailleurs  nullement  indispensable  que  la  répétition 
porte  sur  une  siliabe  tout  entière  ou  sur  un  groupe  de  sons. 
Dans  cet  émistiche  de  la  fable  Le  coche  et  la  mouche  : 

Va,  vient,  fait  Tempressée, 

rallitération  dut;  qui  commence  les  deux  premiers  mots  a  suffi 
à  La  Fontaine  pour  rendre  en  quelque  sorte  matériellement  sen- 
sibles l'agitation  et  les  allées  et  venues  continuelles  de  la  mou- 
che. Il  n'en  faut  pas  davantage  à  un  mot  qui  désigne  un  bruit 
pour  devenir  onomatopéique  et  faire  sentir  que  ce  bruit  S(3 
répète.  Tels  sont  la  plupart  des  mots  à  réduplication  brisée 
{Dissimilatiorif  p.  168  sqq.),  comme  lit  bambétt  a  grommeler  », 
burbéti  «  bégayer  »,  lat.  balbus  «  bègue»,  gr.  ^ofA^iw  «je 
bourdonne  »,  v.  irl.  bablôir  «bavard», lit.  hlaburis  «bavard  », 
tijtarns  «  dindon  »,  gr.  T«Tap«ç  «  faisan  »,  fr.  caqueter,  tinte- 
ment, barboter j  gargouiller.  Le  fonème  dont  la  répétition  fait 
onomatopée  n'est  pas  nécessairement  une  consonne  ;  il  peut 
aussi  bien  être  une  voyelle  comme  dans  ce  vers  de  M.  de 
Heredia  : 

Et  Pan,  ralentissant  ou   pressant  la  cadence. 

C'est  le  cas  pour  le  mot  monotone  dont  les  trois  o  semblables 
peignent  si  bien  un  bruit  identique  répété  indéfiniment;  dans  le 
mot  cliquetis  les  deux  e  jouent  un  rôle  également  suggestif  pour 
un  bruit  d'une  nature  précise,  celui  qui  résulte  de  l'entre- 
choquement  des  armes  &  ceux  qui  sont  analogues  à  celui-là. 

Il  faut  ajouter  qu'un  mot  peut  désigner  un  bruit  répété, 
comme  ail.  plaudern  «  bavarder,  caqueter  »,  klirren  «  clique- 
tis »,  sans  faire  aucunement  sentir  que  ce  bruit  est  répété; 
n'ayanten  lui  aucun  fonème  répété,  il  ne  présente  rien  qui  puisse 
suggérer  l'idée  de  la  répétition.  D'autre  part  un  mot  peut 
posséder  plusieurs  fois  le  même  son,  voire  la  même  siliabe, 
sans  exprimer  en  rien  la  répétition  si  l'objet  désigné  ne  com- 
porte pas  cette  idée.  Tels  sont  lat.  teter  «  noir  »,  att.  TérTapsç 
«  quatre  »,  fr.  bourbier,  encens^  angl.  pickpocket  «  filou  ».  La 
répétition  des  fonèmes  n'est  donc  expressive  qu'en  puissance 
et  sa  valeur  ne  vient  en  lumière  que  si  l'idée  exprimée  le 
comporte. 


102  ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 


m 


Nous  avons   vu   qu'une  onomatopée  comme  pif^pat-pouf 
contient  une  modulation  produite  par  son  apofonie  vocalique. 
Chacune  dessillabes  de  ce  mot  constitue  aussi  une  onomatopée 
monosillabique  servant  à  désigner  un  bruit  unique;  mais  elles 
ne  s'emploient  pas  indifféremment  pour  n^importe  quel  bruit. 
Ainsi  pt/ peut  désigner  celui   que  fait  un  chien  de  fusil    en 
s' abattant  sur  la  cheminée,  paf  celui  d'un  coup  de  fusil,  pouf 
celui  de  la  chute  d'un  omme  qui  tombe  sur  son  derrière.  Si 
l'on  nous  disait  qu'un  sac  de  farine  en  tombant  par  terre  a 
fait  pif,   nous  demanderions   immédiatement  comment  il  a 
bien  pu  produire  un  bruit  aussi  insolite.  C'est  donc   que   les 
différentes  voyelles  ont  pour  nous  des  valeurs  spéciales.  En 
effet  les  voyelles  sont  des  notes  variées  qui  impressionnent 
diversement  notre  oreille.  Les  unes  sont  des  notes  aiguës,  les 
autres  des  notes  graves,  les  unes  sont  des  notes  claires,  les 
autres  des  notes  sombres,  les   unes  sont  voilées,  les  autres 
éclatantes.  C'est  la  disposition  des  organes  buccaux  nécessaire 
pour  leur  émission  qui  détermine  leur  qualité.  Toutes  celles 
qui  ont  leur  point  d'articulation  sur  la  partie  antérieure  du 
palais  sont  des  voyelles  claires^  à  savoir  t\  w,  e,  è,  eu  fermé  (ô, 
comme  dans  le  mot  feu).  Parmi  ces  voyelles  claires,  les  deux 
qui  sont  le  plus  fermées  et  qui  se  prononcent  le  plus  en  avant, 
Vi  et  l'w,  peuvent  être  mises  à  part  sous  le  nom  de  voyelles 
aiguës.  Toutes  celles  qui  se  prononcent  sur  la  partie  posté- 
rieure du  palais,  ou  au  niveau  du  voile  du  palais,  ou  même 
plus  en  arrière,  sont  des  voyelles  graves.  Il  i  a  aussi  lieu  de 
ranger  ces  dernières  en  deux  catégories,  et  de  désigner  par 
le  nom  d'éclatantes  Va,Vo{p  ouvert,  comme  dans  le  mot  corps), 
Veu  ouvert  (é,   comme  dans  le  mot  peur)^,  et  par  le  nom   de 


1  II  ne  faut  pas  s'étonner  de  trouver  dans  deux  classes  différentes  Veu 
fermé  (ô)  &  Veu  ouvert  (et).  C'est  par  suite  d'abitudes  dues  à  la  pauvreté 
de  notre  alfabet  que  l'on  a  une  tendance  à  considérer  l'é  &  Vé  d'une 
part,  Vd  &  Vô  d'autre  part  comme  des  voyelles  à  peu  près   semblables. 


ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  1 0  3 

sùmbres  Vu  {ou)  et  V6  [o  fermé,  comme  dans  le  mot  clos).  Les 
Yojelles  nasales  sont  toutes  comme  voilées  par  la  nasalité, 
mais  appartiennent  d'ailleurs  chacune  à  la  même  classe  que 
la  voyelle  orale  qu'elles  ont  pour  substratum  :  i" ,  w'  sont 
aigus,  è^  est  clair,  a»»,  d^,  é^  sont  éclatants,  ô'  ,  m"  sont 
sombres. 

Les  voyelles  aiguës,  t  &  u,  sont  naturellement  propres  à 
exprimer  des  bruits  aigus,  comme  nous  Tavons  vu  tout  à 
^'eure  dans  l'onomatopée  pif;  il  en  est  de  rrême  de  Tonoma- 
topée  pim  qui  désigne  le  bruit  du  marteau  frappant  sur 
renclume.  Le  cri-cri  ou  grillon  domestique,  que  les  Lituaniens 
appellent  czyczys^  fait  un  bruit  aigu  et  strident  ;  il  en  est  de 
même  du  tri-tri  ou  bec-âgue.  Aigu  y  appliqué  à  un  son, 
possède  une  voyelle  claire,  puis  une  voyelle  aiguë  qui  le 
rendent  très  expressif;  lat.  acutus^  d*où  il  sort,  était  inex- 
pressif. Si  ce  que  désigne  le  mot  cri  se  distingue  avec  tant  de 
précision  des  éclats  de  voix  de  la  colère,  des  clameurs  de 
la  foule,  du  grondement  de  la  mer  en  courroux,  c'est  que  la 
voyelle  aiguë  de  ce  vocable  lui  assigne  exclusivement  des 
bruits  aigus  pour  domaine.  Cette  qualité  a  été  parfaitement 
sentie  et  renforcée  par  M.  de  Heredia  dans  ce  vers  : 

Avec  un  m  sinistre,  il  tournoie,  emporté 

(La  mort  de  l'aigle). 

En  lit.  kifkti  signifie  c  jeter  des  cris  aigus  »  ;  krykszti  a  à 
peu  près  le  même  sens  ;  il  en  est  de  même  de  mha.  krîschen  & 
krîzen  ;  mais  ail.  moderne  kreischen  ne  peint  pas  aussi  bien 

En  réalité  il  i  a  plus  de  différence  entre  l'articulation  de  Vè  &  celle  de 
IV  qu'entre  celle  de  Vé  &  celle  de  l'i,  entre  l'articulation  de  Va  &  celle  de 
IM  qu'entre  celle  de  l'a  &  celle  de  l'ô,  qu'entre  celle  de  l'd  &  celle  de  Vu 
{ou).  Si  dans  notre  classification  Vé  &  Vé  se  trouvent  dans  la  même 
catégorie,  c'est  qu'ils  se  prononcent  tous  deux  sur  la  partie  antérieure 
du  palais  ;  si  Va  &  Va  sont  dans  une  même  catégorie,  quoique  dans  deux 
subdivisions  différentes,  c'est  que  tous  deux  s'articulent  dans  la  partie 
postérieure  de  la  bouche.  Le  domaine  des  deux  eu  est  intermédiaire 
entre  celui  des  deux  e  &  celui  des  deux  o,  mais  de  telle  sorte  que  l'un 
a  son  point  d'articulation  d'un  côté  et  l'autre  de  l'autre  côté  de  la  limite 
qui  sépare  les  claires  des  graves. 


104  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

Tacuité  du  son  que  mha.  krîschen  d'où  il  sort.  Parmi  les 
instruments  à  vent,  nous  avons  le  fifre,  le  sifflet  &  la  flûte  qui 
soufflent  des  sons  aigus  : 

Le  fifre  aux  cris  aigus.... 

dit  Lamartine  dans  Jocelyn,  Quand  A.  de  Vigny  écrivait  dans 
Le  bal  : 

....  et  la,  flûte  soupire, 

il  ne  faisait  que  renforcer  Vu  du  mot  a  fiûte  »  et  mettre  en 
lumière  sa  valeur  expressive.  V.  Hugo  de  son  côté  rend  sen- 
sible Tacuité  du  sifflement  dans  ce  vers  des  Burgraves  : 

Semer,  dans  les  débris  où  sifflera  la  bise.... 

L'évolution  fonétique  a  ôté  au  mot  ail.  pfeife  «  siffet,  fifre  » 
Texpression  de  Tacuité  ;  mais  elle  était  bien  nette  dans  les 
formes  antérieures  mha.  pfîfe^  vha.  pfifa  &  aussi  dans  leur 
point  de  départ  lat.  pipa,  AU.  zirpen  a  pépier,  en  parlant  des 
petits  oiseaux  »  est  un  peu  moins  expressif  que  fr.  pépier^ 
parce  qu'il  n'a  pas  de  redoublement  ;  lat.  pipilare  était  une 
onomatopée  plus  exacte.  Ail.  zwitschem  «gazouiller  »  ne  vaut 
pas  mha.  zwitzern  qui  a  deux  z,  ni  surtout  vha.  zwizzirôn  qui 
présente  z  et  t  dans  deux  sillabes  consécutives  ;  les  formes  des 
dialectes  qui  n^ont  pas  subi  la  seconde  lautverschiebung  ne 
donnent  pas  tout  à  fait  la  même  impression,  car  leur  t  convient 
plutôt  au  pépiement  et  le  z  au  gazouillis  ;  tels  sont  moj.  angL 
twiteren^  angl.  twitter;  la  forme  germanique  d'où  sortent 
celles  du  aut  allemand  et  de  l'anglais  est  supérieure  aux 
unes  et  aux  autres  parce  qu'elle  réunit  tous  leurs  éléments 
imitatifs  et  n'est  qu'une  copie  immédiate  du  bruit  qu'elle 
exi^rime :*  twi-twiz'ôn.  Le  mot  fr.  bise  que  nous  venons  de 
rencontrer  dans  un  vers  de  V.  Hugo  convient  admirablement 
au  vent  sifflant  et  mordant  qu'il  désigne.  La  Fontaine  l'a  bien 
senti  lorsqu'il  écrivait: 

Quand  la  bise  fut  venue. 
Ail.   klirren  s'applique  au  cliquetis  des  armes,  au  bruit  des 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  105 

chaînes,  au  choc  des  verres,  c'est  à- dire  toujours  à  des  bruits 
aigus.  AU.  knistem  «  crépiter,  pétiller  »  désigne  aussi  des 
petits  bruits  aigus.  Ail.  kichem  veut  dire  «  faire  de  petits  cris, 
ricaner  ».  Gr.  "ktyùç  «clair,  aigu,  perçant  en  parlant  d'un  son  » 
86  passe  de  commentaire. 

Quand  une  voyelle  aiguë  se  trouve  en  contact  immédiat  avec 
ane  consonne  nasale,  la  mollesse  de  cette  dernière  (cf.  in/ra 
les  vojelles  nasales  p.  145etles  consonnes  nasales  p.  146)  fait 
perdre  à  la  voyelle  ses  qualités  d^acuité  par  une  sorte  de  réac- 
tion qu'elle  exerce  sur  elle  et  cette  voyelle  aiguë  ne  fait  plus 
sur  nous  une  impression  plus  violente  qu'une  voyelle  clair>^ 
non  aiguë,  un  é  par  exemple.  Comparez  à  ce  fénomène  révo- 
lution fonétique  qui  a  transformé  In  latin  en  la  voyelle  nasale 
m,  ein  (è')  du  français.  C'est  ce  qui  explique  que  murmure^  mur- 
murer n'expriment  pas  une  répétition  de  bruits  aigus,  mais 
de  bruits  clairs.  Victor  Hugo  nous  a  donné  un  exemple  mer- 
veilleux de  cet  effet  dans  ce  passage  de  Petit  Paul: 

. les  ttlds 

IHiiriiiiiraient  l'hymne  obscur  de  ceux  qui  sont  bénis , 

où  presque  toutes  les  voyelles  aiguës  reçoivent  du  contact 
d'une  consonne  nasale  une  douceur  inûnie.  Ail.  kltngel, 
klingeln  s'emploient  pour  la  sonnette  ou  la  clochette  et  son 
bruit  argentin  ;  klingen  peut  s'appliquer  au  son  d'une  cloche, 
mais  presque  uniquement  lorsqu'il  s'agit  d'un  tintement;  dans 
les  autres  cas  on  a  le  substantif  A /any  et  les  formes  verbales 
kiang^  geklungen  ;  il  serait  absolument  choquant  d'employer 
une  forme  de  ce  verbe  contenant  un  i  pour  désigner  le  son 
du  bourdon,  de  la  brummghcke  \  au  contraire  ^6A:/t(n^en  fait 
à  merveille  dans  cette  circonstance.  Lat.  tinnire  qui  signifie 
«  rendre  un  son  métallique,  un  son  clair,  tinter»,  tinnitus  qui 
tlésigne  ce  son,  tintinnabulum  qui  s'applique  à  différentes 
espèces  de  clochettes,  sk.  kinkinié  a  clochette»,  possèdent  des 
qualités  semblables. 

Les  voyelles  claires  ^^  é,  è^^  ô  produisent  un  effet  analogue. 
On  le  sent  dans  ail.  hell,  fr.  clair ^  léger  appliqués  à  un  son  : 

Le  nmrnmre  léger  des  abeilles  Adèles 

(Lbconxb  db  Lislb,  Poèmes  antigues)^ 


i06  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

ou  dans  fr.  tmier  : 

• fait  tinter  dans  sa  malm 

Les  deniers  d'argent  clair  qu'il  rapporte  de  Rome 

(Hbbbdia). 

Ail.  sàuseln  convient  bien  aussi  au  doux  murmure  qu'il  dési- 
gne: 

In  dttrren  blftttern  sàuselt  der  wlnd, 

dit  Q-oethe  dans  VErlkônig,  et  si  vous  voulez  savoir  quelle  est 
la  note  de  ce  bruissement  du  vent  dans  les  aunes,  voyez  les 
paroles  que  croit  i  entendre  l'enfant  malade  et  combien  leur 
vocalisme  clair  les  rend  légères,  mielleuses,  douces  et  char- 
mantes : 

Du  Uebes  klad,  komm,  géh  mit  mlr! 
Gar  schœne  splele  splel'  Ich  mit  dir. 

Les  voyelles  éclatantes  a,  d,  é,  d%  é'  sont  par  déânition 
même  propres  à  exprimer  les  bruits  éclatants.  Ce  sont  elles 
qui  donnent  la  meilleure  part  de  leur  valeur  onomatopéique 
aux  mots  éclat  et  éclatant  eux-mêmes,  puis  au  mot  fracas  qui 
désigne  le  bruit  de  quelque  chose  qui  vole  en  éclats,  au  mot 
fanfare  qui  s'applique  à  une  certaine  musique  éclatante  : 

La  victaire  aux  cent  valx  sonnera  sa  fanfare 

(Huoo). 

La  liste  des  mots  qui  désignent  un  bruit  éclatant  est  assez 
variée  dans  chaque  langue;  sans  parler  des  exclamations  ail. 
/?a/f,  patsch^  klacks,  klaps^  knacky  knacks,  schwapp^  schwapps^ 
fr.  paf,  pan,  vlan,  flac,  crac^  clac,  on  peut  citer  tout  d'abord 
fr.  craquer,  ail.  krachen  «  craquer»,  fr.  claquer,  ail.  klatschen 
«claquer»,  klappen  «claquer»,  klappern  «claquer,  craquer», 
knallen  «éclater»,  knarren  «craquer»,  knacken  «  craquer  ». 
Le  mot  fr.  croquer  a  un  sens  analogue  et  peint  le  bruit  de 
quelque  chose  qui  craque  sous  la  dent.  Ses  éléments,  sauf  la 
voyelle,  sont  les  mêmes  que  ceux  de  craquer.  Cette  voyelle 
aussi  est  éclatante,  brève  et  sèche  ;  pourtant  elle  diffère  assez 
sensiblement  d'un  a  pour  qu'une  nuance  d'expression  puisse 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  107 

exister.  Elle  est  moins  ouverte  et  un  peu  moins  éclatante,  et 
par  suite  elle  est  plus  propre  à  peindre  un  son  qui  se  produit 
à  rintérieur  de  la  bouche,  à  Tendroit  même  où  elle  a  son  point 
d'articulation,  ou  d'une  manière  plus  générale  un  bruit  que 
nous  n'entendons  pas  directement,  mais  à  travers  un  obstacle 
ou  une  paroi.  Tel  est  celui  que  nous  percevons  lorsque  quelqu'un 
frappe  à  notre  porte  et  que  nous  désignons  en  disant  qu'il  fait  toc 
toc, et  non  pas  tac-tac.  Nous  retrouvons  en  effet  cette  voyelle  o 
dans  ail.  klopfen  a  eurter  à  une  porte  »  ,  vha.  klopfôn  et 
klockôn  «même  sens»^  ail.  pochen  qui  s'applique  à  ce  même 
bruit  et  aussi  à  celui  des  battements  du  cœur  ;  enûn  nous  disons 
en  français  cogner  à  une  porte.  Gr.  ^pà;^(,  ccvc^pa;(c,  qui  signifie 
«  craquer,  éclater  »,  contient  des  éléments  assez  voisins  de 
ceux  de  craquer  ;  il  peut  aussi  s'appliquer  au  tonnerre,  non  pas 
quand  il  prodqit  un  sourd  grondement,  mais  seulement  lors- 
qu'il éclate  soudain.  Le  mot  cataracte  s^appUque  bien  à  une 
chute  d'eau  au  bruit  éclatant  et  répété  ;  cascade  désigne  une 
chute  analogue^  mais  plus  faible  à  cause  de  son  s  et  de  son  d* 
et  sans  grondement  (c'est  Vr  qui  rend  cette  dernière  nuance, 
cf.  p  113).  Sonore,  quoiqu'il  ait  un  emploi  assez  général,  n'a 
toute  sa  valeur  expressive  que  lorsqu'il  est  appliqué  à  des  bruits 
éclatants  : 

Ouvrait  les  deux  battants  de  sa  parte  sonore 

(Hugo,  Le  Satyre), 

Une  clameur  n'est  ni  un  grondement  ni  un  murmure  ;  c'est 
un  eosemble  de  cris  tumulteux  et  éclatants  : 

Une  brusque  clameur  épouvante  le  Gaage 

(Hbrxdia). 

Lé  motaôoj/er  désigne  d'une  manière  générale  les  crisdes  chiens 
quand  ils  ne  urlent  ni  ne  grognent  ;  il  n'a  pas  d'expression 
lorsqu'on  l'applique  à  la  voix  aiguë  des  tout  petits  chiens  ou 
à  la  voix  rauque  des  chiens  de  grande  taille  ;  mais  ses  sons 
entrent  en  pleine  valeur  lorsqu'il  s'agit  de  chiens  de  taille 
Dïoyenne.  Surtout  certaines  formes  de  sa  conjugaison  sont 
particulièrement  onomatopéiques  ,  tel  ce  prétérit  qu'Hugo 
a  employé  et  renforcé  dans  ce  vers  du  Satyre  : 


108  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

La  meute  de  Diane  aboya  sur  TOeta. 

Le  mot  japper  qui  contieut  aussi  Va  s'applique  également 
aux  aboiements  des  chiens  de  taille  médiocre.  Les  éclats  de 
rire  sont  des  bruits  de  même  nature,  aussi  trouvons- nous 
ordinairement  Va  dans  les  mots  qui  les  désignent  :  sk.  kàkhati^ 
kâkkati,  kâkkhattj  gr.  y.ay;tâÇw,  xayxaç,  xayxaXaw,  lat.  cackinnus^ 
et  aussi  ail.  lachen  =  mha.  lachen^  vha.  lahhên^  lakhan,  hlah' 
hariy  got.  hlahjan. 

Les  voyelles  claires  servant  à  peindre  un  bruit  clair,  les 
voyelles  éclatantes  un  bruit  éclatant,  les  voyelles  sombres 
peindront  bien  un  bruit  sourd,  comme  dans  le  mot  sourd  lui- 
même  : 

Elle  écaote.  —  Un  bruit  sourd  frappe  les  sourds  éch«s 

(Huao,  Orientales)^ 

ou  dans  les  exclamations  fr.  pouf^  poum,  boum^  ail.  puff^  bums^ 
plumps.  Le  bruit  exprimé  par  le  mot  glouglou,  qu'il  s'applique 
à  celui  d'un  liquide  qui  s'échappe  d'une  bouteille  ou  au  cri 
du  dindon,  est  un  bruit  sourd  peint  par  la  voyelle  ou  ;  la  même 
voyelle  apparaît  dans  les  verbes  dXX.glucken^  glucksen  qui  dési- 
gnent aussi  ce  glouglou  ou  ce  gloussement.  Lit.  bub§nti  signifie 
«  gronder  sourdement  ».  Ail.  munkeln  s'applique  à  une  sourde 
rumeur,  puffen  à  un  bruit  sourd  comme  celui  d'un  objet  qui 
fait  pouf  en  tombant.  Le  urlement  a  pour  essence  une 
voyelle  sombre  ;  nous  la  trouvons  dans  sk.  ulûlus,  ululis  a  ur- 
lant  »,  lit.  ulûti,  ululôti  «  urler  »,  lat.  ululare^  gr.  o'kokùÇa 
«  je  me  lamente  o.  Tandis  que  la  voix  du  renard  ou  du  petit 
chien  qui  glapit  est  aiguë  et  celle  du  chien  moyen  éclatante 
comme  nous  l'avons  vu  plus  aut,  celle  du  gros  chien  est  sourde  ; 
c'est  ce  que  rend  le  jSav^au  du  grec,  le  wauwau  de  l'allemand, 
le  baubari  du  latin,  le  bukkati  du  sanskrit. 

Lorsqu'une  voyelle  nasale  éclatante  se  trouve  dans  un  mot 
qui  contient  une  voyelle  sombre,  elle  prend  elle-même,  grâce 
à  l'assourdissement  que  lui  donne  la  nasalité,  la  valeur  de 
voyelle  sombre.  C'est  le  cas  pour  les  mots  grondant^  gronde' 
ment  et  quelques  autres  que  nous  verrons  plus  loin.  Ce  féno- 
mène  est  particulièrement  net  dans  ces  deux  vers  de  V.  Hugo  : 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  109 

Le  lion  qui  jadis  au  bord  des  flots  ridant, 

Rugissait  aussi  haut  que  rOcëan  grondamt 

\Les  lions). 

11  va  de  soi  que  si  Tobjet^  la  qualité  ou  Taction  qu'un  mot 
désigne  ne  comporte  aucun  bruit,  il  aura  beau  posséder  une 
ou  plusieurs  fois  n'importe  quelle  vojelle,  elle  n'entrera  pas 
en  valeur.  Les  vojelles  que  nous  venons  d'étudier  ne  sont 
pas  onomatopéiques  par  nature  ;  elles  ne  deviennent  expres- 
sives que  si  la  signification  des  mots  où  elles  se  trouvent  les 
met  en  relief.  Qu'il  suffise  de  considérer  les  mots  fr.  p/i,  bis^ 
nie,  fibule,  fi^uit^  tituber,  figure^  ciguës  crime^  lime^  cime^  dune, 
bitume,  légume,  métier,  crétin^  ébreu ,  péché,  impair,  effet, 
déchet,  simple,  vin,  pimbêche,  roc,  sœur,  peur,  bloc,  trappe, 
plaque,  enfant,  tour,  cour,  jour,  rond,  donjon,  dôme^  trône, 
manchon,  brandon,  tombeau. 


IV 


Les  consonnes  demandent  à  être  examinées  à  deux  points 
de  vue.  Il  faut  considérer  d'une  part  la  nature  de  leur  arti- 
culation et  d'autre  part  leur  point  d'articulation. 

La  nature  de  l'articulation  les  répartit  en  occlusives,  na- 
sales, liquides  &  spirantes.  Les  occlusives  ou  explosives, 
frappant  l'air  d'un  coup  sec,  contribuent  à  l'expression  d'un 
bruit  sec  dont  les  voyelles  indiquent  le  timbre.  Si  elles  sont 
répétées,  elles  saccadent  le  mot  &  font  sentir  par  là  même 
que  le  bruit  est  répété.  Nous  avons  vu  plus  aut  tictac  qui 
est  un  exemple  excellent  ;  cliquetis  n'est  pas  moins  remar- 
quable. Les  vojelles  de  tinter  indiquent  un  bruit  clair  ;  ses 
deux  i  font  sentir  qu'il  est  sec  et  répété  : 

Et  faisant  à  tes  bras  qu'autour  de  lui  tu  jettes, 
Sonner  tes  bracelets  où  tentent  des  clocbettes 

(Lbcontb  de  Lislb). 


110  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

Le  claquet  et  le  cliquet  font  tous  deux  entendre  des  bruits 
secs  et  répétés.  Crépiter  et  pétiller  s'appliquent  l'un  etPautre 
à  de  petits  bruits  se  succédant  sans  interruption  ;  ils  sont  tous 
dans  la  note  claire  ou  aiguë,  et  les  occlusives  sourdes  font 
sentir  qu^ils  sont  secs  et  pour  ainsi  dire  momentanés  ;  mais 
comme  la  même  occlusive  n'est  pas  répétée  rien  n'indique 
qu'ils  soient  semblables  entre  eux,  et  cette  variété  du  conso- 
nantisme  donne  même  l'impression  du  sautillement,  comme  la 
produit,  dans  un  autre  ordre  d'idées,  la  variété  sillabique  des 
mesures  de  nos  vers  de  sept  sillabes.  Trotter  suppose  des 
bruits  secs  et  répétés  dans  la  note  propre  à  Vd,  c'est-à-dire, 
comme  nous  l'avons  vu  plus  aut,  dont  l'éclat  est  un  peu 
amorti.  Si  dans  gr.  )ta;^otÇft>,  sk.  kdkhati  la  reproduction  de 
l'a  indique  une  suite  de  bruits  éclatante,  celle  de  l'occlusive 
sourde  qui  ouvre  les  deux  premières  sillabes  ne  marque  pas 
moins  la  répétition  et  fait  sentir  en  outre  que  ces  bruits 
explodent  brusquement.  Fr.  casser  indique  un  bruit  sec  et 
éclatant,  mais  sans  répétition.  Lat.  tussis  a  toux  »,  zd.  tusan 
((  ils  toussaient  »,  fr.  toux  peignent  un  bruit  sourd  commen- 
çant aussi  par  une  explosion  brusque. 

Les  occlusives  sonores  sont  loin  de  donner  une  impression 
aussi  sèche  ;  qu'il  suffise  de  comparer  ail.  babbeln  à  pappeln^ 
gr.  7«77uÇccv  «  murmurer,  roucouler  »  à  xoxxuÇccva  chanter  comme 
le  coq  »,  ^opSopvTiô  à  xopxopuyig  qui  désignent  tous  deux  le  bruit 
des  intestins,  mais  avec  une  nuance  très  sensible. 

Les  consonnes  nasales  sont,  par  définition  même,  propres 
à  imiter  des  bruits  réellement  ou  apparemment  nasaux.  C'est 
le  cas  dans  fr.  nasiller^  ail.  nàseln,  sk.  minminas  «  qui  parle 
du  nez  d'une  façon  peu  claire  »,  gr.  ytyypaç  a  flûte  nasillarde, 
sorte  de  autbois  »,  sk.  mâyûê  a  rugissement,  bêlement  », 
mimàti  «  il  rugit,  il  bêle  »,  gr.  pc{Ac;^6ç  u  ennissement  »  ,  lat. 
hinnire  «  ennir  »,  sk.  tnesds  «  bélier  »,  mesî  «  brebis  »,  gr. 
fAY)xao|xoc<  «  bêler  »,  fx^xccç  a  chèvre  »,  lat.  mugire,  fr.  mugir ^ 
meugler,  mha.  mûgen  a  rugir  »,  lett.  maunu  a  je  rugis  ».  Les 
mots  qui  désignent  un  léger  grognement  appartiennent  à  la 
même  catégorie  ;  tels  sont  vha.  muccazzan^  ail.  mucken^ 
mucksen.  Un  marmottement  est  quelque  chose  de  fort  ana- 
logue, d'où  la  valeur  onomatopéique  defr.  marmotter,  v.  si. 
mûmati  «  balbutier,  bégajer  »,  ail.  murmeln  «  marmotter, 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  111 

grommeler,  rognonner  ».  Quand  une  nasale  suit  une  vojelle 
dans  la  même  sillabe  elle  constitue,  grâce  à  sa  qualité  de 
contiDue  sonore,  comme  une  résonnance  qui  prolonge  cette 
vojelle;  il  en  est  ainsi  dans  Tonomatopée  bim-bam- boum, 
dans  lat.  tintinnabulum^  fr.  il  résonne^  ail.  brummbàr,  brumm- 
glockCy  klingen^  klang^  gr.  x^ayTiô,  lat.  ciangor^  ail,  trommeln 
«  battre  le  tambour  »,  gr.  /3povT^  «  tonnerre  »,  v.  si.  gromû 
a  tonnerre  »,  gr.  jSofi^oç  «  bourdonnement». 

Les  deux  liquides  /et  r  doivent  être  soigneusement  séparées. 
La  première,  l,  est  seule  purement  une  liquide  et  propre  à 
exprimer  la  liquidité.  C'est  un  élément  qu'il  est  parfois  bien 
difficile  d'isoler  dans  les  sons.  Si  pourtant  on  fait  porter  son 
attention  sur  le  mot  claquer  comparé  à  craquer,  ou  sur  Texcla- 
mation  onomatopéique  clic-clac  comparée  à  cric-crac,  mots 
qui  ne  diffèrent  entre  eux  que  parce  qu'ils  ont  à  la  même 
place  lès  uns  un  /  et  les  autres  un  r,  on  sentira  vite  que  17 
donne  Fimpression  d'un  son  qui  n'est  ni  grinçant,  ni  raclant, 
ni  raboteux,  mais  au  contraire  qui  file,  qui  coule,  qui  schleift^ 
comme  disent  les  Allemands,  qui  est  limpide^  ne  fût-ce  qu'à 
an  des  instants  de  sa  durée,  celui  que  peint  l'émission  de  1'/. 
C'est  le  bruit  d'un  liquide  qui  coule  avec  un  léger  glissement, 
lequel  n'est  pas  toujours  réellement  audible,  mais  que  nous 
croyons  entendre  parce  que  nous  le  supposons.  Il  i  a  là  une 
sorte  d'illusion  due  à  une  série  de  traductions  et  d'associations 
auxquelles  nous  sommes  abitués  et  dont  nous  trouverons  de 
nombreux  exemples  tout  à  l'eure  quand  nous  quitterons  le 
domaine  proprement  dit  des  onomatopées  pour  celui  des  mots 
expressifs.  Cette  limpidité  du  son  nous  l'avons  dans  quelques 
bruits  métalliques  et  argentins,  dans  le  cliquetis  des  armes, 
dans  la  klingel  allemande,  dans  le  ntkiitaLyitéç  d'HésjchiuSjdans 
certains  aboiements  tels  que  ceux  qu'expriment  ail.  bellen, 
klàffen,  fr.  glapir,  v.  si.  lajati.  Ce  glissement  c'est  celui  qui 
précède  le  choc  dans  clic-clac,  flac,  vlan,  claquer^  ail.  klatschen^ 
klaffen,  klappen^  gr.  xa^^^àÇw.  Dans  le  mot  glouglou,  VI  peint  le 
glissement  qui  précède  le  oquet  du  liquide  ;  dans  clapotis, 
clapotage^  c'est  le  glissement  des  ondes  ou  des  vagues  dans 
les  intervalles  de  leurs  entrechoquements.  On  sent  une 
impression  du  même  genre  dans  le  mot  laver,  quand  on  dit 
que  les  vagues  lavent  le  rivage,  dans  lit.  lêju,  lêti  «  verser  », 


112  ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

V.  si.  lèjg,y  lijati  «  verser  »,  dans  lat.  linere  a  oindre  » ,  gr.  aktifftv» 
«  frotter d'uile  »,  v.  norr.  fljôta  «  couler  »,  flaumr  «  courant», 
vha.  flatoen  a  laver  »,  lit.  plâutia  laver  »,  v.  si.  pluti  «  couler  », 
plavitia  laver»,  sk.  plâvate  <x  il  nage  »,  ail.  fliessen  «  couler  », 
gr.  irKvM  ((  je  lave  ».  Enfin  le  bruit  d'un  objet  qui  glisse  dans 
Tair  ou  d'an  souffle  qui  passe  possède  un  élément  de  liquidité 
analogue  ;  c'est  ce  qui  met  en  valeur  17  des  mots  fr.  voler^ 
ail.  fliegen,  fr.  flotter: 

I^es  souffles  de  la  nuit  flottaient  sur  Galgala 

(Huoo,  Booz)^ 

lat.  flare  «  souffler  »,  ail.  blasen  «  souffler  »,  fr.  souffler^ 
siffler^  ail.  flûstem,  flispern  «  murmurer  en  parlant  du  vent  ». 
L'autre  liquide,  r,  est  une  vibrante  qui  se  prononce  avec  un 
roulement  plus  ou  moins  net  et  plus  ou  moins  fort  ^  S&  valeur 
n'est  pas  exactement  la  même  selon  qu'elle  s'appuie  sur  des 
voyelles  claires  ou  aiguës  ou  bien  sur  des  voyelles  éclatantes 
ou  sombres.  Dans  le  premier  cas  elle  exprime  un  grincement 
comme  dans  le  mot  grincer  lui-même,  dans  cri-cri  a  nom  du 
grillon  »,  dans  ail.  kritzeln  «  écrire  avec  une  épingle  sur  un 
carreau,  cracher  en  parlant  d'une  plume  »,  fr.  crisser^  frire ^ 
griller^  ail.  zirpen  c  chanter  en  parlant  de  la  cigale,  grésll- 
lonner  en  parlant  du  grillon,  gringotter  »,  fr.  tri-tri  «  nom  d*un 
petit  oiseau  »,  lit.  kifkti  «jeter  des  cris  aigus,  perçants»,  v.  si. 
krecetUt  «  cigale  »,  sk.  tittiris  «  perdrix  »,  fr.  criquet ^  gr.  rpiiity 
«  pousser  un  cri  aigu,  siffler,  grincer  >>,  ail.  knirschen  «  grincer 
des  dents,  crisser»,  v.  norr.  krikta  «  pousser  des  cris  aigus  », 
V.  si.  kriku  «cri  »,  lit.  hykszti  a  jeter  des  cris  aigus  »,  ags. 
grimetan  n  grincer  »,  lat.  frendo  a  grincer  des  dents  »,  frin- 
gilla  ((  pinson  »,  fritinnire  «  gazouiller,  chanter  en  parlant  de  la 
cigale  »,  lit.  grészti  n  grincer  »,  czirszkinu  a  je  tire  un  son  aigre 
d'un  violon  »,  lat.  stridor  «  son  aigre  ou  perçant  »,  fr.  stri- 
dent ^  stridulanty  enfin  dans  les  mots  qui  signifient  faire  un  bruit 

1  Nous  avons  surtout  en  vue  ici  IV  lingual  ;  IV  grasseyé  ne  s'articule 
pas  de  la  même  manière,  mais  les  différentes  impressions  qu'il  produit 
au  point  de  vue  expressif  suivant  la  nature  de  la  voyelle  sur  laquelle  il 
s'appuie,  sont  tellement  analogues  à  celles  que  produit  l'r  lingual  dans 
les  mêmes  conditions,  qu'il  n'i  a  pas  lieu  de  le  considérer  à  part. 


ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  113 

aigre  en  se  cassant,  analogue  à  celai  d'une  vitre  qui  se  brise, 
eoDune  gr.  lep^Cw,  Ixpcxov,  fr.  briser^  got.  brikan^  y.  irl.  brissim. 

Quand  IV  s^appuie  sur  une  voyelle  grave,  son  vibrement 
donne  Timpression  d'un  craquement^  d'un  râclement  si  la 
vojelle  est  éclatante  et  d'un  grondement  si  elle  est  sombre.  On 
en  a  d'excellents  exemples  dans  fr.  craquer,  racler^  râper ^  lat. 
fragor^  fr.  fracas^  lit.  braszkéti  «craquer»,  brakszmas  «  cra- 
quement »,  ail.  krachen  «  craquer,  croquer  (sous  la  dent), 
éclater,  tomber  avec  fracas  »,  fr.  gratter ,  ail.  kratzen  «  gratter, 
racler  »,  fr.  croquer^  grogner,  grommeler  : 

Les  lions  hérissés  dorment  en  grommelant 

(Mu88BT,  RoUa), 

gr.  Pop|3opv7pi6ç,  fr.  écraser,  broyer  que  son  vocalisme  distingue 
si  nettement  de  briser  et  dont  tous  les  éléments  détaillent  si 
bien  toutes  les  fases  successives  du  broiement.  La  note  sombre 
nous  l'avons  dans  fr.  rompre  comparé  à  briser^  craquer  et 
hoyer;  Racine  l'a  mise  en  relief  en  l'opposant  à  la  note  aiguë 
et  grinçante  dans  cet  émistiche  célèbre  : 

L'essieu  crie  et  se  rompt. 

Fr.  gronder^  grondant j  grondement  sont  de  véritables  tipes  : 

Et  le  peuple  en  rumeur  gronde  autour  du  prétoire 

(Lbgontb  SB  Lislb), 

Au-dessus  du  torrent  qui  dans  le  ravin  gronde 

(Huoo,  Burgraves), 

Avec  des  grondements  que  prolonge  un  long  râle 

(Hbrbdxa). 

Fr.  ronron  se  passe  de  commentaire;  fr.  rauque  s'applique  à 
un  bruit  âpre  et  sourd  : 

Un  rauque  grondement  monte,  roule  et  grandit 

(Lbgontb  db  Lislb). 

De  même  fr.  ronfler,  lit.  m'umiu,  niuméti  «  gronder  » ,  lit.  kro- 
fctt  «je  râle  »,  v.  norr.  kura  «  gronder  »,  v.  si.  grukaii  a  rou- 
couler», ail.  murren  c  gronder»,  fr.  bourdon,  bourdonnement ^ 

8 


114  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

ail.  brummen  a  gronder  en  parlant  de  Tours,  da  tonnerre, 
bourdonner  en  parlant  des  mouches,  d'une  toupie^  ou  de  la 
cloche  appelée  bourdon  »• 

Les  spirantes,  comme  leur  nom  l'indique,  sont  toutes  propres 
à  exprimer  un  souffle  ;  mais  les  diverses  spirantes  ne  donnent 
pas  la  même  impression.  Ainsi  les  chuintantes  ch  et/  (c^est-à- 
dire  i  &  i)  conviennent  pour  un  souffle  accompagné  de  chu- 
chotement. On  le  sent  d'une  manière  intense  en  écoutant  dans 
ce  vers  de  Gœthe  le  chuchotement  de  VErlkônig  : 

Gar  «eliône  spiele  spiel  icii  mit  dir. 

Le  mot  chuchoter  est  évidemment  le  modèle  du  genre  ;  Musset 
en  a  savamment  relevé  les  éléments  expressifs  au  mojen 
d'autres  spirantes  dans  RoUa  : 

C'est  toi  ([\x\f  chuchotant  à'^Xï.B  le  souffle  du  Tent 

Les  langues  slaves  &  germaniques  sont  particulièrement 
riches  en  mots  de  cette  catégorie  :  lit.  szvtlpiù  «  siffler  avec 
les  lèvres  »,  ail.  zischen  «  siffler  en  parlant  de  Teau  dans 
laquelle  on  plonge  un  fer  rouge,  d'une  flèche,  d'un  serpent», 
lit.  cziarszkiù  «  même  sens  )>.  L'idée  de  souffle  est  d'ailleurs 
très  secondaire  ;  l'essentiel  c'est  le  bruit  chuintant  et  nos  spi- 
rantes ne  l'expriment  pas  moins  bien  lorsqu'il  est  produit  par 
un  léger  frottement  comme  dans  lit.  apcziuhczyju  «  je  traîne 
quelque  chose  en  le  faisant  glisser  »,  ail.  schleichen  «  se  glis* 
ser,  se  traîner»,  schleifen  a  glisser  »,  huschen  «  se  glisser  ». 
En  outre  les  chuintantes  sont  propres  à  peindre  par  onoma- 
topée les  gémissements  comme  dans  fr.  gétnir^  geindre  ;  cer- 
tains poètes  l'ont  parfaitement  senti  et  ont  abilement  entre- 
mêlé les  chuintantes  aux  labiales  et  aux  sifflantes  dans  les 
paroles  qu'ils  ont  voulu  empreindre  d'une  profonde  tristesse  : 

#'en  ai  fait  pénitence;  et,  le  ffenou  plié, 
J'ai  vingt  ans  au  désert  pleuré,  ffémi,  prié 

(Huoo,  Burgraves), 

Peut-être,  6  mon  enfant,  seul,  sans  nom,  sans  patrie, 
Gémis-tu,  vagabond,  par  la  pluie  et  le  vent, 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  1 1 5 

Sar  la  terre  barbare  où  sur  le  flot  mouvant  ; 

Oa,  pour  toujours,  le  long  des  trois  Fleuves  funèbres. 

Chère  âme,  habites-tu  les  muettes  ténèbres, 

Tandis  qu'un  plus  heureux,  qui  n'est  pas  de  mon  sang, 

Prend  ton  sceptre  et  Jouit  du  Jour  éblouissant. 

(LsGONTE  DE  LtsLK,  V Appollouidé), 

Les  spirantes  labio-dentales  f  et  v  ne  peuvent  exprimer 
qu'an  souffle  mou,  presque  muet,  ou  du  moins  accompagné 
d'an  bruit  très  sourd.  Tel  est  le  t;  de  différents  mots  qui  dési- 
gnent le  vent  : 

IToilà  le  vent  qui  s'élève 

(Lamartine), 

ail.  ioind  n  vent  »,  toehen  «  souffler  »,  lat.  ventits,  got.  vinds 
«vent  »,  vaian  «  souffler  »,  lit.  véjas  a  vent  »,  v.  si.  véfa  «  je 
souffle  ».  Dans  le  mot  fr.  voler  on  sent  un  effet  analogue  qu'a 
parfaitement  rendu  M.  de  Heredia  dans  ce  vers: 

Flottait, crêpe  viTant  let;o/  mou  des  vampires. 

Limpression  de  Vf  n'est  pas  tout  à  fait  la  même  parce  que 
c'est  un  fonème  sourd  tandis  que  le  v  est  une  sonore.  On  trouve 
d'ailleurs  assez  rarement  ly  isolé  ;  le  plus  souvent  il  est  com- 
biné avec  une  liquide  et  forme  avec  elle  un  groupe  que  nous 
étudierons  plus  loin.  On  peut  néanmoins,  même  dans  les  grou- 
pes, sentir  sa  valeur  de  souffle  pur  et  simple,  par  exemple 
dans  ail.  pfuscher  «  bruit  de  la  poudre  qui  s'enflamme  »,  vha. 
fnehan  «  souffler  »,  lat.  flare  «souffler  »,all.  flûstern  «  murmu- 
rer en  parlant  du  vent  »,  fr.  zéphyr: 

L'an<ften  zéphyr  fabuleux 
Soullie  avec  sa  joue  enflée 
Au  fbnd  des  nuages  bleus 

(Huao,  Contemplations)^ 
fr.  siffler^  souffler  : 

Un  soufflement  de  forge  emplit  le  firmament 

(Huao,  Suprématie). 


116  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

De  Y  h  aspiré  nous  n'avons  pas  grand*  chose  à  dire.  On  saisira 
bien  sa  valeur  si  Ton  compare  ail.  Austen  à  fr.  tousser;  tandis 
que  dans  ce  dernier  mot  la  vojeile  sombre  est  précédée  d'une 
explosion  dentale,  dans  le  mot  allemand  elle  Test  d*un  souffle 
qui  sort  librement  de  la  gorge,  la  bouche  n'étant  plus  occludée 
nulle  part  au  moment  où  commence  la  toux.  Nous  retrouvons 
à  l'A  la  même  valeur  dans  ail.  haiAch  «  souffle  ». 

Les  spirantes  dentales  ou  sifflantes  supposent  un  souffle 
accompagné  d'un  sifflement  léger  ou  violent,  ou  inversement 
un  sifflement  accompagné  de  souffle.  Le  z,  étant  sonore,  est 
plus  doux  que  Y  s  et  plus  propre  à  peindre  un  léger  bruisse- 
ment comme  dans  ce  vers  de  M.  de  Heredia  : 

Et  les  vent*  alises  inclinaient  leurs  antennes. 

C'est  la  qualité  du   premier  élément  du    mot    zéphyr  que 
nous  citions  tout  à  l'eure  pour  son  /: 

D'un  zéphyr  éloigné  glissant  sur  des  roseaux 

(Musset,  Lucie). 

Comparez   cèq.  bzikati  «  fredonner  »  ,   angl.  huzz  «  bour- 
donnement ». 

Quant  à  la  note  du  sifflement  elle  est  déterminée  par  la 
voyelle  sur  laquelle  s'appuie  la  sifflante  ;  le  simple  rappro- 
chement de  siffler  et  souffler  vaut  mieux  qu'un  commentaire. 
Certains  poètes  semblent  avoir  nettement  senti  cette  diflérence 
lorsqu'ils  ont  rapproché  de  voyelles  claires  les  sifflantes  qui 
devaient  relever  dans  leurs  vers  celle  du  mot  siffler  : 

Dans  les  buissons  séchés  la  bise  va  sifflant 

(Saintb-Bbuyb), 

et  de  voyelles  graves  celles  qui  renforçaient  Vs  du   mot 
souffler  : 

Mais  il  n'a  pas  prévu 

Que  je  saurai  souffla  de  sorte.... 

(La  Fontaikb). 

Nous  retrouvons  ces  deux  notes   dans  ail.  lispeln  «  siffler 


1 


ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  117 

en  parlant  »  d'une  part  et  summen^  sumsen  «  fredonner  » 
d'autre  part,  ou  bien  encore  dans  fr.  cigale  : 

Ainsi  la  cigale  innocente, 
Sur  un  arbuste  amiise,  et  ne  console  et  chante 

(A.  Ghbnibr,  L'aveugle), 

et  soupir  : 

Jamais  rien  de  leur  sein  ne  soulève  un  soupir 

(Lamartine,  Jocelyn), 


Nous  avons  essayé  dans  ce  qui  précède  d^isoler  chacun 
des  fonèmes  pour  déterminer  sa  valeur  propre  et  spéciale. 
Isolément  et  détermination  parfois  difficiles;  il  est  rare  en 
effet  qu*une  onomatopée  produise  une  impression  absolu- 
ment simple  et  ne  contienne  qu'un  seul  fonème  expressif,  en 
sorte  que  la  valeur  de  ce  fonème  soit  exactement  définie  par 
l'impression  même  que  produit  cette  onomatopée.  Le  plus 
souvent  Timpression  d'une  onomatopée  est  complexe  et  les 
divers  éléments  qui  concourent  à  la  produire  se  combinent 
entre  eux,  réagissent  les  uns  sur  les  autres,  se  renforcent, 
s'atténuent,  de  telle  sorte  que  nous  avons  dû  parfois  pour 
dégager  la  valeur  de  Tun  d'eux  nous  appuyer  sur  les 
données  de  la  fonologie  générale.  Quel  qu'ait  été  le  moyen 
employé  y  nous  sommes  aptes  maintenant  à  analiser  l'effet 
produit  par  leur  emploi  combiné  et  à  déterminer  strictement 
la  part  qui  revient  à  chacun  dans  l'effet  total. 

Ainsi  nous  avons  déjà  vu  que  le  vibrement  de  l'r  donne 
une  impression  de  grincement  si  ce  fonème  est  en  contact 
avec  une  voyelle  claire,  et  au  contraire  de  râclement  ou  de 
grondement  s'il  s'appuie  sur  une  voyelle  grave.  LV  peut  en 
outre  être  combiné  soit  avec  une  occlusive,  soit  avec  une 
spirante.  Si  c'est  avec  une  occlusive,  l'impression  est  que  le 
son  vibrant  retentit  brusquement  et  qu'il  rompt  le  silence 


118  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

sani  transition  en  explodant  soudain.  Mais  l^explosion  est 
beancoap  plus  douce  si  rocclusiye  est  sonore,  beaucoup 
plus  sèche  si  elle  est  sourde  ;  il  suffit  pour  s^en  rendre  compte 
de  comparer  craquer  et  gratter .  Cette  nuance  est  généralement 
très  bien  observée  dans  les  diverses  langues.  Lit.  traszkéti 
signifie  «  craquer  »  tandis  que  grâiuzti  signifie  «  ronger  »  ; 
un  rat  qui  ronge  une  porte  fait  un  bruit  analogue  à  un  gratte* 
ment.  Fr.  crépiter  et  grignoter  se  distinguent  par  une  diffé- 
rence de  sens  et  dMmpression  analogue.  Les  crû  débutent 
généralement  par  une  explosion  brusque  et  sèche,  bien  qu*ils 
puissent  retentir  dans  des  notes  différentes:  mha.  krizen 
u  crier  »f  lit.  kirkti  a  pousser  des  cris  aigus  »«  véd.  krôçati 
a  il  crie  »,  gr.  xpavyiQ  a  cri  ».  Les  cris  ou  chants  de  certains 
animaux  semblent  souvent  débuter  par  une  explosion  du 
même  genre,  affirmée  pour  le  coq  et  la  poule  par  lat.  cocoeoeo^ 
fr.  eoq^  cocotte^  v.  si.  kokotûàL({\xe  Ton  trouve  en  combinaison 
avec  IV,  par  exemple  dans  gr.  xixtppoç  «  coq  »,  lat.  cueurire 
c  chanter  en  parlant  du  coq  »,  lit.  kakaryku  a  chant  du  coq  », 
ail.  kràhen  a  chanter  en  parlant  du  coq  »,  ail.  kikeriki  «  chant 
du  coq  »,  sk.  krka-vâkuS  a  coq  »,  lit.  kifkti  n  crételer  )i,  gr. 
xspxoç  «  coq  »,  V.  irl.  cerc  <x  gallînacé  ».  Cette  même  initiale 
nous  est  attestée  pour  la  corneille  et  quelques  autres  oiseaux 
par  sk.  kàkas  a  corneille  »,  lett.  kakis  «  choucas  »,  gr.  x^Ç 
«  sorte  de  mouette  »,  lit.  kovà  «  choucas  »,  sk.  kukkubhas 
a  faisan  »  ;  on  la  trouve  combinée  avec  IV  dans  gr.  x($paf 
((  corbeau  »,  xoooivu  a  corneille  »,  lat.  coruos  a  corbeau  »,  sk. 
kâravas  a  corneille  »,  gr.  xpûC»,  xpâ;»  «  croasser  »,  lit. 
krànkti,  kraukti  «  croasser  »,  v.  si.  krukû  a  corbeau  »,  kra- 
kati  ((  croasser  »,  ail.  kràchzen  «  croasser  »,  sk.  karkaras^ 
krkaras,  krkanas,  krakaras  «  perdrix  »,  v.pruss.  Aer/ro  c  plon- 
geon »,  gr.  xfpxiOaXiç  ((  héron  »,  lat.  querquedula  a  sarcelle  », 
croctrea  croasser»,  sk.  tittiriê  «  perdrix», v.  si.  tètrja  «  faisan 
femelle»,  gr.  réxapoç,  rarûpaç  «  faisan»,  v.  si.  /e/réi;{* a  faisan», 
lit.  tetervas  «  coq  de  bruyère  »,  v.  pruss.  tatanoisa  gelinotte  », 
gr.  wpaf,  TiTpaJîMv  «  coq  de  bruyère  »,  lat.  tetrinnire  a  crier 
comme  un  canard  ». 

Ces  exemples  suggèrent  trois  observations  qu'il  est  bon  de 
noter  avant  de  nous  engager  plus  avant:  1^  Il  n*i  a  pas  de 
différence  entre  c  et  /  pour  Teffet  produit,  quand  la   seule 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  119 

qualité  qai  vienne  en  lumière  est,  commeici,  Texplosion  sourde. 
2^  L'impression  n'est  pas  la  même  selon  que  IV  est  ou  non 
en  oontact  immédiat  avec  Tocclusive,  comme  dans  coruos^ 
xopaf  en  face  de  crocto^  xpu((u.  LV  qui  suit  une  voyelle  débute 
par  des  éléments  sonores,  tandis  que  celui  qui  est  précédé 
d'une  occlusive  sourde  commence  en  sourde  ;  d'autre  part  les 
impressions  que  nous  éprouvons  se  produisent  dans  Tordre 
où  les  fonèmes  frappent  notre  oreille,  et  si  dans  coruos  nous 
avons  l'impression    d'une   note  vocalique  ouverte  brusque- 
ment par  une  explosion  et  prolongée  par  une  sorte  de  roule- 
ment, dans  crocio  le  roulement  suit  immédiatement  l'explosion 
et  aboutit  à  une  voyelle  où  l'on  ne  sent  plus  aucun  vibrement. 
Ce  n'est  là  qu'une  nuance,  mais  très  nette,  quoique  souvent 
l'effet  résultant   de  la   somme    des   impressions    produites 
par  les  divers  éléments  d'un   mot  soit  dans  les   deux  cas 
équivalent.   3^   La   signification    d'un    mot  onomatopéique 
ne  fait  que  mettre  en  lumière  la  valeur  que  les  sons  ont  en 
puissance,  elle  ne  saurait  jamais  leur  en  donner  une   diffé- 
rente :  ail.  kratzen  ne  fait  pas  la  même  impression   que  fr. 
gratter,  ni  esp.  grida  la  même  que  fr.  il  crie,'  les  signiûca- 
tions  de  ces  mots  sont  les  mêmes,  leur  valeur  onomatopéique 
diffère. 

Quand  l'occlusive  est  sonore,  l'attaque  est  plus  douce,  et, 
bien  que  nous  ne  percevions  de  sonorités  qu'au  moment  de 
l'explosion,  nous  sentons  qu'elles  ont  commencé  avant  et  que 
le  mot  ne  figure  à  notre  oreille  que  quelques  moments  du 
bruit;  de  là  naît  facilement  l'impression  que  ce  bruit  est 
continu.  Nous  en  avons  de  beaux  exemples  dans  fr.  gro' 
gner^  grognement^  ail.  grunzen,  lai.  grunnire,  fr.  grommeler^ 
gronder,  gr.  p^iizv»  m  frémir  »,  jSpeifAoç  «  bourdonnement  »,  ail. 
brummen  «  gronder,  bourdonner  »,  ail.  drôhnen  «  gronder  », 
ags.c/ran  «bourdon  »,  9,\\,drohne  «  bourdon»,  fr.  bourdonner^ 
bourdonnement^  iv,  grincer^  lit.  grészti  «  grincer»,  ags.  gri- 
metan  «  grincer  »,  vha.  gramizzôn  «  gronder  »,  fr.  broyer^  v, 
sax.  grindan  «  broyer  »,  fr.  briser,  got.  brikan  «  briser  », 
russ.  bormotat*  a  murmurer  »,  gr.  jS^pÇopy/^Jç,  fr.  gargouillet\ 
grouiller,  gr.  ypàw  «je  ronge  »,  lit.  grémszti  «  gratter  bruyam- 
ment »,  (^r^5ft  a  frotter  » ,  griâuszti  a  ronger  »,  ^ruAszé^t  ((grin- 
cer sourdement  comme  du  sable  sur  lequel  on  marche  ». 


120  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

Nous  pouvons  comprendre  maintenant  la  différence  qa*il  i  a 
entre  v.  irl.  torann  «  tonnerre  »,  fr.  lowi^rre  et  ail.  donner^ 
gr.  Ppovrq,  Y.  si.  gromû;  dans  les  mots  irl.  &  fr.  (le  mot  fr. 
est  très  médiocre  comme  onomatopée)  le  brait  da  tonnerre 
éclate  soudain  et  se  prolonge  en  grondant  ;  dans  le  mot  ail. 
la  sonorité  précède  l'explosion  ;  dans  les  mots  gr.  et  v.  si.  le 
grondement  et  Texplosion  sont  simultanés.Yha.  karm  s*appli- 
que  à  un  bruit  ou  à  une  clameur  que  Ton  considère  au 
moment  de  son  explosion,  corn,  garni  à  une  clameur  déjà 
commencée  et  qui  continue;  même  différence  entre  ags.ctrmt 
cyTTn  «  bruit  »  &  v.  si.  grimaii  ce  sonare  »,  entre  gr.  xp«CM  & 
y.  si.  graja  «  je  croasse  »,  &  même  entre  v.  si.  kruku  &  v. 
irl.  bran  qui  désignent  tous  deux  le  corbeau  ;  ces  deux  noms 
imitent  Tun  et  l'autre  le  cri  de  Toiseau,  mais  le  mot  slàye 
saisit  l'instant  même  où  le  silence  est  rompu,  tandis  que  Tirlan- 
dais  peint  l'espèce  de  râclement  qui  semble  accompagner  ce 
cri  au  moment  où  il  est  déjà  pleinement  sonore. 

Ajoutons  qu'au  point  de  vue  où  nous  nous  plaçons  ici,  il  n'i 
a  pas  de  différence  de  valeur  entre  dy  g  èib:  compares  ail. 
drôhnen  &  fr.  gronder,  v.  si.  gromû  &.  gr.  jSpovri}. 

Lorsque  l'élément  qui  entre  en  jeu  avec  une  occlusive  est 
un  /  au  lieu  d'être  un  r,  rimpression  de  vibrement  ou  de 
râclement  est  remplacée  par  une  impression  de  liquidité  ; 
rien  d'autre  n'est  changé.  Nous  venons  d'étudier  la  valeur  des 
occlusives  en  combinaison  avec  r,  nous  avons  détaillé  plus 
aut  (  p.  m  )  celle  de  /;  nous  pourrons  donc  passer  très 
vite.  Lorsqu'un  /  est  précédé  d'une  occlusive  sourde  l'impres- 
sion produite  est  que  le  son,  dont  la  note  est  donnée  par  la 
voyelle,  se  produit  aussitôt  après  l'explosion  sans  rien  de  rude 
ni  de  raboteux,  mais  au  contraire  avec  une  limpidité  et  une 
égalité  parfaites.  Rappelons  le  son  limpide  des  cloches  que 
l'ail,  exprime  si  bien  par  son  verbe  klingen;  rappelons  les 
claquements  qui  ne  sont  accompagnés  d'aucun  craquement, 
comme  celui  d'un  fouet,  comme  le  bruit  des  claquets  et  des 
cliquets,  comme  celui  des  vagues  qui  clapotent.  Il  est  des  rires 
limpides  comme  celui  qu'exprime  lit.  klegù;  il  est  des  cris 
tellement  éclatants  et  tellement  «  liquides  »  que  l'oreille  n'i 
trouve  aucun  point  de  repère  et  qu'on  ne  saurait  dire  s'ils 
sont  réellement  dans  la  note  éclatante  ou  dans  la  note  aiguë  ; 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  IZ\ 

tel  est  le  cri  des  aigles  &  Tappel  clair  des  trompettes,  tels  sont 
les  cris  que  les  Grecs  désignaient  par  x\àÇ(u,  x^a77iQ  &  les  Latins 
par  clango,  clangor.  Les  mots  lat.  calare,  clamare,  lett.  kalada 
«  cri  »  supposent  aussi  des  sons  pénétrants  et  limpides. 

Entre  lat.  glocire,  fr.  glousser  &  gr.  xX&xTffM,  x^u^u,  il  i  a  la 
même  différence  qu'entre  v.  si.  graja  à  gr.  xpwÇw;  les  formes 
à  occlusive  sourde  peignent  le  bruit  au  moment  où  il  rompt 
le  silence,  et  les  autres  au  moment  où  il  est  déjà  une  suite. 

Nous  avons  déjà  eu  Toccasion  de  noter  combien  nous  per- 
cevons mal  les  sons  étrangers  à  notre  langage,  &  combien 
nous  les  traduisons  de  façon  défectueuse.  Il  vaut  la  peine 
de  remarquer  ici  que  certains  peuples  ont  senti  comme 
coulants  des  bruits  ou  des  cris  que  d'autres  ont  perçus  comme 
raboteux.  Sans  parler  de  Topposition  entre  gr.  x^^^i^  c  grêle» 
et  V.  si.  gradûj  lat.  grando,  où  les  uns  ont  pu  être  plutôt 
frappés  par  le  glissement  &  les  autres  par  le  crépitement,  il 
est  certainement  instructif  de  comparer  v.  norr.  hlakka 
c(  croasser  »  àxpwÇw,  crociOj  &c.,  ou  v.  irl.  cailech  «  coq  »  à 
kràhen,  xipxoç,  &c.,  ou  gr.  x^ucjorecv  «  crier  comme  un  geai  »  au 
nom  latin  de  l'oiseau  qui  pousse  ce  cri,  graculus^  &  au  cri  qu'il 
pousse,  friguiaty  ou  encore  n.  si.  krketati  «  crier  comme  un 
dindon  »  &  lit.  ty taras  u  dindon  »  au  gloussement  que  fait 
cet  oiseau  à  notre  sentiment.  Qu'on  ne  vienne  pas  nous  objec- 
ter que  ces  mots  sont  dérivés  de  racines  différentes  &  que 
les  lois  fonétiques  ne  permettaient  pas  de  modifier  tel  ou  tel 
fonème  de  la  forme  originaire  ;  nous  répondrions  en  deman- 
dant pourquoi  de  deux  langues  possédant  un  jeu  de  racines 
à  peu  près  également  riche  et  varié,  Tune  a  choisi  précisé- 
ment les  formes  qui  la  choquaient.  Nous  verrons  d'ailleurs 
un  peu  plus  loin  le  cas  que  font  les  langues  des  mots  qui  ne 
leur  conviennent  pas  et  comment  elles  se  procurent  ceux 
dont  elles  croient  avoir  besoin. 

La  combinaison  de  la  spirante  f  avec  r,  c'est-à-dire  du 
souffle  avec  le  grattement  produit  Timpression  du  frotte- 
ment, du  frôlement^  du  frou-frou.  Frôler  désigne  une  action 
plus  douce  que  frotter^  parce  que  ce  dernier  marque  avec 
son  t  une  explosion  après  la  voyelle,  tandis  que  frôler  donne 
à  la  même  place,  avec  sa  liquide,  l'impression  d'un  glisse- 
ment ;  aussi  M.  de  Heredia   a  cru  bon  dans  ce  vers  où  il 


122  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

emploie  le  mot  fràk  d'en  relever  au  moins  autant  17  que  Vf 
et  IV  : 

lia  Tiole  que  fràh  encor  sa  frêle  main. 

Froisser  commence  par  un  frottement  dont  la  note,  d*abord 
sombre,  puis  éclatante,  est  détaillée  par  le  vocalisme  wa^  & 
qui  se  termine  par  un  léger  sifflement  indiqué  par  Ts.  Lat. 
fritinnire  a  chanter  en  parlant  de  la  cigale  »  exprime  un 
frottement  grinçant  et  saccadé^  les  saccades  étant  marquées 
par  Tocclusive  dentale  t  qui  sépare  les  deux  voyelles  aiguës. 
Lat.  frendere  «  broyer  avec  les  dents,  écraser,  froisser, 
grincer  des  dents  »  exprime  un  frottement  à  note  claire. 
Fr.  fracas^  lat.  fi*agor,  franco  peignent  par  leur  première 
sillabe  un  frottement  à  note  éclatante,  analogue  au  son  rendu 
par  un  objet  dur  qu'on  écrase  ou  qu'on  broie  ;  mais  le  plus 
expressif  de  ces  trois  mots  est  fracas  avec  son  occlusive  qui 
arrête  la  voyelle  éclatante  pour  exploder  sur  la  même  note. 
Combiner  Vf  avec  17,  c'est  réunir  le  souffle  avec  la  liqui- 
dité et  obtenir  comme  résultante  une  impression  de  fluidité. 
Nous  Tavons  dans  flotter  : 

Et  la  Toile  flottait  aux  vents  abandonnée 

(Raginb,  Phèdre)^ 

dans  lat.  flare  «  souffler»,  ail.  fliegen  «  voler  »,  fr.  flatuosité^ 
Isit.  fluere  «couler  »,  dans  le  nom  de  la  flûte  qui  souffle  des 
sons  limpides  et  aigus,  &  même  dans  fr.  renifler  dont  Tn  in- 
dique que  le  souffle  est  nasal.  Souffler  est  un  peu  plus  com- 
pliqué, car,  outre  la  spirante  f  qui  indique  le  soufflement  &  17 
qui  en  marque  le  glissement,  il  possède  une  autre  spirante  s 
qui  exprime  le  sifflement  possible  de  ce  souffle,  tandis  que  la 
voyelle  ou  prévient  que  ce  bruit  sera  sourd  s'il  se  produit. 
Siffler  possède  exactement  les  mêmes  éléments,  sauf  un,  Vif 
qui  suffit  à  différencier  radicalement  le  sifflement  du  souffle- 
ment; un  sifflement  c'est  un  souffle  accompagné  d'un  bruit 
aigu  qu'exprime  cette  voyelle  : 

Et  voit  sous  les  st;^/5  s'enfuir  dans  la  coulisse 

Cet  écuyer  de  Franconi  ! 

(Hugo,  Châtiments), 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  1«3 

Les  autres  combinaisons  de  spirantes  aveo  des  liquides 
sont  rarement  représentées.  On  doit  pourtant  une  mention 
k b1\. schliefen  et  schleichen  «  glisser»  pour  le  bruissement 
qu'ils  font  sentir.  Pr.  glisser  était  en  v.  fr.  glier  de  vha.  glitan  ; 
glier  ne  faisait  pas  onomatopée,  c'était  simplement  un  mot 
expressif  ayant  une  valeur  analogue  à  celle  de  ail.  glatt 
((  lisse,  poli  »,  cf.  p.  147.  Si  plus  tard  on  a  fait  glisser  de  glier, 
sans  doute  en  mélangeant  ce  mot  avec  glacer  qui  signifie 
souvent  a  glisser  »  en  vieux  français,  c'est  probablement 
qu'on  éprouvait  le  besoin  d'avoir  dans  ce  vocable  un  fonème^ 
la  sifflantes,  qui  pût  donner  Timpression  du  bruit  que  pro- 
duisent beaucoup  de  glissements.  En  allemand  gleiten  ne 
fait  pas  plus  onomatopée  que  glier^  mais  la  forme  populaire 
glitschen  exprime  un  bruissement  qui  vaut  le  sifflement  de 
glisser.  Fr.  ruisseler  présente  une  spirante  avec  les  deux 
liquides  /  et  r  ;  cet  ensemble  donne  Timpression  d'un  bruis- 
sement produit  par  un  liquide.  Y.  Hugo  a  mis  en  relief  tous 
ses  éléments,  mais  en  donnant  la  prééminence  à  1'/,  c'est-à 
dire  à  la  liquidité,  dans  ce  vers  des  Burgraves  : 

■«'huile  et  le  plomb  fondu  ruisseler  sur  leurs  calques. 

AU.  schtoirren  «  siffler  en  parlant  d'une  flèche,  vibrer  »  unit 
l'impression  d'un  souffle  chuintant  produit  par  le  v  et  le  i  à 
celle  d'un  vibrement  aigu  due  au  groupe  tr.  Fr.  fuser^  fusée 
n'ont  que  deux  spirantes  sans  liquide,  ly  qui  exprime  un 
soufflé  &  le  z  qui  fait  sentir  le  sifflement  sonore  de  ce  souffle. 
A  côté  de  cette  combinaison  des  effets  de  deux  spirantes 
on  d*une  spirante  avec  une  liquide,  il  faut  noter  celle  d*une 
occlusive  avec  une  spirante,  comme  dans  (fèq.  bzikati  a  fre- 
donner »,  qui  fait  entendre  un  bruissement  labial  par  sa  sif- 
flante sonore  z  appuyée  sur  une  occlusive  sonore  labiale.  Le 
mot  anglais  buzz  «  bourdonnement  d  contient  les  mêmes  élé- 
ments, mais  la  voyelle  nous  indique  un  bruissement  sombre 
tandis  que  celui  du  mot  cèque  est  clair.  AU.  pfuschen  «  produire 
un  bruissement  léger  »  n'a  pas  tout  à  fait  la  même  nuance  ; 
c'est  un  souffle  labial  qui  produit  une  note  sombre  et  se  termine 
en  chuintant.  La  bise  et  la  brise  sont  deux  souffles  qui  sem- 
blent sortir  d'une  bouche,  mais  tandis  que  le  premier  se  con- 


124  ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

tente  de  produire  un  sifflement  aigu  et  sonore,  le  second 
commence  par  nn  bmissemeot  qui  réagit  sar  le  sifflement  poar 
en  atténuer  Tacaité.  Dans  lit.  hreiéti  «  bruire  »  on  a  presqae 
les  mêmes  éléments  que  dans  fr.  hri$e^  mais  la  spirante  den- 
tale est  remplacée  par  one  chuintante  qui  donne  Tidée  d'un 
chuchotement.  Fr.  bouffer  a  manger  gloutonnement  »  exprime 
un  bruit  labial  et  le  sonfflement  de  quelqn*un  qui  mange  trop 
vite  ;  bâfrer  nuance  la  même  expression  en  indiquant  que  le 
souffle  produit  un  bruit  de  frottement.  Ail.  paffen  «  fumer  en 
faisant  entendre  un  certain  bruit  des  lèvres  »  présente  une 
explosion  labiale  qui  donne  passage  à  un  souffle  également 
labial  ;  fr.  bouffée^  une  bouffée  de  fumée^  contient  à  peu  près 
les  mêmes  éléments,  maisTexplosion  labiale  étant  sonore  est 
beaucoup  plus  douce,  et  le  bruit  qui  la  suit  est  dans  la  note 
sourde,  comme  Tindique  la  voyelle  ou  ;  fr.  pouffer  retrouve 
le  p  de  paffen  et  ne  diffère  de  bouffée  que  par  la  violence  plus 
grande  de  son  explosion. 

Ce  que  nous  avons  dit  à  propos  des  voyelles,  nous  le  répé- 
terons pour  les  consonnes:  la  valeur  que  nous  leur  attribuons 
ici  et  qu^elles  ont  en  puissance  ne  devient  une  réalité  que  si 
la  signification  du  mot  où  elles  se  trouvent  s'i  prête.  Voici 
pour  chacun  des  cas  que  nous  avons  examinés  et  dans  le 
même  ordre  un  exemple  où  les  consonnes  considérées  res- 
tent inertes:  ptnter^  clapier^  crotter,  catafalque,  tout,  bébé, 
papat  bourbier,  pourpie7%  naissance,  minimum^  mai,  mimique^ 
machine,  mécanique,  moucher,  marner,  marbrier,  mortier,  mar- 
mite,  lat.  cincinnus,  ail.  bang,  kund^  fr,  plaquer,  traquer,  cliché, 
classer,  larder,  flirter,  plier,  fléchir ,  souplesse ,  safran,  grin- 
galet,  grimaud,  cribler,  créer,  trier,  griser,  frégate,  fripon, 
brimer,  raccommoder,  fraise,  framboise,  braquer,  crapaud, 
crottin,  gorgone,  broder,  écrémer,  rondeau,  grondin,  robinet, 
courtier,  chiper,  chou,  villa,  voter,  fougère,  défi,  ail.  haus, 
fr.  liste,  cigare,  soupière,  crépu,  critérium,  courir,  carrière, 
cortège,  tarière,  trident,  drapeau,  garçon,  clef,  clôture,  calotte, 
glose,  grâce,  frère,  frêne,  froc,  fleur,  ficeler,  flanc,  fisique,  bouse, 
bise  {nom  de  couleur),  pavé,  café. 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  125 


VI 


Dire  qae  la  valeur  expressive  des  sons  ne  vient  en  lumière 
que  poussée  en  avant  par  la  signification  des  mots,  c*est 
énoncer  une  proposition  juste  en  somme,  mais  qui  ne  rend  pas 
compte  de  toute  la  vérité.  Il  faut  ajouter  qu^in  mot  n'est  une 
onomatopée  qu'à  condition  d'être  senti  comme  tel.  Sans  doute 
il  en  est,  comme  frou-frou,  ronron^  qu'il  n'est  pas  permis  de 
ne  pas  sentir  ;  mais  d'autres,  qui  sont  peut-être  moins  adé- 
quates, seront  saisies  comme  onomatopées  par  l'un  et  point 
par  l'autre.  Le  fait  pour  un  mot  d'être  onomatopéique  est 
donc  subjectif.  Cette  subjectivité  apparaît  plus  nettement 
encore  si  l'on  entre  dans  le  détail  et  que  l'on  recherche  dans 
un  mot  dont  la  signification  permet  la  mise  en  valeur  de  fonè- 
mes  expressifs,  quels  sont  ceux  qui  entrent  en  jeu  pour  l'ono- 
matopée. Le  téoricien  vous  dira  exactement  lesquels  sont 
susceptibles  de  le  faire,  quelle  est  la  valeur  propre  de  chacun 
et  quelle  est  celle  de  l'ensemble  ;  mais  souvent  il  n'i  en  aura 
que  quelques-uns  qui  agiront  réellement  sur  l'esprit  du  sujet 
parlant  ou  du  sujet  écoutant,  &  ce  ne  sera  pas  toujours  les 
mêmes.  De  là  les  changements  de  nuance  dans  la  signification 
des  mots  onomatopéiques  ;  si  le  sujet  parlant  emploie  un  de 
ces  mots  en  lui  attribuant  telle  nuance  qu'il  croit  sentir  expri- 
mée par  quelques-uns  de  ses  fonômes,  il  peut  se  faire  que  le 
sujet  écoutant  i  sente  une  autre  nuance  parce  que  ce  sont 
d'autres  fonèmes  du  même  mot  qui  l'ont  surtout  frappé.  Dès 
lors  il  sera  tenté  d'employer  ce  mot  avec  cette  nouvelle 
nuance^  qui  pourra  s'établir  à  côté  de  la  première  ou  même 
8e  substituer  à  elle. 

Prenons  quelques  exemples.  Le  mot  sk.  bhramaras  «  abeille  » 
débute  par  an  bh  qui  annonce  un  bruit  labial,  &  ce  bh  est 
combiné  avec  un  r,  ce  qui  constitue  le  groupe  le  plus  propre 
à  exprimer  le  bourdonnement.  Mais  nous  savons  que  ce  n'est 
pas  ce  groupe  qui  frappait  le  plus  les  Indous  dans  ce  mot  ; 
ce  qu'ils  i  sentaient  avant  tout  ce  sont  les  deux  r,  puisqu'ils 
appelaient  fréquemment  cet  insecte  dvirephas^  c'est-à-dire 


126  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

c qui  a  deux  repha  dans  son  nom  ».  Il  i  a  beaucoup  d^autres 
mots  sanskrits  qui  contiennent  deux  r,  mais  on  ne  les  i 
remarquait  pas. 

Lat.  vulg.  *frustiarey  dérivé  de  frustum  «  morceau  »,  signi- 
fiait «  mettre  en  morceaux  »  et  ne  pouvait  avoir  d'expressif 
avec  cette  signification  que  son  groupe  ru,  le  même  que  celui 
de  ail.  bruch  «  rupture  »  ;  c'est-à-dire  que  son  /*,  sa  combinai- 
son />  et  son  5,  propres  à  peindre  respectivement  le  souffle, 
le  frottement  et  le  sifflement  restaient  inertes.  *  Frusttare 
devient  en  fr.  froisser  qui  a  anciennement  le  même  sens 
«  mettre  en  morceaux  »  et  dont  le  groupe  roi  a  la  même 
valeur  que  dans  broyer.  Mais  peu  à  peu  les  éléments  négligés 
viennent  en  lumière  et  infiuent  sur  révolution  sémantique 
du  mot.  Par  des  dégradations  insensibles  il  arrive,  grâce  au 
groupe  /r,  à  désigner  Faction  de  mettre  en  pièces  par  un 
frottement  dur,  puis  de  broyer  ou  simplement  d'écraser  par 
le  même  frottement,  c'est-à-dire  que  l'idée  de  mise  en  mor- 
ceaux disparaît.  Nous  disons  par  exemple  que  quelqu'un  s'est 
froissé  un  muscle.  Jusque  là  Vs  est  resté  dans  l'ombre;  quand 
son  siffiement  apparaît,  la  nature  du  frottement  change  à 
cause  du  bruissement  qui  l'accompagne.  Dès  lors  tous  les 
éléments  de  ce  mot  sont  en  relief  et  l'impression  résultante 
produite  par  les  valeurs  combinées  de  son  consonantisme  et 
de  son  vocalisme  est  apte  à  rendre  de  façon  très  eureuse  le 
bruit  du  papier,  du  satin  que  l'on  fripe  brusquement. 

Ind.eur.  *6Arem-(vha.  brëman^  ail.  brummen,  lat.  fremere) 
commençait  par  un  groupe  propre  à  exprimer  un  bourdon- 
nement, lequel  pouvait  être  plus  ou  moins  clair  ou  plus  ou 
moins  sombre  selon  l'apofonie  (*Mrem-,*^Arom-).  En  latin 
le  bh  devient./*»  ce  qui  accroît  notablement  l'effet  vibrant  de 
Yr  &  rend  le  mot  inapte  à  exprimer  un  bourdonnement  léger 
comme  celui  des  abeilles.  Les  bruits  violents  seront  son 
domaine  ;  dt  comme  il  n'a  plus  d'apofonie,  que  sa  voyelle  est 
toujours  6,  parmi  les  bruits  qui  donnent  l'impression  d'un 
frottement,  ceux  qui  sont  grinçants  et  de  note  aiguë  lui  con- 
viendront particulièrement: /r^mtï  sonipesYirg.  «  le  cheval 
ennit  »,  fremunt  uenti  Ov.  «  les  vents  sifflent  ».  Mais  ce  mot 
a  conservé  par  éritagela  faculté  d'exprimer  desbruits  sourds. 
Il  n'i  a  donc  rien  de  surprenant  à  le  voir  s'appliquer  à  des 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  127 

bruits  non  moins  violents,  mais  dans  la  note  sombre.  Il  suffit 
pour  cela  que  la  voyelle  ne  vienne  pas  en  lumière  :  frémit  leo 
«  le  lion  rugit  »,  frémit  ttgris  «  le  tigre  gronde  »  (son  essen- 
tiellement rauque). 

Lit.  birbiu  qui  désigne  souvent  un  bruit  strident  ou  aigu 
grâce  aux  éléments  qui  sont  dans  àruity  drm're,  s'applique  fort 
bien  au  fredonnement  et  au  bourdonnement  gràoe  au  b  &  kVr, 
bien  que  Vr  soit  palatal. 

Lit.  birbinu  qui  est  formé  des  mômes  éléments,  s'applique 
aussi  au  bourdonnement  d'un  rouet,  d'un  insecte,  à  un  ron- 
flement, mais  peut  désigner  non  moins  bien^  grâce  à  l'acuité 
de  ses  voyelles,  le  bruit  de  la  clarinette  ou  de  la  crécelle. 

Âli,summen£Lsumsen  sont  à  peu  près  équivalents  et  signifient 
«fredonner  ».  Ils  possèdent  un  s  qui  indique  un  bruissement 
(le  second  en  possède  deux  et  est  de  ce  fait  plus  expressif), 
un  ti  qui  marque  que  ce  bruissement  est  dans  la  note  sombre 
et  la  consonne  m  qui  est  à  la  fois  nasale  et  labiale  ;  suivant 
que  c'est  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  qualités  qui  entre  en 
valeur,  le  mot  exprime  un  fredonnement  nasal  ou  un  fredon- 
nement labial,  d'où  le  sens  de  «  bourdonner  »  qu'il  possède 
aussi. 

Gr.  jSpvxeiv  «  croquer,  ronger»  a  des  éléments  communs  avec 
croquer,  mais  à  l'époque  où  son  v  se  prononce  â  son  initiale 
se  rapproche  davantage  de  celle  de  grignoter^  d'où  le  sens  de 
«  rousiller  x>.  Il  peut  même  lorsque  son  û  entre  particulière- 
ment en  lumière  signifier  «  grincer  des  dents  »  (sens  rare) 
gr&ce  aux  éléments  qui  font  impression  dans  briser^  grincer. 

C'est  pour  des  raisons  analogues  que  des  mots  tirés  d'une 
même  racine  prennent  souvent  des  sens  différents  suivant 
les  asards  de  leur  apofonie  ou  la  forme  de  leur  suffixe.  Ainsi 
de  la  racine  ten-  le  latin  tire  tinnire  qui  veut  dire  «  rendre  un 
son  clair  et  métallique  »  à  côté  de  tonare  qui  s'applique  au 
bruit  éclatant  du  tonnerre,  et  le  vieux  slave  tg,tïnû  qui  s'ap- 
plique à  un  bruit  sourd.  Lit.  grâuziu  «  je  ronge  »  n'a  pas  le 
même  sens  que  gr.  fip^x^i^  ^^  grincer  des  dents  »  auquel  il  est 
apparenté  parce  qu'il  contient  plutôt  les  éléments  de  gratter  ; 
mais  got.  kriiistan  qui  appartient  à  la  même  racine  signifie 
«  grincer  »  parce  qu'il  a  comme  ^p^x^tv  un  r  appuyé  sur  une 
voyelle  aiguë. 


128  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

Gr.  ^pc»  désigne  essentiellement  le  frémissement^  le  mur- 
mare,  et  il  en  est  de  même  de  Ppépioç  parce  que  c*est  le  substantif 
correspondant  ;  mais  le  Yocalisme  de  ce  dernier  lai  permet  de 
désigner  aussi  le  bourdonnement  et  même  le  grondement,  et 
cette  signification  pourra  être  aussi  attribuée  par  réaction  au 
verbe,  dont  la  vojelle  restera  alors  inerte  par  le  fénomène 
que  nous  constations  plus  aut  à  propos  de  fremere.  Quant  à 
ppovrii  qui  est  dérivé  de  la  même  racine,  il  ne  pourra  s'appli- 
quer qu*au  bruit  du  tonnerre  parce  que  sa  formation  l'isole  du 
verbe. 

C'est  ce  sentiment  du  rapport  entre  le  timbre  de  la  vojelle 
et  la  nuance  sémantique  qui  a  donné  naissance  à  une  apofonie 
spéciale,  que  nous  avons  déjà  signalée  (p.  100)  &  que  Ton  peut 
appeler  Tapofonie  onomatopéique.  Elle  a  trois  degrés  :  vojelle 
claire  t  (e),  vojelle  éclatante  a  (d)  &  vojelle  sombre  ou  (d). 
Elle  n'a  rien  de  commun  istoriquement  avec  Tapofonie  indo- 
européenne, bien  que  cette  dernière  lui  ait  dans  une  certaine 
mesure  servi  de  modèle.  A  côté  de  fî*.  claquet  «  petite  latte 
de  bois  qui  frappe  continuellement  sur  la  trémie  d'un  moulin  », 
cliquet  n*a  pas  d'autre  origine  que  les  besoins  onomatopéiques 
pour  désigner  un  objet  analogue  en  métal  et  dont  le  son  est 
par  conséquent  aigu.  Les  trois  mots  allemands  de  formation 
récente,  knirren  <x  faire  un  bruit  aigre  »,  knarren  a  craquer», 
knurren  «  gronder  »  sont  un  bel  exemple  d'apofonie  onoma- 
topéique. On  en  peut  dire  autant  de  Ut.  treszkéti  «  crépiter  », 
traszkéti  «  craquer  »,  truszkéti  <(  faire  entendre  un  craquement 
sourd,  comme  celai  d'un  arbre  qui  se  rompt  ».  Considérez 
encore  ail.  klippem  «  cliqueter  »  et  klappem  «claquer  »,  klit- 
schen  et  klatschen  «  mêmes  sens  respectifs  »,  knistem  «  cré- 
piter »  et  knastem  «  craqueter  »,  knittem  et  knattem  «  mêmes 
sens  respectifs  »,  kritzen  «  griffer  »  et  kratzen  «  gratter»,  &c. 
Ënân^  il  faut  constater  que  dans  des  mots  à  modulation 
vocalique  comme  fr.  tintamarre,  clapotage^  clapotis,  ce  qui  a 
déterminé  le  choix  du  suffixe^  c'est  uniquement  le  sens  ono- 
matopéique, c'est-à-dire  le  besoin  de  peindre  dans  le  premier 
cas  un  bruit  qui,  après  être  passé  de  la  note  claire  à  la  note 
éclatante,  continue  à  retentir  dans  cette  dernière  ;  dans  le 
second  cas  un  bruit  saccadé  (par  les  occlusives)  dont  les 
modulations  ne  sortent  pas  des  notes  éclatantes;  et  dans  c/a- 


ONOMATOPEES  BT  MOTS  EXPRESSIFS  129 

potis  un  bruit  varié   de  notes  éclatantes  entremêlées   par 
endroits  de  notes  aiguës. 


VII 


Sauf  dans  ces  dernières  lignes,  nous  n'avons  enoore  presque 
rien  dit  de  la  formation,  de  Torigine,  de  Tétimologie  et  de 
révolution  des  mots  onomatopéiques.  Nous  en  avons  rappro- 
chés qui  n'ont  aucun  lien  de  parenté,  nous  en  avons  séparés 
qai  sont  frères.  C'est  que  pour  les  questions  que  nous  avons 
étudiées  jusqu'à  présent,  il  n'i  avait  pas  lieu  de  faire  autre- 
ment ;  il  fallait  constater  l'état  et  la  valeur  des  différents  mots 
que  nous  signalions  dans  diverses  langues,  et  toute  autre  con- 
sidération eût  été  digressive. 

C'est  cependant  sur  ces  points  que  nous  avons  négligés  que 
FoQ  a  le  plus  écrit  jusqu'à  maintenant.  On  a  prétendu  que  les 
mots  onomatopéiques  échappaient  aux  lois  ordinaires  de  l'évo- 
lution ;  on  a  dit  aussi  que  les  langues  possédaient  d'autant 
plus  d'onomatopées  qu'elles  étaient  plus  jeunes,  plus  sauvages 
même,  qu'elles  en  semaient  tout  le  long  de  la  route  qu'elles 
étaient  obligées  de  suivre  pour  s'afûner,  et  que  les  langues 
les  plus  perfectionnées,  celles  qui  correspondaient  au  degré 
de  civilisation  le  plus  avancé,  n'en  présentaient  plus  que 
quelques  vagues  débris.  Aucune  de  ces  opinions  ne  repose 
sur  une  étude  attentive  des  langues  et  de  leur  évolution, 
Vojons  les  faits. 

Les  mots  onomatopéiques  obéissent  servilement  aux  lois 
fonétiques  qui  dominent  les  autres  mots  de  la  langue  à  laquelle 
ils  appartiennent,  même  si  les  transformations  que  leur  impo- 
sent ces  lois  doivent  leur  ôter  toute  valeur  expressive.  Lat. 
querquedula^  qui  fait  onomatopée  par  la  combinaison  de  ses 
deux  occlusives  sourdes  avec  la  vibrante  r,  est  devenu  en  fran- 
çaissarce/Ze,  mot  absolument  inexpressif.  L'indo-européen  em- 
ployait pour  désigner  l'éternuement  une  racine  *  pster-  dont 
la  forme  insolite  décèle  au  premier  coup  d'oeil  une  création 

9 


130  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

purement  onomatopéique  et  qui  est  en  effet  bien  remarquable 
avec  son  explosion  labiale  suivie  d'un  sifflement  que  vient 
interrompre  une  occlusive  dentale  explodant  sur  un  bruit  que 
prolonge  le  vibrement  d'un  r.  Le  grec  en  a  tiré  irrapw/xc 
à  qui  révolution  fonétique  a  fait  perdre  la  spirante,  o'est-à.- 
dire  Félément  essentiel,  celui  qui  donnait  la  vie  à  tous  les 
autres,  si  bien  que  ce  mot  n'est  en  définitive  guère  plus  dig'ne 
du  nom  d'onomatopée   que  Trrcpva  «  le  talon  ».  Le  latin,  qui 
obéit  à  des  lois  différentes,  en  fait  stemuo  ;  il  n'a  perdu  que 
le  /),  et  la  perte  est  petite,  car  tous  les  éléments  essentiels 
subsistent,  et  l'onomatopée  reste  excellente.  Mais  stemuere 
devient  en  français  étêrnuer^  qui  est  aussi  inerte  comme  ono- 
matopée que  éterniser*  Les  langues  germaniques  possèdent 
pour  désigner  la  même  idée  diverses  formes  qui  semblent  pou- 
voir être  toutes  ramenées  à  une  sorte  de  racine  *  qsneus-  ;  elle 
n'est  pas  moins  expressive  que  *  pster-^  mais  elle  ne  désig^ne 
pas  le  même  éternuement;  ^pster-  exprime  un  de  ces  éter- 
nuements  dus  à  un  picotement  dans  le  nez  comme  en  produit 
le  soleil  du  printemps,  &  qui  vous  surprennent  au  moment  où 
vous  vous  i  attendez  le  moins  &  où  vous  avez  par  conséquent 
la  bouche  fermée,  comme  le  montre  l'explosion  labiale  du 
début;  la  racine  germanique  mqsneus-  peint  au  contraire  Téter- 
nuement  de  quelqu'un  qui  a  contracté  un  bon  rume  de  cerveau 
et  qui  ne  pouvant  plus  respirer  par  le  nez  a  d'avance  la  bouche 
ouverte  ;  pas  d'occlusion  labiale  en  effet,  pas  même  d'occlusion 
dentale  ;  les  muscles  en  se  contractant  ne  peuvent  produire 
d'occlusion  qu'au  fond  de  la  bouche,  au  niveau  du  voile  du 
palais,  commele  marque  le  ^;  cette  explosion  est  immédiatement 
suivie  d'une  sortie  violente  de  souffle  exprimée  par  la  sifflante  s 
et  dont  le  trop  plein  passe  par  le  nez  qu'il  dégage  momentané- 
ment(n)  en  produisant  un  bruit  que  marque  la  voyelle  &  qui  se 
termine  par  un  nouveau  sifflement.  Ajoutons  que  les  langues 
baltico-slaves  ont  une  troisième  formation,  lit.  cziûsti,  cziàtAdèti^ 
russ.  cixâf  dont  l'élément  essentiel  est  celui  de  notre  onomatopée 
atsché,  atschiy  qui  suppose  aussi  l'occlusion  des  fosses  nasales.  Il 
serait  puéril  de  rattacher  des  considérations  etnograflqu  es  à  ces 
trois  expressions  différentes  de   l'éternuement  ;    lorsqu'on 
cherche  à  imiter  un  bruit  complexe  et  variable,  il  est  tout 
naturel  qu'on  le  reproduise  de  façon  plus  ou  moins  inexacte 


ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  191 

et  tantôt  d'une  manière  tantôt  d'une  autre.  La  seule  chose 
qui  nous  importe  ici,  c'est  de  constater  que  si  révolution  foné- 
tique  a  ôté  à  ind.-eur.^psfer-  toute  valeur  expressive  en  le  fai- 
sant aboutir  à  fr.  étemuer^  elle  n'a  pas  plus  respecté  germ. 
*çsnetÂS',  Ce  dernier  est  en  effet  devenu  d'une  part  ags.  fnéo- 
san^  m.  angl.  fnésen,  holi.  fniezen  qui  ne  peignent  qu'un 
souffle  mi-labial  et  mi-nasal,  d'autre  part  m,  angl.snesen,  angl. 
to  sneeze  qui  marquent  un  sifflement  dental  sufvi  d'un  souffle 
nasal,  enfin  v.  norr.  hnjôsa  qui  indique  bien  encore  un  souffle 
nasal,  mais  dans  les  dialectes  ou  l'A  est  tombé  on  a  vha.  niosan^ 
m.  angl.  néseh^  ail.  niesen  qui  ne  font  pas  plus  onomatopée 
que  ail.  nàhen  9  coudre  ».  Les  correspondants  de  sk.  kroças 
«  cri  »,  gr.  xpavyq  «  cri  »,  si  expressifs  avec  leur  groupe 
cr^  sont  en  got.  hruks  «  chant  du  coq  » ,  hrukjan  «  chanter 
comme  un  coq  »  que  la  lautverschiebung  a  rendus  presque 
inertes  en  détruisant  l'occlusive  sourde  initiale.  Même  obser- 
vation pour  ail.  rufen  «  appeler  »  q«i  sort  d'un  prégerma- 
nique *krob'  ou  "  krâi'j  pour  ali.  lachen  «  rire  »  qui  sort  de 
*klak-  (cf.  gr.  nlàÇa,  xXûaau),  pour  ags.  punjan  a  tonner  » 
qui  correspond  à  véd.  tânyatt\  lat.  tonare^  pour  v.  norr. 
pidurr  qui  correspond  à  gr.  wpaÇ  «  coq  de  bruyère  »,  pour 
gr.  aufft,  ônp,  avp«,  lat.  aura^  v.  irl.  aial  a  souffle,  vent  »  à  côté 
déracine  ^toè-,  v.  si.  véja  «je  souffle»,  lit.  véias  a  vent  », 
got.  vaian  «  souffler  »,  vinds  «  vent  »,  ail.  wehen  «  souffler  », 
mnd  a  vent  »,  lat.  uentus. 

Puisque  l'évolution  agit  impitoyablement,  sans  souci  de 
l'onomatopée,  il  est  évident  que  si  elle  la  détruit  parfois  elle 
doit  tout  aussi  souvent  et  avec  la  même  inconscience,  la 
créer.  Ainsi  ind-eur.  *6A/â-ou  *bhlë-  «  souffler»  donne  au  vha. 
plâen^  blâen  qui  est  inexpressif,  mais  au  \dX,ftare  qui  vaut  vha. 
fnëkan  examiné  plus  aut,  p.  97.  Vfr.  afan  a  effort  »,  it.  aff'a- 
nare  «chagriner», prov.,  esp.,  port,  afanar  «  se  donner  de  la 
peine,  travailler  avec  effort  »  supposent  une  forme  romane 
d'origine  inconnue  *affanare.  Tous  ces  mots  sont  inexpressifs. 
A  côté  de  cette  forme  il  i  en  avait  probablement  une  autre 
avec  un  seul  /*,  ^afanare^  sortie  de  celle-là  par  simpliflcation 
de  la  consonne  double  dans  les  formes  où  elle  se  trouvait 
devant  l'accent,  comme  dans  mamilla  de  mammay  curulis  de 
currttô,  uacitiare  de  uaccillare^  farina  defarris,  ofella  de  offa^ 


132  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

dmittOj  Messalina  de  Messalla.  *Afanare  aurait  donné  fr.  ahaner 
comme  deforis  est  devenu  dehors.  Or  ahane  fait  onomatopée 
par  son  iatus,  comme  ce  vers  do  M.  de  Heredia  : 

Et  bondis  à  travers  \m  liAletante orgie, 

et  ahan  d'autre  part  par  sa  nasalisation  qui  le  fait  coïncider 
pour  sa  deuxième  siilabe  avec  Tinterjection  des  gens  qui  font 
effort,  hani 

Il  est  inutile  de  citer  ici  un  plus  grand  nombre  d'exemples 
de  ce  genre.  On  en  pourra  glaner  plusieurs  dans  les  chapitres 
qui  précèdent  et  on  en  rencontrera  beaucoup  dans  ce  qui 
nous  reste  à  exposer.  Qu'il  nous  suffise  pour  le  moment  de 
constater  que  ce  que  révolution  fonétique  fait  perdre  d'un 
côté  à  une  langue  au  point  de  vue  de  l'onomatopée,  elle  le  lui 
rend  d'un  autre  côté.  Led  pertes  et  les  gains  se  balancent  à 
peu  près. 

Les  langues  subissent-elles  passivement  cet  état?  On  ne  les 
voit  guère  rejeter  un  mot  parce  qu'il  fait  onomatopée.  Mais 
lorsque  l'évolution  fonétique  leur  fait  perdre  une  onomatopée, 
on  constate  sou  vent  qu'elles  la  refont  ou  la  remplacent.  Quand 
il  s'agit  simplement  d'imiter  un  bruit  bien  déterminé,  on  le 
recopie  de  son  mieux  en  abandonnant  le  mot  éréditaire  devenu 
inexpressif.  L'istoire  des  noms  du  coucou  dans  les  langues 
indo-européennes  est  fort  instructive  à  cet  égard.  Ils  ont  tous 
quelque  élément  commun,  mais  la  question  est  de  savoir 
dans  quelle  mesure  ils  le  doivent  à  l'érédité  et  à  leur  parenté. 
Il  convient  d'abord  de  signaler  sk.  kôkas  «  coucou  (RY,  vu, 
104,  22),  —  loup,  sorte  d'oie  (olass.)  »  avec  son  dérivé  kaki* 
las  «  coucou  »,  lat.  cucus  (?),  v.  irl.  cûach,  gall.  côg  qui 
remontent  aux  formes  parallèles  *qeuqos,  *qouqos,  *qugos, 
*quqàf  *  gouqà.  Ce  sont  des  mots  à  réduplication  brisée  que  l'on 
peut  rapporter  à  une  racine  onomatopéique  *qeu-,  attestée 
par  sk.  kâuti^  kunàU\  kavate  «  retentir,  faire  entendre  un  son, 
gémir  » ,  v.  si.  kujati  «  murmurer ,  gronder  » ,  gr.  xmxvu 
«  je  pousse  des  cris  de  douleur  »,  lit.  kaûkti  «  urler  i),  etc.  A 
la  même  racine  peuvent  se  rattacher  lat.  cuculus,  v.  si.  kuka- 
vica  c  coucou  »,  lit.  kukûii  c  faire  le  cri  du  coucou  »;  mais 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  188 

rien  ne  prou76  que  tel  de  ces  mots  n*a  pas  été  refait  directe- 
ment  sur  le  cri  du  coucoa. 

En  grec  on  a  xoxieuÇ  qui  ne  correspond  exactement  à  aucun 
des  mots  cités  jusqu'à  présent.  Faut-il ,  à  cause  de  son 
occlusive  redoublée  ,  i  voir  une  formation  grecque  tirée 
d*une  nouvelle  imitation  du  cri  du  coucou,  à  savoir  xoxxu? 
Ce  n*est  nullement  nécessaire  ;  sans  doute,  si  xdxxvf  était  un 
mot  inexpressif  sa  dérivation  de  la  racine  signalée  plus  aut 
serait  anomale  ;  mais  lorsqu*il  s'agit  d'un  mot  onomatopéi- 
que,8on  xx  n'a  rien  de  plus  surprenant  que  le  wic  de  mmcit^u  à 
côté  de  irtir^^M  ou  le  x;^  de  xaxxa(ft>  à  côté  de  xa;^âC«>.  Le  redou- 
blement d'une  occlusive  dans  les  cas  de  ce  genre  est  un  pro- 
cédé qui  a  pour  effet  d'accentuer  le  redoublement,  de  le 
rendre  plus  sensible,  &  qui  plonge  par  ses  origines  jusque 
dans  rindo-européen;  qu'il  nous  suffise  de  rappeler  ici  en  face 
de  9r<irir{(tt  sk.  pippakà  c  nom  d'un  oiseau  >,  en  face  de  xaxxà(a>, 
xaxâÇâ)  sk.  kakkhatty  kakhati.  Est-il  permis  de  supposer  que 
notre  forme  xdxxvf  remonte  aussi  aut?  On  a  certainement 
le  droit  d*en  rapprocher  sk.  kukkubhas  a  faisan  »,  kukkuvàc 
c  espèce  d'antilope  »,  tant  qu'il  ne  sera  pas  démontré  que  ces 
mots  sont  des  formes  prâkrites  sanskritisées.  La  différence 
de  signification  ne  saurait  être  un  obstacle  ;  la  racine  dont 
nous  avons  parlé  a  un  sens  assez  large  pour  que  ses  dérivés 
puissent  s'appliquer  à  des  animaux  divers  pourvu  que  leurs 
cris  aient  entre  eux  quelque  vague  analogie.  Nous  avons  déjà 
vusk.  kokas  désigner  «  le  loup  »  et  c  une  sorte  d'oie  o  ;  v.  si. 
kucika  signifie  «  ie  chien  •,  lat.  cucubare  veut  dire  «  faire 
entendre  le  cri  du  ibou  »,  enfin  gr.  xoxxv(tt  lui-même  con- 
vient aussi  bien  au  chant  du  coq  qu'à  celui  du  coucou. 

Dans  les  langues  germaniques  la  forme  la  plus  ancienne 
qui  nous  soit  connue  est  vha.  gouh  =  ags.  géac  =  v.  norr. 
gaukr  «  coucou  » ,  représentée  encore  aujourdui  par  ail. 
gauch  c  coucou,  —  niais  ».  Elle  ne  peut  en  aucune  façon 
être  rapprochée  fonétiquement  des  formes  que  nous  avons 
signalées  dans  les  autres  langues  ;  elle  est  sans  doute  appa- 
rentée à  sk.  hàvaie,  hvdyati*  il  crie,  il  appelle  d,  hàvas  a  cri  », 
jôhamti  €  il  appelle  »,  v.  si.  zova  «  je  crie,  j'appelle  ».  Au 
point  de  vue  expressif  ce  mot  est  très  défectueux  à  différents 
égards  et  en  particulier  parce  qu'il  n'indique  pas  de  redou- 


134  ONOMATOPEES   ET  MOTS  EXPRESSIFS 

blement  alors  que  le  cri  du  coucou  est  toujours  répété.  Aussi 
▼oit-  on  surgir  au  XVI*  siècle  à  côté  de  gouch  des  formes  telles 
que  guckgauch,  gutzgauch.  Mais  longtemps  auparavant  le 
néerlandais  avait  recopié  directement  le  cri  de  Toiseau  dans 
son  mot  koekoek,  qui  pénétra  en  Allemagne  dès  le  XV'  siècle 
sous  la  forme  kuckuck,  aujourdui  très  répandue.  L'anglais  a 
cuckooqyiLiX  ne  doit  sans  doute  ni  a  un  éritage  ni  à  un  emprunt, 
mais  qu'il  a  calqué  sur  le  cri  du  coucou.  De  même  en  russe 
kukûska  n'est  pas  le  représentant  de  v.  si.  kukavïca^  mais  une 
imitation  du  cri  du  coucou  suivie  d'un  suffixe  très  usité. 

Le  cûcus  de  nos  dictionnaires  latins  n'est  livré  nulle  part 
d'une  façon  certaine,  pas  même  dans  Isidore  (Orig,  ^12, 7).  C'est 
assez  dire  que  si  un  pareil  mot  a  réellement  existé  en  latin, 
nous  ignorons  sa  forme  exacte  et  en  particulier  la  quantité 
de  sa  première  voyelle.  Rien  ne  saurait  donc  faire  obstacle 
au  *dkcus  que  demandent  ital.  eticco,  roum.CMC,port.  cuco. 
Ce  *ctkcus  serait  à  *cUcus  ce  que  cûppa  est  à  cùpa.  Le  mot 
ordinaire  en  latin  pour  désigner  le  coucou  est  bien  connu 
sous  la  forme  dkulus  et  son  doublet  cumllus.  Dans  les  langues 
romanes  prov.  cogul-s  répond  bien  a  cûcûlus^  mais  en  italien 
au  lieu  du  *cugûlo  attendu  on  a  cucûlo  qui  demande  fonétique- 
ment  *cikcUlus.  En  français  il  n'i  a  pas  lieu  de  séparer  les  mots 
désignant  l'oiseau  coucou  de  ceux  qui  s'appliquent  au  mari 
cocUf  à  celui  dont  la  femme,  comme  la  femelle  du  coucou, 
ante  des   nids  étrangers.    Vfr.  *coucu^   attesté   par  Godef. 
coucuaultj  peut  sortir  comme  ital.  cucûlo  d'une  forme  "cûcculu; 
de  même  langued.   coucut  suppose  *cûccUtUy  et  franc-comt. 
coucue   a  l'erbe  au   coucou  »,  *cûccUta.  Ces   formes  cucûlo^ 
*coucu^  coucut^  coucue  peuvent  recevoir  deux  explications  : 
1**  le  texte  de  Plaute,  7Wn.,  245  paraît  exiger  la  longueur  de 
la  première  sillabe  dans  le  mot  cuculus,  c'est-à-dire  cûc-  ou 
cûcc'  &  tous  les  autres  passages  où  ce  mot  se  trouve  dans  le 
même  auteur  peuvent  s'accommoder  de  cette  scansion  (cf.  éd. 
Brix).  Cûcûlus  serait  à  cûccûlus  comme  uacillat  à  uaccillat  et  la 
coexistence  de  ces  deux  formes  en  roman  ne  serait  pas  plus 
surprenante  que  celle  de  cuppa  à  côté  de  cupa  ou  celle  de 
pullicinu  «  poussin  »  à  côté  de  pulicinu  c  pussin  »  (Revue  des 
langues    romanes^   1898,  p.  287)  ;  2*   *Cugûlo^  *cougut^  &c., 
pouvaient  devenir  d'une  façon  normale  cucûlo,  coucut^  &c. 


ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  135 

par  le  sentiment  du  redoublement,  comme  fr.  verveine  de  uer- 
bena^  lat.  valg.  codna  de  coquina^  y.  esp.  bierven  de  uermi- 
nem^  &c.  (cf.  Grammont^  La  dissimilaiionj  p.  169). 

Fr.  coucou  est  probablement  une  nouvelle  imitation  directe 
du  cri  de  Toiseau,  mais  il  pourrait  aussi  être  sorti  de  *coucu 
par  une  assimilation  vocalique  progressive  due  à  Tinfluence 
de  Tonomatopée.  Enfin  cocu^    coqu^  au   lieu  d'avoir  subi, 
comme  le  pense  le  Dict.  gén.^  Tinfluence  de  coquart,  coquin, 
&c.,  n'est  autre  chose  que  vfr.  cucu  dissimilé  normalement 
comme  devin  de  diuinu,  voisin  de    uicinuj   fanir  de   finire. 
Quant  à  ce  cucu^  c'est  ou  bien  ''cowiu  assimilé  régressivement 
par  le  sentiment   que  ce  mot    fait  onomatopée  et  exige  le 
redoublement  de  la  même  sillabe,  ou  bien  une  reproduction 
directe  et  approximative  du  cri  de  l'oiseau.  Comme  nous 
l'avons  déjà  indiqué  (p.  98  ),  les  deux  notes  du  cri  du  coucou 
ne  sont  pas  absolument  identiques  ;  la  première  est  plus  claire 
que  la  seconde,  et  si  coucou  est  une  imitation  plus  exacte  que 
cucu^   ce  dernier  présente  pourtant  une  approximation  très 
suffisante.  Seulement  il  fait  Timpression  d'un  cri  plus  aigu 
que  coucou»  On  trouve  la  même  différence  entre  les  mots  dési- 
gnant le  urlement  que  nous  avons  signalés  à  la  p.  108  et  le 
mot  fr.    urler  (hurler),  La  voyelle  essentielle  des  premiers 
est  un  ou,  ce  qui  ne  les  empêche  pas  de  servir  à  l'occasion 
pour   les  urlements    aigus  ;    au  contraire   fr.  urler  donne 
rimpression   d'un    urlement  aigu  et  par  extension  désigne 
aussi  les  autres.  Mais  d'où  vient  son  û  et  aussi  son  h  qui 
s'est  prononcé  assez  tard  puisque  nous  disons  encore  aujour- 
dui  le  urlement  sans  élision  ?  Le  point  de  départ  de  ce  mot 
est  évidemment  latin  ululare  qui  n'a  ni  ti  ni  A  ;  ce  ululare  bien 
qn'il  s'applique  essentiellement  au  urlement  des  chiens  et  des 
loups  est  un  dérivé  de  ulula  «  chat-uant  ».  Le  rapport  qui 
existe   entre  le  urlement  et  le  cri  du  ibou  ou  du  chat-uant 
paraît  avoir  été   saisi    de  différents    côtés,  car  ail.  heulen 
«  urler  »  de  mha.   hiulen^    hiuweln  est  apparenté  à  mha. 
hiuwel^  vha.  hiuwila  «  ibou,  chat-uant  ».  C'est  ce  qui  permet 
de  supposer  que  le  mot  fr.  a  subi  une  infiuence  germanique 
et  qu'il  s'est  mélangé  avec  vha.  hûwila  «  ibou,  chat-uant  ».^ 

•  Hûwila + iUiilare  peut  donner  soit  *hûlûlare  d*où  hurler,  soit  *hûwilare 


136  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

Le  mot  uer  (huer\  que  Ton  persiste  à  tirer  de  rinterjection 
hu,  appartient  à  la  même  famille  ;  il  signifie  encore  en  terme 
de  fauconnerie  «  crier  comme  le  ibou  »  &  n'est  autre  chose 
qu*un  dérivé  de  vha.  hnwo  «  ibou,  chat-uant  d. 

Lorsqu'il  s'agît  de  bruits  moins  précis  ei  moins  bien  déter- 
minés, les  langues  ont  d'autres  ressources  pour  réparer  lears 
pertes.  Elles  ont  toujours  en  magasin,  si  Ton  peut  s'exprimer 
ainsi,  les  fonèmes  qui  sont  propres  à  en  peindre  les  carac- 
tères essentiels,  par  exemple  l'apofonie  onomatopéique  qui 
suffit,  comme  nous  l'avons  vu  plus  aut,  à  en  exprimer  la  note 
dominante,  puis  les  occlusives  qui  marquent  les  sons  à  explo- 
sion brusque^  puis  les  combinaisons  d'occlusives  avec  des 
liquides  ou  des  spirantes ,  dont  la  valeur  nous  est  aussi 
connue.  Ainsi  la  lautverschiebung  ôte  au  correspondant  ger- 
manique (vha.  kuoh^  que  nous  retrouverons  plus  loin)  de  gr. 
xa^aÇeiv  «  rire  aux  éclats»,  lat.  cackinnus^  sk.  kakhati  tout 
ce  qui  rendait  ces  mots  si  expressifs;  mais  le  vieux  aut  alle- 
mand retrouve  dans  son  propre  fonds  les  éléments  qui  avaient 
servi  à  former  ces  mots  en  indo-européen,  &  il  en  fait  kichaz-- 
zen^  kackazzen.  Le  «geai  »  se  dit  en  vha. AeAara  (qui  ne  fait 
pas  onomatopée)  et  en  gr.  xio-va  -,  en  sanskrit  on  trouve  kikiSt 
mot  refait  qui  éveille  bien  le  sentiment  des  cris  aigus  et  sac- 
cadés de  cet  oiseau  ;  mais  la  forme  attendue  Vteti  n'avait  pas 
les  mêmes  qualités.  Indo-eur.  *A:^aA;-  devient  en  germanique 
par  la  lautverschiebung  A/aA-&  même  en  ail.  lah-  qui  n*ont  plus 


d*où  yfr.  huler  ;  le  dérivé  normal  de  hûvHla,  sans  mélange  avec  ûlûlare, 
ne  pourrait  d'ailleurs  avoir  une  autre  forme  que  *hûwilar€.  M.  Meyer- 
Lubke  a  donné  {Grôber's  Zeitschr,^  XXII,  6  sqq.)  une  explication  fort 
ingénieuse  de  Vu  fermé  de  la  sillabe  initiale  ;  mais  elle  ne  paraît  pas 
pouvoir  être  acceptée  parce  qu'elle  n'est  pas  indispensable  pour  expli- 
quer obw.  urlar  &  surtout  qu'elle  ne  rend  pas  compte  de  Vh.  Déjà  en  1894 
M.  Th.  Braune  avait  songé  à  une  origine  germanique  {Grôbei''s  Zeitschr,, 
XVIII,  527),  mais  il  n'avait  pas  touché  juste  parce  que  hurreln  aurait 
donné  fr.  *houvler^  parce  que  plusieurs  formes  romanes  ne  permettent 
pas  d'écarter  ululare^  enfin  parce  que  sard.  uruiare  &  roum.  url  prou- 
vent surabondamment  que  l'r  n'est  pas  d'origine  germanique,  mais  est 
le  produit  d'une  dissimilation  tout  comme  le  d  de  cat.  udolar  qui  ne 
lort  pas  de  hurdeln  (cf  .  Grammont,  La  dissimilation,  p,  50,  55,  81,  84). 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  137 

da  tout  la  valeur  onomatopéique  de  gr.  xkfxrffh^  lat.  clangor; 
inais  on  refait  klingeriy  klang. 

Au  lieu  de  fabriquer  un  mot  de  toutes  pièces  pour  combler 
une  lacune,  les  langues  peuvent  l'emprunter  à  un  idiome 
voisin  ou  le  tirer  d'une  racine  qui  n'a  pas  le  même  sens. 
L'indo-européen  se  servait  des  deux  racines  onomatopéiques 
*  perd-  &  *pezd'  pour  exprimer  deux  nuances  nettement 
distinctes.  La  première  avec  son  explosion  labiale,  son  voca- 
lisme YdkTié(* perd  -,  *prd'^  *pord-),  le  léger  roulement  de  son 
r  et  Tocclusion  finale,  est  une  merveille.  Elle  est  attestée  par 
sk.  pârdate  ,  gr.  TrcpcTerac ,  lirpacTov  ,  sTrapcTov  ,  irsirop^a ,  iropcfq  , 
lit.  joérrfim,  pérsti,  cèq.  prdéti^  ail.  furzen^  farzen^  &c.  La  laut- 
verschiebung  a  modifié  Texpression  dans  les  mots  germaniques, 
mais  il  n'i  a  pas  lieu  d'insister  sur  ce  changement.  La  seconde 
racine,  *pezd',  remplace  excellemment  la  vibrante  r  par  la 
spirante  sonore  z,  mais  on  peut  trouver  que  l'explosion  mar- 
quée par  la  labiale  du  début  est  trop  violente.  Quoi  qu'il  en 
soit  elle  donne  naissance  dans  le  domaine  ellénique  a  un 
verbe  *  bzdeyo  qui  serait  parfait  si  les  lois  fonétiques  grecques 
ne  le  rendaient  inexpressif  en  lui  faisant  perdre  son  z  ;  gr. 
|3(fcw  garde  la  signification  de  *pezrf- parce  que  7r«p(?-  sub- 
siste en  face  de  lui,  mais  il  ne  l'exprime  plus.  En  baltico-slave 
et  em  germanique '^p^zei?' apparaît  dans  slav.  pezdèii  qui  garde 
toutes  les  qualités  de  l'indo-européen,  dans  pet.  russ.  bzdHty  et 
lit.  bezdéfi  (sans  doute  emprunté  au  russe)  qui  sont  plus  par- 
faits, et  dans  mha.  vist^  ail.  fisten  qui  sont  irréprochables.  En 
Uiin  *pezdo  devient  normalement  pétio  ;  il  reste  la  labiale, 
mais  plus  rien  de  caractérisant.  C'est  désormais  un  mot  à 
peu  près  quelconque,  plus  propre  pourtant  avec  son  explosive 
labiale  sourde  à  remplir  les  fonctions  de  *  perd-  que  celles  de 
*pezd'f  et  comme  iln'iapas  à  côté,  comme  en  grec,  un  repré- 
sentant de  *  perd-^le  domaine  de  ce  dernier  lui  échoit  ;  mais  il  s'i 
comporte  simalabilement,  qu'on  éprouve  souvent  le  besoin  de 
le  remplacer  par  crepare.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  place  de  *  pezd- 
reste  vacante  ;  on  a  recours  alors  à  uisire^  qui  est  fort  juste 
comme  expression,  mais  qui  trouve  là  un  emploi  nouveau, 
car,bien  que  son  origine  ne  soit  pas  certaine,  il  semble  se  ratta- 
cher à  une  racine  *  veis  -  signifiant  «  couler,  exprimer  un 
liquide  » .  En  vieux  français  pèdere  donne  poire  qui  n'est  pas 


138  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

beaucoup  plus  expressif  que  le  frait  dont  le  nom  se  prononce  de 
même  ;  mais  du  substantif  ;>e^  on  tire  un  dérivé /^eVer  qui  doit  à 
son  occlusive  dentale  sourde  un  regain  d'expression.  L'autre 
nuance  est  rendue  par  vesser^  vfr.  vessir^  qui  a  toutes  les 
qualités  désirables  et  sort  de  *  mssire^  doublet  de  timre. 

Non  seulement  les  langues  réparent  souvent,  soit  en  créant, 
soit  en  empruntant,  les  pertes  que  leur  a  causées  l'évolution 
fonétique ,  mais  il  n'est  pas  rare,  lorqu'un  mot  vient  mal  ou  ne 
présente  pas  les  qualités  requises,  qu'elles  le  réduisent  à  un 
rôle  secondaire,  ou  le  rejettent  complètement  et  le  remplacent 
par  des  mots  plus  expressifs  qu'elles  prennent  où  elles  les 
trouvent,  soit  qu'elles  les  forgent,  soit  qu'elles  les  empruntent 

Ainsi  lat.  vulg.  meiare  (class.  meteré)  donne  sard.  meare, 
esp.  mear^  port,  mijar,  mots  inexpressifs.  Dans  les  autres  lan- 
gues romanes  on  emploie  les  représentants  de  *  pistiare,  à 
savoir  it.  pisciare^  rétor.  pischar^  prov.  pissar^  fr.  pisser^  picard 
ptcheTj  cat.  piixar^  roum.  pt§,  Q  est  probable  que  si  l'on  a  eu 
recours  à  ce  mot  de  signification  si  éloignée  (sur  son  origine 
et  son  évolution  sémantique,  cf.  Ulrich,  A,  IX,  117  et 
Eôrting,  Lat.-  rom.  wôrt.^  n*  7195),  c'est  parce  qu'il  est 
expressif  &  rappelle  le  bruit  d'un  filet  d'eau  qui  coule  par 
terre  (cf.  le  mot  des  nourrices  qui  veulent  faire  uriner 
leurs  nourrissons, /)5,  ps^  avec  s  palatal),  tandis  que  meiare 
&  ses  représentants  sont  totalement  inertes. 

Le  latin  rendait  l'idée  de  crier  par  clamare; on  en  a  fait  en  vfr. 
damer,  je  claim,  qui  signifiait  «  appeler  à  aute  voix  »  &  qui  n'est 
plus  guère  vivant  aujourdui  que  dant  les  composés  proclamer ^ 
acclamer,  réclamer;  mais  pour  rendre  Tacuité  d'un  cri  qui 
vibre  soudain,  le  latin  ne  fournissait  rien  ;  le  lat.  vulg.  a*  critore 
qui  est  excellent.  Où  l'a-t-il  trouvé?  On  le  voit  généralement 
dans  lat.  quiritare  a  appeler  le  peuple  au  secours  »,  &  il  n'i  a 
en  effet  pas  grand  chose  à  dire  contre  cette  étimologie  ;  mais 
il  nous  a  toujours  semblé  qu'il  i  avait  tout  autant  de  chances 
pour  que  ce  mot  vînt  de  go  t.  *  kreitan  «  crier  »,  attesté  par 
mha.  krîzen.  Et  ce  got.  *  kreitan  d'où  sort-il  lui-même?  Pas  de 
l'indo-européen,  qui  ne  connaît  pas  *^et(rf-;  il  est  vrai  que  l'on 
pourrait  songer  à  un  élargissement  de  la  racine  *  |fer-,  attestée 
par  sk.  jârate  «  il  fait  du  bruit  »,  lit.  gàr$as  «  voix  »,  v.  irl. 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  139 

gair  «  appel,  voix  •,  v.  norr.  kura  «  gronder  »,  vha.  karm 
a  brait,  clameurs  »,  &c.  ;  mais  il  est  beaucoup  plus  probable 
que  kreit-  est  une  fabrication  germanique  apparentée  onoma- 
topéiqaement(&  non  pas  istoriquement)  avec  indo-eur.  "^  greti]^- 
«  pousser  des  cris  aigus  »  que  Ton  voit  représenté  dans  gr. 
Expaov,  V.  si.  krikû  «  cri  »,  lit.  krikséti  «  crier  »,  v.  norr.  hrikta 
«pousser  des  cris  aigus  »,  vha.  hreigir  «  héron  ». 

Le  latin  ne  disposait  guère  que  de  crepare  pour  rendre  les  trois 
nuances  craquer ^  croquer^  claquer  ;  les  langaes  romanes  gardent 
ce  mot  à  cause  de  ses  qualité8(it.  crepare,  roum.  crëp,  prov.  cre- 
barrir. crever^  esp.jport.ywc^rar),  mais  elles  limitent  sa signifl- 
cation  et  suppléent  à  son  insuffisance  en  recourant  qui  au  ger- 
manique comme  l'espagnol  qui  en  tire  crujir^  qui- aux  forma- 
tions onomatopéiques  comme  le  français,  qui  a  tiré  des  verbes 
des  interjections  crac,croCf  clac;  ail.  A/a/seA^n  est  dérivé  de  la 
même  manière  de  klatsch  &  krachen  de  krak  ;  il  n'i  a  évidem- 
ment aucun  rapport  istorique  entre  ces  mots  et  ceux  qui  leur 
correspondent  en  français.  Pour  désigner  le  cliquetis   des 
armes,  le  latin  se  servait  d'un    dérivé  du  même  crepare^  à 
savoir  crepitus;  l'espagnol  Ta  remplacé  par  chischas  et  le  fran- 
çais par  cliquetis  qu'il  a  tiré  de  cliquet  au  moyen  du  même 
suffixe  qui  lui  a  servi  à  distinguer  le  clapotis  du  clapotage^ 
k  cliquet  lui-même  n'a  pas  d'autres  aïeux  que  Tinterjection 
clic.  Ces  nuances  ne  suffisaient  pas  encore  aux  langues  moder- 
ûes;pour  ne  considérer  que  le  français,  decraquer  il  a  tiré  cra- 
queter,  craqueler;  il  a  même  repris  au  latin  par  voie  savante 
ce  crepitare  qui  était  excellent  et  qui  ne  lui  était  pas  venu  par 
voie  populaire.il  s'est  encore  tourné  d'un  autre  côté, &  ajou- 
tant à  un  substantif  inexpressif  qu'il  possédait  le  suffixe  -tV/er, 
il  a  fait  pétiller  dont  tous  les  éléments  sont  en  valeur;  car  le 
jodj  spirante  palatale  sonore,  est  propre  à  exprimer  un  léger 
bruissement,  bruissement  aigu  si  la  voyelle  qui  précède  est 
ûguë  comme  dans  le  cas  présent,  bruissement  sourd  si  elle 
est  sombre  comme  dans  gargouiller,  grouiller  que  le  français 
Ajoute  à  la  liste  en  tirant  l'un  d'un  élément  onomatopéique  à 
redoublement  garg-  &  l'autre  de  l'initiale  de  grogner^  gron- 
^'  Tous  ces  mots>  et  d'autres  que  l'on  pourrait  citer  encore 
remplacent  l'unique  crepare  du  latin  et  son  dérivé  crepitare. 

On  ne  trouvera  pas  sans  doute  qu'il  i  ait  eu  appauvrissement 

du  vocabulaire  onomatopéique. 


140  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

Il  serait  facile  de  multiplier  les  exemples  ;  mais  oe  serait 
nous  écarter  de  notre  sujet  &  écrire  un  chapitre  de  la  «  Vie 
des  mots  j».  11  nous  suffira  d'avoir  indiqué  ces  faits,  car  noas 
avons  âte  d'aborder  une  dernière  question  que  nous  avooA 
fait  pressentir  dès  le  commencement. 


VIII 


Nous  n*avons  guère  étudié  jusqu'ici  que  des  mots  désignant 
une  action  ou  un  objet  susceptibles  de  produire  un  son  et  nous 
avons  vu  dans  quelle  mesure  ces  mots  imitent  ce  son  ou  en 
suscitent  l'idée,  c'est-à-dire  coastituent,  d'après  la  définition 
donnée  au  début,  des  onomatopées. 

A  côté  des  onomatopées  il  i  a  dans  les  langues  quantité 
de  mots,  désignant  non  plus  un  son,  mais  un  mouvement,  un 
sentiment^  une  qualité  matérielle  ou  morale,  une  action  ou 
un  état  quelconques,  dont  les  fonèmes  entrent  en  jeu  pour 
peindre  l'idée  ;  c'est  ce  qu'on  peut  appeler  les  mots  expressifs. 
Comment  donc  des  sons  peuvent-ils  peindre  une  idée  abstraite 
ou  un  sentiment?  Grâce  à  une  faculté  de  notre  cerveau  qui 
continuellement  associe  et  compare  ;  il  classe  les  idées,  les 
met  par  groupes  et  range  dans  le  même  groupe  des  concepts 
purement  intellectuels  avec  des  impressions  qui  lui  sont  four- 
nies par  l'ouïe,  par  la  vue,  par  le  goût,  par  l'odorat,  par  le 
toucher.  Il  en  résulte  que  les  idées  les  plus  abstraites  sont 
constamment  associées  à  des  idées  de  couleur,  de  son,  d'odeur, 
de  sécheresse^  de  dureté,  de  mollesse.  On  dit  tous  les  jours, 
dans  le  langage  le  plus  ordinaire,  des  idées  graves,  légères,  des 
idées  sombres,  troubles,  noires,  grises  ou  au  contraire  des  idées 
lumineuses,  claires,  étincelantes,  des  idées  larges,  étroites, 
des  idées  élevées, profondes,  des  pensées  douces,  amères, insi- 
pides, on  dit  de  quelqu'un  qu'il  broie  du  noir,  qu'il  a  le  cœur  léger. 
Lorsqu'on  emploie  cette  expression  u  des  idées  sombres  » , 
on  fait  une  comparaison  ;  il  est  évident  que  les  idées  n'ont  pas 
de  couleur  par  elles-mêmes,  mais  cette  comparaison  est  par- 
faitement claire  et  intelligible  grâce  à  une  série  d'associations. 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  141 

EnoDeer  cette  comparaison  sans  dire  que  Ton  fait  une  compa^ 
raison,  o*est  traduire  ;  nous  traduisons  une  impression  intellee- 
toelle  en  une  impression  visuelle.  Si  la  traduction  est  bien  faite, 
ridée  n'aura  en  rien  perdu  de  sa  clarté,  pas  plus  qu'une  frase 
firançaise  traduite  en  allemand.  Une  fois  notre  frase  française 
traduite  en  allemand,  nous  pouvons  la  traduire  en  russe  ou  en 
toute  autre  langue  sans  que  IMdée  soit  en  rien  modifiée,  pourvu 
que  notre  traduction  soit  exacte.  On  peut  de  même  traduire  une 
impression  visuelle  en  une  impression  audible.  Le  langage  ordi- 
naire nous  fournit  les  premiers  éléments  d'une  traduction  en 
impressions  audibles  de  celles  qui  nous  sont  données  par  les 
autres  sens  :  il  distingue  des  sous  clairs,  des  sons  graves,  des 
sons  aigus,  des  sons  éclatants,  des  sons  secs,  des  sons  mous, 
des  sons  doux,  des  sons  aigres^  des  sons  durs,  &c.  Nous  avons 
vu  nous-mêmes  quMl  i  avait  lieu  de  distinguer  des  vojelles 
claires,  aiguës,  graves  ,  sombres,  éclatantes,  des  consonnes 
sèches,  dures,  douces,  molles.  Il  est  donc  évident  qu'une 
voyelle  sombre  pourra  traduire  une  idée  sombre,  et  une  vojelle 
grave  une  idée  grave. 

Ce  sont  les  traductions  de  ce  genre  que  nous  allons  étudier, 
ce  qui  nous  sera  facile  maintenant  que  les  principales  valeurs 
des  sons  du  langage  nous  sont  connues  par  les  onomatopées. 
Pour  celles  qu'il  nous  reste  à  déterminer  nous  procéderons 
comme  nous  l'avons  fait  plus  aut,  c'est-à-dire  que  nous  nous 
appuierons  sur  des  considérations  étrangères  aux  mots  dans 
lesquels  apparaissent  les  fonèmes  à  examiner,  et  relatives  à  la 
nature  même  de  ces  fonèmes.  Les  mots  ne  viendront  qu'après 
comme  des  exemples  destinés  à  illustrer  la  téorie.  Nous 
échapperons  ainsi  au  danger  d'attribuer  à  tel  son  telle  valeur 
expressive ,  telle  signification  parce  qu'il  apparaît  dans  un 
ou  plusieurs  mots  qui  contiennent  cette  signification. 


Nous  avons  vu  que  la  répétition  d'une  sillabe  comme  dans 
cûueoUf  d'une  voyelle  comme  dans  cliquetis  ou  d'une  consonne 
comme  dans  tinter  donne  l'impression  d'un  bruit  répété.  Elle 
peut  aussi  exprimer  la  répétition  d'un  mouvement  ou  d'une 
action  quelconque  ;  ainsi  quand  on  dit  que  la  chair  des  victimes 
palpite,  on  n'entend  pas  par  là  qu'elle  fasse  le  moindre  bruit, 


142  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

mais  les  deux  p  qui  commencent  les  deux  premières  sillabes 
du  mot  palpiter  donnent  l'impression  des  mouvements  répétés 
de  cette  chair  : 

A  rappel  du  plaisir  lorsque  ton  sein  palpite 

(MussBT,  Rappelle-toi). 

On  a  de  même  l'expression  de  mouvements  répétés  dans  les 
mots  tituber,  titiller,  tortiller,  tâter,  tâtonner  : 

Ces  mains  vides,  ces  mains  qui  labouraient  la  terre. 
Il  fallait  les  étendre  en  rentrant  au  hameau, 
Pour  trouver  à  tâtom  les  murs  de  la  chaumière 

(MussBT,  Une  bonne  fortune)^ 

dans  gr.  âsv^iWsiv  «  regarder  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  Tautre  » , 
mha.  zwinzen^  zwïnzem  n  cligner,  clignoter».  Le  mot  répéter 
lui-même,  avec  ses  trois  e,  est  bien  propre  à  faire  sentir  une 
répétition  quelconque. 

Les  voyelles  aiguës  lorsqu'elles  expriment  des  sons  aigus  ne 
traduisent  pas,  elles  imitent  ;  mais  par  traduction  elles  peuvent 
donner  l'impression  de  l'acuité  matérielle  d'un  objet,  comme 
dans  le  mot  aigu  lui-même,  dans  ail.  spitzig,  fr.  piquer ^  épine^ 
ail.  ticken  «picoter»,  ou  de  Tacuité  morale  ou  intellectuelle 
comme  dans  le  mot  fr.  ironie  lorsqu'il  s'agit  d'une  ironie  aiguë, 
sarcastique,  mordante,  dans  Venvie,  \2l  jalousie^  dans  la  malice, 
la  ruse,  Vastuce,  la  list  allemande,  Vesprit  français  lorsqu'il  est 
vif  et  piquant,  le  witz  allemand  lorsqu'il  est  un  ou  mordant. 
Ënûn  comme  les  voyelles  aiguës  pénètrent  dans  notre  oreille 
ainsi  qu'une  pointe  acérée  et  nous  font  parfois  une  impression 
voisine  de  la  douleur,  elles  mettent  en  valeur  un  certain  nombre 
de  mots  (savants  pour  la  plupart,  mais  dont  les  poètes  ont  fait 
grand  usage  à  cause  de  leurs  qualités),  qui  expriment  la  tris- 
tesse ou  l'orreur  et  qui  sont  comme  un  cri  :  sinistre^  livide,  lu- 
gubre, terrible,  horrible. 

Les  voyelles  aiguës,  nous  le  savons,  ne  sont  qu'une  espèce 
dans  le  genre  voyelles  claires,  et  il  se  produit  souvent  telle 
circonstance,  ne  fût-ce  que  la  signification  du  mot,  ou,  comme 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  14S 

nous  TavoQS  vu,  le  contact  avec  une  consonne  nasale,  qui 
empêche  leur  qualité  spécifique,  Tacuité,  de  venir  en  lumière. 
Dès  lors  la  valeur  expressive  d*un  i  se  confond  à  peu  près  avec 
celle  d*nn  é^  par  exemple.  Toutes  ces  voyelles  palatales,  que 
Ton  appelle  dans  certaines  langues  voyelles  minces  par  oppo- 
sition avec  les  voyelles  larges  qui  sont  les  graves,  s'expriment 
avec  une  ouverture  buccale  moindre  que  les  graves,  et  sont 
plus  ténues,  plus  douces,  plus  légères.  Elles  sont  donc  parti- 
culièrement aptes  à  exprimer  la  ténuité,  la  légèreté,  la  douceur 
et  les  idées  qui  se  rattachent  à  celles-là.  Dans  les  onomatopées 
eUes  expriment  les  bruits  ténus,  clairs,  les  murmures  doux  et 
légers  ;  parmi  les  objets  qui  ne  rendent  pas  de  son,  ceux  dont 
ridée  peut  être  suggérée  par  les  voyelles  claires  sont  ceux  qui, 
8*il8  rendaient  un  son,  feraient  entendre,  semble-t-il,  un  petit 
bruit  clair,  ténu,  doux  et  léger.  C'est-à-dire  que  d'une  manière 
générale  les  voyelles  claires  peuvent  peindre  à  Toreille  tout 
ce  qui  est  ténu,  petit,  léger,  mignon.  C'est  le  cas  pour  les  ad- 
jectifs ténUf  petit  y  léger  j  menu,  fin,  subtil,  débile^  frêle  : 

J'aime  vos  pieds,  petits  à  tenir  dans  la  main 

(Vbrlàins), 

et  pour  les  substantifs  étincelle^  gazelle^  plume  : 

elle  a  passé  sans  brait. 

Balle, candide, ainsi  qu'nne  plume  de  cygne 

(Huao), 
duvet: 

Et  le  clair  iUssos  d'un  flot  mélodlenx 
A  baigné  le  duvet  de  vos  ailes  légères 

(Lbgontb  db  Lislb). 

Citons  enûn  silfe  avec  cette  description  de  V.  Hugo  qui  est 
un  vrai  commentaire  linguistique  : 

Je  snis  Tenfant  de  l'air,  un  sylphe,  moins  qu'un  rêve, 
Fils  dn  printemps  qui  naît,  dn  matin  qui  se  lève. 
L'hôte  dn  clair  foyer  durant  les  nnits  d'hiver, 
L'esprit  que  la  Inmlère  à  la  rosée  enlève, 
Diaphane  habitant  de  l'Invisible  éther. 

A  l'idée  de  légèreté  se  rattache  immédiatement,  comme  étant 


144  ONOMATOPÉES  TT  MOTS  EXPRESSIFS 

de  même  natare,  celle  de  rapidité  et  de  YÎTaeité  :  vif,  swtbtt^ 
niiez 

Je  ]mm  tirai  bica  vUe  et  je  les  l«l  donnai 

(Musasr). 

Les  idées  gaies,  riantes,  douces,  gracienses,  idilliqoes  sont 
continuellement  associées  dans  notre  esprit  à  celle  de  la  légè- 
reté. De  là  Texpression  des  mots  gai\  joyeux^  joH,  ail.  Imd^ 
geUnde  «  doux  en  parlant  de  la  peau,  de  la  voix,  do  caractère  », 
ail.  sù$$n  doux  au  goût, suave,  charmant  »,  gr.  yliixûc  «doux». 
La  lumière  aussi  est  gaie,  tandis  que  les  ténèbres  sont  tristes  : 

L'éther  pl«s  par  luisait  dans  les  cieax  plas  sablimes 

(Huoo). 

Aussi  les  mots  fr.  clair ^  ail.  kell  ne  sont-ils  pas  moins  expres- 
sif appliqués  à  la  lumière  qu*au  son.  Il  convient  d^ajouter  que 
les  diminutifs  français  en  -ette^  dont  quelques-uns  sont  si  gra- 
cieux, ne  doivent  souvent  leur  charme  qu*à  la  voyelle  de  leur 
sufiâxe  :  fauvette  j  bergeronnette,  chansonnette^  violette  ^fleurette. 

Les  voyelles  éclatantes  conviennent  à  Y  Mat  de  la  lumière 
que  la  langue  même  compare  à  celui  du  son,  à  celui  de  la 
beauté,  &  à  tout  ce  qui  semble  comporter  quelque  éclat,  à 
tout  ce  qui  est  grand,  puissant,  fort  ou  majestueux.  De  là 
rimpression  que  font  des  mots  abstraits  comme  splendeur, 
orgueil  : 

Velx  de  V Orgueil:  un  cri  puissaat  comme  d'un  car. 
Des  étalles  de  saag  sur  des  cuirasses  d'ar 

(Ybrlainb), 

courage,  vaillance,  gloire,  ampleur,  grandeur  : 

Qu*e8t-ce  que  le  Seigneur  va  donner  à  cet  hamme 
Qui  plus  grand  que  César,  plus  grand  même  que  Rame, 
Absarbe  dans  son  sart  le  sart  du  genre  humain  ? 

(Huao), 

des  noms  concrets  comme  colosse  : 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  145 

M«l,  je  suis  Béhém«t,  TéléphaMt,  le  colosse 

(Th.  Gautixr), 

ou  des  titres  onoriâques  comme  empereur  : 

Ainsi  Charles  de  France  appelé  Charlemagne, 
Exarque  de  Ravenne,  empereur  d'Allemagne, 
Parlait  dans  la  montagne  avec  sa  grande  voix 

(Huoo). 

L*autre  catégorie  de  voyelles  graves,  les  sombres  convien- 
nent à  Texpression  de  tout  ce  qui  est  sombre  dans  Tordre 
fisique  ou  moral,  comme  dans  les  mots  sombre j  ail.  dumpf^ 
dunkel  «sombre  »,  es  munkelt  u  il  fait  sombre»,  v.  irl.  dub 
«noir  »,  fr.  ombre  : 

Quelle  est  V ombre  qui  rend  plus  sombre  enoor  man  antre  ? 

(Hbbboia). 

La  légèreté  s* exprimant  par  des  voyelles  claires,  les  voyelles 
sombres  rendront  bien  la  lourdeur,  comme  dans  les  mots 
kmrdj  lourdaud;  Foppositîon  de  ces  deux  valeurs  est  bien 
marquée  dans  ce  vers  de  La  Fontaine  : 

Un  raltelet  |  ponr  vans  est  nn  pesant  fardeau. 

Parmi  les  voyelles  ni  sales  il  en  est  de  claires,  d'éclatantes, 
de  sombres,  et  elles  jouent  le  même  rôle  que  les  voyelles 
orales  du  même  ordre  qu'elles; seulement  leur  note  est  moins 
nette  parce  que  la  nasalité  la  voile.  Il  peut  arriver  que  le 
voilement  du  son  par  la  nasalité  devienne  la  qualité  domi- 
nante, celle  qui  fait  particulièrement  impression  sur  nous,  le 
timbre  passant  au  second  plan  :  dès  lors  les  voyelles  nasales 
sont  propres,  même  si  leur  substratum  oral  est  clair  et  surtout 
s'il  est  grave,  à  exprimer  la  lenteur^  la  langueur^  la  mollesse^ 
la  nonchalance^  comme  dans  les  mots  que  nous  écrivons  en 
italique  dans  les  vers  suivants  : 

cependant 

Elles  tournent  en  rond  lentement,  &  s'attendent 

(Mussbt), 
10 


146  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

Et  du  fond  des  boadoin  les  belles  mdolentei^ 
BaUuiç«Bt  mollenimt  leurs  tailles  nanehalante$^ 

Sons  les  vieux  marronniers  commencent  à  venir 

(Musobt), 


Où  la  Mort  avait  elos  ses  \mmgB  jeux  languissants 

{Esmsdia), 


Dans  r^Bsbre  traaspareaite  indolemment  il  rAde 

(Hxbmdll). 

Enfin  la  même  apofonie  vocalique  qne  nous  avons  reconnue 
dans  les  onomatopées  existe  aussi  dans  les  mots  simplement 
expressifs,  &  tandis  que  dans  les  premières  elle  peignait  les 
modulations  des  bruits  *■ ,  elle  marque  dans  les  seconds  la 
variété,  la  diversité  ou  rirrégnlarité  des  mouvements.  Nous 
nous  contenterons  de  signaler  les  mots  :  fr.  zigzag^  micmac, 
cain-caaj  ail.  mïschmasck,  toirrtoarr  ;  le  fénomène  est  trop  clair 
pour  qu*on  s'i  appesantisse. 

Le  rôle  des  consonnes  dans  les  mots  expressifs  est  plus  con- 
sidérable que  celui  des  voyelles.  Nous  avons  vu  les  occlusives 
peindre  dans  les  onomatopées  des  bruits  secs  ;  elles  peuvent 
aussi  donner  Timpression  de  mouvements  secs,  saccadés, 
comme  des  coups,  ou  au  contraire  de  mouvements  assez 
doux,  mais  toujours  saccadés,  comme  dans  les  mots  palpHer^ 
barboter,  tâtonner,  tituber: 

Que  ne  Tétouffais-tu,  cette  flamme  brûlante 
^ue  Ion  sein  palpitant  ne  pouvait  contenir? 

(Mussst), 

Que  Taugure,  appuyé  sur  son  sceptre  d'érable, 
Interroge  le  foie  et  le  cœur  des  moutons 

Et  iendie  dans  la  nuit  ses  dieux  mains  à  tâtons 

(Huoo). 

<  G*e8t  la  même  apofonie  qui  domine  nombre  de  refrains  populaires  : 
fr.  tontaine,  tonton,  —  la  faridondaine^  la  faridondon,  —  tra  déridera^ 
—  girofle,  girofla,  —  tirelirelire^  tirelirela,  —  i,  t,  a,  a,  —  turlurette, 
turluron,  —  reguinguette^  reguingo,  —  riquandaine,  riqtiando  ;  —  ail. 
juchheidi,juehheida,  —  valleri,  valleraf  âtc. 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  147 

Les  consonnes  nasales,  grâce  à  la  mollesse  de  leur  articu- 
lation, sont  propres  à  exprimer,  comme  les  voyelles  nasales, 
la  douceur,  la  mollesse.  C'est  une  impression  que  Ton  éprouve 
par  exemple  dans  les  mots  fr.  mou^  mollesse,  ail.  mild^  lind, 
gelinde  a  doux  »,  lat.  mitis  «  doux  »,  ail.  sanft  «  doux  ». 

L7,  que  nous  avons  vu  plus  aut  exprimer  le  bruit  du  glisse- 
ment ou  d'une  manière  plus  générale  la  liquidité  en  tantqu*elle 
comporte  un  bruit,  peut  convenir  aussi  bien  à  un  glissement 
muet,  et  même  à  Tétat  de  liquidité.  C'est  le  cas  pour  les  mots 
couler,  laver ^  voler ^  lit.  lêti  «  verser  »,  lat.  linere  «  oindre  » 
qui  désignent  des  actions  muettes,  pour  le  mot  liquide  lui- 
même,  pour  ail.  lange  u  lessive  ».  Ce  fonème  peut  aussi  pein- 
dre l'état  de  ce  qui  est  glissant  comme  dans  lat.  lëuis  «  poli», 
îr.poli,  lisse,  gr.  XeToç  a  lisse  »,  ^ctouv  «  lisser  »,  ou  de  ce  qui 
est  visqueux,  autre  manière  d'être  glissant,  comme  dans 
fr.  co//e,  uile^  ail.  leim  «  colle  »,  lehm  n  argile  »,  lat.  lutum 
«  boue»,  limus  a  limon  »,  lit.  lutynas  «  bourbier  »,  v.  irl.  loth 
«  saleté  gluante  »,  v.norr./at^dr  «  savon,  écume  »,  ags.  leâdor 
«même sens  ». 

Si  la  liquide  est  combinée  avec  une  occlusive,  celle-ci  ne 
fait  que  l'appuyer  et  la  mettre  eu  lumière,  loin  d'en  effacer 
la  valeur.  Cet  effet  est  surtout  sensible  quand  l'occlusive  est 
sonore,  c'est-à-dire  douce,  comme  dans  fr.  glisser,  ail.  glati 
«  lisse,  glissant  »,  v.  norr.  glaàr,  vha.  glat^  lit.  glodas,  v.  si. 
gladOkii  «  même  sens  n),  fr.  glu,  gr.  yX^a  a  glu  »,  lett.  glîwe 
«  mucosité,  vase,  fange  »,  lit.  glitùs  n  glissant,  gluant  »,  lat. 
glus,  gluten  a  colle,  gomme,  glu  »,  fr.  glace,  lat.  glacies 
«  glace  »,  gr.  yX^xpo?  «  visqueux  »,  lit.  glepti  a  être  glissant  », 
lett.  ^/ums  «  glissant,  visqueux»,  glemas  «  mucosité»,  gr. 
jSXiwa  «  morve  d  ,  yXafAupôç  «  cbassieux  ».  Si  l'occlusive  est 
sourde,  l'effet  produit  est  analogue,  mais  une  explosion  vio- 
lente convient  moins  bien  à  l'idée  exprimée  que  l'explosion 
plus  douce  d'une  sonore:  vha.  clat  «  lisse,  glissant  »,  vha. 
klenan  a  coller,  adérer  »,  ail.  kleben  «  coller  (ntr.),  poisser  ». 

Enfin  la  liquide  /  peut,  comme  les  nasales,  grâce  à  la  dou- 
ceur de  son  articulation ,  contribuer  à  l'expression  de  la 
douceur,  de  la  mollesse,  soit  seule  comme  dans  gr.  Xayapdç 
c  mon  » ,  soit  en  combinaison  avec  une  occlusive  comme 


148  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

dans  lat.  blandus  «  caressant  »,  blandtri  u  caresser  »,  soit 
surtout  en  concurrence  avec  une  nasale  comme  dans  gr,  ^ay^céÇAi 
«  je  languis  »,  ail.  mildf  iind  a  doux  »,  lat.  ienis  a  doux  », 
lentus  «  souple  »,  ou  avec  une  spirante  comme  dans  got. 
slepauj  ail.  schlafen  a  dormir  »,  schlaff  «  mod  »,  lit.  slygtt 
«  sommeiller».  Nous  étudierons  plus  loin  le  groupe  fL 

LV,  lorsqu'il  s*appuie  sur  une  vojelle  claire,  est  grinçant 
comme  nous  Tavons  vu  plus  aut  (p.  112  )  &  convient,  parmi 
les  mots  expressifs,  à  ceux  qui  désignent  une  action  analogue, 
quoique  muette,  à  celles  qui  produisent  un  son  grinçant.  Il 
peut  être  seul  comme  dans  ail.  ritzen  «  égratigner  a,  ou  com- 
biné avec  une  occlusive  comme  dans  fr.  griffer^  ail.  kriizein 
a  égratigner  »,  lit.  brészti  «  griffer,  en  parlant  d'un  chat  par 
exemple  ». 

Appuyé  sur  une  vojelle  grave,  IV  donne  Timpression  d*an 
craquement,  d'unrâclement  si  la  vojelle  est  éclatante  et  d*un 
grondement  si  elle  est  sombre  (p.  113).  On  ne  peut  guère 
dire  que  le  mot  orage  est  une  onomatopée,  mais  son  r,  placé 
entre  deux  voyelles  éclatantes  de  note  variée,  suscite  Tidée 
des  craquements  du  tonnerre  qui  accompagnent  généralement 
un  orage,  et  rend  ce  mot  expressif  : 

Roulaient  et  redoublaient  les  foudres  de  Vorage 

(YiaNT,  Moïse}, 

Ouragan  appelle  une  observation  analogue;  il  fait  songer 
au  craquement  de  tout  ce  qu'un  ouragan  brise  sur  son  pas- 
sage : 

Au  bruit  de  Vouragan  courbant  les  branches  d'arbres 

(Huoo,  Burgraves), 

Mordre  est  en  général  une  action  sans  bruit,  mais  ce  mot 
contient  l'o  et  Yr  de  croquer  et  nous  fait  sentir  par  là  quelle 
serait  la  nature  du  bruit  qui  pourrait  se  produire.  Vorreur 
donne  parfois  une  sorte  d'angoisse  qui  fait  frémir  le  corps  et 
contractant  les  poumons  en  expulse  un  courant  d'air  qui  passe 
entre  les  dents  avec  un  vibrement  analogue  à  celui  d'un  r 
appuyé  sur  une  voyelle  grave  : 


ONOMATOPÉES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  149 

Ta  frémiras  d!*horreur  si  je  romps  le  silence 

(Racine,  Phèdre), 

Ce  qai  est  dar,  rude,  raboteux  produirait  un  râclement  au 
contact  d*un  autre  corps  ;  c'est  ce  qu'exprime  ail.  hart  qui 
remonte  à  prégerm.  *kartûs.  Le  même  mot  kartùs  signifie 
en  lituanien  «  amer  »  et  produit  une  impression  analogue 
transportée  par  une  nouvelle  traduction  dans  le  domaine  du 
goût  ;  ce  qui  est  amer,  âpre  racle  la  gorge  et  fait  craquer  les 
dents  lorsqu'elles  frottent  les  unes  contre  les  autres.  L'amer- 
tume existe  aussi  dans  le  domaine  moral,  d'où  la  valeur  du 
mot  ail.  gram  «  le  deuil,  la  douleur  ».  Fr.  courroux  suppose 
un  sourd  grondement  et  de  même  lit.  grumoti  a  menacer», 
ail.  drohen  «  menacer  »  ;  enfin  un  homme  bourru  est  toujours 
prêt  à  gronder. 

Le  tremblement  d'une  personne  ou  d'une  matière  molle  est 
en  général  un  mouvement  silencieux,  mais  il  peut  être  accom- 
pagné chez  une  personne  d'un  claquement  des  dents  ou  d'un 
frissonnement  d'air  sortant  de  la  bouche,  et  en  tout  cas  il  est 
toujours  comparable  au  tremblement  d'un  objet  sonore  ;  c'est 
pourquoi  la  combinaison  d'une  occlusive  sourde  avec  un  r 
convient  à  l'expression  de  tous  les  tremblements,  Tocclusive 
marquant  les  mouvements  saccadés  et  l'r  les  vibrements  :  gr. 
Tpépiw  «je  tremble  »,  lat.  tremo,  lit.  trimu^  triszu,  v.  si.  tresa 
w  «je  tremble  »,  sk.  trasati  <c  il  tremble  »,  ail.  schioUèrn 
«branler,  trembloter  »,  v.  irl.  crith  a  tremblement,  fièvre  », 
ail.  zittem  «trembler,  vibrer».  Cette  dernière  forme  remonte 
à*ft*-(romt  qui  est  fort  remarquable,  parce  que  son  redouble- 
ment bien  net  accuse  davantage  la  répétition  des  mouvements  ; 
c'est  précisément  sans  doute  le  sentiment  de  la  valeur  expres- 
sive de  ce  redoublement  qui  l'a  fait  conserver,  car  les  redou- 
blements au  présent  sont  tout  à  fait  exceptionnels  en  germa- 
nique ;  on  ne  pourrait  guère  citer  comme  autre  exemple  que 
^ben  qui  signifie  aussi  a  trembler  »,  mais  surtout  a  trembler 
de  peur  »,  &  où  par  conséquent  le  redoublement  indique  aussi 
des  mouvements  répétés.  Dans  beben  l'idée  d'un  vibrement 
n'apparaît  pas  ;  la  double  labiale  sonore  fait  plutôt  songer  au 
bégaiement  de  celui  qui  a  peur.  La  peur  et  le  tremblement 
1^6  sont  d'ailleurs  pas  choses  séparables,  puisque  la  première 


150  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

est  souvent  cause  de  la  seconde  ;  aussi  les  moyens  d'expresaion 
convenables  pour  le  tremblement  sont  excellents  pour  la  peur: 
gr.  TpoftcTv  signifie  n  trembler  »,  mais  surtout  c  trembler  de 
peur,  avoir  peur  »  ,  rpeVdat  «  avoir  peur  i) ,  àrpetTroç  ,  sk. 
atrastas  c  qui  ne  tremble  pas,  qui  n'a  pas  peur,  intrépide  », 
V.  pers.  tarçatiy  «  il  a  peur  »,  lett.  tramdit  «  effrayer  »,  lat. 
terreo  «  j'effraie  »,  terror^îv.  terreur^  lett.  tremju  «  je  chasse, 
c'est-à-dire  j'effraie,  je  fais  trembler  de  peur  ». 

Les  chuintantes  sont  des  souffles  chuchotants.  Dans  les  mots 
qui  désignent  des  actions  muettes  elles  ne  peuvent  être 
expressives  que  grâce  à  une  traduction.  Lit.  szuszinu  «  fendre 
Pair  en  sifflant,  comme  un  éclair  »  est  un  excellent  exemple, 
car  il  n'i  a  rien  au  monde  de  plus  muet  qu'un  éclair  ;  mais 
nous  comparons  malgré  nous  cette  lueur  qui  fend  l'espace  à 
celle  d'une  fusée  par  exemple  et  nous  lui  attribuons  le  bruit 
do  l'objet  auquel  nous  la  comparons.  Ce  mot  lituanien  est 
rendu  expressif  par  le  même  fonème  que  l'exclamation  alle- 
mande husch  qui  s'emploie  pour  marquer  un  mouvement  très 
rapide  et  souvent  muet.  AU.  blitz  «  éclair  »  est  expressif 
grâce  à  une  traduction  semblable  ;  avec  son  i  aigu,  son  t  sec 
et  son  sifflement  final,  il  suscite  tout  à  fait  l'idée  d'une  fusée. 

Les  spirantes  labio- dentales  sont  des  souffles  mous  et  pres- 
que sans  bruit.  Elles  peuvent  contribuer  à  Texpression  de  la 
mollesse,  comme  le  w  de  ail.  weich  a  mou  n.welk  a  fané,  mou  », 
fr.  duvet^  ou  susciter  l'idée  d'un  flottement  comme  dans  fr. 
voguer^  ou  dans  ail.  feder  «  plume  »,  ags.  fider  «  aile  ».  Ces 
deux  derniers  sortent  de  la  racine  *  pet-  qui  est  absolument 
inexpressive  :  gr.  mxstjOai^  lat.  penna^  sk, pàtati. Dsins  lat.  fulmen, 
fulgur  nous  retrouvons  la  comparaison  de  la  foudre  avec  une 
fusée. 


Les  combinaisons  de  spirantes  avec  des  liquides  ou  des 
occlusives  produisent  des  effets  plus  complexes,  parce  que 
chaque  fonème  garde  sa  valeur  propre  et  ajoute  une  nuance 
à  l'effet  total.  La  combinaison  de  f  avec  /  réunit  le  souffle 
à  la  liquidité ,  ce  qui  donne  l'impression  de  la  fluidité  , 
comme  dans  fr.  fluide,  lat.  fluere  «  couler  »,  fluctus  a  flot  », 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  151 

fr.  flotter,  flottement.  Fr.  flatter  exprime  une  caresse  sans 
secousses  (cf.  ail.  flat  n  plat,  uni  »),  douce  comme  un  souffle 
ou  comme  Tattouchement  d*un  liquide.  On  dit  d*un  tableau 
qu'il  est  flou  lorsqu'il  ne  présente  aucune  teinte  dure  on  crue, 
mais  que  les  couleurs  se  fondent,  se  noient  les  unes  dans  les 
autres.  La  flamme  est  aussi  quelque  chose  de  fluide  et  dont 
les  mouvements  peuvent  être  dans  une  certaine  mesure  com- 
parés à  un  souffle  ;  cette  impression,  nous  Tavons  non  seule- 
ment dans  le  mot  flamme,  mais  dans  le  verbe  flamber^  dans 
effluve^  dans  ail.  flackem  u  flamber  »,  flammen  u  flamber  »  & 
flimmen  «  scintiller,  vaciller  en  parlant  de  la  flamme  »  ;  ce 
qui  fait  la  différence  de  sens  et  d'expression  de  ces  deux  der- 
niers mots,  c'est  uniquement  leur  voyelle,  et  cette  apofonie 
est  purement  artificielle,  c'est-à-dire  créée  pour  les  besoins 
même  de  l'expression. 

Il  suffit  de  comparer  frotter  à  flotter  pour  sentir  qu'elle 
différence  d'expression  il  i  a  entre  fr  et  fl;  fr  c'est  le  frot- 
tementy  le  frôlement,  le  froissement  et  dans  l'ordre  des  mots 
expressifs,  c'est-à-dire  de  ceux  qui  ne  désignent  rien  de 
brujant,  c'est  le  frémissement^  c'est  le  frisson^  surtout  si  le 
mot  contient  en  outre  la  spirante  dentale  s  : 

Jusqu'au  frémissement  de  la  feuille  fitoïmmée 

(Huoo), 

la  Lombardie 

Trembla^  quand  elle  vit,  à  ton  souffle  d'enfer. 
Frissonner  dans  Milan  l'arbre  aux  feuilles  de  fer 

(Huao,  Burgraves). 

L'effroi  donne  le  frisson  et  son  groupe  fr  l'exprime  ;  ce  mot 
6st  apparenté  à  ail.  friede  «  paix  »  dont  le  groupe  fr  reste 
inerte  parce  que  la  signification  ne  lui  permet  pas  d'entrer 
en  jeu.  Le  mot  souffrir  a  une  expression  analogue  ;  c'est  le 
frisson  de  la  douleur  et  le  frémissement  qu'il  suscite.  Dans 
&11.  fwrchten  Yf  et  Yr  ne  sont  pas  en  contact  immédiat,  mais 
rimpression  résultante  est  à  peu  prés  la  même.  Fr.  affres, 
affreux^  qui  sortent  des  formes  inexpressives  asperas,  asperosu 
comme  nèflede  mespilu,  supposent  aussi  frémissement  et  frisson. 


152  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

Le  mot  froid  est  le  plus  souvent  employé  sans  la  moindre 
expression,  c'est-à-dire  sans  la  mise  en  œuvre  de  ses  moyens  ; 
mais  il  i  a  des  manières  de  dire  «  il  fait  froid  »  qui  donnent  le 
frisson  et  réveillent  le  groupe  fr: 

Frôle  d'un  pied  craintif  Teau  froide  dubawiin 

(Hsrbdià). 

Nous  avons  vu  plus  aut  que  le  glissement  peut  produire  an 
bruissement  qui  s'exprime  bien  par  la  combinaison  d'un/  avec 
une  chuintante.  Le  même  moyen  d'expression  peut  entrer  en 
valeur  même  si  le  glissement,  &  à  plus  forte  raison  le  bruisse- 
ment qui  en  résulterait,  n'est  qu'une  possibilité  comme  dans 
ail.  schlicht  «  lisse,  plat  »,  schlûpfrig  «  glissant  ». 

L'emploi  combiné  de  l'occlusive  dentale  t  avec  la  spirante 
sourde  «  et  un  r  produit  l'impression  d'une  sorte  d'affriquée  ts, 
tr  reproduisant  par  onomatopée  l'explosion  interdentale  qui 
précède  les  sanglots.  Cette  combinaison  est  par  conséquent 
propre  à  peindre  la  tristesse,  la  douleur.  Dans  le  mot  triste 
il  faut  remarquer,  outre  ces  trois  éléments,  i't  aigu  qui  rend  IV 
grinçant  et  Vs  sifflant  et  renforce  l'expression  : 

Et  qu'à  ee  triite  prix  tout  doil  être  aebeté 

(MussBT,  Nuit  d*octobre). 


Jusqu'à  présent  nous  avons  surtout  considéré  dans  les 
consonnes  la  nature  de  leur  articulation,  et  nous  ne  nous 
sommes  occupé  que  rarement  du  point  de  la  bouche  où  se 
forme  cette  articulation,  des  organes  qui  entrent  enjeu  et  des 
mouvements  qu'ils  font  dans  ce  jeu.  Or  il  nous  reste  à  examiner 
une  catégorie  de  mots  expressifs  dans  lesquels  certains  fonèmes 
prennent  leur  valeur  dans  les  mouvements  de  ûsionomie  que 
nécessite  leur  prononciation.  Cette  sorte  de  grimace  qu'ils 
nous  obligent  à  faire  se  confond  parfois  avec  des  jeux  de 
fiisionomie  muets  dont  la  signification  nous  est  connue  par 
ailleurs,  et  cette  signification  se  reporte  par  une  traduction 
sur  le  fonème  qui  a  engendré  ce  mouvement  du  visage,  si  bien 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  15d 

que  nous  pouvons  interpréter  ce  son  aussi  aisément  et  aussi 
sûrement  qu*un  geste  fait  avec  la  main.  Les  labiales  et  avec 
elles  les  labio-dentales,  exigeant  pour  leur  prononciation  un 
gonflement  des  lèvres,  sont  propres  à  exprimer  le  mépris  et 
le  dégoût.  Qui  a  vu  les  bas-reliefs  de  Reims  se  souvient  du 
gonflement  de  la  lèvre  inférieure  des  vierges  sages  regardant 
avec  mépris  les  vierges  folles.  On  pourrait  citer  bien  des  pas- 
sages où  nos  écrivains  ont  noté  ce  jeu  de  flsionomie  et  sa 
valeur  ;  celui-ci  nous  sufSra  : 

Uange  sans  dire  un  mot  regarda  le  fantôme 
Fixement,  et  gonfla  sa  lèvre  avec  dédain 

(Hugo,  La  fin  de  Satan). 

Nos  exclamations  de  dégoût  et  de  mépris  exigent  presque 
toutes  un  mouvement  des  lèvres  analogue  ;  les  nuances  qui 
marquent  leur  valeur  particulière  sont  données  par  les  autres 
fonèmes  qu'elles  contiennent  :  fit  avec  son  i  pour  seule  vojelle 
exprime  toute  la  sécheresse  et  toute  la  auteur  d'un  mépris 
aristocratique  ;  angl.  fie  est  moins  sec  ;  ail.  pfui  exprime  plutôt 
le  dégoût  queie  mépris,  ou  plus  exactement  c'est  un  mélange 
des  deux  ;  franc-comt.  poui,  d'origine  germanique,  n'exprime 
que  le  dégoût  ;  fr.  potuih  est  plus  gras,  si  Ton  peut  dire,  & 
communique  le  dégoût.  La  différence  d'impression  produite  par 
i/etle  w  est  très  considérable  parce  que  Vf  se  prononce  du 
bout  des  lèvres  et  par  conséquent  est  plus  apte  à  exprimer  le 
mépris,  tandis  que  le  to,  partant  du  voile  du  palais,  communique 
le  sentiment  du  dégoût  parce  qu'il  imite  la  nausée.  Fr.  fétide 
contient  les  éléments  de  fi  ;  bête  est  généralement  inexpressif, 
mais  son  b  devient  méprisant  si  l'on  dit  par  exemple  :  «  peut-on 
être  assez  bête  pour...  »  ;  le  t;  du  mot  vil  est  le  plus  souvent 
mis  en  relief  ;  vt/ain  est  inexpressif  lorsqu'on  cite  le  proverbe  : 
«Oignez  vilain,  il  vous  poindra;  peignez  vilai«n,  il  vous  oindra», 
mais  il  devient  expressif  si  l'on  dit  :  o  Fi  !  le  vilain  monsieur!  » 
De  même  flétrtr  peut  être  méprisant  par  son  /*,  vain  pur  son  t;  ; 
le  p  de  puer^  puant  peut  exprimer  le  dégoût  comme  le  b  de 
lit.  bûstis  a  éprouver  du  dégoût  pour  quelque  chose  ».  Il  i  a 
dans  nos  langues  plusieurs  autres  mots  dont  les  labiales  ou 
labio-dentales  peuvent  entrer  en  valeur  pour  exprimer  le 


154  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

dégoût  on  le  mépris  ;  Y.  Hugo  en  a  réani  quelques-ans  dans 
les  trois  vers  suivants  : 

Ce  n^est  pas  ■aêine  un  juif!  C'est  un  païen  iHaasondey 
Un  renégat,  Vopprobre  et  le  rebut  du  monde, 
Un  fétide  apostat,  un  oMique  étranger. 

S'il  est  vrai  que  les  labiales  et  labio -dentales  ne  sont  aptes 
à  exprimer  le  mépris  et  le  dégoût  qu'à  cause  de  la  grimace 
que  produit  leur  prononciation,  un  autre  fonème  qui  obligerait 
à  faire  une  grimace  analogue  deyrait  être  susceptible  de  la 
même  valeur.  Or  les  chuintantes  sourdes  obligent  à  relever  la 
lèvre  supérieure  à  peu  près  comme  1'/*  et  même  d'ane  façon 
plus  nette  ;  aussi  ne  devons-nous  pas  nous  étonner  de  trouver 
en  lituanien  pour  exprimer  le  mépris,  sans  parler  de  fui  qui 
est  emprunté  à  l'allemand,  l'interjection  cztui.  C'est  une  chuin- 
tante analogue,  i,  qui  lorsqu'on  la  prononce  avec  une  intensité 
particidière  peut  rendre  méprisants  des  mots  tels  que  9ÀLscheu 
«aversion,  erreur  »,  sckufit  «  gueux,  fripon  n^schurke  a  coquin, 
pendard». 

Les  jeux  de  fisionomie  dus  essentiellement*  à  un  mouve- 
ment des  lèvres  sont  nombreux  et  correspondent  à  des  idées 
diverses.  Ainsi  le  baiser  est  produit  par  un  mouvement  des 
lèvres  qu'accompagne  le  plus  souvent  un  bruit  caractéristi- 
que ;  le  mot  français  baiser^  avec  sa  labiale  et  sa  spirante 
sonore,  produit  un  mouvement  et  un  bruit  qui  suggèrent 
l'idée  du  baiser  ;  il  en  est  de  même  de  l'interjection  litua- 
nienne bùczy  qui  sert  à  demander  un  baiser. 

La  moue  est  un  autre  mouvement  labial  ;  le  mot  moue  par 
son  m  en  reproduit  le  jeu,  et  le  mot  bouder  par  son  b  nous 
oblige  à  ébaucher  un  mouvement  de  moue. 

Un  sourire  ironique  et  moqueur  relève  le  coin  des  ailes  du 
nez  ;  si  le  rire  l'accompagne,  c'est  un  rire  spécial,  essentielle- 
ment nasal  et  dont  la  note  est  donnée  par  le  timbre  de  la  voyelle 
0,  c'est-à-dire  d'une  voyelle  dont  le  point  d'articulation  se 
produit  dans  la  région  du  voile  du  palais.  Cette  voyelle  est  si 
bien  caractéristique  de  ce  genre  de  rire  que  lorsqu'elle 
apparaît  par  évolution  fonétique  dans  les  correspondants 
germaniques  de  sk.  kâkhaii^  gr,  xa^âÇu,  lat.   cacAtVinui,  à 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  155 

savoir  vha.,  mha.  huoh,  vha.  huohdn,  mha.  huohen^  ces  der- 
niers cessent  de  pouvoir  s'appliquer  à  Téclat  de  rire  et  pren- 
nent le  sens  de  «  raillerie,  railler»,  parce  qu'ils  contiennent 
la  voyelle  du  rire  moqueur.  Aussi  tout  mot  exprimant  Tironie, 
la  raillerie,  la  moquerie,  qui  contient  une  nasale,  devient  par 
là  expressif,  parce  qu'il  nous  force  à  ébaucher  un  sourire 
ironique  :  sk.  gahfanas  t  méprisant,  railleur  » ,  gr.  yayyavsvccy 
a  mépriser,  railler  )),ags.  canc^  ^ecanc a  raillerie  ».  S'il  contient 
en  outre  la  voyelle  o,  il  fait  presque  onomatopée  ;  tels  sont  fr. 
ironie,  moquerie,  ail.  kohn,  gr.  fAuxio/iat. 


IX 


Le  domaine  de  l'onomatopée  est  beaucoup  plus  vaste,  nous 
pensons  l'avoir  montré,  qu'on  ne  paraît  le  croire  en  général  ; 
celui  des  mots  expressifs^  qu'il  convient  d'i  ajouter,  n'est  pas 
moins  considérable.  Entre  les  deux  il  n'i  a  pas  de  frontière 
l)ien  nette  ;  la  ligne  de  démarcation  est  un  peu  flottante,  et 
de  même  qu'on  ne  peut  pas  dire  exactement  où  finit  tel  dia- 
lecte et  où  commence  tel  autre,  il  est  quantité  de  mots  que 
nous  devons  considérer  tantôt  comme  des  onomatopées,  tantôt 
comme  des  mots  expressifs,  suivant  l'idée  qui  nous  domine 
an  moment  même  où  nous  les  employons.  Ainsi  le  mot  glisser 
est,  comme  nous  l'avons  vu,  parfaitement  propre  à  exprimer  le 
bruissement  que  fait  entendre  un  objet  en  glissant  doucement 
sur  un  autre  ;  s'il  s'agit  d'un  glissement  de  ce  genre  et  surtout 
âubruitquienrésulte,9/m^est  une  onomatopée  sans  le  moin- 
dre doute.  Mais  si  nous  parlons  d'un  glissement  muet,  comme 
celui  d'une  étoile  filante  par  exemple,  notre  mot  franchit  la 
frontière  et  entre  dans  le  domaine  des  mots  expressifs,  parce 
qu'il  n'est  plus  que  susceptible  d'exprimer  le  bruit  que  ferait 
le  glissement  en  question  s'il  en  faisait  un. 

Nous  avons  vu  les  mêmes  fonèmes  servant  à  exprimer  des 
idées  diverses; c'est  que  leur  valeur  expressive  n'est  due  qu'à 


156  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

des  tradactions,et  qae  le  nombre  des  nuances  d'idées  à  expri- 
mer étant  illimité  tandis  que  celui  des  moyens  d'expression 
est  très  restreint,  chacun  d'eux  sert  forcément  à  tous  les 
usages  auxquels  quelqu'un  de  ses  éléments  peut  lui  permettre 
de  convenir  d'une  façon  approximative.  Il  n'est  pas  moins 
vrai  que  les  diverses  valeurs  d'un  son  dépendent  strictement 
de  sa  nature,  et  qu'il  lui  est  impossible  d'avoir  jamais  une 
expression  qui  soit  contraire  à  cette  nature.  Si  bien  qu'en 
analisant  dans  tous  ses  détails  la  nature  d'un  fonème  donné, 
on  peut  déterminer  d'avance  et  a  priori  toutes  les  valeurs 
qu'il  pourra  posséder  au  point  de  vue  expressif.  C'est  même 
la  métode  la  plus  sûre,  la  plus  exempte  d'erreur,  et  nous 
l'avons  employée  à  plusieurs  reprises  dans  ce  qui  précède.  Il  i 
a  en  effet  un  écueil  et  un  danger  à  partir  des  mots  dans 
lesquels  un  fonème  apparaît,  pour  déterminer  sa  valeur  ex- 
pressive ;  il  suffit  qu'on  le  trouve  dans  plusieurs  mots  qui 
rendent  une  idée  analogue  pour  que  l'on  croie  que  ce  fonème 
exprime  cette  idée.  C'est  souvent  faux.  Ainsi  M.  Polie  dans  un 
petit  livre  intitulé  Was  denkt  dos  volk  ûber  die  sprache  &  qui 
est  d'ailleurs  nourri  d'observations  fines  et  ingénieuses,  toache 
un  instant  (p.  81  et  82)  aux  questions  qui  font  l'objet  de  cet 
article,  &  il  dit  p.  81  :  «  Die  lautverbindung  gr  klingt  wie  das 
durcheinanderrollenkleiner  rundersteine  oder  wie  das  schar- 
ren  mit  dem  fusse  auf  solchen  steinen  » .  C'est  vrai  dans  cer- 
tains cas,  mais  la  question  est  beaucoup  plus  complexe  et 
plus  nuancée.  Il  cite  griesy  grus,  ajoutons-i  gravier;  il  oite 
groupe,  grûtzey  ajoutons-i  gruau,  grain;  mais  ces  mots  ne 
sont  pas  à  proprement  parler  expressifs.  Us  peuvent  seule- 
ment le  devenir  si  leurs  éléments  susceptibles  d'expression, 
pr,  sont  mis  en  relief  par  la  répétition  de  ces  mêmes  élé- 
ments dans  d'autres  mots  de  la  frase  et  s'il  est  question  du 
roulement  des  grains  les  uns  sur  les  autres  &  du  bruit  qui  en 
résulte.  Mais  à  ce  taux  tous  les  mots  seraient  expressifs: 
ainsi  le  mot  peuple  ne  l'est  nullement,  mais  si  l'on  en  relève 
l'élément  essentiel  p  qui  est  susceptible  d'expression  mépri- 
sante, il  le  deviendra,  comme  dans  ces  deux  vers  de  La  Fon- 
taine où  le  b  du  mot  imbécile  a  suffi  au  poète  pour  obtenir  ce 
résultat: 


ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS  157 

Quoi  I  toujours  il  me  manquera 
Quelqu'un  de  ce  peuple  imbécile  ! 

M.  Polie  cite  ensuite  graupel  «  petit  grâlon  »,  &  ici  nous 
ne  ferons  pas  d'observation  ;  puis  grob,  auquel  nous  pouvons 
ajouter  ^ros,  grossier, Ue&t  évident  quegrob  et  ^ro^^ier quand 
on  insiste  sur  cette  idée  que  quelque  chose  est  rude,  raboteux , 
peuvent  devenir  expressifs  ;  mais  lorsque  le  mot  grob  signifie 
gros,  il  ne  Test  pas  plus  que  ce  mot  français.  Il  cite 
enQOTe  granat  \  sans  doute  la  grenade  est  un  fruit  essentielle- 
ment composé  de  petits  grains  ;  mais  en  quoi  cela  rend-il  le 
mot  expressif?  et  en  quoi  peut  bien  Tétre  granat  désignant  la 
codeur  grenat  ?  L'auteur  est  évidemment  tombé  dans  cette 
erreur  qui  consiste  à  croire  que  parce  qu'un  mot  signifie 
telle  chose,  il  l'exprime  par  ses  sons.  On  ne  voit  d'ailleurs 
pas  comment  il  retrouve  même  Tidée  dont  il  parle  dans 
d'autres  mots  qu'il  cite  sous  le  même  chef,  tels  que  gràte  qui 
désigne  c  l'arête  »  d'une  pierre  de  taille,  un  angle,  ou  aussi 
une  «  arâte  de  poisson  ». 

Les  valeurs  d'un  son  au  point  de  vue  expressif  résultant 
uniquement  de  sa  nature,  il  ne  dépend  pas  de  nous  de  lui  en 
attribuer  telle  ou  telle,  qui  serait  contraire  à  cette  nature. 
Nous  commettrions  une  erreur  aussi  grossière  qu'au  cas  où 
nous  dirions  que  le  mot  ténèbres  signifie  lumière.  Tout  ce 
que  nous  sommes  en  droit  de  faire  c'est  de  sentir  ou  de  ne  pas 
sentir  dans  un  cas  donné  la  valeur  expressive  que  tel  fonème 
possède  en  puissance  ;  voilà  où  se  borne  l'élément  subjectif 
de  ces  questions.  Le  jour  où  un  groupe  d'individus  perçoit 
dans  un  mot  une  valeur  qui  i  était  jusque-là  restée  latente,  ce 
mot  change  de  sens  ;  nous  en  avons  vu  des  exemples.  Le  jour 
où  une  valeur  cesse  d'être  perçue  le  mot  change  encore  de 
sens;  ainsi  nous  avons  reconnu  que  le  mot  ail.  pfui  était  con- 
stitué à  souait  pour  exprimer  le  dégoût  ;  mais  si  cette  valeur 
cesse  d'être  sentie,  si  les  fonèmes  de  ce  mot  demeurent 
inertes,  il  ne  lui  reste  qu'une  chose,  sa  qualité  d'exclamation. 
Quittant  le  domaine  du  dégoût,  cette  exclamation  peut 
s'emparer  du  premier  qu'elle  trouvera  vacant,  fût-ce  celui 
de  l'admiration.  Aussi  ne  devra-t-on  pas  s'étonner  d'entendre 


15S  ONOMATOPEES  ET  MOTS  EXPRESSIFS 

dans  certains  dialectes  allemands  des  frases  comme  celle- 
ci:  Pfuil  wie  schônl  «  al  que  c'est  beau  I  » 

C'est  là  un  des  faits  qui  montrent  combien  les  onomatopées 
et  les  mots  expressifs  sont  un  terrain  changeant.  Pour  peu 
qu'on  suive  leur  istoire,  qu'on  voie  l'évolution  fonétique  en 
anéantir  et  en  créer  sans  relâche,  les  langues  rejeter  le  mot 
dont  l'expression  ne  les  satisfait  plus  et  s*en  procurer  un  meil- 
leur en  l'empruntant  ou  en  le  forgeant,  on  éprouvera  conti- 
nuellement la  surprise  du  voyageur  qui,  traversant  les  sables 
du  désert,  s'étonne  de  trouver  une  vallée  à  l'endroit  même  où 
la  veille  une  montagne  s'élevait. 

Maurice  Grammont. 


RESTITUTION  D'UNE  CHANSON 

DE  PEIRE  D'ÀUVERNHE  OU  DE  RAIMBAUT 

DE  VAQUEIRAS. 


U  s'agit  ici  delà  pièce  323,10  (G,  180.  M  G.  226) attribuée 
par  le  recueil  de  Bernart  Amoros  (a  S  340)  à  Raimbaut  de 
Vaqueiras. 

Elle  a  été  publiée  tout  récemment  par  M.  R.  Zenker.qui 
vient  de  donner  dans  les  Romanische  Forschungen  (1900)  de 
M.  VolmôUer,  une  bonne  édition  critique  de  Peire  d'Au- 
vemhe  *. 

Fort  méthodiquement  composé,  ce  travail  est  rédigé  avec 
un  grand  soin.  Néanmoins,  la  biographie  de  ce  troubadour 
reste  encore  à  peu  près  inconnue  ;  M.  Zenker  a  pourtant 
élucidé  un  certain  nombre  de  questions  quelque  peu  obscures 
et  plusieurs  des  principaux  points  qu'il  a  ainsi  mis  en  lumière 
sont  tout  à  fait  sûrs.  L'auteur  a  eu,  de  plus,  la  très  heureuse 
idée  de  traduire  les  pièces  et  d'j  ajouter  un  bon  lexique. 

Une  étude  de  ce  travail  n'est  pas  dans  notre  intention  ;  nous 
voulons  seulement  relever  les  variantes  très  importantes  de  a  * 
du  texte  :  Be  rnes  plazen ,  et  ensuite  établir  une  nouvelle 
édition  critique  de  cette  pièce. 

La  chanson  se  compose  de  onze  strophes  et  d'une  tomada. 
M.  Zenker  en  relève  les  exemples  à  p.  209,  mais  il  oublie  de 
citer,  àproposde  lapièce293, 20,  lapublicationde  M.E.Monaci  : 
Testiant.  provenz.  Roma,  Forzani,  1889,  p.  37. 

Nous  donnons  intégralement  la  chanson  d'après  les  deux 
inanascrits  qui  l'ont  conservée.  Les  deux  textes  présentent  des 

*  Die  lieder  Peires  von  Auvergne  kritisch  herausgegeben  mit  Einlei- 
tttng,  Uebersetzung,  Kommentar  und  Glossar  von  R.  Zbnkbr.  —  Erlan^ 
9«n,  1900.  no  XIV  :  (extr.  de  265  pages). 


160  RESTITUTION   d'uNE  CHANSON 

différences  très  notables:  les  vers 6  et  18  de  C  ne  ressemblent 
point  anx  vers  correspondants  de  a\  Tordre  des  strophes  II 
et  III  est  interverti,  les  simples  variantes  de  mots  sont  nom- 
breuseSy  etc.  Le  manuscrit  C,  qui  ne  donne  que  8  strophes, 
représente  une  tradition  corrompue,  et  les  leçons  fautives 
qu*il  contient  le  rendent  inférieur  à  aS  par  exemple  :  dans  C 
le  vers  3  est  trop  court,  et  c'est  à  tort  que  M.  Zenker  l'a  con- 
servé tel  quel  dans  son  édition  ;  le  vers  6  est  inintelligible  et 
les  efforts  de  M.  Zenker,  pour  Tinterpré ter,  sont  trop  évidents  ; 
van  du  vers  13  est  sans  doute  un  mot  fautif  du  msc.t  ot  il 
valait  mieux  le  corriger  que  le  traduire  par  haltloSy  etc. 

On  ne  peut  pas  considérer  le  texte  de  G  et  celui  de  a  '  comme 
remontant  à  une  même  source.  Depuis  les  recherches  de 
M.  Gr5ber  {Ram.  Studien^  II,  504),  une  étude  des  sources  de 
Bernart  Amoros  serait  des  plus  intéressantes  ;  nous  n^avons 
pas  cru,  cependant,  devoir  établir,  pour  cette  pièce,  les  rap- 
ports des  deux  leçons. 

Gr.  323,10. 
C,  180.  —  a*,  340 *.  Zbnkbr,  n«  XIV. 

I.  Be  m'es  plazen 

e  cossezen 
que  hom  s*aizine  de  chantar 
ab  motz  acus 
5  cubertz  e  dus 

c*om  no'ls  tengua  de  ver  .... 

IL  Ben  es  auranz 

totz  orestianz 
qui  en  van  si  vol  encombrar 
10  ni  sobre  *1  cais 

I.  V.  3.  Zbnk:  qui  s*aizina  de  chantar  (C),  vers  trop  court -^  A.  acns] 
alqaus  G.  Zbnk.  cub.]  serratz  G.  Zbnk.~  6.  a  ^  :  . . . .]  dizar.  (lire  ditart) 
qaom  tem  ja  de  vergonhar  G.  et  Zbnk.  que  om]  Zbnk.  qnom  G. 

II.  (  =  G.  Zbnk.  III.)  7-8.  auranz  —  crestianz]  C.  Zbnk.  auras-crestias — 
9.  qui  en  van]  G.  Zbnk.  qu*el  mezeis.  — 11.  cargar]  leva  G.  Zbnk.  —  12. 
non  posca]  no*l  pnesca  G.  Zbnk. 


DE  PEIRE   d'aUVERNHE  161 

cargar  tal  fais 
qae  corren  non  posoa  portar. 

III.  D'aut  chai  em  bas 

qui  per  compas 
15    beu  ûo  sap  lo  segle  menar  ; 
aquelh  i  falh 
que  tan  trassalh 
que  non  puesca  atras  tornar. 

lY.  Qu*eu  sai  e  sen 

20  mon  escien 

—  6  vuelh  vos  a  totz  chastiar  — 
per  trop  captens 
val  om  trop  mens 
e  ten  om  plus  vil  son  afar. 

V.  25  Mais  am  un  ort 

serrât  e  fort 
c'om  ren  no  m'en  puesca  emblar 
que  cent  parranz 
sobre  puegz  planz 
30    qu'autre  los  preng(a)'  e  ieu  los  gar. 

VI.  Que'l  reprochiers 

es  vertadiers 

que  dels  antics  dire  auzic 
«  lo  rie  al  rie 
e  Tom  mendie 
35  que  d'eis  semblan  troba  son  par  » . 

VII.  De  tôt  can  suelh 

amar  me  tuelh 

e  so  qu'ei  amat  desampar  ; 

III.  (  =C.  e  Zbnk.  II.)  13.  D'aut]  Van  G  et  Zenk.  —  15.  ben,  etc.]  no 
s.  1.  s.  demenar.  16  aq.]  alques.  ai  —17.  tan]  nemps  a*.  — 18.  que  non  etc.] 
rfa  temps  non  pot  tornar,  a*  ;  vers  trop  court, 

IV.  19.  sai]  cug  G.  et  Zenk.  e]  un  a  *.  —  21.  e]  ieu  G.  et  Zbnk.  —  23.  trop] 
mot  G.  et  Zbnk.  ~24.  e  ten  om]  e-n  G.  Zbnk.  tenen  a  i. 

V.  27.  G.  et  Zbnk  :  on  om  no*m  puesca  ren  e.  —  30.  los  preng'e  i.  los]  las 
tcnha  ez  i.  las  G.  Zenk. 

VI.-YII.  Seulement  dans  a  1. 13.  auzic]  au^ics  a^ 

il 


162  RSSTITCTION  D*UNS  CHANSON 

qa*ea  non  am  re 
40  ni  antr*e  me 

e  ynelh  me  totz  d'amor  loinhar. 

VIII .  Qa*el  reire  temps 

aiamatnemps 
e  Tnelh  m^en  atreasi  laiasar  : 
45  qui  m'a  amat 

non  aura  grat 
ni  m'aYia  en  cor  d'anar. 

IX.  Car  ai  nn  cor 

et  an  demor 

50  et  an  talan  et  an  pensar 
et  an  amie 
Yas  cai  m*abric 
et  a  cai  me  vaelh  aatreiar. 

X.  Si  mal  m*en  pren, 
55               per  eis  mon  sen 

vaelh  a  ma  vida  foUeiar; 

après  ma  mort 

no'm  fass^om  tort 
d*aquo  m*es  obs  ad  oblidar. 

XI.  60  Dans  maintas  pars 

me  for*  afars 
en  prendre  o  en  gazanbar  ; 
fers  e  parvenz 
es  mos  talenz 
65  vas  m*amiga  qai*m  te  plus  car. 

XII.  Amors,  de  loin, 

tan  gran  bezoin 

qn^ai  de  temps  e  de  bailiar  ! 

Gialio  Bbrtoni. 

yill.  42  el  r.]  arreire  G  et  Zbnk.  —  44.  atressi]  atrazach  G  et  Zbnk.  — 
47.m'a.en  cor]  encorm.  G.  Z. 

IX.  48.  car]  Qu'iea  G.  et  Zbnk.  —  50.  talan]  ardit  G  et  Zbnk.  —  52.  ras 
c.m'a.]  et  un  a.  G.  et  Z.  —  58.  no'm]  no  G.  no'm  Zbnk. 

XI.-XII.  Seulement  dans  9l^.  y.  60.  Dans]  dois  a  ^.  — 65.  qui'm  te]  coi 
tem  a'.  —  68.  bailiar]  baaljar  a^. 


BIBLIOGRAPHIE 


Zeitiehriit  fur  romanische  Philologie  hgg.  von  G.  Orôber,  1899^ 
XXIII,  1-2  (Ces  deux  cahiers  ont  paru  à  la  fois  sous  la  même  couver- 
ture.) 

P.  1-47.  6.  Mann.  La  langue  des  poésies  de  Froissart,  [L'auteur 
prend  comme  texte  Tédition  Scheler  (Poésies  de  Froissart,  Bruxelles, 
1870-72,  2  vol.)  M.  M.  n'a  pu  utiliser  le  MéUador  (Société  des  an- 
ciens textes  français)  qu'après  avoir  terminé  son  travail.  11  étudie  la 
phonétique  et  la  morphologie  de  la  langue  des  poésies  de  Froissart.  ] 
P.   47-79.  J.  MoLLER.  Les  poésies  de  Guillem  Augier  Novella, 
[Bartsch  indique  dans  le  Grundriss  trois  troubadours  du  nom  d* Au- 
gier ;  M.  J.  Mûller  nous  démontre  que  ces  trois  (déjà  réduits  à  deux 
par  E.  Lévy)  ne  font  qu'un.  Les  différents  noms  qui  nous  sont  donnés 
par  les  mss.  (Guilhem Augier,  Ghiilhem  de  Bezers^etc.)  représentent 
une  seule  personne  :  le  jongleur  Augier  de  Saint-Donat.  Cet  Augier 
vivait  entre  1185  et  1235  ;  il  vécut  d'abord  à  Béziers,  après  1209  il 
alla  en  Italie  où  il  reçut  le  surnom  de  Novella.  M.  M.  donne  à  la 
saite  une  édition  critique  des  neuf  pièces  de  ce  poète  ;  malheureuse- 
ment les  notes  sont  beaucoup  trop  rares  :  à  peine  une  douzaine  en  tout. 
Pourquoi  s'astreindre  aussi  à  nous  donner  dans  une  édition  criti- 
que, la  graphe  ae  de  C.  ?  (Cf.  n'»  3,  v.  2-4.)  ] 

P.  79-116.  WiLHELM  Mann.  Les  chansons  du  poète  Eohert  de 
RainSy  surnommé  La  Chievre.  [La  Chievre  et  Robert  de  Bains  sont 
une  seule  et  même  personne.  M.  M.  étudie  le  contenu  de  ces  poésies 
lyriques,  groupe  les  manuscrits  qui  les  contiennent  et  en  donne  le 
texte.  L'étude  des  rimes,  la  comparaison  de  sa  langue  avec  celle 
d'autres  auteurs  rémois  permet  de  conclure  que  l'auteur  appartient  à 
la  fin  du  XII«  siècle.  La  Chievre  est  aussi  l'auteur  d'un  poème  célèbre 
sur  Tristan  et  Isolde  qui  est  perdu,  mais  auquel  font  allusion  le 
Boman  de  Renart  et  l'auteur  d'un  miracle  du  XII®  siècle.] 

P.  118-134.  V.  DE  Ba.rtholoma.eis.  La  lïngua  di  un  rifacimento 
chieUno  delïa  Fiorita  d'Armannino  da  Bologna.  [Ce  rifacimento  se 
trouve  dans  ub  manuscrit  de  la  B.  Nat.  de  Paris  et  est  le  seul  docu- 
ment en  langue  vulgaire   de  la  ville  de  Chieti  (1418).  Mais  il  est 


1^4  BIBLIOGRAPHIE 

écrit  daiuB  une  langae  bien  mêlée  dont  M.  B.  essaie  de  fixer  les 
trait«,  L^étude  comprend  nne  phonétique  assez  détaillée,  quelques 
notes  de  morphologie  et  un  court  vocabulaire.] 

E.  Wbchssler,  Beeherckeê  mr  Uê  ronumê  du  Graal.  [M.  W.  com- 
plète sur  quelques  points  son  livre  :  La  légende  du  Samt-Graol  dans 
êon  développement  jusqu'au  Parsifal  de  Richard  Wagner.  Le  point 
traité  ici  est  une  étude  sur  VEsioire  del  Graal  de  Robert  de  Borron 
(p.  130j  sur  les  manuscrits  qui  nous  Tout  rapportée,  sur  les  quatre 
branches  de  ce  cycle,  sur  les  sources  du  cycle  du  Graal  de  Ro- 
bert, etc.] 

P.  174-200.  H.  ScHDCHAROT.  Contribution  à  l'ibérique,  au  romano- 
banque,  à  Tibéro-roman^  [Suite  —  un  peu  lardive  —  des  études  sur 
le  romano-basque,  commencées  dans  la  Zeitschrift  Rom.  Phil.  (XI, 
4nA'b\2,),  M.  Sch.  étudie  toute  une  série  de  formes  rapportées  à 
ribérique  par  M.  Giacomino  et  qui  ne  sont,  le  plus  souvent,  que  des 
déformation3  de  mots  romans.  P.  181,  dernière  ligne,  autre  forme 
du  provençal  moderne  mousti,  moustiz.  Parmi  les  dérivés  detuitMi,  il 
faut  encore  citer  Novacelles^  dans  l'Hérault,  qui  répond  à  Nazelles 
(p.  184)  d'Indre-et-Loire.  Nave,  si  fréquent  en  espagnol  dans  les 
noms  propres  (Navarre)  est  nauis  et  n  est  pas  d'origine  ibérique 
comme  le  pensait  Meyer-Lûbke.  Aux  dérivée  de  garvlla  (p.  192j 
ajouter  langued.  deskrulhado,  subst.  tiré  de  deslarulka  (peler,  surtout 
en  parlant  d'amandes).  P.  196  :  ajouter  le  languedocien ^otcAar,  dans 
le  sens  de  pousser,  regriller  en  parlant  d'herbe.  P.  200  :  ajouter  le 
catalan-roussillonais  eskèr  (la  ma  'skèra  «s  la  main  gauche).] 

P.  201-248.  0.  SoLTAU,  Les  œuvres  du  troubadour  Blacatz.  [Cet 
article  est  la  deuxième  partie  d'un  travail  complet  sur  Blacatz,  dont 
la  première  partie  a  paru  comme  thèse  de  doctorat  à  Berlin  sous  ce 
titre  :  Blacatz,  ein  Dichter  und  Diehierfreund  der  Provence.  L'édi- 
tion critique  des  œuvres  de  Blacatz  est  précédée  d'une  étude  en  cinq 
chapitres  sur  les  interlocuteurs  des  tensons,  sur  le  caractère  de  ses 
poésies,  sur  leur  date,  sur  leur  métrique;  enfin,  un  dernier  chapitre 
traite  des  poésies  faussement  attribuées  à  Blacatz.  P.  237,  VII,  v.  11, 
lire  :  al  meu  vejaire  ?  P.  243,  v.  12,  lisez  :  nova  de  coindia  (au  lieu 
àémova).] 

P.  249-287.  R.  Zbnker.  Additions  à  l'étude  sur  Isembart  et  Gor- 
mont,  (Halle,  1896).  [Réponse  aux  objections  faites  à  la  thèse  de  M.  Z., 
par  Ph.  Aug.  Becker  (Zeitschr.  f.  rom.  Phil,  20,  p.  549)  et  subsi 
diairement  aux  critiques  de  M.  Ph.  Lauer  et  F.  Lot,  dans  le  Romama 
(1897-1898).  P.  271,  arguments  nouveaux  produits  par  M.  Z.,  pour 
défendre  sa  théorie  sur  l'origine  àUsembard  et  Gormond.] 

P.  288-312.  0.  Dittrich.  Sur  la  composition  des  mots  (d'après  le 


BIBLIOGRAPHIE  165 

français  moderne  écrit).  Suite  du  long  article  consacré  par  M.  D.  i; 
cette  question  dans  le  tome  XXII  de  la  Z^tschrifU 

MiLA.NGBS.  —  I.  Grammaire.  —  I.  P.  313-320,  F.  d'Ovidio.  Encore 
sar  les  formes  italiennes  aTikzno,  dicono  (Lettre  au  prof.  W.  Foerster). 
M.  d*0.  n'admet  pas  la  théorie  exposée  par  M.  F.  sur  Torigine  des 
formes  verbales  italiennes  en  -&no  P.  317,  ligne  3  :  quelle  difficulté 
y  a-t-il  à  admettre  un  changement  de  suffixe  pour  expliquer  le  sarde 
vstrina,  sicilien  strina  à  côté  de  espagnol  estrena,  fr.  étrenne  ?  2.  — 
P.  321-325  Ake  Wison  Munthe,  Nouvelle  contribution  à  la  connais- 
sance de  dialectes  asturiens.  [Il  s'agit  d'un  lexique  publié  par  un 
joamal  asturien  {La  opinion  de  Villavicioaà)  et  dû  à  Don  Branlio 
Vigôn.  M.  A.  W.  Munthe  esquisse  une  phonétique  de  ce  dialecte]. 
IL—  Histoire  des  mots.  1.  325-331,  H.  Schuchardt,  Ambulare. 
[M.  Sch.  est  d'accord  avec  M.  W.  Foerster  pour  dériver  aZarc  -anare 
de  ambulare  ;  seulement  il  admet  une  seconde  forme  ambitare  (dérivée 
naturellement  de  ambulare)  pour  expliquer  andare]  2.  P.  231-33,  Id. 
Toccare,  caporale,  cmlir,  [Défend  contre  Ascoli  son  opinion  sur  l'ori- 
gine de  ces  trois  mots  déjà  exprimée  dans  la  ZeitBchrift,  XXII,  394. 
Donne  trois  exemples  nouveaux  de  métathèse  pour  expliquer  cochlea^ 
ritti»  ^  cuelir.]  3.  H.  Schuchardt,  It.  a  ^  lat.  ac  [Se  retrouve  dans 
quelques  expressions  italiennes.  M.  Schuchardt  voudrait  aussi  voir 
un  reste  de  a^  en  fr.  En  écrivant  quomo(do)ac  M.  Sch.  songe  sans 
doute  à  fp.  commet  4,  P.  334,  Id.  Le  génois  camallu  <^  arabe  Jiam- 
mal,  5.  P.  334,  Id.  Carilium,  [Ajoute  d'autres  représentants  romans 
da  mot  aux  innombrables  exemples  qu'il  en  a  déjà  donné,  p.  192  et 
suivantes].  6.  —  P.  334-336,  0.  Schultz-Gorra,  A.  fr.  Sartaigne. 
[Intéressante  étymologie  :  viendrait  de  Cerriiania  (fr.  Cerdagne,  dép. 
Pyr, -Orientales.)  Uor  de  Sartagne  n'aurait  rien  d'étonnant  et  n'aurait 
pas  besoin  pour  s'expliquer  du  voisinage  de  la  riche  Cartage  :  plu- 
sieurs rivières  venant  du  massif  Pyrénéen  ont  roulé  des  paillettes 
d'or  ;  on  en  trouve  encore  des  traces  dans  les  sables  de  l'Ariôge  et 
peut-être  même  de  l'Aude  :  pour  l'Aude  c'est  en  tout  cas  une  croyance 
très  répandue  parmi  les  populations  de  la  haute  vallée.  Dans  la  ^^  édi- 
tion des  Extraits  de  la  Ch,  de  Roi,  (1899;  c'est  sans  doute  la  5«  que 
désigne  M.  Sch.  G.  en  ajoutant  1896)  se  trouve  le  même  point  d'in- 
terrogation ;  la  2*  édition  de  la  Chrest,  de  Vanc,  fr.  contient  aussi  la 
même  note]. 

Comptes  rendus  (parus  avec  la  3«  livraison).  P.  339-447.  Giomale 
StoricodeUa  letteratura  italiana,  vol.  31 ,  fasc,  2,  3 ;  suppl.  n°  1 .  vol.  32, 
fasc.  1,  2,  3  (B.  Wiese).  —  P.  347-350,  Revue  des  Langues  Romanes, 
tome  38,  39  (0.  Schultz-Gorra).  — P.  350-351 ,  iîomanwi,  n<»  106 (avril 
1898),  (G.  Grôber,  W.  Meyer-Lubke).  —  P.  352  :  Réponse  de  M .  Grôber 


166  BIBLIOGRAPHIE 

aux  critiques  de  M.  Grammont  (Cf.  Retfue  des  Langues  Romanes,  1898, 
p.  287,  433.) 

E.  Hbrzog,  Histoires  des  formes  de  l'infinitif  français,  p.  353-381 . 

[Première  partie  d'un  important  travail  dont  les  principaux  chapitres 
sont  les  suivants  :  Extension  géographique  des  formes  en  -are,  yare 
avec  leurs  nuances  ;  conditions  qui  déterminent  les  formes  en  -yare  ; 
passage  de  la  première  conjugaison  a  la  seconde  et  réciproquement  ; 
nouveaux  verbes  en  -are,] 

P.  382-409,  A.  Pellbgrini,  Il  Piccino.  [Poème  en  sept  chants,  en 
octosyllabes  par  Alexandro  Streghi  (milieu  du  XV«  siècle  ;)  n'a  jamais 
été  publié  en  entier.  Il  en  existe  trois  manuscrits  à  la  bibliothèque 
de  Lucques.  M.  A.  P.  donne  ici  les  deux  premiers  chants  (à  suivre).] 

MÉLANGES.  —  I.  Histoire  littéraire.  P.  410.  H.  Suchier,  L'ori- 
ginal latin  du  Miroiter  de  l'église  de  Vignay.  [Se  trouve  dans  plusieurs 
manuscrits  de  la  bibliothèque  nationale,  mais  les  catalogues  Tattri- 
buent  à  un  autre  auteur].  II.  Grammaire.  —  P.  41 1-412.  M.  W.  Meyer- 
Lubke.  Les  adverbes  latins  de  lieu  en  -orstis  en  roman.  [S'occupe  des 
adverbes  suivants  :  aliorsum  fr.  mod.  ailleurs.  N'admet  pas  l'explica- 
tion proposée  par  M.  G.  Paris,  d'après  laquelle  ailleurs  est  dû  à 
l^analogie  des  nombreux  mots  en  -eurs,  M.  M.  L.  abandonne  aussi 
la  théorie  qu'il  avait  soutenue  (Rom.  Gram.  I,§.  141,  Rem.)  et  pense 
que  le  latin  vulgaire  avait  remplacé  -ôsu  par  -ôr  ;  d'où  aillour,  fr. 
mod.  ailleurÇs)  :  autres  adverbes  étudiés  :  Sinistrosum,  auorsum .] 
P.  413-415,  M.  A.  Horning,  Passage  de  s  devant  consonne  à  ^  en 
France.  [S'occupe  des  cas  d'amuïssement  de  s  signalés  par  M.  A. 
Devaux,  M.  Chabaneauet  par  moi.  M.  H.  ajoute  quelques  autres  cas 
empruntés  au  picard,  au  wallon  et  aussi  à  l'ancien  français.  Le  fr. 
poêle  de  pesile  l'expliquerait  de  la  même  manière.]  3.  P.  415-416, 
P.  MsiTchot,  Fisient  etpermessient  du  Jonas.  [L'i  représente  une  réson- 
nance  de  z  qui  s'est  éteinte,  si  Von  peut  dire,  petit  à  petit.  L'explication 
paraît  bien  invraisemblable.] 

III.  —  Histoire  des  mots.  I.  P.  417.  W.  Meyer-Lubke,  it.  corhez- 
zolo,  [N'est  pas  un  dérivé  de  cornus  ;  corbezza  pourrait  venir  de  *cucur' 
hitea,]  2.  P.  417.  J.  Ulrich,  fr.  blanches  paroles.  [5tonc^e«  provient 
d'une  confusion  ;  blandus  avait  donné  blanty  flatteur,  confondu  avec 
blanc.]  3.  P.  418,  J.  Ulrich,  fr.  desver.  [Viendrait  de  disaeqtiaref  qui 
a  donné  les  deux  formes  desiver  -desver'].  4.  P.  418-422.  H.  Schu- 
chardt,  Contribution  à  l'histoire  des  mots  en  roman.  [Basque  zerga  = 
impôt  ;  se  rattache  au  béarnais  cercarj  chercher  (cf.  quèste  en  béar- 
nais) ;  basque  donge,  mauvais,  composé  de  donum  et  de  ge^  suffixe 
privatif;  carilium  (ajoute  de  nombreux  dérivés  à  la  longue  liste  déjà 
donnée)].  5.  P.  422-429,  W.  Foerster,  Etymologies  françaises.  [Fr. 


BIBLIOGRAPHIE  167 

moà.  landier  ;  composé  de  l'article -{- andier,  lat.  du  moyen  êkgeande- 
riuit,  renvoyant  à  un  amitarium  formé  sur  âmes,  itis.  11  faut  ajouter 
que  le  narbonnais  andèr  (as  chenet)  n'est  sans  doute  pas  un  emprunt 
français,  car  Ve  ouvert  n'a  pas  subi  la  diphtongaison.  Fr.  permaine 
(pomme),  d'après  Littré  depermagna.  La  plus  ancienne  forme  fran- 
çaise (XII«  siècle)  est  parmain.  Le  mot  viendrait  àeparmanns  (pomme 
de  Parme). 

Comptes  rendus.  P.  430-454,  Obras  de  Lope  de  Vega Vol.  V- 

VL  (Suite  de  l'important  compte  rendu  de  A.  Restori).  —  P.  454-459, 

Chansons  et  dits  arlésiens  du  XIII*'  siècle p  par  A.  Jeanroy  et 

H.  Guy.  (F.  Ed.  Schneegans).  —  P.  459-461,  D'  J.  Subak,  Die 
CoDJugation  im  Neapolitanischen...  (P.  Savj-Lopez).  —  P.  462-465, 
W.  Cloetta,  Die  Enfances  Vivien  (Ph.  Aug.  Becker).  —  P.  465-466, 
J.  Voigt,  Das  Naturgefuhl  in  der  Literatur  der  franzôsischen  Renais- 
sance (Ph.  Aug.  Becker).  —  P.  466-469,  Rydberg,  Histoire  du 
français  e  (E.  Herzog).  —  P.  409.  Périodiques.  —  P.  409-480,  Arcki- 
m  glottologico  iialiano,  tome  XIV  (W.  Meyer-Lûbke). 

4.  —  P.  481-490,  A.  HoRNiNG,  Passage  de  wè  (venant  de  oi)  à  é  en 
français.  [M.  H.  prend  pour  point  de  départ  l'élude  sur  le  patois  d'Ezy 
faite  par  M.  P.  Passy  dans  la  Remte  de  Phil.fr.  t.  VIII.  Le  passage 
àetoèkè  dans  les  mots  où  cette  diphtongue  est  précédée  d'un  groupe 
ùms.  +  r  a  été  déterminé  par  ce  groupe.  La  série  frein,  veine,  peine, 
à  côté  de  avoine,  foin  reste  obscure.  P.  485  et  sqq.  explication 
des  formes  en  oie  et  en  aie  (lamproie,  français).  P.  486,  noter  une 
autre  réduction  de  uè  après  le  groupe p^  dans  prov.  mod.  pl^o  'pUjo 
=  plu^o,  pluôjo.  Pour  les  noms  propres  la  vraie  explication  reste 
encore  à  trouver.  La  dernière  partie  de  l'article  (487-490)  traite  de  wè 
dans  les  patois  franc-comtois.] 

P.  491-513.  Th.  Kalepki,  Zur  franaosischen  Syntax  (Cf.  Zeitschrift 
fùrrom.  Phil.  XX,  277).  [VII.  Mélange  de  style  direct  et  indirect? 
li  s'agit  d'expressions  comme  est-ce  que  dans  des  phrases  comme  la 
suivante  :  Elle  n'était  pas  venue  f  C'est  donc  qu'elle  ne  pouvait  pas 
vmrf  M.  Tobler  avait  observé  que  le  présent  est-ce  que  se  trouve 
toujours  dans  ce  cas-là  au  lieu  de  l'imparfait,  mais  M.  Th.  K.  cite 
plusieurs  exemples  de  Zol&Rome  avec  était-ce  que  {Etait-ce  donc  que 
tout  allait  crouler  avec  eux,  Zola  Roine  p.  167).  M.  K.  ne  veut  pas 
qu'il  y  ait  là  mélange  de  discours  direct  ou  indirect,  il  propose  une 
expression  nouvelle,  peu  traduisible  en  français  d'ailleurs  {  v.  r. 
[^verkleidete,  verhûUte  Rede,  discours  caché.] 

P.  514-532.  G.  Salvioni,  Appunti  etimohgici  e  lessicali  (2^  série). 
[Mots  principaux  :  alandier  «^  limitariu,  fr.  haussière,  non  de  germ. 
^Is  mais  de  lat.  helciariu,  la  base  matutinus  dans  les  dialectes  ladins. 


168  BIBLIOGRAPHIE 

fr.  mie  (M.  S.  n'admet  pas  svdica  ;  le  prov.  mod.  Hèjo  postule  *sddia 
-addicaf  comme  pmo  *plâuia),  vignoble  ^  uineae  *opuZtt.] 

MÉLANGES.  —  I.  Grammaire.  —  P.  533-535,  G.  Baist,  A.  fr./efe. 
[Il  ne  faut  pas  voir  dans  ce  mot  un  cas  de  dissimilation  de  «,-«  mais 
un  cas  d*anologie,  sur  véis],  —  II.  —  Histoire  des  mots.  P.  535-536, 
A.  fr.  fraite  (G.  Baist).  Vient  de  fracta.  2.  P.  536-537.  Fr,  fiente, 
roman,  niente,  (J.  Ulrich).  le  s'expliquerait  dans  le  premier  mot  par 
un  croisement  defœx  et  àefoetere.  Pour  niente  M.  U.  propose  ni  -himite, 
bien  invraisemblable.)  3.  537.  A.  fr.  gagnon,  wagnan  (P.  Marchot). 
Se  rattache  au  verbe  gaaignier;  le  gagnon  est  à  l'origine  le  chien  qui 
gaaigne  (fait  paître). 

Comptes  rendus.  —  P.  538-553.  H.  Paul,  Primipien  der  Sprach- 
getchichte  (0.  Dittrich).  —  P.  354-358,  Le  troubadour  G.  Montanha- 
gol^,  J.  Coulet  (C.  Appel).  —  P.  559-566,  G.  Kôrting,  Die  Formen- 
lehre  derfr.  Sprache  (J.  Subak).  —  P.  566-567,  V.  Rossi,  //  Quattro- 
cento (B.  Wiese). 

PÉRIODIQUES.  —  GHomale  Storico  delta  Letteratura  lialiana,  vol. 
XXXIII,  fasc.  1,  2,  3(B.  Wiese).  —  P.  572-574,  Revue  des  Langues 
Romanes,  tome  XL  (0.  Schultz-Gora).  —  P.  574-575,  Romania, 
n«  107  (W.  Meyer-Lûbke,  G.  Groeber).  —  P.  576-583,  Archiv,  f.  d, 
Studium  d,  neueren  Sprachen  und  Litt  Tome  86-95  (W.  Cloëtta).  — 
P.  584-587,  Livres  nouveaux  (G.  Groeber).  —  Index. 

J.  Anglade. 


Histoire  de  Magnelone,  par  Frédéric  Fabréob.  T.  I,  I-GIV,  1-511; 
T.  II,  1-598  ;  in-4*>,  Paris,  Alphonse  Picard  ;  Montpellier,  Baumevibllb  : 
1894-1900. 

Il  est  des  monuments  vénérés  sur  lesquels  rien  d'abord  n'appelle 
Tattention,  qui  semblent  se  cacher  dans  Tombre  et  quHl  faut  chercher 
le  <(  Guide  du  Voyageur  »  à  la  main,  comme  cette  petite  chapelle, 
Santa- Maria-delle  -  Fiante ,  qui  a  été  élevée  dans  la  banlieue  de 
Rome,  au  point  de  rencontre  des  voies  Ardéatine  et  Appienne,  à 
Tendroit  où  Jésus  apparut  à  Pierre  fuyant  de  Rome  :  «  Quo  vadisf 
Où  allez -vous?  »  demanda  l'apôtre.  «Je  vais,  répondit  le  Sauveur, 
à  Rome  subir  une  seconde  fois  le  martyre.  j>  Pierre  comprit  la  leçon, 
rentra  dans  la  ville  et  fut  martyrisé  peu  de  temps  après.  De  là  le 
nom  de  <t  Quo  vadis  »,  par  lequel  est  désignée  d'ordinaire  la  petite 
église.  L'on  y  montrait  autrefois  la  pierre  d'un  tuf  verdâtre  où  Ton 
distingue  en  un  dessin  léger    l'empreinte  des    pieds  du  Sauveur, 


BIBLIOGRAPHIE  169 

picaUe;  mais  cette  relique  aujourd'hui  y  est  représentée  par  un  fac- 
similé,  et,  pour  la  retrouver,  il  faut  aller  plus  loin,  suivre  la  voieAp- 
pleane  et  entrer  dans  la  basilique  Saint-Sébastien,  où  elle  est  conser- 
vée avec  la  colonne  où  fut  attaché  Sébastien,  et  nombre  d'autres  reli- 
ques moins  illustres.  Saint-Sébastien  est  lui-même  placé  en  contre-bas, 
n'attire  aucunement  le  regard.  Bien  des  touristes  n*en  feraient  point 
le  terme  d'une  excursion,  s'ils  ne  savaient  que  là  est  l'entrée  des 
catacombes  les  plus  intéressantes  au  point  de  vue  de  l'archéologie  et 
de  l'art  chrétien  primitifs. 

Comme  les  origines  mêmes  du  christianisme  furent  humbles  et 
cachées,  de  même  les  monuments  qui  en  gardent  les  souvenirs  les 
plus  précieux  se  dérobent  souvent  à  l'œil  indifférent  et  réclament 
d'être  l'objet  d'un  pèlerinage  qui  leur  soit  vraiment  consacré.  Bien 
des  gens  n'auraient  jamais  connu  le  nom  de  Quo  vadis,  s'il  ne  fût 
devenu  le  titre  d'un  roman,  dont  l'auteur,  s'inspirant  des  sentiments 
qai  avaient  dicté  les  Martyrs  à  Chateaubriand  et  les  Derniers  jours 
de  Pomjm  à  Bulwer,  a  su  faire  vibrer  des  cordes  endormies  et  inté- 
resser des  âmes  que  les  crudités  matérialistes  récemment  en  vogue 
avaient  lassées  jusqu'au  dégoût. 

Maguelone  appartient  à  l'âge  triomphant  où  la  foi  chrétienne 
dressait  vers  le  ciel  les  hautes  voûtes  des  cathédrales.  Dominant  les 
flots  bleus  de  la  Méditerranée,  les  étangs  et  les  plaines,  il  est  vu  de 
toutes  parts,  et  l'on  ne  saurait  venir  à  Montpellier  sans  être  tenté 
de  faire  une  visite  à  ce  monument,  d'où  l'œil  embrasse  tout  le  Lan- 
guedoc, d'où  la  pensée  a  comme  une  vision  des  siècles  écoulés. 

L'année  dernière,  les  Félibres  ont  tenu  leur  fête  annuelle  au  pied  des 
murs  de  l'église  féodale,  à  l'ombre  des  pins  dont  le  feuillage,  agité 
par  le  souffle  de  la  mer,  bruissait  légèrement  sur  nos  têtes.  Le  regretté 
Félix  Gras  nous  présidait.  Mistral  était  des  nôtres.  Quand  les  maîtres 
modernes  du  Gai  Savoir  entonnèrent  des  chants  où  revivent  la 
langue  sonore  et  l'âme  ardente  de  nos  pères,  au  milieu  de  ce  paysage 
enchanté,  dans  l'éblouissement  de  la  resplendissante  lumière  qui  en- 
veloppait l'île,  il  y  eut  un  moment  d'illusion  puissante  :  nous  nous 
sentions  au  pays  de  Féerie  ;  et  si  Pierre  de  Provence  et  la  belle 
Maguelone  fussent  venus  s'asseoir  au  banquet  de  Sainte-Estelle,  à 
côté  de  l'auteur  de  Mireille,  leur  présence  n'eût  point  surpris. 

Mgr  Dupanloup  a  donné  en  quelques  lignes  éloquentes  l'impression 
grande  et  religieuse  qu'il  avait  ressentie  :  u  Maguelone,  beau  lieu, 
austère,  paisible  ;  une  petite  île,  et  dont  les  pentes  douces  descendent 
vers  les  flots  bleus,  au  delà  desquels  se  déroulent  les  montagnes  de 
la  Provence,  dont  les  lignes  se  perdent  dans  la  brume.  Désert  dominé 
par  le  géant  (la  cathédrale)  et  par  la  croix.  Cette  basilique  canonicale, 
par  ses  formes  sévères»  s'harmonise  avec  ce  paysage,  cette  solitude, 


170  BIBLIOGRAPHIE 

cet  horizon,  cette  grandeur.  C'est  un  de  ces  lieux  qui  ont  une  âme  et 
que  doivent  chercher  les  âmes  placées  dans  certaines  conditions  mora- 
les. Là  on  doit  contempler,  prier,  pleurer.  C'est  un  lieu  consacré 
par  les  grands  souvenirs,  saisissant  par  ce  qui  est  mort  et  par  ce  qui 
survit  :  une  ruine  et  une  croix,  au  milieu  de  quelques  pins,  voilà  ce 
qui  reste  de  la  ville  romaine,  refuge  des  Sarrasins  au  VII^  siècle* 
détruite  au  VIII*  par  Charles-Martel,  rebâtie  au  XI«  et  devenue  ville 
papale  et  épiscopale,  berceau  de  Montpellier  et  capitale  ecclésiastique 
du  pays  *.  » 

M.  Fabrège  a  pour  le  monument  qu'il  a  restauré  avec  un  soin 
pieux,  une  admiration  et  un  amour  qu'il  tient  à  faire  partager.  Il  a 
donc  entrepris  de  raconter  l'histoire  de  Tîle  légendaire  où  l'église 
seule  subsiste,  île  qui  fut  grande  dans  la  pensée  des  hommes,  bien 
que  la  nature  en  eût  parcimonieusement  limité  l'étendue  :  «  Il  faut  le 
dire,  cette  île  a  eu,  pendant  le  moyen  âge,  une  vie  toute  spirituelle, 
une  influence  seulement  morale.  Jamais  le  nombre  et  la  splendeur  de 
ses  édifices  n'a  répondu  à  ce  que  son  nom,  si  connu  et  si  vénéré, 
semblerait  indiquer  ^.  » 

-  En  deux  forts  volumes  in-4<*  nous  passons  des  origines  au  XIV« 
siècle.  Le  tome  III,  dont  la  préparation  est  fort  avancée,  aura  pour 
titre  général  :  «  L'Université  à  Montpellier.  Translation  du  siège 
épiscopal  à  Montpellier.  Ruine  de  Maguelone.  » 

Dans  la  Préface  (p.  i  —  viii),  M.  Fabrège  indique  les  sources 
qu'il  a  dû  consulter,  énumère,  en  les  appréciant,  les  travaux  où  il  a 
été  question  de  Maguelone.  Il  répond  à  l'avance  à  ceux  qui  pourraient 
lui  reprocher  de  s'être  laissé  entraîner  par  l'importance  du  sujet: 
ce  Nous  ne  pouvions  cependant,  dit-il,  négliger  des  événements  d'un 
intérêt  capital,  unique  même,  puisque  Maguelone  fut,  au  moyen  âge, 
un  fief  pontifical,  refuge  des  souverains  pontifes,  le  seul  point  d'accès, 
avant  saint  Louis,  de  la  France  sur  la  Méditerranée,  centre  privilé- 
gié de  l'orthodoxie  et  de  la  liberté  dans  le  Midi.  Sur  toutes  ces  ques- 
tions, il  fallait  mettre  en  lumière  les  trésors  de  la  critique  et  de 
l'érudition  contemporaine,  dispersés  dans  une  série  d'ouvrages  ou  de 
recueils  aussi  précieux  que  peu  connus.  En  ne  dédaignant  d'ailleurs 
aucun  détail,  nous  avons  pu  saisir  sur  le  vif  les  traits  et  les  mœurs 
de  nos  ancêtres,  suivre  dans  leur  existence,  à  travers  les  siècles,  nos 
évêques  et  nos  seigneurs,  apprécier,  en  toute  justice,  l'action  du 
Saint-Siège,  les  bienfaits  de  l'épiscopatetlerôledes  Ouillems,  admirer 
la  formation  et  les  développements  de  la  nationalité  française,  carac- 

1  Cité  par  M.  Fabrège,  T.  I,  Introduction^  p.  C.note. 

•  Renouvier,  Maguelone,  p  20,  cité  par  M.  F.,  1, 192,  note. 


BIBLIOGRAPHIE  171 

tëriser  les  traditions  et  les  services  de  TUniversité  de  Montpellier.  » 
L'Introduction  (p.  ix — civ)  a  pour  titre  «  Le  site  et  les  souvenirs  », 

et  comprend  quatre  parties  :  «  L'horizon  de  la  terre,  Thorizon  de  la  mer, 

la  Belle  Maguelone,  la  cathédrale.  »  Trois  planches,  à  la  fin  du  tome 

1*',  dues  au  crayon  de  M.  Marsal ,  donnent  Vhorizon  de  la  terre,  tel 
qa'on  le  voit  du  haut  de  la  cathédrale,  vaste  demi-cercle  où  du  rivage 
aux  montagnes  lointaines  :  le  Canigou,  le  Larzac,  la  Sérane,  le  Mont- 
Lozère,  le  Ventoux,  depuis  le  cap  Bear  jusqu'aux  Saintes-Maries-de- 
la-Mer  s'étagent  les  étangs,  les  plaines  et  les  collines. 

Sans. songer  à  faire  l'analyse  d'un  ouvrage  si  étendu,  et  où  sont 
traitées  des  questions  très  diverses,  nous  croyons  utile  de  marquer 
du  moins  un  des  points  de  vue  auxquels  on  peut  se  placer  en  le  lisant. 
Il  nous  semble  que  l'on  aura  ainsi  quelque  impression  du  vif  intérêt 
qu'il  présente. 

Maguelone  vaut  dans  l'histoire  par  son  évôché  dont  la  destinée 
fat  liée  si  étroitement  à  celle  de  Montpellier.  Les  Guillems,  la  Muni- 
cipalité Montpelliéraine,  les  rois  d'Aragon  et  de  Mayorque  ont  des 
rapports  constants  avec  l'évoque,  dont  l'autorité  religieuse  et  morale 
était  fort  augmentée  par  l'importance  de  fiefs  qn'il  devait  à  une 
8uite  de  libéralités  dont  la  principale  est  assurément  l'acte  du  27 
avril  1085,  par  lequel  Pierre  de  Melgueil  faisait  hommage  au  Saint- 
Siège  du  comté  de  Substantion  et  de  ses  droits  sur  Maguelone. 
Plus  tard,  à  la  suite  de  la  guerre  des  Albigeois,  le  pape  Innocent  III, 
ayant  retenu  pour  fief  le  comté  de  Melgueil,  la  ville  de  Montpellier, 
qui  s'était  déjà  placée  sous  la  tutelle  du  Saint-Siège,  obtint  en  1215 
que  le  pape  inféodât  le  comté  à  l'évêque  de  Maguelone  et  à  ses  suc- 
cesseurs. La  décision  du  pape,  qui  fut  suivie  de  plein  effet,  reposait 
sur  le  droit  reconnu  alors  au  suzerain  de  punir  un  vassal  révolté»  ce 
qui  était  le  cas  de  la  maison  de  Toulouse  ^ 

Dès  les  premiers  temps  les  évêques  avaient  eu  une  juridiction  spé- 
ciale sur  Montpelliéret,  partie  méridionale  de  la  ville  de  Montpellier. 

Une  bulle  pontificale  du  12  juillet  1228  détermine  les  possessions  de 
l'Eglise  de  Maguelone  à  cette  époque  ;  elles  comprenaient  :  «  l'île  de 
Maguelone,  l'étang,  le  grau,  la  plage  entre  la  mer  et  l'étang,  dans 
toute  leur  étendue  et  avec  leurs  pêcheries,  l'Ile  d'Isclion  ou  Ësclavon, 
dans  Tétang  de  l'Amel,  l'église  Saint-Etienne  de  Villeneuve,  l'église 


*  Par  une  snite  d'héritages,  le  comté  de  Melgueil  était  passé  en  1172 
aux  mains  des  comtes  de  Toulouse.  V.  t.  I,  p.  336,  suir.  Mais  le  pape 
pensait  sans  doute  pouvoir  se  prévaloir  encore  de  Tacte  antérieur  de 
Pierre  de  Melgueil.  Pour  les  revendications  de  la  maison  d' Alais  sur  le 
comté  de  Melgueil,  et  l'accord  qui  intervint.  V,  t.  II,  p.  131,  suiv. 


1 7  S  BIBLIOGRAPHIE 

et  la  métairie  de  Maurin,  Téglise  Saint-Sauveur  de  Rouet,  le  Gapi* 
toul  ou  maison  et  domaine  de  la  communauté  à  Villeneuve,  Téglise 
Sainte-Marie  d'Exindre,  les  tours  sur  le  Lez  et  la  Mosson,  les  mon- 
tagnes de  Montceau  et  de  Saint-Bauzille,  le  bois  d'Aresquier,  le  châ- 
teau de  Maureillan,  la  villa  de  la  Mosson,  Tîle  de  Fleix,  les  domai- 
nes dans  les  paroisses  de  Saint- Jean-de-Cocon,  de  Saint-Michel  de 
Montels,  de  Saint-Michel  de  Sautejrargues,  de  Saint-Pierre  de  Mon- 
taubéron,  de  Saint-André  de  Novigens,  de  Notre-Dame  de  Castelnau, 
de  Saint-Jean  de  Substantion,  de  Saint-Etienne  de  Soriech,  de  Saint- 
Drézéry,  de  Jacou,  de  Clapiers  :  la  ville  de  Lauret,  le  mas  avec  la 
baume  ou  grotte  de  Londres  ;  les  villas  de  Saint-Brès  et  de  Saint- 
Sauveur  de  Pérols,  avec  leurs  dépendances,  terres,  bois,  prés,  droits 
de  justice  ;  le  château  de  Lattes,  les  propriétés  dans  Tintérieur  de 
Montpellier,  Pîle  et  Téglise  de  Niout,  les  églises  d'Aix  ou  de  Balaruc, 
de  Frontignan,  de  Sainte-Eulalie,  les  biens  de  la  sacristie  de  Mague- 
lone,  les  églises  de  La  Vérune,  de  Pignan,  de  Fabrègues,  la  métai- 
rie d'Agnac  ;  les  église  de  Saint-Firmin,  de  Notre-Dame  des  Tables, 
de  Sainte-Foy  de  Montpellier,  de  Saint-Denis  de  Montpelliéret,  de 
Saint-Brès,  de  Pérols,  de  Novigens,  de  Soriech,  de  Sautejrargues, 
de  Gastelnau,  de  Saint- Vincent,  de  Saint-Jean  de  Buèges,  de  Saint- 
Drézéry,  d'Auroux,  de  Sainte-Marie  de  Melgueil,  de  Sainte-Marie  de 
Lunel,  toutes  ces  possessions,  avec  leurs  appartenances,  dîmes  et 
droits  d'usage ,  enfin  Téglise  et  l'hôpital  du  Saint-Sépulcre  à  Marseille. 
—  Le  pape  a  bien  soin  de  rappeler  que  si  le  chapitre  a  droit  à  la 
dîme  sur  tous  ces  points,  il  ne  la  doit  au  contraire  à  personne;  il 
n'exige  pour  cette  protection  spéciale  du  Saint-Siège  qu'un  tribut 
annuel  de  trois  oboles  d'or^  » 

Mais  Fauteur  le  reconnaît  lui-même,  l'administration  de  droits 
temporels  proprement  dits  n'était  point  sans  offrir  des  difficultés  : 
(c  L'élévation  des  évoques  de  Montpellier  ne  fut  pas  utile  à  leur 
Eglise.  Comtes  de  Melgueil,  ils  se  trouvent  distraits  par  les  préoccu- 
pations temporelles  et  perdent  dans  les  soucis  des  affaires  la  ferveur 
qui  avait  assuré  leur  prestige  contre  les  Albigeois.  Ils  sont  obligés 
de  suffire  aux  charges  du  gouvernement,  et  comme  ils  imposent  leurs 
sujets,  ils  ébranlent  leur  fidélité  traditionnelle*.  » 

L'action  bienveillante  de  la  Papauté  sur  les  affaires  de  l'évêché  de 
Maguelone,  et  même  sur  celles  de  la  ville  de  Montpellier,  ne  saurait 
être  contestée;  la  démonstration  que  présente  M.  Fabrège  est  docu- 
mentée de  la  façon  la  plus  complète  et  la  plus  concluante.  Mais  on 


1  T.  II,  p.  49-51. 
«T.  II,  p.  34. 


BIBLIOGRAPHIE  17d 

ne  peut  8*empêcher  de  remarquer  qu'à  côté  de  la  suzeraineté  du 
Saint-Siège,  Ton  recherchait  également  celle  du  roi  de  France,  aux 
époques  elles-mêmes  où  son  autorité  dans  le  Midi  paraît  le  plus 
réduite  :  «  Dès  1 163,  Jean  de  Montlaur  et  son  chapitre  reconnaissaient 
Louis  le  Jeune  pour  leur  seigneur,  et  le  remerciaient  de  Taccueil 
favorable  fait  à  leurs  envoyés.  En  1208,  Guillaume  d'Autignac  avait 
obtenu  de  Philippe- Auguste  d*être  confirmé  dans  toutes  ses  posses- 
sions, surtout  dans  celle  de  l'île  de  Maguelone,  civitatiê  Magalone  et 
aUorum  locorum  temporalium;.., .  et,  en  1230,  saint  Louis  étend  les 
prérogatives  des  évêques  en  leur  donnant  juridiction  sur  les  sujets 
royaux  et  sur  les  écoles  de  Montpellier  * .  » 

Ainsi  persistait  dans  les  esprits  la  pensée  que  le  roi  de  France 
était  le  suzerain  légitime,  qui  avait  toigours  le  droit,  sinon  le  pouvoir, 
d'intervenir  dans  Tadministration  d'une  région  qui,  depuis  des  siècles, 
n'était  plus  sous  son  autorité  réelle. 

A  la  fin  du  XIII*  siècle,  l'enchevêtrement  des  pouvoirs  et  de  leurs 

prérogatives  fut  au  comble.  Le  seigneur  de  Montpellier  dépendait  de 

Tévêque,  seigneur  de  Montpelliéret.  «  Le  roi  de  Mayorque,  Jayme  II, 

était  de  plus  vassal  des   rois   d'Aragon  ;  l'évêque  de   Montpellier, 

suzerain  du  roi  de  Mayorque,  s'était  à  son  tour  reconnu  vassal  du  roi 

de  France*.  »  De  leur  côté,  les  consuls  de  Montpellier,  mettant  à 

profit  les  conflits  de  leurs  divers  suzerains  de  tout  degré,  recourent  au 

roi  de  France  contre  l'Official  de  Maguelone,  et  obtiennent  que  le 

roi  de  Mayorque,  malgré  les  plaintes  de  l'évêque,  refuse  d'intervenir. 

Le  17  juillet  1291,  Bernard  de  Viviers,  officiai  de  Maguelone,  lance 

au  nom  de  l'évêque  un  interdit  général  contre  la  ville  et  les  consuls 

de  Montpellier.   Le   sénéchal  de  Beaucaire,  représentant  le  roi  de 

France,  agit  en  faveur  de  la  Ville  et  saisit  le  temporel  de  l'évêque. 

Enfin  l'archevêque  de  Narbonne  lève  l'interdit  et  fait  promettre  aux 

uns  et  aux  autres  de  s'en  rapporter  à  la  décision  du  roi  :  Et  en  aquel 

an,  estet  erUredig  Montpellier  per  VII  meses  o  diprop:  el  senescalc  de 

Bekayre  près  la  terra  de  lavesque,  e  la  tene  20  jom,  quar  non  voUa 

retoocare  Ventredig  ;  e  pueis  larcevesque  de  Narhona  entrâmes  seu,  e 

révoquât  las  sententUts  e  Ventredig  e  vole  que  lavesque  els  consols  se 

com/promesesson  en  la  eoncell  del  rei  de  Fransa^, 

Ces  conflits  ne  sont  plus  de  notre  temps.  Formés  à  l'exacte  disci- 
pline de  la  centralisation  administrative,  nous  serions  même  portés  à 
jeter  on  regard  dédaigneux  sur  cette  dispersion  de  privilèges  et  de 


»T.  II,  p.  51-52. 

»T.  II,  p.  296. 

^PetU'Thalamus,  chron.  rom.,p.  340;  cité  par  M.  F.,  II,  p.  305. 


174  BIBU06BAPHIE 

prérogatives  qui  surexcitait  les  passions  locales,  et  Bous  la  jugerions 
volontiers  ane  sorte  d'anarchie.  Mais  il  ne  faut  point  méconnaître  que 
les  intérêts  particuliers  éUient  armés  pour  se  défendre,  que  la  liberté 
a  son  prix  et  façonne  les  caractères  autrement  que  la  sujétion  la 
mieux  réglée,  que  la  vie  provinciale  était  intense,  et  qu'en  fin  de 
compte  on  arrivait  à  s'entendre,  qu'il  fallût  s'en  référer  au  pape  ou 
au  roi.  La  prospérité  de  Montpellier  et  la  dignité  du  siège  épiscopal 
traversèrent  sans  dommage  cette  crise,  et  nous  ne  voyons  pas 
qu'après  la  réconciliation  on  ait  gardé  des  souvenirs  amers  du 
désaccord  qui  avait  troublé  les  rapports  de  Tévêque  et  de  ceux  qui 
étaient  à  la  fois  ses  vassaux  et  ses  fidèles. 

D'ailleurs  l'évêque  de  Maguelone  prit  le  moyen  le  plus  sûr  d'éclair- 
cir  une  situation  confuse.  Avec  une  sagesse  qu'il  est  juste  de  louer, 
il  abandonna  en  1292  à  la  couronne  de  France  le  fief  de  Montpelliéret, 
la  suzeraineté  sur  Montpellier  et  le  château  de  Lattes  en  échange 
d'une  rente  de  500  livres  melgoriennes,  environ  50.000  francs  de 
notre  monnaie  actuelle. 

On  lira  dans  M.  Fabrège  l'exposé  intéressant  des  procédés,  habiles 
plus  que  scrupuleux,  par  lesquels  Philippe  le  Bel  sut  faire  valoir  les 
droits  qui  lui  étaient  reconnus. 

On  peut  ne  point  partager  l'avis  de  M.  Fabrège  sur  toutes  les 
questions  qu'il  est  amené  à  traiter.  L'histoire  du  moyen  âge  est  le 
domaine  où  la  controverse  trouve  le  plus  d'occasions  de  s'exercer. 
Mais  Tampleur  elle-même  qu'il  donne  à  ses  développements,  la  variété 
des  faits  apportés,  la  richesse  de  la  documentation  et  l'indication 
constante  des  sources,  rendent  Tœuvre  instructive  au  plus  haut  degré 
et  mettent  le  lecteur  à  même  de  se  faire  une  opinion  personnelle. 

Comme  il  en  avertit  dans  sa  Préface,  Tauteur  a  tenté,  à  propos  de 
chacun  des  événements  importants  qu'il  rencontre,  de  reconstituer  le 
milieu  et  le  moment  précis.  Ainsi  nous  expose-t-il,  ou  peu  s'en  faut, 
une  histoire  complète  du  moyen  âge,  éclairant  son  sujet  particulier 
de  toutes  les  lumières  qu'il  emprunte  à  l'histoire  générale.  On  peut 
juger,  et  il  l'a  prévu  lui-même,  qu'il  s'étend  parfois  au-delà  du  cadre 
exact  où  a  été  enfermée  la  destinée  de  Maguelone  et  de  son  évêché  ; 
mais  il  était  difficile  de  ne  pas  entrer  dans  quelques  détails  sur  la 
guerre  des  Albigeois,  étant  donnée  la  situation  géographique  et  féo- 
dale de  Montpellier  ;  et,  quand  on  rencontre  un  Nogaret  pour  instru- 
ment de  Philippe-le-Bel  dans  la  querelle  de  ce  roi  avec  Boniface,  l'on 
n'est  pas  mécontent  de  connaître  de  près  le  personnage  et  de  savoir  ce 
que  sa  famille  est  devenue. 

M.  Fabrège  aime  le  moyen  âge  et  l'Eglise  catholique,  et  se  plaît  à 
réfuter  des  préjugés  que  la  science  moderne  a  rejetés,  sans  pouvoir 


BIBLI0GRAI>HIE  175 

déraciner  complètement.  Bien  des  gens  ne  s'imaginent  point 
qu'il  soit  démontré  et  reconnu  aujourd'hui  que  dans  l'exercice  de  ses 
droits,  l'Eglise  fut  d'ordinaire  plus  modérée  et  plus  libérale  que  le 
pouvoir  civil,  que  l'arbitrage  des  papes  s'employait  dans  l'intérêt 
des  mœurs  et  de  la  justice  ;  qu'ainsi  s'est  faite  l'éducation  de  l'esprit 
public  en  Europe  ;  que  de  bonne  heure  le  servage  n'était  plus  qu'un 
souvenir  dans  beaucoup  de  nos  provinces  ;  que  l'industrie,  le  com- 
merce, les  sciences  et  les  arts  florissaient  dés  le  XIII^  siècle  ;  que 
nos  bourgeois  du  moyen  âge  étaient  des  administrateurs  économes  et 
habiles,  dont  l'exemple  peut  être  proposé  à  l'imitation  de  nos  muni- 
cipalités du  XX*  siècle.  Je  recommande  la  lecture  du  chapitre  XI, 
«  l'Eglise  de  Maguelone  à  Montpellier  3>,  à  tous  ceux  qui  s'intéres- 
sent à  l'histoire  des  œuvres  de  charité.  Il  était  utile  et  équitable  de 
rappeler  qu'au  siècle  dernier,  la  «  Miséricorde  »  de  Montpellier  a  été 
prise  par  les  Anglais  comme  modèle  pour  la  création  d'un  dispen- 
saire destiné  à  secourir  les  malades  indigents^  ;  de  mentionner  cette 
institution  admirable,  le  «  Prêt  gratuit  »,  qui  continue  à  venir  en 
aide  aux  besoigneux  de  toute  condition,  sans  rémunération  aucune  ^. 

Que  savons-nous,  pour  la  plupart,  du  passé  de  notre  pays?  Une 
sorte  de  résumé  somm  aire  de  l'histoire  des  rois  qui  se  sont  succédé 
sur  le  trône.  Les  provinces  nous  sont  connues  au  fur  et  à  mesure 
de  leur  entrée  dans  le  domaine  royal,  au  moment  où  elles  disparais- 
sent dans  ce  grand  tout,  y  perdant  leur  vie  propre  et  leur  origina- 
lité. Qu'étaient  devenus  jusque-là  l'Aquitaine,  le  Languedoc,la  Pro- 
vence ?  Quels  étaient  d'abord  les  usages,  les  mœurs,  les  institu- 
tions, le  degré  de  culture  et  de  prospérité  de  ces  Etats,  qui  s'étaient 
dégagés  d'eux-mêmes,  par  une  heureuse  et  riche  spontanéité,  des 
ruines  de  l'empire  de  Charlemagne  ?  L'on  sait  quelques  généralités 
sur  le  rôle  de  l'Eglise,  sur  la  féodalité,  sur  les  communes,  et  c'est 
tout  pour  le  plus  grand  nombre.  Cette  indifférence  est  regrettable, 
car  il  est  mauvais  et  dangereux  d'ignorer  par  quelle  voie  ont  passé 
les  générations  qui  nous  ont  précédés,  quels  efforts  elles  ont  dû  s'im- 
poser, quels  résultats  elles  avaient  atteints,  et  comment  les  petites 
patries  provinciales  ont  contribué  au  progrès  commun  de  la  grande 
patrie. 

Les  ouvrages  tels  que  celui  de  M.  Fabrège  produisent  l'effet 
d'une  sorte  de  révélation,  d'une  évocation  de  la  vie  ancienne  de  notre 
Midi. 

*  T.  II,  p.  27,  note. 

'  T.  II,  p.  29.  Cf.  Histoire  du  Prêt  Gratuit  de  Montpellier,  1684-1891, 
par  L.  Mandon,  docteur  es  lettres,  Montpellier,  1892. 


1 7  «  BIBLI0GHAPH1E 

Cest  d'abord  une  barqae  phénidenne  oa  cartàaginoise,  montée  par 
de  hardis  rftdeurs  des  mers,  demi-corsaires,  demi-marchands,  qui  prend 
possession  de  Ttle,  et  en  fait  on  comptoir  qae  les  Gaulois  des  plages 
voisines  s*accoatnment  àfiréqnenter.  Pois  c'estla  guerre  de  deux  grands 
peuples  :  Tannée  d*Annibal,  les  légions  romaines  occupent  tour  à  tour 
M aguelone  dont  le  port  attire  les  trirèmes  aussi  bien  que  les  yaisseaux 
marchands.  Enfin  Rome  a  vaincu,  la  Narbonnaise  est  la  province  latine 
par  excellence  ;  la  grande  paix  des  rivages  de  la  Méditerranée  va  dorer 
pendant  des  siècles  :  le  christianisme  fait  la  conquête  des  âmes.  Des 
sarcophages,  des  stèles,  des  monnaies  sont  les  témoins  de  cette  époque 
prospère. 

Soudain  l'invasion  des  Huns  pousse  vers  l'occident  les  peuples  de 
l'Europe  barbare  :  sous  la  pression  de  ces  nations  guerrières,  les  fron- 
tières de  la  Romanie,  mal  défendues,  s'écroulent.  Voici  qu'après  avoir 
ravagé  l'Empire,  les  hordes  se  pressent  sur  la  route  de  l'Espagne.  A 
travers  la  Naibonnaise  passent,  saccageant  le  pays,  Alains,  Suèves, 
Vandales.  Puis  viennent  les  Wisigoths  qui  asseoient  leur  domination 
sur  la  Gaule  méridionale  et  l'Espagne  et  rétablissent  Tordre  à  leur 
profit.  Le  premier  évêque  deMaguelone  dont  nous  connaissions  le  nom, 
Boêce,  est  représenté  en  589  au  Concile  de  Tolède  qui  consacra  la 
conversion  du  roi  Wisigoth  et  de  son  peuple.  Son  successeur  Génies 
est  représenté  au  IV*  Concile  de  Tolède  qui  interdit  de  tourmenter  les 
Juifs  pour  leur  croyance  et  qui  prescrit  l'étude  du  grec. 

Un  peuple  nouveau  descend  dans  le  Midi  de  la  Gaule  et  tente  de 
l'arracher  aux  Wisigoths  :  Théodebert,  puis  Gontran,  envahissent  la 
Septimanie  qu'ils  ne  peuvent  garder.  La  paix  est  bientôt  après  troublée 
par  Tinsurrection  du  comte  Paul  qui  veut  créer  un  Etat  indépendant, 
comprenant  la  Tarraconaise  et  la  Septimanie,  provinces  qui  dès  lors 
tendaient  à  s'unir.  L'évêque  de  Maguelone,  Gunhild,  s'associe  à  la 
révolte  qui  est  réprimée  par  l'énergique  roi  Wamba.  Maguelone  fut 
assiégée,  dut  se  rendre,  et  Gunhild  qui  s'était  réfugié  à  Nimes  avec  Paul , 
subit  sans  doute  le  même  châtiment  que  le  malheureux  comte. 

Un  siècle  s'écoule.  Les  Goths,  amollis  par  une  longue  paix,  ne 
peuvent  résister  à  Tassaut  fanatique  de  Tlslam.  La  Septimanie  est 
submergée  par  le  torrent,  séparée  un  moment  de  la  chrétienté.  Mais, 
après  leur  victoire  à  Poitiers,  les  Francs  continuent  à  refouler  le  flot 
musulman.  C'est  d'abord  Charles-Martel,  qui,  sans  distinguer  entre 
les  habitants  du  pays,  ruine  et  incendie  Maguelone  comme  Béziers, 
Agde,  Nimes,  Avignon .  Les  habitants  de  1^6  sont  contraints  de  chercher 
un  asile  sur  la  terre-ferme,  à  Substantion.  Des  tombeaux  trouvés  à  Ma- 
guelone semblent  provenir  des  occupations  successives  des  Sarrasins 
et  des  Francs. 


BIBLIOGRAPHIE  177 

Magaelone  n'existera  plus  comme  cité.  Ses  évêques  néanmoins  ne 
rabandonnent  qu'à  demi,  et  s^établissent  à  Villeneuve  d'où  ils  contem- 
plaient ce  qui  subsistait  de  leur  cathédrale.  La  partie  tragique  de  son 
histoire  est  terminée:  sous  Charlemagne,  les  noirs  cavaliers  de  l'Islam 
oDt  repassé  pour  toujours  les  Pyrénées.  L*ère  de  la  paix  chrétienne 
commence. 

Au  XI^  siècle  on  n*a  plus  à  redouter  le  retour  des  Sarrasins.  L'évêque 
Arnaud  va  rebâtir  l'église  de  Maguelone,  et  le  pape  Jean  XX  l'y  en- 
courage. La  cathédrale  s'élève  rapidement,  château-fort  autant  qu'é- 
difice consacré  au  culte,  car  cette  mer  si  belle  sera  encore  longtemps 
infestée  de  pirates  musulmans.  Un  pont  la  rattache  au  continent,  où 
Tévêque  a  son  domaine  religieux  et  ses  possessions  féodales.  Du  haut 
sommet  du  monument  roman,  des  hommes  souvent  éminents,  pour  la 
plupart  d'une  piété  exemplaire,  veillent  aux  intérêts  de  toute  nature 
du  vaste  diocèse  que  leur  regard  embrassait  tout  entier,  s'arrêtant  de 
préférence  sur  la  ville  où  les  habitants  anciens  de  Maguelone  étaient 
revenus  s'établir  d'une  façon  définitive,  sur  Montpellier.  Un  lien  na- 
turel rattachait  la  cité  nouvelle  au  lieu  de  sa  première  origine  et  main- 
tenait entre  l'évêque  et  les  Montpelliérains  une  sorte  de  parenté.  Mais 
Montpellier,  avec  les  Guillems  d'abord,  puis  grâce  aux  privilèges  qu'ils 
lui  avaient  reconnus,  grandissait,  s'enrichissait,  illustre  par  ses  écoles, 
son  commerce,  ses  industries.  Le  jour  n'est  pas  loin  où  le  siège  épis- 
copal  y  sera  transféré.  Avec  le  moyen  âge,  la  destinée  de  Maguelone 
est  accomplie. 

Mais,  pour  l'histoire  et  le  poète,  Maguelone,  ainsi  abandonnée  et 
déserte,  n'est  que  plus  attrayante  : 

La  vieillesse  couronne  et  la  ruine  achève. 
Il  faut  à  l'édifice  un  passé  dont  on  rêve. 


Voulez -vous  qu'une  tour,  voulez- vous  qu'une  église 
Soient  de  ces  monuments  dont  l'âme  idéalise 

La  forme  et  la  hauteur? 
Attendez  que  de  mousse  elles  soient  revêtues, 
Et  laissez  travailler  à  toutes  les  statues 

Le  temps,  ce  grand  sculpteur  l  ^ 

Ainsi  la  cathédrale,  deux  fois  vénérable  par  les  vertus  qu'elle  a 
abritées  et  par  cette  empreinte  ineffaçable  que  les  âges  marquent  sur 
la  pierre,  ruine  chrétienne,  ruine  antique,  est  un  lieu  de  pèlerinage  où 

*  Victor  Hugo,  1'  «  Arc  de  Triomphe,  » 

12 


178  BIBLIOGRAPHIE 

ron  se  complaît  à  repasser  dans  sa  pensée  les  époques  évanouies,  en 
considérant  le  vaste  théâtre  où  se  sont  déroulés  les  événements  de 
l'histoire  du  Languedoc. 

Vers  le  Midi,  c'est  Narbonne,  déchue  aujourd'hui  de  sa  gloire,  la 
ville  forte  qu'il  fut  si  malaisé  d'enlever  aux  Sarrasins,  souvenir  con- 
sacré par  J.^7n€riZ^o<.  Vers  le  couchant,  c'est  Saint-Guillem-du-Désert, 
où  se  retira  Guillaume,  duc  d'Aquitaine,  vainqueur  des  Musulmans 
à  Villedaigne,  dont  le  souvenir  s'est  confondu  avec  celui  de  Guil- 
laume de  Provence,  de  sorte  qu'il  est  devenu  dans  TEpopée  nationale 
le  champion  le  plus  célèbre  de  la  chrétienté  avec  Roland,  l'invincible 
Guillaume  au  Court-nez,  le  héros  d'Aliscans,  l'un  des  huit  guerriers 
saints,  que  Dante  voit  se  mouvoir,  flammes  étincelantes,  sur  les  bras 
de  la  croix  où  resplendit  le  Christ.  ^  Vers  l'Est  nous  apercevons  le 
Grau  d'Aigues-Mortes  d'où  saint  Louis  partit  pour  la  croisade. 
Et  en  ramenant  notre  regard  sur  Montpellier,  nous  voyons  apparaître 
|a  grande  et  chevaleresque  figure  de  Jacques  le  Conquérant  qui  con- 
quit trois  royaumes,  gagna  trente-trois  batailles,  fonda  deux  mille 
églises,  monastères  ou  hôpitaux.  11  mourut  à  Valence,  et  demanda 
que  son  corps  fût  transporté  au  monastère  de  Poblet.  11  y  a  reposé 
de  1278  à  1835.  «  Le  tombeau  ayant  alors  été  violé,  la  dépouille  du 
conquistador  fut  recueillie  dans  le  village  de  la  Espluga  de  Francoli, 
où,  le  18  janvier  1843,  un  négociant  catalan  vint  officiellement  la 
retirer  pour  Tinhumer  dans  la  cathédrale  de  Tarragone,  dont  la  pro- 
vince et  celle  de  Barcelone  lui  érigèrent  un  monument,  style  Renais- 
sance. »  ^  L'inscription  latine  mentionne  que  Tarragone  obtint  la 
bienveillante  autorisation  de  la  reine  Isabelle:  Bénigne  annuente 
ElUabêth  II j  Ilispaniarum  regina  '. 

On  ne  sait  ce  que  Ton  doit  admirer  le  plus,  de  la  brutale  ignorance 


1  Paradiso,  c.  XVIII,  v.  46.  Lea  autres  guerriers  sont  Josué,  Judas, 
Macchabée,  Charlemagne,  Roland,  Renouart  (le  géant  Renouart  au 
Tinei  de  nos  chansons  de  geste),  Godefroy  de  Bouillon  et  Robert  Guis- 
card.  C'est  dans  ce  chant  que  Béatrix,  pour  rappeler  son  amant  à  la 
contemplation  du  spectacle  divin,  lui  dit  :  ^  Tourne- toi  et  écoute,  car  ce 
n'est  pas  dans  mes  yeux  qu'est  le  paradis.  «  Mais  Béatrix  n'est  antre 
que  la  théologie  personnifiée,  et  il  faut  entendre,  paraît-il:  guia  non 
solum  in  coniemplatione  tkeologiae  est  félicitas  et  beatitudo,  sed  etiam  in 
exemplis  valentium  virorum  ;  Scartazzini  en  est  convaincu.  Le  doute  est 
permis. 

a  T.  II,  p.  198. 

3  ibid.  note  5.  —  Dans  ces  dernières  années.  Ton  a  apposée  sur  la 
façade  de  la  Tour  des  Pins  une  plaque  de  marbre,  qui  donne  les  dates 
de  la  naissance  et  de  la  mort  du  conquistador^ 


BIBLIOGRAPHIE  179 

des  malheureux  qui  outrageaient  la  sépulture  du  libérateur  de  leurs 
pères,  de  la  nécessité  d'obtenir  l'autorisation  administrative  pour 
réparer  cet  outrage,  de  Tindifiference  de  Théritière  du  grand  homme. 
Il  est  beau  d'inscrire  au  fronton  d'un  monument  «  aux  grands 
hommes,  la  Patrie  reconnaissante!  »  et  Victor  Hugo  a  eu  raison  de 
consacrer,  en  vers  harmonieux,  le  Panthéon  à 

Ceux  qui  pieusement  sont  morts  pour  la  patrie  ; 

mais  de  Sésostris  à  Jacques,  que  de  héros  ont  été  arrachés  à  l'éternel 
repos  par  l'avidité,  la  haine  ou  simplement  par  une  curiosité  niaise  ! 
Que  de  tombes  saintes  ont  été  insultées  dans  nos  églises,  simples  pierres 
portant  un  nom  et  une  date,  ou  œuvres  de  l'art  le  plus  exquis  !  Mague- 
lone  a  eu  sa  part  de  ces  profanations  sacrilèges.  Heureuse  l'Italie  où, 
malgré  les  révolutions  sanglantes  de  ses  républiques,  les  monuments  ont 
toujours  été  respectés,  patrimoine  que  les  générations  se  transmettent 
avec  une  admiration  pieuse  ;  où  il  paraît  absurde  de  défigurer  la 
statue,  pour  se  venger  de  celui  dont  elle  conserve  l'image  ;  de  sorte 
que  les  chefs-d'œuvre  n'y  ont  souffert  que  des  injures  du  temps  qui 
vieillit  le  marbre  et  le  bronze,  mais  ne  les  détruit  pas,  les  embellit 
plutôt  en  les  revêtant  de  l'inimitable  patine  qui  en  fait  valoir  le 
modelé  I  Toute  ville  italienne  est  ainsi  un  musée. 

En  pensant  aux  évêques  et  aux  seigneurs  de  la  région  qui  reçurent 
la  sépulture  à  Maguelone,  nous  nous  rappelons  aussitôt  les  noms  de 
tous  ces  papes  que  M.  Fabrège  nous  montre  honorant  la  cathédrale 
de  leur  visite  paternelle.  Urbain  II»  après  avoir  prêché  à  Clermont  la 
première  croisade,  s'arrête  à  Maguelone  en  juin  1096  S  bénit  l'île, 
y  célèbre  la  fête  de  saint  Pierre,  patron  de  l'église  ;  l'évêque  Godfrid 
qui  l'avait  accueilli  part  lui-même  peu  de  temps  après  pour  la  Terre- 
Sainte,  y  tombe  malade  et  meurt  près  de  Tripoli  :  son  dernier  acte 
fut  d'envoyer  sa  bénédiction  à  ses  fidèles. 

Nombreux  furent^  pendant  les  croisades,  les  personnages  illustres 
qui,  avant  de  partir,  léguèrent  une  partie  de  leurs  biens  à  l'Eglise  de 
Maguelone. 

Les  temps  étaient  durs  pour  la  Papauté  qui  soutenait  avec  l'Empire 
la  guerre  des  investitures.  Gélase  II,  dès  le  premier  jour  de  son  ponti- 
ficat, est  frappé,  jeté  en  prison.  L'empereur  Henri  V  approchait, 
(jélase  et  quelques-uns  de  ses  partisans  s'enfuient  sous  les  flèches 
des  Allemands  et  ne  rentrent  à  Rome  que  lorsque  l'empereur  en  est 
parti.  Mais  les  Frangipani  assaillent  encore  le  malheureux  pape  qui 
se  résout  à  quitter  Rome  une  seconde  fois.  Après  avoir  touché  à  Pise 

'  n  venait  de  Toulouse,  où  il  avait  consacré  la  célèbre  basilique  de  Saint- 
Sernin. 


180  BIBLIOGRAPHIE 

et  à  Gênes,  il  débarque  à  Saint-Gilles  où  il  est  accueilli  par  la  noblesse 
de  la  contrée,  puis  il  se  rend  à  Maguelone.  C'est  là  que  le  trouva  un 
envoyé  du  roi  de  France,  le  célèbre  Suger  *.  Le  pape  prend  quelque 
repos  et  repart  pour  Cluny,  où  il  meurt  après  un  pontificat  d^n  an  et 
quatre  jours,  martyr  des  devoirs  que  lui  imposait  sa  haute  dignité. 

Son  successeur,  Calixte  II,  allant  au  concile  de  Toulouse,  s'arrête 
également  à  Maguelone,  en  1119. 

Le  9  février  1155,  c'est  le  roi  de  France,  Louis  VII,  qui  assiste  à 
Maguelone  aux  cérémonies  du  chapitre  et  déclare  à  l'évêque  et  à  la 
communauté  qu'il  prend  sous  sa  protection  tous  les  biens  présents  et 
futurs  de  celte  église. 

Mais  voici  un  Anglais,  Nicolas  Brakespeare,  plus  tard  Adrien  IV  : 
il  est  simple  clerc  à  Mauguio,  et  c'est  à  titre  d'hôte  étranger  qu'il  est 
reçu  à  Maguelone.  Un  grand  nom  clôt  cette  liste  authentique  de 
visiteurs  illustres.  —  Alexandre  III,  chassé  dltalie  par  Frédéric 
Barberousse  et  l'antipape  Victor  II,  aborde  à  Maguelone,  le  11  avril 
1 162,  avec  une  suite  de  cardinaux  et  d'évêques,  consacre  le  maître* 
autel,  est  reçu  triomphalement  à  Montpellier  par  Guillem  VII.  Il 
tient  un  concile  à  Montpellier,  et  demeure  en  France  jusqu'à  ce  que 
la  mort  de  l'antipape  le  décide  à  revenir  en  Italie.  C'est  à  Maguelone 
qu'il  s'embarqua  dans  des  circonstances  dramatiques  :  peu  s'en  fallut 
qu'une  flottille  impériale  ne  s'emparât  de  sa  personne  ^. 

11  est  à  présumer  que  d'autres  papes  vinrent  aussi  à  Maguelone, 
bien  que  nous  n'en  ayons  pas  de  sûr  témoignage  :  Nicolas  IV,  qui 
érigea  les  Facultés  de  Montpellier  en  Studium  générale;  Clément  V, 
qui  séjourna  deux  fois  à  Montpellier.  D'autres  avaient  appartenu  au 
clergé  ou  aux  écoles  de  Montpellier:  Clément  IV,  qui,  comme  légat 
du  pape,  conféra  la  licence  en  droit  à  la  Salle-l'Evêque,  Jean  XXI, 
ancien  élève  de  l'Ecole  de  médecine,  Urbain  V,  professeur  pendant 
vingt  ans  de  droit  canon  à  l'Ecole  de  droit. 

Les  papes  aimaient  cette  petite  île,  sentinelle  avancée  sur  la 
Méditerranée  de  la  France  catholique,  de  la  France  en  qui  ils  voyaient 
un  point  d'appui  contre  les  prétentions  germaniques  au  gouvernement 
de  l'Eglise  et  de  l'Italie.  Ils  se  plaisaient  à  confirmer  et  à  augmenter 


*  Ce  voyage  de  Suger  nous  a  valu  une  description  de  Maguelone  :  appli- 
cuit  Magalonam,  arctam  in  pelago  insulam,  eut  super  est,  solo  episcopo, 
ciericis  et  rara  familia,  contempta,  singularis  et  privata^  muro  tamen^ 
propter  mare  commeantium  Sarrecenorum  impetus,  munitissima  civitas, 
Sugerii  abbatis  vita  Ludovici  Grossi,  ap.  Dom  Bouquet,  Historiens  de  la 
France,  t.  XII,  p.  46  ;  Fabrège,  I,  p.  215. 

2  Fabrège,  I,  p.  283. 


BIBfiIOGRAPHIE  181 

les  privilèges  d^un  évêché  et  d*un  chapitre  dont  Torthodoxie  et  la 
fidélité  aa  Saint-Siège  ne  se  démentirent  jamais.  Par  les  noms 
d^hommes  tels  qu'Urbain  II,  Calizte  II  et  Alexandre  III,  Thistoire  de 
Maguelone  se  rattache  à  l'histoire  universelle,  et  je  ne  sais  pas  de 
lieu  où  l'on  éprouve  un  sentiment  plus  intense  de  ce  que  fut  TEiirope 
chrétienne  au  moyen  âge  :  l'invasion  barbare,  la  lutte  avec  l'Islam, 
les  croisades,  leffort  de  la  Papauté  pour  recouvrer  son  indépendance, 
cette  éclosion  d'Universités  à  laquelle  ont  une  part  si  belle  les  Ecoles 
de  Montpellier,  sous  le  patronage  de  l'évoque  de  Maguelone  ;  et,  à 
côté  de  l'œuvre  de  TEpiscopat,  celle  desGuillems  et  de  la  bourgeoisie 
laborieuse  et  intelligente  de  Montpellier.  Dans  le  lointain  d'abord,  puis 
se  rapprochant  tous  les  jours  davantage  :  le  roi  de  France. 

L'histoire  de  Maguelone  est  bien  un  chapitre  de  notre  histoire 
nationale,  et  il  méritait  d^être  écrit. 

Tout  en  employant  ses  loisirs  à  composer  l'histoire  de  Maguelone, 
M.  Fabrège  a  voulu  faire  encore  davantage  pour  l'antique  évêché  et 
pour  Montpellier.  11  a  décidé  la  publication  du  Cartulaire  de  Mague- 
lone, recueil  d'une  valeur  inestimable,  comprenant  des  documents  de 
toute  origine,  qui  a  été  constitué  au  XIV^  siècle.  Cette  publication, 
confiée  à  la  science  et  au  dévouement  de  M.  Berthelé,  comprendra 
quatorze  ou  quinze  volumes  in-4<*.  Le  nom  de  M.  Berthelé  nous  est 
une  garantie  que  l'on  trouvera  dans  cette  œuvre  de  bénédictins  le 
plus  précieux  instrument  de  recherches  et  de  travail. 

Propriétaire  de  Maguelone,  M.  Fabrège  croit  qu'il  a  une  dette 
particuhère  envers  ce  lieu  vénérable:  il  ne  pouvait  l'acquitter  avec 
un  plus  généreux  désintéressement  ni  donner  un  plus  bel  exemple 
d'intelligent  patriotisme. 

Ferdinand  Gastbts. 


Schnchardt  (H.).  —  Romanische  etymolooien,  II,  WieUt  1899,  in-8* 
[222  p.].  (Extrait  des  Sitzungsberichte  der  kais.  akademie  der  wissen- 
s:haf'ten  in  Wien^  Philosophisch-historische  classe^  band  GXLI). 

Reprenant  dans  la  Grôbers  Zeitschr.,  XXV,  p.  244  sqq.  un  des 
points  de  détail  qu'il  avait  esquissés  dans  l'ouvrage  dont  nous  allons 
rendre  compte,  M.  Schuchardtse  plaint  de  n'avoir  pas  rencontré  l'ac- 
cueil qu'il  méritait,  et  nous  pensons  en  effet  que  certains  ont  traité  son 
étude  avec  trop  de  légèreté  ou  de  désinvolture. 

La  métode  employée  dans  ce  second  fascicule  est  la  même  que 
dans  le  premier  (voyez  Revue  des  langues  romanes,  1899,  p.  564). 
L'auteur  commence  par  revenir  sur  cette  métode  pour  la  justifier,  & 


182  BIBUOGRÂPHIE 

montre  surtout  combien  il  faut  se  défier  des  conclusions  que  Ton  peut 
être  tenté  de  tirer  des  mots  relativement  aux  choses,  et  qu^il  est 
indispensable  de  bien  connaître  les  objets  désignés  par  les  mots  et 
l^istoire  de  Tapplication  de  ces  mots  à  tels  ou  tels  objets.  C'est  une 
vérité  que  personne  n'ignore,  mais  il  faut  bien  avouer  que  la  plupart 
des  chercheurs  d*étimologies  n'en  ont  qu'un  médiocre  souci. 

A  l'appui  de  sa  téorie,  M.  Schuchardt  revient  tout  d'abord  sur 
quelques  étimologies  dont  il  s'était  occupé  autrefois,  et  entre  autres 
sur  celle  du  mot  gilet,  dont  il  rend  l'origine,  iurcjéleJCf  désormais 
indiscutable;  puis  il  essaie  d'établir  celle  du  mot  cloche,  ou  plus  exac- 
tement de  lat.  vulg.  *clocca.  C'est  ici,  à  nos  ieux,  la  pièce  de  résis- 
tance, et  nous  i  reviendrons  tout  à  l'eure  avec  quelque  détail. 

Après  cette  première  partie  (53  pages),  l'auteur  étudie  comme 
application  de  la  métode  qu'il  vient  d'illustrer  ainsi  qu'il  a  été  dit, 
l'origine  du  mot  fr.  trouver  et  de  ses  frères  romans.  Il  montre  que 
ft«r6ar€  pouvait  devenir  *iruhare,  que  truhare  pouvait  à&wemv  *trohare 
&  même  qu'un  'trçhare  sortant  de  turbare  pouvait  devenir  prov.  iro- 
bar  ;  il  montre  au  point  de  vue  sémantique  comment  tous  les  seas  de 
fr.  trouver f  it.  trovare^  prov.  trobar,  lad.  truvar  ont  pu  sortir  du  sens 
latin  de  turbare  ;  mais  ce  ne  sont  là  que  des  possibilités  et  l'on  ne  peut 
pas  dire  que  l'étimologie  turbare  est  démontrée.  Puis,  il  reste  une 
ombre  à  l'orizon,  c'est  *tropare,  qui  au  point  de  vue  fonétique  est 
indiscutable.  Sans  doute  cette  forme  schématique  a  contre  elle  que 
son  origine  et  par  suite  sa  signification  primitive  seraient  fort  obscures, 
et  d'autre  part  qu'on  ne  voit  pas  bien  quel  besoin  le  roman  aurait 
éprouvé  d'aller  chercher  dans  un  domaine  étranger  au  latin  un  mot 
pour  exprimer  l'idée  de  «  trouver  ».  Mais  ces  arguments  ne  suffisent 
pas  pour  écarter  définitivement  *tropare.  Certainement  tout  ce  qu'on 
pouvait  dire  en  faveur  de  turbare  se  trouve  dans  le  travail  de 
M.  Schuchardt;  mais  il  n'aboutit  pas  à  démontrer  réellement  son 
ipotèse  parce  qu'elle  n'est  pas  démontrable.  Notre  connaissance  du 
vocabulaire  latin  vulgaire  a  de  grandes  lacunes  &  *tropare  n'est  pas 
condamnable  par  défaut.  La  conclusion  à  tirer  de  cette  étude  est,  à 
notre  avis,  la  suivante  :  trouver  sort  de  turbare,  à  moins  que  'tropàre 
n'ait  existé.  11  conviendra  de  s'en  tenir  là  jusqu'au  jour  où  surgira 
quelque  argument  nouveau  en  faveur  de  l'un  des  deux  concurrents, 
—  mais  on  ne  voit  pas  trop  d'où  cet  argument  pourrait  sortir. 

Revenons  à  'clocca.  C'est  une  recherche  tout  à  fait  analogue  à  la 
plupart  de  celles  que  nous  avons  faites  dans  la  troisième  partie  de 
notre  livre  sur  La  dissimilation,  et  nous  sommes  très  eureux  de  voir 
que  son  auteur  aboutit  d'une  manière  générale  aux  mêmes  résultats 
que  nous,  bien  qu'il  n'ait  pas  connu  notre  travail  (cf.  p.  210)  au 


BIBLIOGRAPHIE  ISS 

moment  où  il  a  fait  le  sien.  Son  champ  d'études  n*est  pas  aussi  vaste 
que  le  nAtre  en  ce  sens  qu'il  ne  remonte  pas  aussi  aut  &  ne  s*étend 
pas  aussi  loin,  mais  il  est  moins  limité  parce  que  M.  Schuchardt 
ajoute  aux  fénomènes  de  dissimilation,  ceux  d'assimilation  et  de 
métatèse.  Il  n'expose  aucune  téorie,  mais  de  Tordre  même  dans  lequel 
il  présente  les  exemples,  il  serait  facile  de  déduire  celle  qu'il  possède 
évidemment  par  devers  lui. 

Il  signale  tout  d'abord  la  possibilité  de  tirer  *clocca  du  verbe  ono- 
matopéique  *cloccare^  en  constatant  à  bon  droit  que  cette  explica- 
tion est  en  somme  satisfaisante  ;  mais  il  s'empresse  d'ajouter  qu'elle 
n'est  pas  la  seule  possible,  et  il  va  s'efforcer  de  démontrer  que  *  clocca 
sort  de  cochlea.  Il  commence  par  dresser  un  tableau  des  formes 
auxquelles  pouvait  donner  naissance  cochlea^  c'est-à-dire  lat.  vulg. 
cocUa^  codia  .  Trois  formes  pouvaient  en  sortir  directement  :  coda, 
coMla,  docia.  De  la  première  coda  peuvent  sortir  directement  cocula 
&  doca  ;  de  cocula  on  peut  tirer  coca  ;  du  mélange  de  cloca  avec  coda 
sort  docla  ;  du  mélange  de  cocula  avec  coda  sort  codula  ;  du  mé- 
lange de  cocula  avec  cloca  sort  clocula  ;  du  mélange  de  codula  avec 
clocula  sort  doclula.  De  la  seconde  forme  coJeila ,  sort  directement 
cocila,  de  cocila  sort  cocula  ;  de  cocula  on  peut  tirer  coca  ;  d'autre 
part  cocula  peut  devenir  par  simple  métatèse  éocula  ;  enfin  le  même 
cocula  en  se  mélangeant  avec  la  troisième  forme  docia  peut  donner 
clocula.  Ge  tableau  est  irréprochable  et  nous  pouvons  le  signaler 
comme  un  modèle,  mais  un  modèle  qui  ne  peut  servir  que  pour 
les  mots  à  redoublement,  réel  ou  apparent.  Il  repose  sur  une  série 
de  déductions  rigoureuses  qui  répondent  bien  au  développement 
ordinaire  des  langues ,  quoiqu'elles  paraissent  légèrement  en  con- 
tradiction avec  ce  que  prétend  démontrer  M.  Schuchardt  :  «  wie 
wenig  aile  Gesetze  des  Laut-  und  des  Bedeutungswandels  fiir  die 
geschichtliche  Erklârung  der  Wôrter  ausreichen  »  (p.  13).  Ces 
étemelles  discussions  sur  les  lois  du  langage  sont  surtout  affaire 
de  mots  et  de  définitions.  La  métatèse  et  l'assimilation  obéissent 
à  des  lois,  tout  comme  la  dissimilation  ;  seulement,  ces  lois,  comme 
toutes  celles  du  langage,  sont  des  possibilités;  nous  nous  sommes 
suffisamment  étendu  sur  ce  point  dans  notre  Dissimilation,  pour 
qu'il  n'i  ait  pas  lieu  d'i  revenir  ici. 

Voilà  donc  les  diverses  formes  auxquelles  cochlea  pouvait  donner 
naissance.  On  voudra  bien  remarquer  tout  d'abord  que  *  clocca  ne 
figure  pas  dans  le  tableau,  puis  se  poser  cette  question  :  ces  for- 
mes qui  pouvaient  sortir  de  cochlea  en  sont-elles  effectivement 
sorties?  M.  Schuchardt  croit  répondre  suffisamment  en  montrant, 
avec  la  profonde  érudition  et  la  richesse  d'exemples  qu'on  lui  connaît. 


184  BIBLIOGRAPHIE 

que  chacune  de  ces  formes  est  représentée  dans  les  langues  romanes 
par  des  mots  dont  la  signification  n'est  nullement  incompatible  avec 
celle  de  cochlea.  Le  fait  qu'un  mot  pourrait  remonter  à  telle  forme  ne 
prouve  pas  qu'il  en  descende  réeliemeut  ;  fr.  foin  aurait  pu  sortir  de 
*foniu,  si  *foniu  avait  existé,  mais  il  sort  defênu.  il  i  a  donc  une 
lacune  dans  le  raisonnement  de  notre  auteur  ;  il  en  doit  résulter 
une  certaine  défiance,  que  l'examen  du  détail  peut  seul  anéantir  ou 
confirmer. 

La  première  forme  examinée  est  *  cocUiy  avec  son  doublet  *  coccla, 
qui  n'en  diffère  que  par  la  coupe  des  sillabes.  11  est  incontestable 
que  *  coda  pouvait  sortir  de  cochlea,  mais  le  grec  possédait  xàj^oç, 
Qu*est'Ce  qui  nous  prouve  que  le  latin  vulgaire ,  dont  le  vocabulaire 
nous  est  en  grande  partie  inconnu,  répétons-le,  n'avait  pas  emprunté 
ce  mot  au  grec,  et  n'en  avait  pas  tiré  un  féminin  *cocla  ?  A  côté  de 
de  *  cocla  nous  avons  un  autre  doublet  *  caclu,  *  cacla,  qui  nous  amène 
au  point  repris  .dans  la  Grohers  Zeitschr.,  1.  1.  Cet  échange  d'à  avec  o 
est  une  simple  apofonie  que  M.  Schuchardt  signale  avec  raison  à 
plusieurs  reprises^  au  grand  scandale,  paraît-il,  de  quelques-uns  de 
ses  lecteurs.  Nous  i  avions  déjà  fait  allusion  en  1895  dans  notre 
Dissimilation ,  p.  170  sqq.  et  nous  pouvons  aujourdui  renvoyer 
pour  ce  qui  la  concerne  à  nos  Onomatopées  et  mots  expressifs,  ci- 
dessus  pp.  100, 128,  146.11  s'agit  d'établir  l'origine  de  îv,chail,  caillou 
&  de  leurs  congénères.  On  al'abitude  de  ne  pas  séparer  ces  deux  mots, 
et  M.  Schuchardt  ne  veut  pas  les  séparer  non  plus,  tout  en  concé- 
dant qu'il  n'i  a  rien  qui  empêche  absolument  de  le  faire.  Mais  il 
Jes  tire  tous  deux  de  cochlea,  et  ici  nous  avons  des  doutes.  On 
rapporte  d'ordinaire  chail  à  calculus ,  devenu  par  dissimilation 
*  caclu  [La  dissimilation,  p.  60  sqq.)  et  chaille  à  son  féminin  "  cacla  ; 
pourquoi  pas?  Pour  tirer  de  *  caclu  ou  *  cacla,  quelle  qu'en  soit  l'ori- 
gine, la  forme  caillou,  il  faut  arriver  à  un  dérivé  *  caclacu  ou  *ca^lagu  ; 
mais  où  est  le  modèle  de  ce  dérivé?  Où  le  latin  avait-il  un  suffixe 
'Ocu  ou  agu  ?  Le  grec  possède  dans  le  même  sens  xa;^'À>jJ,  c'est-à-dire 
Xft;(>âf  ;  qu'est-ce  qui  prouve  que  le  latin  vulgaire  n'avait  pas  pure- 
ment et  simplement  emprunté  ce  mot  ? 

La  plupart  des  formes  considérées  par  M.  Schuchardt  pourraient 
donner  lieu  à  des  observations  du  même  genre.  Nous  nous  contente- 
rons de  les  avoir  signalées  pour  la  première  forme. 

A  la  troisième  forme  *clocta,  l'auteur  rattache  vfr.  cruche  «  coquille 
de  noix  »,  cruise,  &c.,et  ail.  krause  «  pot  à  boire»,  kràu8el,&c,,  puis 
à  la  cinquième  forme,  'clocay  fr.  cruche  «  vase  de  terre  ou  de  grès 
d'une  certaine  forme  »,  ags.  crôg,  &c.  11  i  a  là  deux  difficultés,  l'une 
relative  au  consonantisme,  l'autre  au  vocalisme.  On  ne  voit  pas  pour- 


BIBLIOGRAPHIE  1 86 

quoi  des  langaes  romanes  auxquelles  le  groupe  cl  est  très  familier 
l'auraient  dans  ces  mots  remplacé  par  cr.  S'ils  n'étaient  entrés  dans 
les  langues  romanes  où  on  les  trouve  que  par  l'intermédiaire  du  ger- 
manique, ce  qui  n'est  pas  l'opinion  de   M.  Schuchardt,  leur  groupe 
cr  ne  demanderait  pas  d'explication  ;  mais  il  faudrait  alors  montrer 
pourquoi  et  comment  les  langues  germaniques  qui  sont  abituées  au 
groupe  kl  par  leurs  mots  indigènes  &  qui  le  conservent  intact  dans 
ceux  qu'elles  empruntent  au  latin  (cf.  p.  ex.   ail.  klausé),  l'auraient 
changé  en  kr  dans  ces  mots.  D'autre  part  vfr.  cruche  «  coquille  de 
noix  »  paraît  accuser  un  il  bien  net  que  Ton  ne  peut  pas  rapporter 
sans  justification  à  Vo  de  'clocia.  Quant  à  Vu  de   l'autre  mot  cruche 
«  vase  »,  qui  ne  fait  aucune  difficulté  lorsqu'on  tire  ce  mot  de  franciq. , 
V.  sax.  krûkay  il  surprend  étrangement  quand  on   veut  remonter  à 
*cloca.A\\.  krug,  c'est-à-dire  vha.  kruoÇfChruoc  et&ga.crôg  supposent 
une  forme  *krôgu-  dont  Vo  ne  peut  pas  être  tiré  de  celui  de  *oloca,  car  un 
*  chca  sortant  de  côchlea  ne  peut  être  que  *cloca.  Sans  doute  ce  *krôgu' 
est  en  germanique  un  emprunt;  mais  on  ne  voit  pas  bien  ce  qui  peut 
induire  à  s'adresser  à  lat.  vulg.  *cloC'  alors  qu'on  a  la  forme  deman- 
dée hrôk-  dans  gr.  xpû)(T(T(5ç  «  vase,  urne  »  ^  *  xpcox-coç .   Non    que 
nous  supposions  que  l'emprunt  ait  été  fait  parle  germanique  au  grec  ; 
mais  puisque  ce  krôk-  existe  en  grec  avec  cette  signification,  il  n'est 
pas  impossible  qu'il  ait  été  possédé  aussi  par  quelque  autre  langue 
indo-européenne  où  la  tradition  ne  nous  l'a  pas  livré,  mais  où  le  ger- 
manique l'aurait  pris. 

Ceci  nous  ramène  a  *clocca.  De  cochlea  pouvait  sortir  *clocaf  mais 
non  'clçcca.  Si  devant  un  l  la  duplication  du  c  s'explique  sans  diffi- 
culté, comme  nous  l'avons  vu  tout  à  l'eure  à  propos  de  *cocla,  *coC' 
c2a,  il  n'en  est  pas  de  même  quand  le  c  est  intervocalique.  Lorsqu'il 
s'agit  de  *coca,  *cocu  devenant  *coccaf  *coccUy  le  voisinage  de  coccurriy 
gr.  xdxxoç,  xoxxallioç,  &c.  suffit  à  justifier  la   seconde    forme;    mais 
*cloca  est  isolé.  Nous  n'avons  d'exemples  sûrs  de  l'alternance  d'une 
occlusive  simple  avec  une  occlusive  double,  entre  voyelles  et  après 
l'accent,  que  ceux  du  tipe  cûpa,  cuppa  ;  c'est  dire  que  *clocca  pour- 
rait correspondre  à  un  plus  ancien  *clôca.  Or  nous  avons  *klôk-^  avec 
une  signification  très  satisfaisante  pour  le  cas  particulier,  dans  le 
groupe  gr.  xXoxjow,  got.  hlahjan,  hlôhy&gs.  hleahtor. 

Ce  que  nous  opposons  aux  conclusions  de  M.  Schuchardt,  on 
vient  de  le  voir,  ce  sont  plutôt  des  doutes  que  des  faits.  11  n'est  pas 
arrivé  à  une  démonstration,  et  nous  ne  pouvons  pas  lui  opposer  une 
"^^oûstation  contraire.  Les  questions  soulevées  sont  par  leur  nature 
'"eme  indémontrables:  nous    n'avons  pour  retrouver  l'origine   de 


18«  BIBLIOGRAPHIE 

*clocca  que  des  indices  plas  ou  moins  ipotétiques  et  nous  sommes 
obligés  de  combler  par  des  suppositions  les  lacunes  d*un  vocabulaire 
en  ruines.  Les  réserves  que  nous  avons  faites  et  les  doutes  que  nous 
avons  émis,  n'ôtent  rien  au  mérite  du  livre  de  M.  Schucbardt,  l'un  des 
plus  originaux  qui  aient  paru  depuis  plusieurs  années.  La  solution 
des  problèmes  qu'il  a  posés  est  à  proprement  parler  irréalisable,  mais 
à  la  poursuivre  il  a  semé  sa  route  d'observations  utiles  et  de  rappro- 
chements suggestifs.  Sans  doute  son  étude  sur  trouver  tourne  à  un 
certain  moment  à  un  article  sur  Fis  toi  re  de  la  pèche  ;  il  n'est  pas 
nécessaire  que  Tétimologiste  expose  à  son  lecteur  tous  les  détails  de 
ses  recherches,  quand  leurs  résultats  pourraient  suffire  à  Téclairer  ; 
maiat  M.  Schuchardt  a  montré  comment  on  doit  fouiller  les  questions 
de  sémantique.  Il  faut  donc  reconnaître,  même  en  n'acceptant  pas 
ses  conclusions,  que  son  livre  est  très  remarquable;  aussi  n'en  sau- 
rions nous  trop  recommander  la  lecture  :  tous  i  pourront  profiter. 

Maurice  Grammont. 


Paris  (G.).  —  Ficatum  en  roman,  23  p.  (Estratto  dalla  Miscellanea  lin- 
guistica  in  onore  di  G.  Ascoli,  Tori?io,  E.  Loescher^  1901). 

La  dernière  fois  qu'il  m'a  été  donné  d'assister  à  une  séance  de  la 
Société  de  Linguistique,  le  14  mars  1896,  j'ai  eu  la  bonne  fortune  d'i 
entendre  une  communication  de  M.  G.  Paris  sur  les  différentes  formes 
qui  ont  donné  naissance  au  mot  foie  et  à  ses  frères  romans.  Frappés 
de  la  netteté  et  de  la  logique  avec  laquelle  venait  d'être  exposée  cette 
question  si  difficile  et  si  embrouillée,  plusieurs  d'entre  nous  engagèrent 
vivement  le  maître  en  le  quittant  à  publier  les  résultats  de  son  étude. 
Notre  désir  vient  d'être  satisfait.  L^article  que  j'extrais  des  Miscellanea 
linguistica  en  l'onneur  de  M.  Ascoli  est  bien  ce  que  nous  avions 
entendu,  augmenté  des  développements  et  des  justifications  que  ne 
comportait  pas  une  simple  causerie. 

M.  Paris  commence  par  établir  les  diverses  formes  qui  sont  repré- 
sentées dans  les  langues  romanes,  à  savoir  :  1  fîcâtum,  2  ficatum, 
d'où /ïciïwm  (non  représenté),  d'où,  ftctdum,  à'oiifîdîcum,  Sfëcàtum, 
^fëcàtum,  d'où  fecîtum  (non  représenté),  d'où  fêtîcum  &fêctdum  (non 
représenté),  d'odfédîcurrk.  Il  explique  avec  une  grande  rigueur  l'ori- 
gine de  chacune  de  ces  formes  en  particulier,  et  le  point  capital  et 
véritablement  neuf  est  ici  l'étude  de  ce  que  devient  l'accent  grec 
dans  les  mots  empruntés  par  le  latin.  Les  proparoxitons  de  la  liste 
précédente,  où  Ton  avait  trouvé  jusqu'à  présent  une  difficulté  insur- 
montable, sont  désormais  clairement  expliqués. 


BIBLIOGRAPHIE  187 

Apres  avoir  étudié  les  formes,  M.  Paris  cherche  à  établir   leur 
filiation.  C'est  une  de  ces  questions,  comme  la  plupart  de  celles  qu'a 
traitées  M.  Schuchardt  dans  le  livre  dont  je  rendais  compte  tout  à 
l'eare,  où  les  points  de  repère  nous  manquent  et  où  Tinconnu  tient 
tant  de  place,  qu'on  ne  peut  en  définitive  aboutir  qu'à  une  ipotése, 
ou  à  diverses  ipotèses.  La  meilleure,  c'est  la  plus  vraisemblable.  Voici 
celle  de  l'auteur:  ^uxurôv  aurait  donné  en  latin  par  traduction  ficâtum, 
mais  8y*cotum  existait  à  côté  de  lui  par  emprunt  pur  et  simple,  et  cette 
dernière  forme  aurait  réagi  sur  fîcâtum  à  diverses  reprises  de  façon 
a  le  transformer  en  fêcâtum  d'une  part,  et  d'autre  part  en  fîcàtum  et 
fêcâtum,  A  côté  de  cette  ipotèse  M.  G.  Paris  nous  en  offre  une  autre, 
note  94  :  M.  L.Havet,  qui  a  lu  cette  étude  en  épreuves,  se  représente 
la  filiation  d'une  autre  manière.  Pour  lui  aruxwrdv  aurait  donné  ficÔtum 
par  simple  mélange  avec  fîcua,  et  ce/îcdtum  serait  devenu  par  la  suite 
ftcâium  et  fîcïtum  à  cause  de  l'impression  étrange  que  devait  faire 
à  un  Latin  la  finale  -ôtum.  Ficâtum  serait  postérieur  et  dû  à  une  in- 
fluence plus  ou  moins  savante.  Enfin  les  formes  qui  commencent  par 
/&-  au  lieu  deytc-«  pourraient  être  dues  à  un  vague  rapprochement  avec 
faex,  à  cause  de  la  couleur  lie  de  vin  du  foie  ». 

Il  me  semble  qu'entre  ces  deux  ipotèses  il  i  a  place  pour  une  troi- 
sième qui  les  combine  dans  une  certaine  mesure,  mais  en  diffère  nota- 
blement. Elles  se  distinguent  surtout  Pune  de  l'autre  en  résumé  en 
ce  que  dans  la  première  ficâtum  est  un  point  de  départ  et  dans  la 
seconde  un,  aboutissement.  La  première  n'est  pas  vraisemblable,  parce 
que  du  jour  où  fîcâtum  existe  en  latin,  il  a  un  caractère  tellement 
latin  et  il  est  tellement  transparent  pour  un  Latin,  qu'il  reste  inatta- 
quable ;  jamais  une  forme  aussi  singulière  et  d'aspect  aussi  étranger 
que  èécotum  ne  pourra  agir  sur  lui  de  façon  à  faire  remonter  son 
accent,  a  abréger  sa  seconde  sillabe  et  même  à  changer  son  i  en  ê. 
A  plus  forte  raison  ce  ficâtum  ne  pourra  pas  devenir  ficotum  (p.  11), 
c'est-à-dire  sans  doute  ficotum,  qui  est  une  forme  absolument  barbare 
pour  un  Latin.  Il  est  probable  que  ces  difficultés  ont  été  senties  par 
M.  Havet  et  que  ce  sont  elles  qui  l'ont  déterminé  à  renverser  l'ordre 
des  facteurs  ;  mais  dans  l'ipotèse  de  ce  dernier,  il  faut  rejeter  l'in- 
fluence de/aeaf,  qui  est  peu  vraisemblable  au  point  de  vue  sémantique 
et  inadmissible  au  point  de  vue  fonétique,  ae  latin  devenant  è  et  non 
pas  é  en  roman.  Cet  é  (é)  est  un  représentant  normal  de  gr.  u  ; 
M.  Paris  l'a  démontré,  p.  Il  &  12.  Dès  lors  ce  second  échafaudage 
s'écroule,  parce  que  les  formes  avec  ê  restent  sans  explication  &  que 
ficâtum  ou  fîcïtum  n'ont  pas  de  raisons  sérieuses  de  devenir  fîcâtum, 

A  mon  avis,  il  faut  séparer  nettement /tcà^um  des. autres  formes. 
Ce  ficâtum  n'est  qu'une  traduction  élénoent  à.  élément  de  aviunàv, 


188  BIBLIOGRAPHIE 

tout  à  fait  comparable,  quoique  populaire  sans  doute  dans  une  cer- 
taine mesure,  à  celle  qui  a  fait  du  latin  pronomen  Tallemand/ânoori. 
Les  autres  formes  constituent  une  série,  dont  nous  ne  saurions  dire  si 
elle  est  antérieure  ou  postérieure,  mais  qui  est  à  part.  Jlvxanàv  devait 
devenir  en  latin,  indépendamment  de  toute  influence,  *  sëeoium;  grâce 
à  ficus  ce  *  sêcôtum  devient  instantanément  *  fëcotum  comme  crassus 
devient  grassus  en  se  mélangeant  avec  grossus  ;  de  ce  *  fëcotum  sor- 
tent tout  naturellement  fécàtum,  fécttum,  &c.  C'était  là  une  manière 
d'éviter  ce  ''  sêcôtum  quMl  fallait  écarter  à  tout  prix  à  cause  de  son 
aspect  extraordinaire  ;  mais  on  pouvait  en  sortir  autrement.  En  effet, 
dans  d'autres  régions,  le  même  ficus  vient  se  mélanger  avec  lui 
d'une  façon  plus  profonde,  et  lui  donne  aussi  sa  première  voyelle 
comme  en  italien  porco  a  donné  la  sienne  à  sporco  de  spurcus.  De  là 
ficëtum  qui  évolue  de  son  côté  comme  *  fëcotum  pour  devenir  yïcâ^ttm, 
ficttum,  &c.  11  ne  manque  au  tableau  que  fëcâtum,  forme  peu  sûre 
(cf.  p.  3,  &  notes  31,  32,  33),  et  à  laquelle,  pour  ma  part,  je  ne  crois 
pas.  Il  est  invraisemblable  qu'un  *fëcâtum  ne  soit  pas  devenu  instan- 
tanément ficôtum.  Selon  toute  apparence  c'est  à  une  époque  tardive 
qxuefécato  est  devenu  fecàto  sous  l'influence  des  nombreux  mots  en 
^àto,  comme  l'indique  M.  Paris,  note  33. 

Maurice  Grammont. 


Marias  Sopet,  Origines  catholiques  du  théâtre  moderne,  Paris,  Lethiel- 
leux,  1901,  8. 

Le  nouvel  ouvrage  de  M.  Marins  Sepet  :  Origines  catholiques  du 
théâtre  moderne,  est  un  recueil  d'articles  qui  s'étagent  depuis  1901 
jusqu'en  1878,  date  où  avait  paru  un  recueil  du  même  genre  publié 
par  le  même  auteur  :  le  Drame  chrétien  au  moyen  âge.  Ce  mode  de 
publication  a  des  inconvénients  faciles  à  constater:  répétitions,  la- 
cunes, manque  de  proportion,  contradictions  même  parfois  ;  mais  ces 
défauts  sont  fort  atténués  lorsque  l'auteur,  au  lieu  de  réunir  tardi- 
vement sous  un  titre  commun  des  études  qui  dans  sa  pensée  avaient 
été  d'abord  bien  distinctes,  s'est  au  contraire  toujours  proposé  de  faire 
un  livre,  en  a  patiemment  et  dans  toutes  les  occasions  amassé  les 
matériaux,  et  ne  manque  guère  qu'à  fondre  en  un  tout  parfaitement 
suivi  ce  qu'il  a  ainsi  accumulé.  Or  tel  est  le  cas  de  M.  Sepet,  qui, 
depuis  son  Drame  chrétien,  et  auparavant  même,  depuis  son  remar- 
quable mémoire  sur  les  Prophètes  du  Christ  dans  le  théâtre  du  moyen 
i\ge,  était  résolu  à  écrire,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  le  livre 
qu'il  nous  donne  actuellement. 

Et  ce  livre,  en  effet,  s'il  n*est  pas  aussi  complet  que  l'eût  pu  faire 


BIBLIOGRAPHIE  189 

son  savant  aateur,  forme  du  moins  un  ensemble  très  net  et  très  inté- 
ressant. La  première  partie  nous  montre  le  théâtre  du  moyen  âge 
prenant  naissance  dans  les  drames  liturgiques  et  les  jeux  scolaires, 
dont  certains  spécimens  caractéristiques  sont  ici  étudiés  avec  un  soin 
extrême.  —  Dans  la  deuxième  partie,  nous  voyons  le  mystère  s'étendre, 
en  prenant  de  plus  en  plus  la  forme  cyclique,  depuis  les  premiers 
drames,  courts  et  raides,  en  langue  vulgaire  jusqu'à  la  Passion,  longue 
de  trente  quatre  mille  vers,  d'Arnoul  Gréban.  Deux  chapitres  sont 
consacrés  aux  jeux  dramatiques  de  la  Fête-Dieu  et  aux  origines  du 
théâtre  en  Italie.  —  La  Comédie  est  étudiée  de  façon  plus  brève.  Mais 
les  origines  en  sont  ingénieusement  démêlées,  et  les  destinées  indi- 
quées, dans  trois  chapitres  sur  la  moralité,  la  sotie  et  la  farce.  —  Et 
enfin  voici  la  Renaissance,  à  peine  sensible  dans  les  comédies  chré- 
tiennes de  Marguerite  de  Navarre,  puis  ne  faisant  plus  qu'une  bien 
faible  part  à  l'art  du  moyen  âge  dans  une  tragédie  latine  de  Jeanne 
d'Arc  et  dans  nos  premières  tragédies  françaises. 

Ce  qui  contribue  à  Tunité  de  Touvrage,  ce  sont  les  idées  directrices 
et  les  préoccupations  constantes  de  Tauteur. 

Pour  M.  Marins  Sepet,  Tétude  littéraire  des  œuvres  dramatiques  ne 
se  sépare  jamais  d'une  soigneuse  enquête  sur  les  conditions  où  elles 
se  sont  produites,  les  acteurs  —  clercs  ou  laïques,  bourgeois  ou  baso- 
chiens  —  qui  les  ont  représentées,  la  mise  en  scène  qui  les  a  enca- 
drées. L'étude  n'en  devient  pas  seulement  plus  vivante  ;  c'est  à  cette 
condition  seulement  qu'elle  a  chance  d'être  exacte. 

Puis,  à  regarder  ainsi,  de  tous  les  points  de  vue,  les  origines  et  le 
développement  de  notre  ancien  théâtre,  on  gagne  de  saisir  sans  cesse 
des  ressemblances  curieuses  avec  les  origines  et  le  développement  du 
théâtre  grec,  qui  lui  a  d'ailleurs  été  si  supérieur  et  qui  en  diffère  à 
tant  d'égards. 

Le  caractère  essentiellement  catholique  de  notre  théâtre  sérieux,  et 
même,  à  l'origine  du  moins,  de  notre  théâtre  comique  a  aussi  cons- 
tamment préoccupé  M.  Sepet,  qui  l'a  voulu  marquer  dans  son  titre.  Et 
peut-être  l'a-t-il  trop  préoccupé  en  un  endroit,  s'il  est  vrai  que  l'étude 
des  pages  243  et  suivantes  sur  un  miracle  de  Notre-Dame  intéresse 
l'histoire  du  rosaire  beaucoup  plus  que  celle  de  Part  driimatique.  Mais 
en  général  le  livre  gagne  au  zèle  avec  lequel  l'auteur  soutient  une 
thèse  qui  flatte  aussi  bien  en  lui  le  croyant  que  Pérudit. 

Enfin,  une  autre  thèse  est  chère  à  M.  Sepet,  qui  y  revient  avec 
prédilection  :  «  Pour  se  délivrer  de  ses  défauts,  et  pour  développer 
quelques-unes  de  ses  aptitudes  les  plus  hautes,  le  génie  français  avait 
certainement  besoin  de  l'étude  des  modèles  de  Pantiquité  classique. 
Mais  il  ne  suit  pas  de  là  que  la  France,  coutumière  de  pareils  excès, 


190  CHRONIQUE 

ait  eu  raison  de  passer,  au  XVI^  siècle,  d'une  regrettable  ignorance 
de  ces  modèles  à  une  imitation  servile,  et  de  délaisser  une  tradition 
dont  la  fécondité  est  suffisamment  démontrée  par  l'exemple  de  Sha- 
kespeare. Les  excès  du  mouvement  de  retour  aux  lettres  antiques  ne 
doivent  pas  nous  conduire  à  en  nier  l'utilité,  mais  cette  utilité,  le 
besoin  même  qu'on  avait  de  ce  retour,  ne  doit  pas  nous  amener  non 
plus  à  en  justifier  l'exagération,  à  en  glorifier  les  folies.  Les  défauts 
de  Gréban  peuvent  excuser,  mais  non  justifier  Jodelle.  »  Si  le  livre 
se  termine  par  une  étude  sur  les  représentations  d'Oberammergau  et 
sur  de  récents  essais  de  théâtre  populaire  chrétien,  c'est  parce  que 
M.  Sepet  ne  peut  s'empêcher  de  rêver  à  ce  qu'aurait  dû  devenir,  sans 
la  brusque  solution  de  continuité  qui  s'est  produite  au  milieu  du 
XVI*  siècle  dans  son  histoire,  notre  art  dramatique  national,  à  ce  que 
peut-être  il  pourrait  devenir  encore.  Et  quant  à  notre  ancienne  comé- 
die, si  elle  du  moins  s'est  enfin  épanouie  dans  l'œuvre  éternellement 
admirable  de  Molière,  était-il  besoin  pour  cela  d'une  aussi  longue  et 
aussi  indiscrète  intervention  de  l'Italie  comme  de  l'antiquité? 

On  voit  sans  doute  par  ce  rapide  aperçu,  quel  est  l'intérêt  du  livre 
de  M.  Sepet.  Nous  l'aurions  voulu  un  peu  différent,  plus  complet, 
plus  serré  et  plus  méthodique;  mais,  «  puisqu'il  fallait  qu'il  fût  tel  ou 
qu'il  ne  fût  pas  »,  remercions  l'auteur  de  ne  nous  en  avoir  pas  privés. 

Eugène  Rigal. 


CHRONIQUE 


Notre  savant  confrère,  M.  Maurice  Grammont,  vient  de  réunir 
en  un  volume,  récemment  paru  chez  l'éditeur  Bouillon  (67,  rue  de 
Richelieu,  Paris),  ses  études  sur  le  Patois  de  la  Franche-Montagne 
et  en  particulier  de  Damprickard  [Douhs)^  précédemment  communiquées 
à  la  Société  de  linguistique  et  insérées  dans  ses  Mémoires^  tomes 
VII  à  XL 


o  o 


Une  oolleotion  intéressante.  —  Une  collection  de  volumes  de 
Philologie  Romane  paraîtra  incessamment  à  la  librairie  Cari  Win- 
ter,  à  Heidelberg.  La  collection  est  publiée  sous  la  direction  de 
M.  W.  Meyer-Lûbke.  Elle  sera  divisée  en  trois  séries  :  Grammaires, 
Manuels  d'histoire  littéraire^  Lexiques.  Dans  la  première  série  sont 
annoncés  les  volumes  suivants  : 


CHRONIQUE  191 

Introduction  à  Vétude  de  la  Philologie  Romane^  par  Meyer-Lûbke. 

Mcamel  d'ancien  français^  par  W.  Cloëtta. 

Manuel  d^ ancien  provençal^  par  0.  Schultz*  Gora. 

Grammaire  de  Vanden  français,  par  Meyer-Liibke,  etc. 

Dans  la  deuxième  série  paraîtront  : 

Manuel  d'histoire  littéraire  de  l'ancien  français,  par  Philippe-Aug. 
Becker. 

Mcmuel  d'histoire  littéraire  du  XV^  siècle,  avec  grammaire  et 
chrestomathie,  par  M.  F.  Ed.  Schneegans. 

Manuel  d'histoire  de  i'andenne  littérature  provençale,  par  M.  V. 
Crescini,  etc. 

Dans  la  troisième  série  enfin  paraîtront  : 

Lexique  de  l'ancien  français,  par  M.  K.  Warnke. 

Lexique  d'ancien  provençal  (différent  du  Supplement'W'ôrterhuch 
actuellement  en  cours  de  publication),  par  notre  collaborateur 
M.  Emil  Levy. 

o  o 

M.  Salverda  de  Grave  est  nommé  lecteur  de  Philologie  Romane  à 
l'Université  de  Leyde. 

o  o 

Le  gouvernement  allemand  a  décidé  de  créer  dans  les  trois  Uni- 
versités de  Berlin,  Bonn,  Marbourg,  des  chaires  de  professeurs 
extraordinaires  (professeurs  adjoints)  de  français  moderne.  Le  cours 
sera  fait  en  français  par  des  professeurs  nés  dans  des  pays  de  langue 
française.  M.  Bouvier,  professeur  à  TUniversité  de  Genève,  ancien 
lecteur  à  l'Université  de  Berlin,  a  refusé  lé  poste  de  professeur  qu'on 
lai  offrait  dans  cette  dernière  ville. 

o  o 

Le  premier  dimanche  dé  mai,  ont  eu  lieu,  à  Cologne,  sous  les  aus- 
pices de  la  Litterarische  Gesellschaft,  les  Jeux  floraux  annuels.  M.  le 
D'  Fastenrath  présidait  la  cérémonie  où  se  sont  fait  entendre, 
comme  les  années  précédentes,  de  nombreux  Minnesinger.  Nous  em- 
pruntons au  Kôlner  Tageblatt  du  6  et  du  7  mai  quelques  détails  sur 
cette  fête.  La  reine  d'honneur  des  Jeux  floraux  était  l'Infante  Dona 
Paz,  épouse  du  prince  Louis  Ferdinand  de  Bavière  ;  la  reine  effec- 
tive était  M^^MiA  Hbuser,  apparentée  par  sa  mère  avec  Cornélia,  la 
sœar  de  Goethe.  Le  Président  des  Jeux  floraux  a  annoncé  que  le 
Félibrige  limousin  avait  fondé  un  prix  à  décerner  Tannée  prochaine 
pour  les  villages  de  la  Souabe  où  se  parle  un  dialecte  provençal.  Le 
Président  du  Félibrige  limousin,  M.  J.  Roux,  avait  envoyé  une 
adresse  en  vers  limousins.  D'autres  adresses  du  même  genre  avaient 


1 9t  CHRONIQUE 

été  envoyées  par  les  félibres  Roque- Fkrribr,  Julrs  Roniat,  etc.. 
On  aura  une  idée  de  la  vogue  des  Jeux  floraux  rhénans  quand  on 
saura  que  le  nombre  des  envois,  qui  était  de  300  la  première  année 
et  de  500  la  seconde,  est  montée  cette  année  à  2.000,  La  Sainte 
Estelle  germanique  a  entendu  le  vœu  classique  crescant,  Jloreant  ! 

4» 
4»    4» 

Nous  signalons  à  nos  lecteurs  de  la  Catalogne  une  série  d*articles 
publiés  dans  le  Temps,  sous  la  signature  de  M.  Xavier  de  Ricard, 
sur  le  Catalanisme  et  le  mouvement  CatalaniHe. 

4» 

o  o 

Le  CoTuistoire  félihréen,  réuni  en  Arles  le  21  avril,  a  donné  nn 
successeur  au  regretté  capouîié  Félix  Gras.  Les  compétiteurs  étaient 
assez  nombreux.  Parmi  les  vétérans  du  félihrige,  A.  Tavan  a  refusé 
de  laisser  porter  sa  candidature.  Quelques  félibres  languedociens 
ont  compté  leurs  voix  sur  le  nom  d'un  des  plus  sympathiques  félibres 
du  Languedoc,  M.  A.  Arnavielle,  collaborateur  de  notre  Revue;  ils 
estimaient^  peut-être  avec  quelque  raison,  que  le  Languedoc  a  assez 
fait  pour  la  renaissance  des  lettres  méridionales,  pour  avoir  au  moins 
une  fois  son  capouîié,  La  majorité  du  Consistoire  n'a  pas  partagé  ces 
vues  et  son  choix  s'est  porté  sur  M.  Pierre  Dévoluy,  auteur  de 
poésies  françaises,  publiées  dans  la  Revue  Blanche,  de  nombreuses 
poésies  provençales,  les  unes  et  les  autres  d'une  très  belle  allure,  et 
d'une  Histoire  de  Provence  encore  manuscrite.  Le  nouveau  capouîié 
fera  ses  premières  déclarations  aux  fêtes  de  Pau  (27-28  mai)  où  la 
Société  des  Langues  romanes  sera   représentée   par  son  président, 

M.  Paul  Chassary. 

o 
o  o 

Erratum.  —  Tome  XLIII,  p.  473,  lig.  12  (dans  l'article  de  M.  Ri- 
gal,  sur  «  Le  Glaive  »  de  Victor  Hugo,  lire  :  «  Ce  qui  semble  bien 
indiquer  que  la  légende  do  l'ascension  dans  les  airs  ne  s'est  pas 
formée....,  c'est  que....  » 

Le  Gérant  responsable  :  P.  Hamblin. 


VOLTAIRE  ET  L'ABBÉ  ASSELIN 

UNB  «  PRBMlàRB  »  OBLàBRB  AU  COLLteB  d'HÂRCÛURT 

La  Mort  de  Gésar,  représentée  le  11  août  1755 


I 

A  Gaillaume  Dagoumer  \  qui  avait  habilement  administré 
pendant  dix-sept  ans  le  collège  d'Harcourt  ',  en  qaalité  de 

1  G.  Dagoumer  se  retira,  en  1730,  à  Gourbevoie,  où  il  mourut  à  qua- 
tre-yingt-cinq  ans,  le  15  avril    1745.   On   lit  dans   son   épitaphe  (voir 
Lebeuf,  Hist,  du  Dioc,  de  Paris,  tome  VII,  p.  110)  :  c  Natione  Norman- 
nus  (il  était,  dit-on,  de   Pont-Audemer)  professione   et  ingenio  nobili 
philosopbus...  Uniyersitatis  Parîsiensis  non  semel  Rector   et   Yindex 
acerrimus,    GoUegii    Harcuriani    provisor    beneficus...  »    Grandement 
apprécié  dans  TUniversité,  nous  dit  Thistorien  du  Collège  d'Harcourt, 
6.  Dagoumer  n'avait  qu'un  petit  défaut,  c  II  ne  se  contentait  pas  d'admi- 
rer les  vers  latins  de  son  professeur  de  rhétorique,  Bénigne  Grenan, 
sur  le  vin  de  Bourgogne,  il  appréciait  un  peu  trop,  dit-on,  le  crû  lui- 
même.  Un  soir,  en  rentrant  chez  lui  après  un  bon  dîner,  il  fut  obligé  de 
s'arrêter  auprès  de  la  fontaine  Saint-Séyerin,  qui  portait  alors  ce  dis- 
tique de  Santeul  : 

Dum  scandunt  juga  montis  anhelo  pectore  Nymphœ, 
Hic  una  e  sociis,  vallis  amore,  sedet. 

Dagoumer,  croyant  que  Teau  qui  ne  cessait  de  couler  de  la  fontaine 
^tait  son  fait,  ne  quittait  plus  la  place,  en  sorte  qu'un  ami  dut  Tayertir 
de  son  erreur.  »  Voir  Mgr  Bouquet  :  L'ancien  Collège  d'Harcourt  et  le 
lycée  Saint-Louis,  Paris  1891,  p.  358.  Cf.  Dict  de  Ladvocat  ;  Le  Sage  : 
OU  Blai,  liy.  IV,  ch.  6,  et  la  Biographie  générale,  tome  XII. 

*  Le  collège  d'Harcourt,  fondé  en  1280,  par  Raoul  d'Harcourt,  était 
destiné  tout  particulièrement  aux  pauvres  étudiants  normands.  Sur 
▼ingt-huit  écoliers  pauvres,  étudiants  en  Arts  et  en  Philosophie,  il  devait 
y  en  avoir  quatre  du  diocèse  de  Goutances,  quatre  du  diocèse  de  Bayeux, 
quatre  du  diocèse  d'Evreux  et  quatre  du  diocèse  de  Rouen.  Et  sur  les 
douze  pauvres  écoli^s,  soit  déjà  gradués,  soit  simplement  étudiants  de 
U  Faculté  de  Théologie,  deux  devaient  être  du  diocèse  de  Goutances,' 

XLVi.  —  Mai-Juin  1901.  13 


194  VOLTAIRE  ET  l'aBBÉ  ASSEUN 

proviseur,  saecédait,  en  1730,  Thomas  Gilles  Asselin  ^,  né  à 
Vire,  an  diocèse  de  Bajeux,  le  21  décembre  1684.  L*abbé 
Asselin^  docteur  en  Sorbonne,  était  connu  des  lettrés  de  son 
temps  par  les  succès  poétiques  qu*0  avait  obtenus  au  Palinod 
de  Caen,  aux  Jeux  Floraux,  à  TAcadémie  Française,  et  sur- 
tout par  Tamitié  dont  Tavait  honoré  Thomas  Corneille. 

En  1701,  encore  étudiant,  Asselin  remporta  le  prix  de  la 
Ballade  au  Palinod  de  Caen.  Aux  Jeux  Floraux,  il  ne  fut  pas 
couronné  moins  de  cinq  fois  en  trois  ans,  la  première  fois  en 
1710,  pour  un  poème  sur  la  Vérité,  en  1711,  pour  un  poème 
sur  Pétat  de  F  Hommes  et  surtout  pour  une  idjlle  assez  tou- 
chante sur  la  mort  de  Paléman  (traduisez  sur  la  mort  de  Tho- 
mas Corneille)^  et,  en  1713,  deux  fois  également  pour  une  ode 
sur  le  mépris  de  la  Fortune  et  pour  une  E pitre  au  roi  Louis 
X/ F.  A  l'Académie  Française,  il  avait  obtenu,  en  1709,  le 
prix  de  poésie  pour  une  ode  sur  le  roi  Louis  XIV  protecteur 
des  beaux-arts  au  milieu  de  la  guerre. 

Toutes  ces  pièces  «  couronnées  »  ont  été  réunies  par 
Asselin,  en  1725,  à  la  suite  de  son  Poème  sur  la  Religion  et 
de  son  Discours  (en  prose)  pour  disposer  les  déistes  à  r examen 
de  la  vérité  *. 


deux  du  diocèse  de  Bayeux,  deux  du  diocèse  d'Evreux  et  deux  du  diocèse 
de  Rouen.  —  Ajoutons  c[ue  beaucoup  de  professeurs  de  ce  collège 
étaient  Normands,  et  que,  dans  la  liste  des  proTiseurs  du  collège  d'Har- 
court,  liste  qui  va  de  1280  à  1793,  trente  sur  trente-trois  sont  Nor- 
mands. Les  trois  autres,  dont  le  lieu  d'origine  n'est  pas  indiqué,  devaient 
être  Normands,  eux  aussi.  (Voir  Mgr  Bouquet,  op,  ciV.,  p.  592.) 

'  La  plupart  des  Dictionnaires  biographiques  et  Mgr  Bouquet  [op,  cit,) 
font  naître  Asselin  le  31  décembre  1682.  Nous  avons  relevé  son  acte  de 
baptême,  à  Vire.  Thomas-Gilles  (et  non  pas  Gilles-Thomas)  Asselin  a 
été  baptisé,  en  Téglise  de  Notre-Dame,  le  22  décembre  1684,  et  dans 
l'acte  de  baptême  on  lit:  «  né  le  jour  d'hier.  »  —  C'était  le  fils  d'un 
maître  apothicaire.  —  Sur  une  attestation  de  prix  de  thème  latin, 
décerné  par  Asselin  en  1740,  {penès  nos)  on  lit  :  Thomas-zEgidius  Asse- 
iin.  —  M.  Jules  Finot  (Voir  les  Mémoires  de  l'Académie  de  Gaeny  1883) 
attribue,  à  tort  selon  nous,  à  l'abbé  Asselin  une  assez  longue  corres- 
pondance (de  1752  à  1754)  avec  Stanislas,  roi  de  Pologne.  Certains 
détails  que  nous  avons  relevés  dans  ces  lettres  nous  empêchent  de 
croire  que  le  correspondant  du  roi  Stanislas  fût  Thomas  Asselin. 

*  Paris,  chez  F.  G.  L'Hermitte  M.  DCG.  XXV,  sans  nom  d'aat6ur« 
In-8o,  151  pages. 


VOLTAIRE  ET  l'ABBÉ  ASSELIN  195 

Le  Poème  sur  la  Religion  *  est  dédié  à  son  Altesse  sérénis- 
sime  le  comte  de  Clertnont.  «  C'était  moins,  nous  dira  Asse- 
lin,  une  apologie  expresse  de  la  Religion  qu'une  exposition 
simple  de  son  établissement.  »  L'auteur  du  Poème  sur  la  Reli- 
gion n'était  pas  de  taille  à  lutter  contre  «  les  incrédules  du 
temps.  »  11  avait  beau  leur  dire,  dans  une  assez  belle  compa- 
raison: 

Tel  qu'un  arbre  planté  sur  la  rive  des  eaux 
Elève  vers  le  Ciel  ses  superbes  rameaux  ; 
11  porte  en  sa  fraîcheur  des  feuilles  toujours  vertes  ; 
De  fruits  dans  la  saison  ses  branches  sont  couvertes, 
Et  sa  cime  immobile,  ombrageant  les  vallons, 
Brave  les  vains  assauts  des  fougueux  Aquilons, 
Telle  TEglise  croit,  s'étend,  se  multiplie. 

le  poète  en  était  réduit  à  se  lamenter  : 

«  Qu'une  Religion  qui  ne  peut  ôtre  que  divine  et  qui  est  en  môme 
temps  si  consolante,  si  conforme  à  Tétat  présent  de  Thomme  et  si 
proportionnée  à  ses  véritables  besoins,  trouvât  si  peu  de  créance  parmi 
ces  prétendus  philosophes,  qu'on  nomme  Déistes,  » 

Si,  comme  il  est  probable,  Asselinn'a  converti  aucun  déiste, 
nous  croyons  quMl  a  conquis  tous  les  suffrages  par  ses  plaintes 
touchantes  sur  la  mort  de  Thomas  Corneille.  <x  L honneur  qu'il 
me  faisait^  nous  dira-t-il,  en  parlant  du  frère  de  Tauteur  du  Cu>, 
de  me  regarder  comme  son  élève^  m'a  toujours  laissé  un  tendre 
souvenir  de  ses  bontés  pour  moi,  et  je  satisfais  les  plus  sincères 
sentiments  de  mon  cœur  en  donnant  cette  marque  de  recon- 
naissance à  sa  mémoire.  »  En  lisant  avec  attention  la  Mort  de 
Palémonj  nous  voyons  qu'Asselin,  jeune  encore,  avait  trouvé 
en  Thomas  Corneille  le  guide  le  plus  sûr  pour  son  esprit  et 
pour  son  cœur. 

Quelques  passages  de  cette  idylle  sont  à  citer  : 

Le  berger  Lycidas  dit  à  son  ami  Tircis  (Asselin)  : 

De  Palémon  (Th.  Corneille)  pour  toi  j'ai  connu  la  tendresse  ; 
Ses  leçons  dans  son  art  ont  formé  ta  jeunesse  : 

^  Celui  de  Louis  Racine,  beaucoup  plus  important,  est  de  1742. 


196  VOLTAIRE  ET  l'aBBÉ  ASSELIN 

A  toi  seul  (quel  berger  n'en  parut  point  jaloux?) 
A  toi  seul  il  fit  part  de  ses  chants  les  plus  doux. 

Et  Tircis,  à  son  tour,  nous  dira  : 

Il  a  plus  fait  pour  moi,  tu  l'as  vu  sans  envie  : 

C'est  à  lui  que  je  dois  le  calme  de  ma  vie. 

Au  milieu  des  périls  de  la  jeune  saison. 

C'est  lui  dont  les  conseils  ont  sauvé  ma  raison. 

Cent  Bergers  me  disoi^nt,  trompés  par  kurs  désirs, 

Qu'en  vivant  sans  amour,  on  vivoit  sans  plaisirs. 

L'exemple  et  les  discours  tendoient  à  me  séduire  : 

Mais  je  crus  Palémon  qui  prit  soin  de  m 'instruire, 

Et  fuyant  un  lien  dans  nos  champs  si  vanté. 

Au  rang  des  plus  grands  biens  j'ai  mis  la  liberté... 

Les  deux  Bergers  poursuivent  l'éloge  de  leur  maître  et  ami  : 

Instruit  par  les  conseils  d'un  si  sage  Berger  (dit  Lycidas) 

Quel  cœur  eût  pu,  Tircis,  ne  se  pas  dégager? 

Avec  lui  la  vertu  n'avoit  rien  de  sauvage. 

De  nos  plus  doux  plaisirs  il  permettoit  l'usage  ; 

Lui-même  aimoit  nos  jeux  :  avec  toi  dans  nos  bois 

Souvent  à  nos  concerts  il  a  mêlé  sa  voix. 

Quelle  voix  chantoit  mieux  Ariane  abusée. 

Attestant  les  serments  du  parjure  Thésée? 

Je  crois  l'entendre  encor.  Les  amoureux  zéphirs 

Dans  les  forêts  alors  retenoient  leurs  soupirs  ; 

Dé  leur  palais  humide,  à  ses  chants  attentives. 

Les  Nayades  en  foule  accouroient  sur  les  rives  ; 

Les  flots  qu'il  suspendoit  craignoient  de  s'agiter. 

Les  échos  écoutoient,  et  n'osoient  répéter. 

Tircis 

C'était  dans  ses  vallons,  qu'au  retour  de  l'Aurore, 
Quand  les  près  déployoient  les  richesses  de  Flore, 
Nous  venions  partager  un  champêtre  plaisir, 
Et  chanter  la  douceur  de  notre  heureux  loisir, 
Là,  tandis  qu'à  leur  gré,  sur  le  bord  des  fontaines. 
Les  Zéphirs  agitoient  leurs  ombres  incertaines. 
Qu'à  l'envi  dans  nos  bois  remplis  des  plus  doux  sons, 
Les  oiseaux  attendris  soupiroient  leurs  chansons. 
Assis  prôs  du  cristal  d'une  onde  vive  et  pure. 


VOLTAIRE  ET  l'aBBÊ    ASSEUN  197 

Nous  n'étions  jamais  las  d*admirer  la  nature. 
Momens,  que  m'offre  encore  un  tendre  souvenir, 
Etes- vous  écoulés  pour  ne  plus  revenir? 

Enfin,  croyant  consoler  Tircis,  Lycidaslui  dit  que  Philémon 
(La  Motte)  a  succédé  à  Palémon  (Th.  Corneille)  ;  mais  Tircis 
n'a  qu'un  désir,  emprunter  à  La  Motte,  qui  vient  de  compo- 
ser une  ode  intitulée  la  Descente  aux  Enfers,  les  n  charmants 
accords  »  de  sa  Ijre  pour  ramener  à  la  lumière  du  jour 
Thomas  Corneille....,  ou  rester  avec  lui  dans  les  sombres 
royaumes  : 

J'irois,  (dit-il)  des  Destins  forçant  la  dure  loi, 
Te  rendre  à  la  lumière  ou  la  perdre  avec  toi. 

Tircis -Asselin  ne  descendit  pas  aux  Enfers  :  il  resta  sur 
terre  pour  chanter  deux  années  plus  tard  (1713)  Louis  XIV, 

Tel  qu'un  rocher,  tranquille  au  milieu  de  Torage, 

et  pour  envoyer  à  une  jeune  personne    qui  entrait  dans  le 
monde  les  plus  sages  conseils  : 

...  Je  ne  condamne  pas  un  innocent  commerce 
Dont  on  se  fait  un  jeu,  qui  plaît  sans  engager  ; 
Mais  certain  enjoûmeut  où  notre  esprit  s'exerce 
N'est  jamais  sans  danger. 

De  l'esprit  jusqu'au  cœur,  le  chemin  est  facile; 
Bientôt  l'idée  en  nous  se  change  en  sentiment; 
Et  souvent,  pour  troubler  le  sort  le  plus  tranquille, 
11  ne  faut  qu'un  moment. 

Dans  les  tendres  douceurs  de  ce  trouble  agréable. 
Des  charmes  qu'il  permet  d'abord  on  est  ravi, 
Mais,  Sophie,  apprenez  l'effet  inévitable 
Dont  il  sera  suivi. 

Assise  sur  les  fleurs  que  la  simple  Nature 
Etale  aux  bords  riants  d'un  ruisseau  clair  et  frais, 
Avez- vous  quelquefois  au  fond  de  l'onde  pure 
Contemplé  vos  attraits  ? 

C'est  une  autre  vous-même,  aussi  belle,  aussi  vive. 
Mais  lorsque  du  cristal  se.  trouble  le  repos> 


19S  VOLTAIRE  ET  L'âBBÊ  ASSEUN 

De  ces  appms  â  doux  Unsage  fogithre 
Périt  an  sein  des  flots. 

Là,  des  faibles  hninaînH  tous  vojei  on  exemple 
Qu'une  ^lemre  sensible  a  toigonrs  confinné  : 
Aisément  lliomme  en  soi  soi-même  se  eontemple, 
Quand  son  cœor  est  calmé. 


lorsqu'il  perd  la  paix,  la  paix,  ce  don  suprême, 
Sans  qui  les  autres  biens  sont'pour  loi  siqierflus, 
Vainement  il  se  cbercbe,  et  ses  yeux  en  lui-même 
Ne  se  retrouvent  plus. 


0  Sophie,  à  jamais  ignorez  ces  allarmes, 
Et,  pour  que  vos  beaux  jours  ne  soient  point  combattus, 
Egalez,  s'il  se  peut,  à  Féclat  de  vos  charmes 
Celui  de  vos  v^tus. 

Ces  stances  ne  sont  pas  sans  agrément  :  iontefois,  j'incline 
à  penser  que  c'est  moins  à  ses  talents  poétiques  qu'à  ses 
qualités  d'humaniste  et  à  ses  aptitudes  pédagogiques  qu'As- 
selindut  d*être  élu,  en  1730,  proviseur  du  Collège  d'Harcourt, 
fonctions  importantes  qu'il  garda  jusqu'en  1762,  époque  où 
il  fut  remplacé  par  Nicolas  Louvel,  de  Granville  '. 

Tout  ce  que  nous  savons  de  son  long  provisorat^  (trente- 
deux  ans  !),  c'est  qu'au  moment  où  Asselin  entrait  en  fonctions, 
le  jeune  Diderot  quittait  le  Collège  d'Harcourt,  très  regretté 
de  ses  camarades,  dont  il  faisait  complaisamment  les  devoirs, 
surtout  les  vers  latins,  et  particulièrement  du  jeune  de  Bernis 
(depuis  cardinal)  qui,  aussi  pauvre  que  le  fils  du  coutelier  de 
Langres,  allait  diner  avec  lui,  les  jours  de  congé,  à  six  sous  par 
tête,  dans  un  méchant  cabaret  de  la  rue  de  la  Harpe;  nous 
savons  encore  qu'Asselin  dut  un  jour  intervenir,  pour  faire 
rétablir  les  feux  d'artifice  que  M*  Pourchot  ,  procureur- 
syndic  de  la  Faculté  des  Arts,  avait  fait  interdire  dans  les 
collèges  de  Paris  ;  —  qu'il  vit  établir,  en  1747,  le  con- 
cours général  entre  les  élèves  de  rhétorique,   de  seconde 

1  Asselin  se  retira  à  Issy,  où  il  mourut  le  il  octobre,  en  1767,  à  Tâge 
de  quatre-vingt-trois  ans. 
•  Voir  Mgr  Bouquet,  op.  cit.,  p.  376  et  suiv. 


VOLTAIRE  ET  l'aBBÉ  ASSELIN  199 

et  de  troisième  des  grands  collèges  ;  —  qu^en  1750,  ce  fut  un 
élève  du  collège  d'Harcourt,  Louis  Ame^  de  Goutances,  qui 
obtint  le  prix  d'honneur;  qu'enfin,  ce  prix  fut  trois  fois 
encore  remporté,  sous  le  provisorat  d'Asselin,  en  1753,  par 
Seignelaj-Colbert,  de  Castle-Hill;  en  1756,  par  La  Harpe, 
et  en  1757,  de  nouveau  par  La  Harpe ,  en  qualité  de  vété- 
ran ^ 


II 


L'événement  le  plus  considérable  du  provisorat  d'Asselin 
eut  lieu  en  1735. 

Jasque-là,  au  Collège  d'Harcourt,  comme  dans  les  autres 
grands  collèges  de  Paris,  l'éclat  des  distributions  de  prix 
était  rehaussé  par  une  représentation  dramatique,  souvent 
accompagnée  d'un  ballet.  Bien  entendu,  aucune  danseuse  ne 
figurait  dans  les  ballets,  et,  dans  les  tragédies,  les  person- 
nages de  femmes,  ^  quand  il  y  en  avait  —  étaient,  jusqu'à 
ce  qu'on  les  supprimât  tout  à  fait  ',  tenus  par  les  collégiens. 

*  En  1748.  Seconde,  i«'ppix  de  thème  latin: de  Mac-Mahon, Irlandais. 

En  1753,  Troisième,  1"  prix  de  thème  latin  :  La  Harpe. 

En  1755,  Seconde,  1«'  prix  de  vers  latins  :  La  Harpe. 
—      !•'  prix  de  version  latine  :  La  Harpe. 

En  1756,  Rhétorique,  2*  prix  de  vers  latins  :  La  Harpe. 

—  —  1*'  prix  de  version  grecque  :  La  Harpe. 

En  1757,  Rhétorique,  !•'  prix  de  dise.  fr.  (vétérans)  :  La  Harpe. 

—  —  2e  prix  de  version  grecque  (vét.)  :  La  Harpe. 

En  1760,  Troisième,  i«'  prix  de  version  latine  :Dupuis  (le  futur  auteur 

de  l'Origine  des  Cultes.) 

—  —  2«  prix  de  version  grecque  :  Dupuis. 

(Dupuis  devait  obtenir  le  prix  d'honneur  en  1763.) 

*  Dans  Boèce  (1682,  le  personnage  d'Amalazonthe,  fille  de  Théodoric, 
était  tenu  par  Bernard  Joisel  de  Mouy,  de  Paris  ;  celui  de  Rusticienne, 
femme  de  Boèce,  par  Jacques  de  Viennois,  de  Grenoble.  —  Dans  Sédé- 
cias  (1697)  pas  de  personnages  de  femmes.  —  Dans  Joas  (1716)  Athalie 
est  remplacée  par  son  frère  Achab.  —  Dans  Aàsalon  (1723)  pas  de 
femme. 


200  VOLTAIRE  ET  l'âBBÉ  ASSEUN 

En  1680,  sous  le  provisorat  de  Jean  Le  François  S  on  repré- 
senta Polyeucte,  qui  fat  snivi  d*an  ballet,  dont  le  sujet  était  : 
Le  combat  de  V Amour  divin  et  de  V Amour  profane,  a  II  fallait, 
a  dit  justement  Fauteur  de  la  Comédie  au  Collège  ^,  une  cer- 
taine imagination  pour  trouver  là  des  motifs  de  danse.  » 

En  1682,  Boèce  martyr  (auteur  inconnu),  suivi  d'un  ballet 
en  quatre  parties  ; 

En  1684,  Thomas  Morus  (auteur  inconnu), 

En  1685,  Romulus  fauteur  inconnu).  Parmi  les  acteurs,  on 
remarque  les  jeunes  Omer  Talon,  Joly  de  Fleurj  et  Charles 
Perrault'.  Un  ballet  —  Le  Triomphe  de  la  Modération  —  suivit 
cette  pièce,  a  II  paraît  que  le  jeune  Omer  Talon  était  un  dan- 
seur distingué,  car  le  programme  a  bien  soin  de  mettre  en 
vedette  ces  mots  :  Omer  Talon  dansera  *  ;  » 

En  1688,  Amalius  (auteur  inconnu)  ; 

En  1689,  A/ane-iS/t<ar(/ (auteur  inconnu)  ; 

En  1697  Sédécias  (auteur  inconnu),  tragédie  en  trois  actes, 
avec  des  chœurs  mis  en  musique  par  le  compositeur  Bousset  ; 

En  1712^  Saûl,  ou  Nombre  de  Samuel,  par  le  professeur 
Josset,  avec  chœurs  mis  en  musique  par  le  compositeur  Bous- 
sard  ; 

En  1713,  Athalie,  avec  prologue  en  vers  latins  par  Bénigne 
Grenan,  Tauteur  fameux  de  VOde  en  l'honneur  du  vin  de  Bour- 
gogne ;  » 


ï  Jean  Le  François,  né  à  Sainte-Marie-Laumont,  près  Vire  ;  il  rem- 
plaça Thomas  Fortin,  grâce  à  qui  les  Lettres  provinciales  furent  impri- 
mées clandestinement  au  Collège  d'Harcourt.  C'est  aussi  sous  Tadminis- 
tration  de  Fortin  que  fut  inaugurée,  au  Collège  d'Harcourt,  la  première 
fête  imiversitaire  consacrée  à  Saint-Charlemagne.  (Voir  Mgr  Bouquet, 
op,  cit.,  p.  310.) 

•  M.  Boysse. 

3  Le  jeune  Perrault  d'Armancourt,  à  qui  Ton  attribue  les  Contes  de 
ma  mère  COye, 

^  Mgr  Bouquet,  op.  cit.,  p.  318. 

**  En  voici  les  premiers  vers  : 

Testa,  Burgundo  gravidam  liqnore, 
Quam  Jocus  circumvolat  et  nitenti 
Sanitas  vultu  rabicunda,  et  insons 

Risus,  Amorque, 
Te  canam 


VOLTAIRE   ET   l'aBBÉ   ASSELIN  201 

En  1716,  yoa«  (auteur  inconnu),  adaptation  de  VAlhalie  de 
Racine,  u  pour  se  conformer  aux  lois  de  l'Université  qui 
excluait  de  ses  théâtres  les  personnages  de  femmes  ;  » 

En  1723,  Absalon,  de  Duché.  Parmi  les  acteurs  se  ût  re- 
marquer le  jeune  de  Pardailhan  de  Gondrin. 

Comment  l'abbé  Asselin  fut-il  amené,  en  1735,  à  corres- 
pondre avec  Voltaire  et  à  lui  demander  l'autorisation  de  faire 
jouer  par  les  élèves  du  Collège  d'Harcourt  la  Mort  de  César^ 
tragédie  imitée  de  Shakespeare,  que  Tauteur  de  Zaïre  avait 
esquissée  pendant  son  séjour  en  Angleterre,  et  qu'il  avait 
terminée  en  France  en  1731  ?  Asselin  avait,  très  vraisembla- 
blement, fait  hommage  de  son  Poème  sur  la  Religion  à  Vol- 
taire, et  Voltaire,  quoique  déiste  et  déjà  très  fervent  apôtre 
de  la  religion  naturelle,  aurait  répondu  à  Tabbé  poète  par  un 
compliment  banal  ne  rengageant  à  rien.  Quoi  qu'il  en  soit» 
au  commencement  du  mois  de  mai  1735,  Asselin  a  dû  écrire 
à  Voltaire*  pour  lui  demander  une  tragédie  qui  pût  être  jouée 
par  ses  élèves.  Voltaire,  en  effet,  lui  répondit  : 

A  Monsieur  Asselin,  proviseur  du  Collège  (THarcourt 

Mai, 

En  me  parlant  de  tragédie,  Monsieur,  vous  réveillez  en  moi  une 
idée  que  j*ai  depuis  longtemps  de  vous  présenter  la  Mort  de  César, 
pièce  de  ma  façon,  toute  propre  pour  un  Collège  où  Ton  n'admet 
point  de  femmes  sur  le  théâtre.  La  pièce  n'a  que  trois  actes,  mais 
c'est  de  tous  mes  ouvrages  celui  dont  j'ai  le  plus  travaillé  la  versi- 
fication. Je  m'y  suis  proposé  pour  modèle  votre  illustre  compatriote, 
et  j'ai  fait  ce  que  j'ai  pu  pour  imiter  de  loin 

La  main  qui  crayonna 
L'âme  du  grand  Pompée  et  l'esprit  de  Ginna. 

Il  est  vrai  que  c^esl  un  peu  la  grenouille  qui  s'enfle  pour  être  aussi 
grosse  que  le  bœuf;  mais  enfin  je  vous  offre  ce  que  j'ai.  11  y  a  une 
dernière  scène  à  refondre,  et,  sans  cela,  il  y  a  longtemps  que  je  vous 
aurais  fait  la  proposition 

Adieu,  Monsieur,  comptez  sur  l'amitié,  sur  l'estime,  sur  la  recon- 
naissance de  V.  Point  de  cérémonie  ;  je  suis  quaker  avec  mes  amis. 
Signez-moi  un  A. 

'  Voltaire  était  alors  à  Girey,  chez  la  marquise  du  Ghâtelet. 


20  2  VOLTAIRE  ET  l'ABBE  ASSELIN 

Asselin  et  le  professeur  de  rhétorique  durent  mettre  immé- 
diatement la  pièce  en  répétition.  Impatient,  Voltaire  écrivait 
au  proviseur  d*Harcourt  dès  le  24  mai  : 

Que  devient  Jules  César,  Monsieur?  Je  voas  réitère  mes  remer- 
ciements de  Thonneur  que  vous  voulez  bien  lui  faire,  et  mes  prières 
d*empêcher  qu*on  n'en  prenne  copie  et  que  Fouvrage  ne  devienne 
public...,. 

La  pièce  fut  représentée  le  11  août  1735,  à  la  distribatîon 
solennelle  des  prix.  Elle  obtint  le  plus  grand  succès,  et  fut 
accueillie  parles  applaudissements  ré  pétés  des  grands  seigneurs 
de  la  Cour  et  des  personnages  les  plus  distingués  de  la  société 
parisienne. 

Nous  n'avons  pas  ici  à  faire  l'analyse  de  cette  pièce  bien 
connue  ;  nous  n'avons  pas  non  plus  à  la  juger.  Aux  éloges 
dithyrambiques  de  La  Harpe  (Une  foule  de  scènes  de  premier 

ordre style  proportionné  au  sujet  et  aux  personnages, 

presque  toujours  sublime  ou    par  la   pensée  ou  par    Tex- 

prossion ),  contentons-nous  d'opposer  les  dernières  lignes 

(ie  la  comparaison  que  Villemain,  dans  son  Tableau  de  la  Litté- 
rature au  XVI  11^  siècle,  a  établie  entre  Toeuvre  de  Shakespeare 
et  celle  de  Voltaire  : 

a  Ce  n'est  donc  pas  un  diamant  brut  que  Voltaire  a  taillé, 
un  essai  barbare  dont  il  a  fait  sortir  un  chef-d'œuvre.  Il  a  sans 
doute  ajouté  quelques  traits  éclatants  à  son  modèle  ;  mais  il 
n'égala  point,  dans  cette  scène  (la  dernière)  la  gradation 
habile  et  véhémente  de  Shakespeare,  ni  surtout  ce  dialogue 
de  l'orateur  (Antoine)  et  de  la  foule^  ce  concert  admirable  des 
ruses  de  l'art  et  du  tumulte  des  passions  populaires. 

Qu'après  ce  beau  mouvement  : 
Dieux  !  son  sang  coule  encore  ! 

Antoine  s'écrie: 

Il  demande  vengeance 
Il  l'attend  de  vos  mains  et  de  votre  vaillance. 
Entendez-vous  sa  voix?  Éveillez-vous  Romains  ! 
Marchez,  suivez-moi  tous  contre  ses  assassins  : 
Ce  sont  là  les  honneurs  qu'à  César  on  doit  rendre. 
Des  brandons  du  bûcher  qui  va  le  mettre  en  cendre 


VOLTAIRE   ET    L  ABBE  ASSELIN  203 

Embrasons  les  palais  de  ces  fiers  conjurés  : 
Enfonçons  dans  leur  sein  nos  bras  désespérés. 

Ce  sont  là  d'assez  beaux  vers,  mais  un  discours  comme  tant 
d'autres.  Combien  plus  originale,  dans  Shakespeare,  cette 
hypocrite  modération  d'Antoine,  qui  fait  éclater  des  cris  de 
mort  sans  en  proférer  aucun,  et  qui  précipite  ce  peuple  qu'elle 
a  l'air  de  retenir! 

Voltaire  n'a  donc  pas  corrigé  Shakespeare  comme  on  le 
disait.  Peut-être  même,  dans  l'impatience  de  son  goût  délicat 
et  moqueur,  n'en  a-t-il  pas  senti  toutes  les  beautés,  du  moins 
ne  les  a-t-il  pas  reproduites.  Toutefois  cette  étude  fortifia  son 
génie.  Il  j  puisa  quelque  chose  de  ces  grands  effets  du  théâtre, 
de  cette  manière  éloquente  et  passionnée  qui  animent  ses 
drames  et  en  font  un  grand  poète  après  Racine.  » 

Ce  jugement  de  Villemain  nous  semble  définitif,  aujourd'hui 
que  nous  connaissons  Shakespeare.  En  1735,  on  savait  gré  à 
Voltaire  d'avoir  a  nettoyé»,  j'allais  dire  «décrassé  »  le  grand 
poète  anglais  qu'on  ne  connaissait  pas,  mais  qu'on  traitait 
sans  façon  de  «barbare  de  génie».  «Shakespeare,  disait 
l'abbé  de  Lamare,  dans  V Avertissement  de  t* édition  de  la  Mort 
de  César  de  1736,  père  de  la  tragédie  anglaise,  est  aussi  le 
père  delà  barbarie  qui  j  règne.  Son  génie  sublime, «ans  culture 
et  sans  goût^  a  fait  un  cahos  du  théâtre  qu'il  a  créé.  » 

Voltaire,  lui-même,  dans  aa,  Préface^  qu'on  a  attribuée  à  tort 
à  l'abbé  de  Lamare,  nous  dira  :  «  Shakespeare  était  un  grand 
génie,  mais  il  vivait  dans  un  temps  grossier;  et  Ton  retrouve 
dans  ses  pièces  la  grossièreté  de  ce  temps  beaucoup  plus  que 
le  génie  de  l'auteur.  M.  de  Voltaire,  au  lieu  de  traduire  l'ou- 
vrage MONSTRUEUX  de  Shakespeare,  composa,  dans  le  goût 
anglais,  ce  Jules  César ^  que  nous  donnons  au  public  ^  » 

11  est  vraisemblable,  ou  plutôt  il  est  certain  que  le  public 
choisi  du  Collège  d'Harcourt  pensait  comme  Voltaire,  et 
trouvait  que  le  poète  français  avait  corrigé  et  perfectionné 
son  modèle. 

1  En  envoyant  à  Cideville  la  dernière  scène  de  la  Mort  de  César  ^ 
Voltaire  ne  se  gênait  pas  pour  dire  :  «  Shakespeare,  le  Corneille  de 
Londies^  grand  fou  (Tailleurs  et  ressemblant  plus  à  Gilles  qu'à  Corneille.  » 
Il  est  vrai  qa'il  ajoutait  aussi  :  «  Mais  il  a  des  morceaux  admirables,  > 


204  VOLTAIRE   ET   L'aBBÉ  ASSELIN 

Mais  ce  que  nous  devons  surtout  retenir  de  F  A  ver^mem^ni  de 
Tabbé  de  Lamare  et  de  la  Préface  de  Voltaire,  c'est  que  si  réel- 
lement la  Mort  de  César  fut  représentée  pour  la  première  fois 
en  public  au  Collège  d'Harcourt,  cette  pièce  avait  été  jouée 
quelques  années  auparavant,  mais  en  petit  comité,  à  l'hôtel 
de  Sassenage,  et  «  très  bien  exécutée»,  paraît-il.  Nous 
ap[)renons  également  que  «  la  scène  imitée  de  Shakespeare, 
dans  laquelle  Antoine  monte  à  la  tribune  aux  harangues  pour 
faire  voir  au  peuple  la  robe  sanglante  de  César,  ne  put  être 
représentée,  à  Thôtel  de  Sassenage,  à  cause  du  petit  espace 
du  théâtre,  qui  suffisait  à  peine  au  petit  nombre  d'acteurs 

qui  jouent  dans  cette  pièce.  » 

« 

Cette  magnifique  scène  fut-elle  jouée  au  Collège  d'Har- 
court?  Dans  sa  lettre  à  l'abbé  Asselin,  datée  de  Cirey,  le  24 
octobre  1735,  Voltaire  lui  dira  : 

M.  Demoulin,  Monsieur,  a  dû  vous  remettre  un  papier  qui  con- 
tient la  dernière  scène  de  Jules  César,  telle  que  je  Tai  traduite  de 
Shakespeare.  Je  ne  vous  en  donnai  qu'une  partie^  parce  que  j'avais 
supprimé  pour  votre  théâtre  Vassassinat  de  Brutus.  Je  n  avais  osé  être 
ni  Romain,  ni  Anglais  à  Paris. 

D'après  cette  lettre,  la  dernière  scène  de  la  Mort  de  César 
n'aurait  pas  et  î  donnée,  du  moins  en  entier,  au  Collège  d'Har- 
court. 

Cependant  le  Mercure  d'octobre  1735,  après  avoir  analysé 
la  pièce,  cite  quelques  vers  du  discours  d'Antoine,  entre 
autres  les  quatre  derniers  de  la  tragédie  : 

...  Ne  laissons  pas  leur  fureur  inutile. 
Précipitons  ce  peuple  inconstant  et  facile, 
Que  la  guerre  commence  S  et,  sans  rien  ménager, 
Succédons  à  César,  en  courant  le  venger. 

Puis  il  dit  : 

C'est  ainsi   que  finit  cette  pièce,  digne  des  applaudissements 
qu'elle  a  eus  sur  le  théâtre  et  qu'elle  aura  dans  le  public.  » 

1  On  lit  dans  les  éditions  de  Voltaire  :  Entraînons-le  à  la  guerre 


VOLTAIRE  ET  l'aBBÉ   ÀSSELIN  205 

Gomment  accorder  Voltaire  et  le  rédacteur  du  Mercure  *  ? 

Quoi  quMl  en  soit,  la  Mort  de  César  obtint,  comme  nous 
Tavons  dit,  le  plus  grand  succès  sur  le  théâtre  du  Coliôge 
d'Harcourt.  «  Cette  pièce,  dit  Tabbé  de  Lamare,  fut  donnée 
par  les  pensionnaires  de  ce  collège  avec  une  intelligence  et 
une  dignité  peu  ordinaire  à  Tâge  des  acteurs.  » 

Le  Mercure  de  France^  fut  très  élogieux  ; 

«  Le  jeudy  11  du  mois  d'août  dernier,  on  présenta  sur  le  théâtre 
du  Collège  d'Harcourt,  pour  la  distribution  des  prix,  la  Mort  de  César, 
tragédie  nouvelle  de  M.  de  Voltaire.  11  y  eut  à  cette  représentation 
un  grand  concours  de  personnes  de  la  première  distinction,  attirées 
par  la  nouveauté  de  la  pièce,  et  plus  encore  par  la  réputation  de  son 
autheur.  On  peut  dire  que  rassemblée  fut  également  satisfaite  et  de 
la  beauté  de  cet  ouvrage  et  de  la  manière  dont  les  acteurs  s'acquittè- 
rent de  leurs  personnages.  Les  princi[)aux  rôles  étaient  au  nombre  de 
six,  M.  Bernard  faisoit  celui  de  César,  M.  de  Léria  de  Berwick  celui 
à' Antoine  ;  Brutus  îwi  représenté  par  M.  de  la  Rivière,  Cassius  par 
M.  de  Paris,  Cimber  par  M.  S.  Simon  de  Sandricourt,  et  Dolahella 
par  M.  de  Bérulle.  On  fut  extrêmement  content  de  tous  ces  messieurs; 
mais  MM.  Bernard  et  de  la  Rivière  s  y  distinguèrent  d'une  manière 
particulière,  et  tout  le  monde  convient  qu'ils  y  atteignirent  la  perfec- 
tion de  Part,  non  comme  des  écoliers,  mais  comme  les  acteurs  les 
plus  parfaits.  » 

Voltaire  n'assista  pas  à  cette  belle  u  première  ».  «  L'auteur, 
dit  Tabbé  de  Lamare,  aurait  sans  doute  été  très  satisfait^  s'il 
avait  pu  voir  cette  représentation.  »  Mais,  dès  qu'il  eut  été 
informé  du  succès  de  sa  pièce,  il  s'empressa  d'écrire  à  Tabbé 
Asselin  : 

Vassy,  en  Champagne,  ce  24  auguste  1735. 

Je  voudrais  bien,  Monsieur,  que  la  Mort  de  Jules  César  eût  été 
digne  de  Thonneur  que  vous  lui  avez  fait  et  de  la  manière  dont  elle  a 
été  représentée  Je  vous  prie  de  vouloir  bien  faire  mes  compliments 
aux  deux  acteurs  dont  on  a  été  si  content.  Le  talent  de  bien  réciter 


1  Le  Mercure  nous  apprend  encore  qu^on  joua  comme  petite  pièce  les 
Plaideurs  de  Racine.  Le  jeune  de  la  Rivière  «  n'excella  pas  moins  dans 
le  comique  qu'il  avait  excellé  dans  la  tragédie.  > 

«Oct.  1735,  p.  2259. 


206  VOLTAIRE  ET  l'ABBÉ  ASSELIN 

ne  saurait  être  parfait  sans  supposer  de  Fesprit  et  des  qualités  aima- 
bles qui  doivent  réussir  dans  le  monde.  Des  jeunes  gens  qui  ont  un 
pareil  talent  méritent  qu'on  s'intéresse  à  eux.  Au  reste,  j'ai  beaucoup 
retouché  cet  ouvrage,  depuis  que  l'honneur  qu'il  a  reçu  de  vous  me 
VsL  rendu  plus  cher  ;  mais  il  ne  sera  jamais  autant  embelli  par  mon 
travail  qu'il  l'a  été  par  vos  soins  dans  la  représentation  qui  s'en  est 
fiaite. 

Je  suis  bien  sincèrement,  monsieur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 

VOLTAIRB. 

Je  vous  remercie,  monsieur,  de  la  bonté  et  de  la  politesse  avec 
laquelle  vous  avez  fait  placer  les  personnes  qui  demeuraient  à  Paris 
avec  moi^ 

Le  même  jour,  Voltaire  était  heareax  d^annoncer  le  succès 
de  sa  pièce  à  son  cher  maître,  son  ancien  préfet  des  Jésuites, 
l'abbé  d'Olivet  : 

Savez-vous  que  j*ai  fait  jouer  depuis  peu,  au  collège  d'Har- 

conrt,  une  certaine  Mort  de  César,  tragédie  de  ma  façon,  où  il  n'y  a 
point  de  femmes  ;  mais  il  y  a  quelques  vers  tels  qu'on  en  fesait  il  y  a 
soixante  ans.  J'ai  grande  envie  que  vous  voyiez  cet  ouvrage.  Il  y  a  de 
la  férocité  romaine.  Nos  jeunes  femmes  trouveraient  cela  horrible  ;  on 
ne  reconnaîtrait  pas  Fauteur  de  la  tendre  Zmre,  mais  Ridetur  chorda 
qui  semper  oberrat  eadem.  (Hor.) 


III 


La  joie  de  Voltaire  fut  de  courte  durée.  Dès  le  l**'  septem- 
bre, il  écrivait  au  «  iidèie  »  Thieriot:  «  Mon  bieu  cher  ami,  il 
faut  toujours  que  de  près  ou  de  loin  je  reçoive  quelque  talo- 
che de  la  fortune.  » 


*  Le  15  mai  1736,  Voltaire  disait  à  Tabbé  Asselin  :  «  Je  pourrai  bien 
TOUS  donner  un  jour  une  pièce  encore  sans  femmes.  Je  serai  le  poète 
d^^Harcourtf  mais  je  serai  sûrement  votre  ami  ;  c'est  un  titre  dont  je  me 
flatte  pour  la  vie.  »  —  Mais  pour  des  raisons  que  nous  ne  connaissons 
pas,  c'est  ici  que  se  termine  la  correspondance  de  Voltaire  avec  Tabbé 
Asselin. 


VOLTAIRE  ET  L'ABBÉ  A8SEL1N  207 

Pourquoi  ces  plaintes?  C'est  qu'il  vient  d'apprendre  que 
malgré  «  les  prières  qu'il  avait  adressées  à  Tabbë  Asselin  * 
d'empêcher  qu'on  ne  prît  copie  de  sa  pièce,  et  que  l'ouvrage 
De  devint  public  »,  on  a  imprimé  la  Mort  de  César  y  et  «  qu'on 
l'a  honorée  de  plusieurs  additions  et  corrections  qu'un  régent 
du  Collège  y  a  faites  *.  »  «  Je  suis  persuadé,  ajoute  Voltaire, 
qu'on  ne  manquera  pas  encore  de  dire  que  c'est  moi  qui  l'ai 
fait  imprimer  :  ainsi  me  voilà  calomnié  et  ridicule.  » 

Le  4  octobre,  nouvelle  lettre  à  Thieriot  ;  Voltaire  est  furieux 
contre  l'abbé  Desfontaines,  et  non  sans  motif.  Il  avait  écrit  à 
Desfontaines  pour  le  prier  d'avertir  le  public,  dans  le  journal 
dont  il  était  le  directeur  ^,  que  la  pièce  de  Jules  César,  telle 
qu'elle  était  imprimée,  n'était  point  son  ouvrage  à  lui,  Vol- 
taire. Que  ût  Desfontaines?  Au  lieu  de  chercher  à  être  agréa- 
ble à  Voltaire,  il  fit  «  une  satire  infâme  »  de  sa  pièce,  et  «  au 
bout  de  sa  satire,  il  fit  imprimer  la  lettre  de  Voltaire,  avec 
l'indication  du  lieu  où  il  était,  et  qu'il  voulait  qu'il  fût  ignoré 
du  public.  » 

Voltaire  a  raison  d'écrire  à  l'abbé  Asselin  ^  que  Desfon- 
taines aurait  dû  s'attacher  à  faire  voir,  en  critique  sage,  les 
différences  qui  se  trouvent  entre  le  goût  des  nations  ;  »  et  il 
ajoute  : 

(c  II  aurait  rendu  un  service  aux  lettres  et  ne  m'aurait  point  offensé. 


1  24  mai  1735. 

'  Le  7  septembre  1735,  Voltaire  écrivait  à  l'abbé  Desfontaines  :  f  L'abbé 
Asselin,  que  j'aime  et  j'estime,  n'a  pu,  malgré  ses  soins  empêcher  que 
quelqu'un  de  son  collège  n'en  ait  tiré  copie.  Voilà  la  tragédie  aujour- 
d'hui imprimée,  à  ce  que  j'apprends,  pleine  de  fautes,  de  transpositions 
et  d'omissions  considérables.  On  dit  même  que  le  professeur  de  rhétori- 
^e  d'Harcourt,  qui  était  chargé  de  la  représentation,  y  a  changé  plu- 
sieurs vers.  Ce  n'est  plus  mon  ouvrage.  »  —  t  Je  sais,  écrira-t-il  plus 
tard  à  l'abbé  Asselin  (29  janvier  1736),  que  c'est  un  précepteur  des  Jésui- 
tes qui  a  fait  imprimer  Jules  César.  C'est  un  homme  de  mauvaises 
mœurs,  qui  est,  dit-on,  à  Bicétre.  Est-il  possible  que  la  littérature  soit 
souvent  si  loin  de  la  morale  ?  > 

Quel  était  le  coupable!  »  Etait-ce  un  professeur  du  collège  d'Har- 
court? était-ce  un  précepteur  des  Jésuites?  Voltaire, comme  on  le  voit, 
ne  le  sait  pas  lui-même. 

'  Observations  sur  les  écrits  modernes. 

*  4nov. 


208  VOLTAIRE  KT  L'ABBÉ  ASSELIN 

Je  me  connais  assez  en  vers,  qaoique  je  n'en  fasse  pins  ^,  pour  assu- 
rer que  cette  tragédie,  telle  qu'on  l'imprime  à  pi*ésent  en  Hollande, 
est  l'ouvrage  le  plus  fortement  versifié  que  j'aie  fait..  » 

DesfontaiDes  s'étant  retracté  dans  sa  feuille  34,  envoyée  par 
lui  à  Voltaire,  celui-ci  désarmé,  ou  feignant  de  l'être,  lai  indi- 
que (  14  nov.  )  dans  quel  sens  il  doit  orienter  sa  critique^  sUl 
s'occupe  encore  de  la  Mort  de  César: 

a  11  importe  peu  au  public  que  la  Mort  de  César  soit  une  bonne  ou 
une  méchante  pièce  ;  mais  il  me  semble  que  les  amateurs  de  lettres 
auraient  été  bien  aises  de  voir  quelques  dissertations  instructives  sur 
cette  espèce  de  tragédie  qui  est  si  étrangère  à  notre  théâtre  ;  nous  en 
avons  parié  et  jugé  comme  si  elle  avait  été  destinée  aux  comédiens 
français.  Je  ne  crois  pas  que  vous  ayez  voulu  en  cela  flatter  l'envie  et 
la  malignité  de  ceux  qui  travaillent  dans  ce  genre  :  je  crois  plutôt  que, 
rempli  de  Tidée  de  notre  théâtre,  vous  m'avez  jugé  sur  les  modèles 
que  vous  connaissez.  Je  suis  persuadé  que  vous  auriez  rendu  un  service 
aux  belles-lettres,  si  au  lieu  de  parler  en  peu  de  mots  de  cette  tragédie 
comme  d'une  pièce  ordinaire,  vous  aviez  saisi  l'occasion  d'examiner  le 
théâtre  anglais  et  même  le  théâtre  d'Italie,  dont  elle  peut  donner  quelque 
idée.  La  dernièie  scène  et  quelques  morceaux  traduits  mot  pour  mot 
de  Shakespeare  ouvraient  une  assez  grande  carrière  à  votre  érudition 
et  à  votre  goût.  ...  La  France  n'est  pas  le  seul  pays  où.  Ton  fasse  des 
tragédies  ;  et  notre  goût,  ou  plutôt  notre  habitude  de  ne  mettre  sur 
le  théâtre  que  de  longues  conversations  d'amour  ne  plaît  pas  chez  les 
autres  nations.  Notre  théâtre  est  vide  d'action  et  de  grands  intérêts, 
pour  l'ordinaire.  Ce  qui  fait  qu'il  manque  d'action,  c'est  que  le  théâtre 
est  offusqué  par  nos  petits-maîtres,  et  ce  qui  fait  que  les  grands  inté- 
rêts en  sont  bannis,  c'est  que  notre  nation  ne  les  connaît  point,  La 
politique  plaisait  du  temps  de  Corneille,  parce  qu'on  était  tout  rempli 
des  guerres  de  la  Fronde  ;  mais  aujourd'hui  on  ne  va  plus  à  ces 
pièces.  Si  vous  aviez  vu  jouer  la  scène  entière  de  Shakespeare,  telle 
que  jeTai  vue,  et  telle  que  je  l'ai  a  peu  près  traduite,  nos  déclarations 
d'amour  et  nos  confidences  vous  paraîtraient  de  pauvres  choses 
auprès » 

  la  fin  de  janvier  1736,  Voltaire  ayant  appris  que  Desfon- 
taines est  malheureux,  écrit  (29  janvier)  à  l'abbé  Asselin 
ces  lignes  qui  lui  font  honneur  : 

1  Voltaire  oublie  qu'il  travaille  à  sa  pièce  des  Américains  (autrement 
ôxiAlzit-e). 


VOLTAIRE   ET  L  ABBE   A8SEUN  ijOd 

«  Si  vous  savez  où  il  est,  mandez-le  moi.  Je  pourrai  lui  rendre 
service,  et  lui  faire  voir  par  cette  vengeance  qu'il  ne  devait  pas  m*ou- 
trager.  »  * 

a  Tout  est  bien  qui  finit  bien^  >  comme  dit  Shakespeare. 
Voltaire  recouvra  pleinement  sa  tranquilité  d'esprit,  après 
le  succès  éclatant  d'A/zire,  représentée  pour  la  première  fois 
le  27  janvier  1736,  et  qui  fut  jouée  vingt  fois  de  suite.  La 
recette  totale  se  monta  à  53.640  livres,  que  le  poète  abandonna 
aux  comédiens  «  pour  leur  témoigner  sa  satisfaction  et  récom- 
penser leur  zèle  et  leur  talent.  »  *  Cette  fois,  Voltaire  ne  son- 
geait guère  à  dire  :  «  Je  ne  suis  plus  qu*un  poète  de  collège  : 
j'ai  abandonné  deux  théâtres  qui  sont  trop  remplis  de  cabales, 
celui  de  la  Comédie  française  et  celui  du  Monde.  »  * 


APPENDICE 


La  Mort  de  César  fut  jouée  le  29  août  1743  sur  le  Théâtre 
français  ;  mais  elle  n'arriva  que  très  péniblement  à  sept 
représentations.  C'était  un  échec.  Voltaire  s*en  consola-t-il 
en  constatant  que,  depuis  la  représentation  du  Collège  d'Har- 
court,  la  Mort  de  César  était  devenue  la  tragédie  à  la  mode 

dans  les  collèges et  même  dans  les  couvents  de  jeunes 

filles  ?  Qui  le  croirait,  en  effet  ?  En  1748,  la  Mort  de  César  fut 
jouée  par  les  pensionnaires  du  Couvent  des  Visitandines  de 
Beaune,  le  jour  de  la  fête  de  leur  supérieure!...  Et,  chose 


1  Toutefois  ces  beaux  sentiments  ne  devaient  pas  longtemps  persister. 
Un  mois  après,  Voltaire  écrivait  à  M.  Berger,  en  parlant  de  Tabbé 
Desfontaines  :  «  Dans  quelle  loge  a-t-on  mis  ce  chien  qui  mordait  ses 
maîtres  ?  >  —  Et  à  GidevlLle  (25  mars)  :  c  L'abbé  Desfontaines  est  un 
monstre  qu'il  faudrait  étoufier.  » 

'  Mercure  de  mars  1736,  p.  539-543,  et  d'avril,  p.  661  et  suiv. 

>  Volt.  Ed.  Beuchot,  t.  LU,  p.  56.  Lettre  à  Thieriot. 

U 


210  VOLTAIRE  ET  l'aBBÉ   ASSELIN 

plus  sarprenante  encore,  se  souvenant  que  Racine  avait 
composé  un  prologue  pour  son  Estker^  ces  jeunes  filles  priè- 
rent leur  supérieure  d'écrire  à  Voltaire  pour  lui  demander 
un  prologue  qui  devait  être  récité  par  Tune  d'elles.  Le  pre- 
mier mouvement  de  Voltaire,  dit  M.  Alexis  Pierron  *,  fut  de 
froisser  la  lettre  et  de  la  déchirer.  Gomment,  s'écria- t-il,  c'est 
bien  à  des  filles  de  représenter  une  conjuration  de  fiers 
républicains  !  Après  réflexion,  il  se  calma  et  dit  :  «  Ce  sont 
pourtant  de  bonnes  filles  I  Elles  ne  sont  pas  trop  raisonnables 
de  vouloir  un  prologue  pour  cette  tragédie  ;  mais  je  le  suis 
encore  moins  de  me  fâcher  pour  un  prologue.  »  —  Et  le  bon 
apôtre  trempa  sa  plume  dans  la  plus  pure  eau  bénite  pour 
composer  le  prologue  demandé^  qu'il  envoya,  avec  la  lettre 
suivante,  à  M"^*  de  Truchis  de  La  Q-range,  religieuse  de  la 
Visitation  Sainte- Marie,  à  Beaune  : 

à  Paris,  7  juin  1748. 

Voilà,  Madame,  ce  que  vous  m'avez  ordonné.  J'aurais  plus  tôt 
exécuté  cet  ordre,  si  ma  santé  et  des  occupations  fort  différentes  de 
la  poésie  l'avaient  permis.  Je  voudrais  que  ce  prologue  fut  plus  digne 
de  vous,  et  répondît  mieux  à  l'honneur  que  vous  me  faites  ;  mais  que 
dire  de  Jules  César  dans  un  couvent?  J'ai  tâché  au  moins  de  rapporter, 
autant  que  j'ai  pu,  les  idées  de  cette  catastrophe  aux  idées  de  religion 
et  de  soumission  à  Dieu,  qui  sont  les  principes  de  votre  vie  et  de  votre 
retraite*  Je  vous  prie.  Madame,  de  vouloir  bien  intercéder  pour  moi 
auprès  du  maître  de  toutes  nos  pensées.  Vous  me  rendrez  par  là  moins 
indigne  de  voir  mes  ouvrages  représentés  dans  votre  sainte  maison. 

J'ai  rhonneur  d'être  avec  respect,  Madame,  votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur. 

VOLTAIRB, 

Gentilhomme  ordinaire  du  roi. 

Vers  récités  par  une  pensionnaire  du  Couvent  de  Beaune,  avant  la 
représentation  de  «  la  Mort  dk  Câsar  ï  pour  la  fête  de  la  prieure, 
1748, 

Osons-nous  retracer  de  féroces  vertus 

Devant  des  vertus  si  paisibles  ? 
Osons-nous  présenter  ces  spectacles  terribles 

*  Voltaire  et  ses  maîtres,  p.  61.  • 


VQLTAIBE  ET   l'aBBÉ   ASSEUN  211 

A  ces  regards  si  doux,  à  nous  plaire  assidus  ? 
César,  ce  roi  de  Rome,  et  si  digne  de  Tétre, 
Tout  héros  qu'il  était,  fut  un  injuste  maître, 
Et  vous,  régnez  sur  nous  par  le  plus  saint  des  droits  : 
On  détestait  son  joug,  nous  adorons  vos  lois. 
Pour  nous  et  pour  ces  lieux  quelle  scène  étrangère. 
Que  ces  troubles,  ces  cris,  ce  sénat  sanguinaire, 
Ce  vainqueur  de  Pharsale,  au  temple  assassiné. 
Ces  meurtriers  sanglants,  ce  peuple  forcené  1 
Toutefois  des  Romains  on  aime  encor  Thistoire  ; 
Leur  grandeur,  leurs  forfaits,  vivent  dans  la  mémoire. 
La  jeunesse  s'instruit  dans  ces  faits  éclatants  ; 
Dieu  lui-même  a  conduit  ces  grands  événements  ; 
Adorons  de  sa  main  les  coups  épouvantables, 
Et  jouissons  en  paix  de  ces  jours  favorables 
Qu'il  fait  luire  aujourd'hui  sur  les  peuples  soumis, 
Eclairés  par  sa  grâce,  et  sauvés  par  son  Fils. 

Voltaire. 

Il  est  vraiment  fâcheux  que  la  Gazette  de  Beaune  — ,  s*il  j 
en  avait  une  — ,  n'ai  pas  rendu  compte  de  cette  représentation 
pour  le  moins  étrange,  ou  de  «  timides  colombes  »  enflèrent 
leurs  voix  pour  déclamer  comme  il  convenait  les  rôles  du  dicta- 
teur Jules  César,  du  consul  Marc- Antoine,  du  préteur  Brutus 
et  des  sénateurs  Dolabella,  Cassius,  etc.,  etc. 


II 


La  Mort  de  César  fut  reprise  sur  le  théâtre  delà  République 
en  1792  et  1793  ;  mais  «  le  dénouement,  dit  Beuchot,  blessait 
quelques  têtes  ardentes,  Gohier,  ministre  de  la  justice,  et  qui 
depuis  a  été  membre  du  directoire  exécutif,  fit  un  nouveau 
dénouement,  qui  fut  joué  sur  le  théâtre  de  la  République.  » 

En  voici  la  dernière  scène  : 

(N.  B.  — Le  fond  du  théâtre  s'ouffrait  On  voyait  la  statue  de  la 
Liberté  entourée  d'un  cercle  de  peuple.  Dans  la  salle,  tout  le  monde  se 
levait,  parterre  et  loges,) 


212  VOLTAIRE  ET  l'aBBÉ   ASSELIN 


BRUTUS 

Daigne  entendre  mes  vœax,  Divinité  chérie  ; 

Veille  sar  nos  destins,  veille  sur  ma  patrie. 

Grands  Dieux  !  si  cette  main,  en  s'armant  d*un  poignard, 

N^eût  servi  qu'aux  dessins  des  rivaux  de  César  I... 

Eloigne  des  terreurs  qui  rouvrent  ma  blessure  I 

Je  pouvais  pour  toi  seule  oublier  la  nature  ; 

Pour  toi  seule  à  César  j*ai  pu  donner  la  mort  ; 

Pour  toi  seule  aujourd'hui  Brutus  peut  vivre  encor. 

S'il  faut,  par  d'autre  sang,  affermir  ton  empire, 

Ah  !  que  Rome  soit  libre  et  que  Brutus  expire  I 

OASSIUS 

Formons  les  mêmes  vœux  au  pied  de  cet  autel  ; 
Mourir  pour  son  pays,  c'est  se  rendre  immortel. 

ROMAINS 

Nous  jurons  d'imiter  son  courage  héroïque: 
Vive  la  liberté  I  vive  la  République. 

Voltaire,  s'il  avait  lu  ces  vers,  aurait  eu  le  droit  de  répéter 
ce  qu'il  écrivait  à  M.  de  Formont  (22  sept.  1735)  :  «  César 
n'a  jamais  été  plus  massacré  par  Brutus  et  par  Oassius  que 
par  Tabominable  éditeur  qui  m'a  joué  ce  tour.  Les  entrailles 
paternelles  s'émeuvent  à  la  vue  de  mes  enfants  ainsi  mutilés  : 
cela  est  déplorable  !  » 

Armand  Gast^. 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


(Suite) 


[108  (C  17)] 

FOLCHET  DE  MARSEILLA 

(o  f^  11  r«) 

(  —  B.  Gr.  156,  23) 

I.  Tant  mou  de  cortesa  rason 
Monchantar  ^  qeunois  pois  ^ 

[faillir 
Ennanz  men  dei  meill  ^  aue- 

[nir 

Qe  mais  nô  fe^  &  sabez  cô  ^ 

5  Qe  lemperaris  *  me  somon 

Ë  pregam^  fort  qeu  men 

[ieqis 
Sil  mol  ^  sufris 
Mais  qar  il  es  cim  &  rais  * 
Densegnamen 
10  Nô  seschai  qal  seu  manda- 

[men 
Sia  mon  saber  ^®  flac  ni  lenz 
Anz  taing  qe  dobles   mos 

[e  menz  ". 

II.  E   sam  ^^  per  lei  en  ^'  ma 

[chanson 


De  lausenger  oui  deus  adir^^ 

Aqi  lor  ^^  uoill  del  tôt  maldir 

Ni  ia  deiis  noca^*  lur  perdon 

5  Qar  an  diz  so  qan  uer  non 

[fon  « 
Per  ^^  cela  cai  obedis 
Me  relinqis 

E  cuia  qal  ior  ^'  aia  sis 
Mon  pensamen 
10  Ben  modon  '®  per  gran  fal- 

[limenz 
Qan  perço  qeu  am  finamen 
Per  sel  qel  dison  qe  ^^  niez. 
III.  Ameraila  donc  a  lairon 
Pois  uei  qil  nO  degna  sufrir 
Qienz  ^^  en  mon  cor  la  désir 
E  sai  qe  far  mer^^  uoill  o  non 
5  Qel    cor   ten    lo    cors    en 

[preson  ** 
Et  al  si  destrez  ^^  &  conqis 
Qe  no  me**  uis 
Caia^^  poder  qeu  men  partis 
Abanz*^  aten 
10  Qanqer  la  uencha  *•  sufren 


X.  S.  :  Vordine  délie  stanze  in  quello  é  seconda  i  numeri  di  qui:  I; 
1,  II  :  2,  III  :  5,  IV  ;  3,  V  :  4  —  1  Mos  chantars  —  2  puesc  —  »  mi  d.  miels 
jCan  mais  no  fis  —  *  con  —  «  lemperairitz  —  f  plagram  —  "  mo  — 
•  Mas  pos  il  es  cim  e  razis  —  *•  mos  sabers  —  ^i  qes  doble  m.  engienz  — 
i*sanc—  13  e  —  »♦  air  —  «  Aissilos  —  16  E  ia  dieus  noqa  —  "  ditz  so 
qanc  u.  no  fo  —  *•  Perqe  —  *•  caillors  —  *>  muer  donc  —  **  qes  — 
"  Qe  inz  —  23  qa  f.  mes  —  **  preizon  —  **  destreg  —  *•  mes  —  *'  Qem 
des  ~  SB  Enanz  —  29  Qon  lapuscauenzer 


214 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


Qe  merce  ab  long 

[oenz 
Lai   a*  non  nal  força  ni 

[mens*. 

IV.  E  80  merce  ^  nonmetêpron 

Qe  farai.  pond  men  partir 

Nô  en  qe  '  prea  soi  a  *  mo- 

[rir 

De  gaisa  qi  ^  mer  sobre  bon 

5  Qen  pensan*  remir  sa  fai- 

[son* 
E  remirand  en^*  langeais 
Qar  ellam  dis  >' 
Qe  nom  dara  ço  qen  lai 

[quis  " 
Tan  loniamen 
10  Ni  *>  per  aiço  no  malen 
Anz  dobl  ades  mon^^  pensa- 

[menz 

E  moraisi^  mescladamenz. 

V.  Ni  per  aiço'*  no  mabadon 

Qar  en  ai  sempre  aadi  dir  '^ 

Qe  mensogna  nô  pod  '*  eu- 

[brir 

Qe  non  mora  **  qalqe  sason 

5  E  pois  drez  uenz  fais  occbai- 

[son  *• 
Anqer  aissi  pins  ^  e  dénis 
Com  eu  fui  **  fis 
Qar  si  fui  suiez  >'  &  aciis 
De  bon  talen 
10  De  lei  amar  après  '^  conten 
Mon  fin  corages  &  mon  ^* 

[senz 


Ghascnn  cni  amar  plus  for- 

[menz'*. 

[109  (C  18)] 

FOLCHET  DE  MARSEILLA 

{cf.  IIV) 
(B.  Gr.  155,  8) 

I .  En  chantan  manen  a  mem- 

[brar 
Zo  qeu  cnid  chantan  obli- 

[dar 
Mas*^  per  ço  chant  qobUdes 

[la  dolor 
Del  ^  mal  damor 
5  Mas  '*  on  plus  chant  mais'* 

[me  soue 
Qa  ''  la  bocha  nuUa  '^  rô 

[nom  aue 
Mas  sol  merce 
Per  qes  uertaz  &  sembla  be 
Qinz  el  cor  port  dOna  uostra 

[faiçon 
10  Qem  castia  qeu  no  uir  ma 

[raçon. 

II .  E  pos  amors  mi  uol  ondrar 
Tant  qen  cor   uos  me  fai 

[portar 

Per  merce  us  preg  qeus  gar- 

[dez  del  ardor 

Qeus  ai  paor 

5  De  nos  molt  maior  que  de  me 


ï  Qar  lonc  sufrir  e  merces  —  'on  —  '  gieinz  —  ♦si  merces  —  *  leu 
non  qar  —  *  sui  del  —  '  qe  —  •  Qins  el  cor  —  •  faisson  —  *•  &  eu  — 
>i  ditz  —  **  qis  —  *'  Eies  —  **  mos  —  **  moir  assi  —  ••  Mas  ies  -per  tal 
—  *'  ai  be  sempres  auzit  —  **  mensoingha  nos  pot  —  *•  moira  — 
^  dreigz  u.  falz  ochaison  —  21  Encar  er  proat  —  2«  c.  li  sui  —  **  Gaissil 
sui  liges —  •*  Qen  leis  a.  an  près  —  •»  Mos  ferms  coratges  &  mos  — 
3^  Cusqecs  cuja  a.  p.  fortmenz. 

L,  S.:  «7  E  —  a»  El  —  a»  Car  —  30  miels  —  3^  Qen  —  3»  niulla 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


2.5 


Donc  po8  mô  cors  dOna  uos 

[a  en  se 
Si  mais  lin  ue 

Pois  dinz  es  sufrir  leus  coue 
E  per  ço  faiz  del  cors  so  qi 

[les  bo 
10  El  cor  gardaz  si  com  uostra 

[maison. 

III.  Qel  garda  uos  &  ^  ten  tant 

[car 

Qil  en  fa  '  nesci  semblar 

Qel  sen  i  met  lëgein  &  la 

[ualor 
Si  q  en  error 

5  Laissai  cors  p^r  sen  qen  ' 

[rete 
Com  mi  parla  mantas   uez 

[sen  deue  ^ 
Qeu  nô  sai  qe 

Qem   salad  hom.   qeu  non 

[aug  re 

E  ia  perço   nuls  hom  nom 

[ochaison 

10  Sim  saluda  &  eu  mot  no  li 

[son. 

IV.  Perol   cors  nous  deus   ges 

[blasmar  » 

Del  cors  per  mal  qel  sapcha 

[far 

Qar  tornad  la  al  plus  ondrat 

[seinor 
E  toit  dallor 

5  On  trobaua  enian  &  nô  fe 

Mais    dreiz    torna    uas    sô 

[segnor  anc  se 

Pero  nô  cre 

Qen    deing  si  merces  non 

[mante 


Qel  intrel  cor  tât  qen  log 

[dû  rie  don 
10  Deing  escoltar  ma  ueraia 

[chanson. 

V.  Qar  sillam  degnaz  escoltar 

Dôna  mercei  deuria  trobar 

Pero  obs  mes  qoblides  la  ^ 

[ricor 
Mas  '  la  laudor 
5  Qeu  nai  dit  en  dirai  iase 
Pero  ben  sai  mos  laudars 

[pro  nô  te 
Cum  *  qem  mal  me 
Qar  •  lardors  me  ^^  creis  em 

[reue 
El  focs  qil  mou  sai  qe^^  creis 

[abandon 
10  Eqomnoltoc*2  njQrgnpauQ 

[de  saçon. 
VI.  Morir  pusc  be 

Naiman  per  miabona  '^  fe 
Ni  *^  sim  doblaualmals  dai- 

[tal  faiçon 
Qom  ^i'  doblal  poinz  del  tau- 
[1er  per  raçon. 
Vil.  Gansons..  ....  *<*. 


[110  (c*  19)] 

FOLCHET  (c  /•.  12  r») 

(B.  Gr.  155,  27) 

1 .   Uns  uoler  oltracuidaz  *^ 
Ses^inz  en**  mon  cor  aders*<> 
Pero  non  dis  *^  mos  espers 
Ja  pousc  2*  esser  accabaz  ^* 


1  eus  —  «  Qel  cors  —  3  prez  en  qel  —  ♦  sesdeue  —  b  no  si  deu  clamar 
-  «  sa—  f  E  —  8Com  — 9Qe  —  lOmi— n  qel— i«qinolmou— i-' Azi- 
man  qieu  nom  clam  de  re  —  !♦  Nais  —  i^  Gon  —  i«  G.  de  se.  Vas  monpellier 
uaidepart  me.... 

L  S.  :  ï'uolersoltracuidatz  —  18  e  —  i»  aers  —  'O  Tal  qe  nom  ditz  — 
''pose  -2«acabatz 


216 


LE  CHANSONNIER  DE  BEBNART  AMOROS 


5  Tant  aat  ses  es  penz  ' 
Ni  ^  no  maotreia  mos  senç 
Qeo  '  sia  desperaz  * 
E  soi  aissi  mertadaz  * 
Qea  *  non  desper  "* 
10  Ni  ans  esperanç*  aner. 
II.  Qar  trop  me  soi*  haut  poîaz^ 
Ves"  qes  petit  ^'mospoders 
Per  qem  castia'^  temers 
Qar'^  aital  ardîmenz 
5  Fac  ''  noz  a  mantas  ^*  genz 
Mas  don  conhort  soi  ^'  iaa- 

[senz 
Qim  aen  '*  de  nes^*  antrelatz 
E  mostram  qomilitatz  '® 
La  tant  en  ^  poder 
10  Qe  ben  me  pot  escader  ''. 
II L  Tant  si  es  mon  cor  fermaz 

[(oZ'.-pausaz)** 
Qe    mensoniam  ^    sembla 

[aers 
Qe  2^   ai  tal  maltraich  mes 

[lasers  *• 
Pero  ben  "  sai  qes  aertaz 
5  Qe  long  atar  '^  nenz 

Per  qeus**  prec  d5na  ua- 

[lenz  »® 


Qe  sol  daitst  me  sofraz  '* 
E  poi  '^  serai  gét  pagaz  ^ 
Qem  laisses  ^  noler 
10  Logaoç'^qiiens  désir  aaer'*. 
IV.  Ben  parec  nescietaz'^ 

E  trop  sobrardiz**  uolers 
Qar  solamenl  nns  neders  '* 
Ma^  decebnt  tant  niaz^^ 
5  Qes  coîgdetamenz^' 

Me  nencalcor  nns*'  talenz 
Tais  don  en  soi  enamoraz  *^ 
Mas  pos^^  mes  tant  **  fort 

[doblaz  " 
Qe  maitin  ^  &  ser 
10  Me  fai  dolçament  *'  doler. 
V.  Mas  pero  chantar  nô  plaz  ^* 
Si  men  nalgaes  esteners^' 
Anz  me  fora  ^  nô  calera 
Laissar  déport  ^  Se  solaz 
5  Oi^*  mais  pos  nés  meinz 
Léperariz  ^^  cni  iouenz 
Apoiaz**  en  laaçor  graz*" 
E  sel*»  cors  noill»»  fos  for- 

[chaz  ^^ 
Il  fera  *'  saber 
10  Com  fol  se  *^  sap  de  cba- 

[der.  •* 


Jpeinz— *E  'Qien —  *desesperaz —  *  meitadaz  -  •  Qieu  —  ">  deses- 
per —  •  esperanza  —  •  Car  moût  mi  sent —  ^*  poiatz  —  ^^  Vers  —  »*  petitz 
—  <3chastia — i*Gar  — ^*fatz —  **  maintas  —  i'  conhortz  sni —  i*  Qem 
sail  —  *•  uas  —  2«  Em  mostra  cumilitatz —  •>  em —  •*  bes  men  pot  escha- 
zer  —  •'  mos  cors  fermatz  —  2*  menzoingnham  —  2»  &  —  *«  maltraig 
lezers  —  t»  si  -  *•  bos  aturs  —  ••  qieus  —  'O  naillenz  —  3i  sufratz  — 
3»  pois  —  "  pagatz  —  3*  laissetz  —  3»  gang  —  se  dezir  nezer  —  ^^  paret 
nescietatz  —  ••  sobrarditz  —  ^9  Cant  solamen  us  uezers  — *o  Mac  —  **  tan 
uiatz  —  ♦*  condudamenz  —  *3  us  —  *♦  qeu  sui  enamoratz  —  **  pois  — 
*6  tan  —  *'  doblatz  —  ♦*  matin  —  ♦*  doucamen  —  ^  M.  ara  chantars 
nom  platz  —  **  effreners  —  ^^  Pero  laissât  —  *3  Men  fara  iois  —  *•  Hoi  — 
*5  Lemperairitz  —  56  Apoiatz  —  ^^  gratz —  58  sil  —  •"non  —  ••  forsatz  — 
*ï  Eu  feira  —  ^^  fols  si  —  *^  chazer  —  L.  S.  ha  i  dtie  canzoncini  copiait 
qui  allato  : 

VI.   Ai  douza  res  couinenz  Pos  nuls  autre  iois  nô  platz 

Uenza  uos  humilitatz  Ni  dautre  uoler 


LE  CHANSONNIER  DE   BERNART  AMOROS 


217 


[111  (c*  20j] 
FOLCHET 

(=  B.  Gr.  155,6) 

I.  Cantan  uolgra  mon  franc  ^ 

[cors  descobrir 

La  ^   0   magrobs  ^  qae  fas 

[sÀupuz^  mon  aers 

Mas  per   dreit^   gaug  me 

[fallit  ^  mon  sabers 

Per  qai  paur'  qe  noi  puosc* 

[aaenir 
5  Quns  ^  noael  ioi  en  cui  ai 

[ma  speransa^® 
Vol  que  m5  chant**  per  lei 

[sia  adrers  *^ 
Eda*3  lei  plaz  qeu  *^  ennanz 

[sa  laudor** 
En'*  mô  châtar  don  ai  gaug 

[&  paor 


Qar  sO  preç  sabis*^  lauçador. 
II.  (c.  f.  12  yo.)  Per  qe  nO  par  qe 

[podes  deuenir*^ 
Son  prez  cortes  qertanf 

[aut  aders^® 

Qara  nO  dei  en  uer  sem- 

[blant  faillir  « 

Qar  qeu  chant  en  leu  de  bon 

[audirM 
5  Qe  son  bel  ris  &  sa  bella 

[semblansa" 
Me  pars  ses  oils  tan  garda 

[ueers  ** 
Per  qeu  poghes*^  retraire 

[sa  ualor** 
E  *'  de  &on  prez  •*  triar  lo 

[meillor 
E  dels  aman  >*  lo  pins  fin 

[amador. 
111 3<).  Car   anc  nol   dis  tan  tem 

[uas  lui  faillir 


5  Non  ai  engeing  ni  poder. 
VII.  Qe  tanz  suspirs  nai  ietatz 


Pe»'  qel  iorn  el  ser 

Prec  sospiran  mon  poder. 


L.S. :  l  :  1,11  : 2,  III:  5,  IV  :  3,V:4—  *  mo  ferai  —  »  Lai—  «  magrops  — 
*  saubuz  —  5  dreg  —  ^6  mes  fallitz  —  '  cai  paor  —  *  poscha  —  •  Qun 
— '•  mesperaosa  —  i*  mos  chanz —  ^^  aders  —  •'  E  car  —  *♦  qieu  —  i*  ualor 
—  *•  E  —  *  '  SOS  pretz  uol  trop  saui  —  **  qeu  pogues  deuezir  —  *'  S. 
cortes  pretz  qe  tan  —  'o  es  aers  —  24  Com  n.  ditz  uer  qe  non  semble 
plazers  —  ^  E  trob  aitan  en  Ueis  de  ben  a  dir  —  23  Qq  sofrachos  men 
fai  trop  daondanza  —  *♦  Perqieu  men  lais  qieu  non  die  mos  espers  — 
*•  Gon  ja  pogues—  **  lauzor  —  "  Qe  —  **  pretz  a  —  •*  amatli  —  ^  Questa 
itanza  non  deve  esser  corretta  cosi  (c'est-à-dire  :  comme  elle  a  été  corri- 
gée danse*) ma  mutato  Vordine  di  tutte  per  numeri.  Pero  non  ci  essendo 
altro  rimedio  di   correggeila   secondo  L.  S.  la  copiera  gui  allato : 


Anc  re  non  dis  don  non  tempses 

[faillir 
Vas  lei  tan  les  aturatz  mos  uolers 
Masdorenan  non  mi  toura  temers 
Qeu  sai  qel  fuecs  sabraza  per  cu- 

[brir 
5  El  dieus  damor  ma  nafrat  de  tal 

[lanza 


Don  nom  ten  pro  soiornar  ni  ia- 

[zers 
Anz  desampar  per  mi  donz  cui 

[ador 
Tal  qe  ma  fag   gran  be  e  grant 

[honor 
Mas  ben  deu   hom  cambiar  bon 

[pe;*  meillor. 


218 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART   AMOROS 


Qan  868  en  lei  atarat  mos 

[volera 
Mas  derenant  no  me   cal 

[mais  temer 
Qea  sai   qel  focs  sabrasa 

[per  cobrir 
5  E  dleos    damor    am  nafrat 

[de  tal  lansa 
Don   n5  ten  pro  soiomar 

[ni  iazera 
Qeu  ai  lascad  p^leis  cui  ea 

[açor 

Tais  qe  ma  fait  gran  ben  & 

[grand  honor 

Mas  ben  dei  hom  c&biar  per 

[meillor. 
IV  *.  E  doncs  pos  eu  non  ai  mais 

[lo  désir 

Non  ai  donc  pro  mont  es 

[gran  mon  poders 

Seaais  daitant  mena  donat 

[leçers 
E  doncs  per  qem  auilh  de 

[plus  enardir 
5  Qar  sei  beil  oill  &  sa  gaia 

[semblansa 

Don  pasc  mos  oils  tan  ma- 

[gradal  ueçer 

Man  dat  conort  tal  qe  meu 

[de  folor 


Qades  mes  uis  qem  nolha 

[dar  samor 
Qan  uoilh  aes  mi  ses  oils  pies 

[de  dousor. 
V.  E  donc  dôna  qeu  mais  nO 

[paosc  Bofrir 
Lo  mal  qeu  trag  per   uos 

[maitiQ&  sers 
Merces  naiaz  qel  mond  non 

[a'  auers 
Qi  senes  uos  me  podes  en- 

[riqir 
5  E  qant  uos>  uei  souen  nai 

[tal  *  doptansa 
Qab    uos  me    faça  oblidar 

[mon  ^  calers 
Mas  eu  qe  sent  la  pena  & 

[la  dolor 
No  uos  oblit*  ges  anz  i  teing 

[noit^  &  ior 
Les^  oils  el  cor  si  qe   nol* 

[uir  aillor. 

[112(ca21)J 

FOLCHET 

(=   B.  Gr.  155,  7J 

1 .  Chantar  ^®  mi  tom  ad  "  afan 
Qant  mi  '^  souen  del  baral  *' 


*  Pero  ren  als  non  ai  mas  lo 

[dezir 

Non    ai   donc   pro  moût   es 

[granzmos  poders 

Si  neis  daitan  mi  donaua  lezers 

E  donc  per  qem  uoil  de  plus 

[enantir 
5    Car  son  bel  ris  ab   sa  douza 

[semblanza 


Mapais  mos  oils  tan  magra- 

[dal  uezers 
Mas  un  conort    nai  qem  mou 

[de  follor 
Qades  mes  uis  qemuoilla  dar 

[samor 
Sol  uir  uas  me  sos  oils  plenz 

[de  douzor. 


*  es  —  •  car  nous  —  *  ai  gran  — •  *  Qe  uos  mi  faitz  oblidar  non —  •  Nous 
ublit  —  '  teinc  noig  —  •  Los   -  «  nols. 
L.  S.  :  ^^  Ghantars  —  "  az— i^Ca^t  mg  _  13  ^^n  barrai 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


219 


E  pois  ^  damor  plus  non  * 

[cal 
Non    sai   com  ^  ni   de  qe 

[chan 
5  Mas  qex  ^  demanda   chano 

[son* 
E  noil  cal  de  la  raison  ' 
Qautressi  ^  mes  obs  la  faça 
De  nao  cum  los  moz  >  el 

[son 
E  pos  forsaz  fes  '  amor 
10  Chan  *®  pcr  depte  de  folor  " 
Proer  mon  ^^  chanz  cabal- 

los" 
Si  nO  es  auols  ni  bos. 
II.  (c  /.  13  ro)  Amador  soi**  don 

[semblan 
El  rie  cube  dautretal  ^> 
Cades  ab  dolor  coral 
Merman  lor  iois  "  on  mais 

[nan 
5  Qe  enluoc"  defenestra  son** 
Qe  merma  som  ia  pon  ** 
On  *•  plus  pren  qex  **  so  qe 

[chaza 
Plus  a  de  segre  ocbaison  ^> 
Per  qeu23  teingcel  permeil- 

[lor 
10  Qe  rei  ni  emperador 

Qi  2*  cel  mais  cubs  '^  uenz 

[amdos 


Qi  ^>  uenz  bom  ^^  plus  dels 

[baros. 

III.  Ben  fora  som  preçes  tan 
Dieus  com  si  *•  ni  ben  cû  ^' 

[mal 
Mas   ço  prez  hom  qi  ^^  nO 

[ual 
E  son  pro  ten  bom  a  dan 
5  Per  qeu^*  non  aus*^  nostre 

[pro 
Dir  "  chantan  qe  3*  nO  sap 

[bo 
Al  segle  ni  cre  qil  placha  ^^ 
Qil  diren  si  son  '*  mal  no 
Mas  pero  ^^  la  deisbonor  ^^ 
10  Puos  dir  sill  truc  ••  entre  lor 
Sô  uencut  ni  bassat*^  ios 
Puois  tuich  uencut  **  uôçon 

[nos. 

IV.  Ben  uenz    bom  pois  nuH' 

[deman 
N  oi  fan  delà  uinta  *^  mortal 
Mas^^  sinosfossam  leialM^ 
Tornera  antz  **  ad    honor 

[gran 
5  Qûs  *''  certes  genz  de  dieus 

[fon  *» 
Qal  ries  trobes  son  perdo  ^* 
Qis  fan  plus  freuol  qe  gla- 

[cha  50 
Qi  dab  strenençal  somo  ^' 


*  pueis  —  8  nom—  »  don—*  qecs  — *  chanso  —  «  raiso  —  '  Qeissa- 
men  —  «Denou  con  l.motz  —  «pueis  forsatz  ses—  «•  Chant  —  **  follor 

—  **  mos  —  n  cabalos  —  **  son  —  **  ries  cobes  datretal  —  **  Mermon 
lur  gaug  —  17  luec  —  !«  so  —  i»  po  —  *•  Con  —  «i  qecs  —  «   ochaizo 

-  *3  qieu—  «♦  Qe  -  «3  aibs—  26  Qq  _  v  uenzol—  2»  se—  »  con  —  30 qe 

-  5»!  qieu  —  3î  die  —  33  En  —  3*  car  —  38  crei  qeil  plassa  —  36  Qi  re  li 
ditz  si  —  »7  siuals  —  3»  deshonor  —  39  Puesc  d.  sels  turcs  —  *•  uencutz 
ni  bassate  —  ♦!  E  totz  uencutz  —  *»  on  pueis  nuil  —  "3  Noil  fain  de 
lauU  ~  *4  E  —  «  fossem  leial  -   *«  Torneranz  —  *'  Gus  —  *^  dieu  fo 

—  *•  perdon  —  *o  glaza  —  *i  Qe  destrecha  lur  semo 


220 


LE  CHANSONNIER  DB  BERNART  AMOROS 


Mas  cObatten'    ab  lauçor 
10  Na  deos  ^  près  en  son  la- 

[bor' 
Mainz  ^  qe  ia  confessios 
Noill  ^  plagra  sa  qi    no  * 

[fo8. 

y.  Donc  nostre  baron  qe  '  fan 

Nil  rei    engles  cui  deus  * 

[sal 
Coiça  *  aaer  faiz  ^^  son  îop- 

[nal 
Molt  ^^  iaura  lart  "  enîan 
5  Sil  a  faiz  *'  la  messio 
En  antre  fan  ^^  la  preiso 
Qe  lemperaires  p^rchaza  <^ 
Cnm  deus  cobres  ^*  sa  reiço 
Qe  prtmers  cre  "  qe  socor 
10  Si  dens  li  rent  so  *'  honor 
Ras  taing  tant  es  rix  **  lo 

[dos 
Qe  tal  sial  ghiardos  >®. 
VI.  **  Al  rei  francs  laure  fâchai 
Tornar  com  nol  tenga  bo 
Per  qeu  die  serai  socor 
Qes  ops  qe  nos  don  paor 
5  E  sar  noi  nai  qes  saisos 
Die  eau  ni  des  per  un  dos. 
Vil.  Naiman  molt  mi  sap  ^^  bo 
E  molt  en  prez^'  mais  valor 
Cab    em    baral     mon   sei- 

[gnor  ** 
E  monos  ^^  prez  e  messîos 
Aissi  cum'^  sanc  re*''  nô  fos. 


Vin.  E  toç  »  téps  A  eu  «•  &  uos 
E  luns  '®  per  lautre  ioios. 


[113  ((f  22)] 

FOLCHET  DE  MARSEILLA 

(o/.  ÎSff') 

(=  B.  Gr.  156,  21) 

I.  Si  tôt  mi  soi  a  lard  aper- 

[ceubuz 
Aisi  cum  cel  qa  tôt  perdu t 

[&  iura 
Qe  non  iog  mais  ''  a  gran  bon 

[auentura 
Me  "  dei  tener  qar  me  '*  soi 

[conoguz 
5  Del   grans   enians   qamors 

[uas  me  façia 

Qab  bels  semblanz  ma  ten- 

[gud  en  fadia 

Mais  de  dex  ans  a  lei  de 

[mal  deutor'* 

Qades'^  promet  mas  re  non 

[pagaria. 

II.  Qab  bels  semblanz  qe  fais 

[amor  aduz 

Satrai  uas  lei  fols  amâz  e 

[satura 

Qol  parpallion^^  qa  tan  folla 

[natara 


«  Qes  combaton  —  »  An  dieu  —  *  laor  —  *  Per  —  •  Noil  —  •  quesi 
non  —  T  Doncs  nostres  baros  —  •  dieus  —  »  Guda  —  *o  fait  —  **  Meut 

—  1»  lait—  1-»  Si  laifai—  i*  E  altre  fai  —  i'  lemperaire  perchassa—  i  «Con 
dielis  cobre  —  i7  e  près  e  cre  —  i*  dieus  li  ren  sa  —  **  E  si  tan  es 
grans  —  ••  Ries  sera  lo  guiardos  —  *ï  L.  S.  no  hà  questa  stanza  — 
**  Naziman  moût  mi  sab  —  *'  moût  en  près  —  '*  en  barrai  mo  segnor 

—  28  Es  mortz   -  ««  con  —  «»  res  —  «»  En  totz  —  «»  ieu  —  »•  Em  lus. 
L.S:3iQemaisnonioec  — 33Mo  —  a^men  —  3»  deptop  —  «  Gassatz 

—  36  Col  parpallios 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


221 


Qes^  fer  el  foc  per  la  clartat 

[qei  luz 
5  Mas  eu  men  part  &  segrai 

[autra  uia 

Qom  *  mal  pagaz  qestiers 

[no  men  partria 

E   segrai  laib    de    tôt   bo 

[seruidor  (aV  :  sufridor) 

Qe  sirais  fort  si  cum  fort 

[sumelia. 

III.  Non  maderai*   si  ben   soi 

[irascuç 
Ni  faz  de  leis  en  chantan^ 

[ma  rancura 
Ni  ^  diga  ren  qe  noi  semble 

[mesura 

Mas  ben  sapcha*   qa   sos 

[obs  soi  perduz 

5  Qanc  sobre  fre  nom  uolg^ 

[menar  un  dia 
Anz  mi  fez  far  mô   poder 

[tota  (lia 
Et  anc  sempre  cauals   de 

[gran  ualor 
Qin  beorda  trop  soen  felnia  ^ . 

IV.  Fel*  for  eu  trop*°  mas  so- 

[men  retenguz 
Qar  qab  plus  fort  de  si  se 

[desmura" 
Fai  gran  foldazneis  a  gran^^ 

[auentura 
Ë  de  son  par  qesser  en  pot 

[uencuç  *• 


5  E  de  ^^  plus  freol^^  de  si  es 

[uillania 
Per  qanc  nom  plag  nim  plaz 

[sobransuria 
Pero  en  sen  deuon  gardar 

[bon or 

Qar  senz  aunid  preç  trop 

[mens^*  qe  follia. 

V.  Amors   per  ço  men  soi  eu 

[recressuz  {al*:  retenguz) 

De  uos  seruir  qe*^  mais  nô 

[arai*8  cura 

Qaisi  com  mais  preç  hom 

[laida  pentura^' 

De  long  no  fai  qant  es  de 

[près  uenguz^*^ 

5  Presau  eu  uos  mais  qan  ^' 

[nous  coinossia 

Ë  sanc  ren  uolg  mais   nai 

[qer  n5  uoldria  '• 

Qaisi  mes  près  cum  ^^  al  fol 

[qeridor  8* 
Qe  dis  '^  qaurs  fos  tôt  qant 

[el^^tocaria. 
VI.  Bel  naiman  samors  uos  des- 

[tregnia 
Vos  nin  2'  toç  têps  eu  non 

[conseillaria 

(o/.  14  r»)  Sol  membres  M 

[uos  qant  eu  nai  de 

[dolor 

0'^  qant  de  ioi'^  ia  plus  nO 

[non  caldria  •*. 


1  Qel  —  «Sui  —  'Pero  non  cng —  *  chantant —  ' Qen  —  <* Anz  sapcha  be 

—  "^  uolc  —  «  Qil  baurda  trop  souen  cueil  felonia  —  «Fes  —  lOenbe  — 
"  qia  plus  fort  de  si  desmesura —  **  e  nés  en  —  i*  Qe  dun  «eu  pot  be 
esser  uencutz  —  *♦&  ab  —  i*freuol  —  i*  aunitz  non  prêta  mais  —  "  cui 

—  18  ai  —  19  Car  si  con  hom  preza  laia  penchura  —  *"  Gant  lieis  loing 
niais  qe  cant  li  es  pretz  uengutz  —  *i  Presaua  u.  plus  cant  —  ^  E  s.  uos 
uolc  meins  nai  quen  no  uolria  —  '3  con  —  **  qeredor  —  8*  ditz  —  a«  zo 
qel  —  ^'  en  —  »*  Si  uos  membres  —  8*  Ni  —  3»  ^e  —  ai  mais  nous  en 
calria 


222 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNÂRT  AMOROS 


Vil .   En  plus  leial  sab^  los  oill  » 

[uos  ueçia 
Aisi  cam  faz  ^   ab  lo  cor 

[tota  uia 
Zo  qeu  ai  diç  *  poria  aaer 

[ualor 
Qeas  qier  conseil  &  conseill 

uos  daria  *. 


i    [114  (C  23)] 
FOLCHET 

(=  B.  Gr.  155,  11) 

1.  Ja  nO  cuit^  hom  qeu  chan- 

[ge^  mas  chansos* 

Pois  nO  cangia  •  mos  cor  *® 

[ni  ma  raços 
Qar  sem  iaçis^^  damor  eu 

[men  lauçera 
Mas  qeu^^  mentis  nô  ^'  séria 

[nuils  **  pros 

5  Qautressim  '>  ten  cum  se  ^> 

[sol  en  balançha 

Désespérât  ^^  ab  alques  des- 

[perança 
Pero  nonuol"  del  tôt  lais - 

[sarmorir** 
Perço  qem  puosca  plus  so- 

[uen  *•  aucir. 


II.  Mas  er**  uei  ço  qanc^*  nô 

[cuigei''qefo8 

Qe  soi  tomaz  ^^  de  mi  me- 

[theis^*^  gelos 

Contra  mi  don *•  qeu  no*'  la 

[correiera** 
Mas  tôt  conseil  qe  damor  si 

[es  *•  bos 
5  Nai  assaiatz  &  pois   re  ^^ 

[nomenança 
Tôt  li  farai  de  desamar  sem- 

[blança 

Ai   lais  3*  qai    dit  iam   oui 

[deueu  cobrir'* 

E  donc  oimais  ^^  ia  sab  ^* 

[tôt  mon  albir. 

III.  Dona  sperança  &  paur  '' 

[ai  de'*  uos 
Ar'^  men  conort  &  eram  soi 

[doptos** 

Pero  paors'*  tem  qe  mapode- 

[rera  (aV  :  ço  apoderera 

[qeîl  mapodera) 

Mas  un  conort  ai  damor  a 

[saços 
5  Qab    tal   poder  mi  mostra 

[sa  contança  *^ 

Qe  plus  nO  pot  mostrar  de 

[malestança^^ 

Efaiesforç  qi  pot  en  sesofrir^' 

Ire  (al  :  Qinalre)  poder  de 

[cel  qi  uol  delir*' 


1  sap  ^  •  oills  —  8  Aisa  con  fatz  —  *  dig  —  *  donria. 

*  nos  cuig  —  '  camje  —  *  chanzos  —  ®  camia  —  *•  cors  —  "  Car  siemn 
iauzis  —  18  E  sieu  —  is  no  —  i*  nuls  —  *'  Qatressim  —  *<* con ill  —  i '  Deses- 
peratz —  i*  uoil —  !•  mûrir  —  s» suuen  —  *i  ara  —  **  qe  —  88  cujei  —  **  Qeu 
sui  tomatz  —  *»  motels  —  ••  donz  —  ^no  —  **  corteiera  —  *•  totz  conseils 
cazamorsion  —  w  assaiat  e  ren  —  '*  laz —  s*  dig  ia  nomenpuesc  cubrir 

—  8»  do  nos  hoimais —  s*sap  —  *5  Donne  speranze  paors —  3«pcr  —  a?  Car 

—  38  er  en  sui  duptos  —  39  Perel  paor  —  *•  Par  qa  le  cor  toi  mainta 
malananza  —  ^^  Qeu  uei  fallir  moutz  per  qieu  nai  duptanza  —  *^  Quen 
faillimen  dautrui  taing  com  si  mir-<-*3p^r  zo  com  gart  se  me  tels  défaillir 


LE  CHANSONNIER  DE 

IV.  Mas  ben  conosc  qe  gran  meil- 

[lorasos  * 
Es  de   cort  fait  qant  ^  hom 

[nés  oblidos 

Ja  mais  amors  a  '  tal  toi*! 

[no  mènera  * 

Si    ia   pogues  tornar   des- 

[amoros 
5  Pero  leus  cors  toi  mainta 

[benenâça  • 

Qeu   ueg   faillir   maiç  per 

[qeu  nai  doptança  ^ 

Qel  fallimen  daulrui  taing 

[qom  remir' 
Per  ço  qom  gard  se  meçeis 

[de  faillir  •. 

V.  Dôna   ben   uei  qe  nô   ual 

[ochaisos  *® 
Qamor  "  nô  uol  qeu  tan  " 

[sia  gignos 

Merce  uos  clam  *'   qe  nô 

[men  lais  enqera 

Tan  es  mon  "  cors  de  uos- 

[tramor  coitos  *^ 

5  Voillaç**  sius  plaç"  complir 

[la  deuinança** 

Com  dis**  qeu  ai  dautramor 

[benenança 
E  qeus  poges  cobertamen  *® 

[iausir 


BBRNâRT  âmoros 


223 


El  bruç  uenges  ^*  de  lai  on 

[sol  uenir. 
VI.  A  2*  na  ponça  cals  esforç  *' 

[faz  per  uos 
Qar  era  chan  en  **  ai  null- 

[allegrança 

Qe  morç'*  de  mon  seignor** 

[mi  desenança 

Qar"  uos  sabeç  qe  il  sabia 

[iausir  ** 
5 .  Cui  deuiom  *•  onrar  ni  enan- 

[çir  80. 
VU.  A  naiman^*   uai  chanson*' 

[&  enança 

R   an  toç  têps  &   di  lor  *' 

[ses  doptança  '^ 

Qe  totz  '^  ai  tais  soi  com  eis 

[in  '•  albir 
E  no  me  pot  niulç  faiç  ^'  en- 

[fadeçir. 

ARGUMENTO 

Peire  uidals  si  fo  de  toloza  fils 
dum  pellicier^»  e  chanta  miels 
come3«  del  mon.  e  fo  dels  plus 
fols  homes  qe  mais  fossen.  quel 
crezia  que  tôt  fos  vers  aco  qe  a 
lui  plazia.  ni  quel   uolia.  e  plus 


1  granz  meillurazos  —  »  tort  fag  cant  —  8  ab  —  *  meneira  —  *  Cab 
tel  poder  mi  donet  sa  coindanza  —  «  Qe  pieitz  nom  pot  donar  de  ma- 
leslanza  —  '  E  fai  esfortz  qi  sap  ensems  suffrir  —  »  Ir  ab  poder 
daicel  qil  uol  delir  —  »i.  S.  questa  stanza  é  Za  3*  —  lo  uchaizos  — 
"  Qamors  —  *'  qe  ian  —  *•  Per  merceus  prec  —  *♦  Tant  es  mos  — 
"  cochos  —  16  Voilljatz—  «'  platz  —  i»  diuinança  —  i»  diU  —  •  qem 
pogues  CTibertamen  -  21  bruigz  uenra  —  2«  Ai  —  «»  cal  esforte  — 
«*  Car  iam  conort  ni  —  «  Qeil  mortz  -  2«  seignjer  —  '7  Car  —  "  sabria 
chauzir  —  »  deuriom  —  3»  e  car  tenir  —  3i  nazimanz  —  »'  palais  — 
w  lup  —  3*  duptanza  —  »»  tôt  —  ^^  sui  com  el  eis  —  87  nuls  faigz. 

Variantes  du  second  texte    à  la  fin  du  ms,  auf.dOh:  »•  peiUicier  — 
*•  dôme 


224  LE  CHANSONNIER  DE 

leu   li  auenia  trobar  qe  a  nail 
home  del  mon.   &  aqel  qe  plus 
ries  SOS  fez.  e  maiers  folias  ditz* 
darmas  e  damor  e  de  mal  dir  dal- 
trui  e  fo  uers  cuns  caualiers  de 
sain  gili  li  tailla  la  lengua  ^.  per  zo 
qel  daua    ad    entendre  qel  era 
drutz  de  sa  moiller'  e  nue  ^  de 
bausil   lo  fez  garir  e  medegar  e 
cant  fo  gueritz  el  sen  anet  outra 
mar  de  lai  &  amec    una  grega 
qeil  fo  donada  p^r  muiller  en  thi- 
pri^eilfo  dat  ad  entendre  qil  era 
nessa  del^  emperador  de  constan- 
tinople  e  qe  per  lei  deuia  auer  ^ 
lemperi  per  razon.   dont  el  mes 
tôt  qant  pot*  gazagniar  a  far 
nauili   qel   crezia    anar   lemperi 
conqistar  e  portaua  armas  em- 
perials  e  fazia  se  clamar  emp6- 
raire  e  la  muiller  *  emperairitz  e 
si  entendia  en   totas   las  bonas 
domnas  qel  uezia  e  totas  las  pre- 
gaua  damor  e  totas  li  dizio  de  far 
e   de  dir  tôt   zo  qel  ^^   uolgues. 
dont  el  crezia  esser  drutz  de  totas 
e  qe  cascuna  moris  per  el.E  totas 
uetz  menaua  ries  destriers  e  por- 
taua ricas  armas,  e  caidera  '^  e 
campoilet  emperial.  e  dels  meil- 
1ers   caualiers   del  mon  crezia  ^^ 
estre  el  plus  amatz  de  dompnas. 

116 

EN  PEIRE  VIDALS 

(B.  Gr.  364,  33) 

1.  (p.  Î16)  Per  miels  suflErir  lo 
[maltrag  e  lafan 


BERNÂRT  AMOROS 

Qem  dona  amors    dont  ieu 

f  non  puesc  défendre 

Farai  chanzon  tal  qer  lieus 

[per  apenre 
De  motz  certes,  et  ab  aui- 

[nen  chant 
5  Ë  faz  esfors.  car  nai  cor  ni 

[telant 
Defar.c;l^anz<^i  oadas  plaing 

[e  sospire 

Car  non  vei  leis  don   mos 

[cors  non  saire 

Car  tan  mes  Iqing  la  terrel 

[douz  pais 
On  es  cella  vas  cui  ieu  sui 

[aclins 
10  Per  cai  per  dut  ioi  e  solatz 

[e  rire. 
II.   A  leis  mautrei  ab  sin  ^>  cors 

[ses  e^jan 

Car  totz  sui  si  eus  ses  donar 

[e  ses  vendre 

E  voil  trop  mais  en  bon  es- 

[per  atendra 
Leis  cui  soplei  don  iois  mi 

[vai  tarzan 
5  Qe  dautrauer.  bel  f ag  ni  bel 

[semblan 

Qinz  e   mon   cor   ma   fag 

[amors  escuire  ** 

Sa  gran  beutat  don  res  non 

|[es  a  dire 
E  son  gen  cors   ben  fag  e 

[gen  assis 
Perqieu  li  sieu  hom  francs 

[fizels  e  fiz 
10  £  per  samor  a  las  autras 

[seruîre. 


1  diz  —  *  lingua  —  ^moillier  —  ♦  nunc—  ^chipri  —  •  de  —  'hauer  — 
*pog  —  •  muillier  —  i»  qe  —  ^^  cadeira  —  i^  credia. 
18  Z.  :  fin  —  iM.  :  escrire 


LE  CHANSONNIER  DE   BEHNART  AM0H08 


225 


III.  Dieas  qan  veirai  lo  iorn  nil 

[mes  vi  ^  lan 

Qellam  voilla  del  mal  gui  • 

[ardon  rendre 

Qieu    non  lais'  dir.  mielz 

[mauzaria  pendre 

Mon  coratge.  cant  ieu  li  soi 

[denan 
5  Mas    assatz  pot  conoisser 

[mon  semblan 
Qill  es  la  res  el  mon  qieu 

[plus  dezire 
E  per  samor  suffri  tan  grieu 

[martire 
Qe  la  dolors  ma  ia  del  tôt 

[conqis 
El  dezirers  qe   maura  tost 

[aucis 
10.  E  an  gran  tort  mas  ieu  non 

[lo  auz  dire. 

IV.  E  si  merces  ab  leis  mi  val- 

[gues  tan 

Qelam  volgues  lo  sieu  bel 

[braz  estendre 

Ja  del  tirar  nO  feira  escoi- 

[sendre 
De  tost   venir    humilment 

[merceian 
5  Vas  lieis  qi  ma  trastot  en 

[son  coman 
Qem  pot  donar  ioi  o  del  tôt 

[aucire 
Qeu  non  ai  ges  poder  cail- 

[lors  me  vire 
E  sil  plagues  qe  près  de  si 

[maizis 

Bem   tenc   per  sieus   mas 

[miels  magra  conqis 

10  E  feiram  rie  de  grant  ioia 

[iauzire. 


V.  Al  proz  marqes  qa  pretz  e 

[valor  gran 
Mante  e  sap  gent  donar  e 

[despendre 

E   SOS   ries    pretz    fai   los 

[autres  discendre 

Vas  monferrat  chanzoneta 

[teman 
5  Qeil  sieu  rie  fait  son  dels 

[autres  trian 
E  pel  meillor  lo  pot  hom 

[ben  eslire 
Qel  es  la  flors  de  totz  a  cui 

[qe  tire 
Qe'  totz  bens  comenzamens 

[efis 
E  saissi  fos  con  ieu  voil  ni 

[deuis 
10  Corona  daur  li  virei  ^  el  cap 

[assire. 


116 

EN  PEIRE  DE  VIDALS 
(=  B.  Gfr.  364,  36) 

I.  {p.  116)  Si  col  paubres  qe 

[iai  al  rie  ostal 
Qe  nonquas  plaing  sitôt  sa 

[gran  dolor 
Tan  tem  qe  tom  a  enueg  al 

[segnjor 

No  maus  plaigner   de  ma 

[dolor  mortal 

5  Bem  dei  doler  can  selam  fai 

[erguoil 
Qe  nulla  rem  tan  non  dezir 

[ni  voil 


*  e.  fm  :  ni  —  «  I  :  Taus  —  s  /.  ;  B  de  —  ♦  /.  :  vir. 


15 


I 

L 


226  LK  CHANSONNIER  DE 

Car  si  val  re  non  laas  cla- 

[mar  merce 
Tal  paor  ai  cades  senueg 

[de  me. 

1 1 .  Aissi  con  cel  qe  badal  veirial 

Qeil  sembla  bel  contra  la 

[resplandor 
Cant  ieu  lesgart  nai  al  cor 

[tal  doazor 
Qiea  mi  vblit  per  leis  qe  rei 

[aital 
5  Bem  bat  amors  ab  las  ver- 

[gas  qea  coil 
Car  una  vetz  en  son  roial 

[capdoil 
Lemblei  un  bais,  don  eras 

[mi  Boue 
Ai  tan  mal  viu  qi  zo  cama 

[no  ve. 

III.  Si  maint  dieus  pechat  sai^ 

[criminal 
Una^  bella  dona  car  miels 

[nom  socor 
Qil  sap  qen  lieis  ai  mon  co^ 

[e  mamor 
Si  qe  non  penz  de  nul  autre 

[iornal 
5  Dieus perqemsona tangent 

[nim  acoil 

Fos  pro  nom  te  daisso  dont 

[plus  mi  doil 

Ë  cujam  donc  aissi  loignar 

[de  se 
An  sufrirai  zo  cai  suffert  anc 

[se. 

IV.  Car  suffrirs  tain  g  a  segnior 

[natural 
Lo  tort  es  dreg  e  la*  sen  e 

[la  folor 


BERNART  AMOROS 

Com    de  guerra    nom   po) 

[haner  honor 
Pos  el  ^  senz  grat  faiditz  de 

[son  logal 
5  Ben  son  faiditz  si  de  samor 

[non  toil 
Nomen  partrai  anz  lam  mais 

[qe  non  sueil 
Tenram  la  vil  pos  ab  mal 

[mi  rece"* 
Non  o  deu  far  qe  per  amor 

[me  ve. 
V.  Qaissi  ma  tôt  ma  donae  son 

[cabal 
Qe  sim  fai  mal  ia  nô  naura 

[peior 
Qel  sieus  plazers.  ma  tan 

[douza  sabor 
Qe  ges  del  mieu  nom  remem- 

[bra  nim  cal 

5  Non  el^  nul  iorn  qe  samors 

[al  cor  non  broil 

Per  can^  tal  gaug  can  la 

[vezon  mei  oill 

E  can  mos  cors  penza  de 

[son  gran  ben 

El  mon   non   vol    ni  désir 

[autra  ren. 
VI .  Jeu  die  lo  ver  aissi  com  dir 

[lom  soil 
Qi  ben  comenza  e   poissas 

[sen  recre 
Miels  li  fora  qe  non  comen- 

[ses  re. 


^c.  en:  fai  ^  «/.  :  Ma  —  3  1.  :  el  —  ♦c.  «i:  es  —  »c.  en:  rete  —  s/.  :es 
—  '  /.  :  c'ai. 


LE  CHANSONNIER  DB  BERNART  AMOROS        257 

Pechat  fai  criminal. 
^4ty*  V.  Pos  forain*  amdui  enfam 

Lai  amade  la  blan 
Eil'  vai  mamor  doblan 
A  chaâcan  iom  del  an 

5  E  si  vos  *  trai  enan 
AmoVs  e  bel  semblan 
Pos  er  veillam  deman 
Qe  maia  bon  talan. 
VI.  Pêne  dolor  e  dan 
Nai  agut  e  lai  gran 
Mas  suffert  o  ai  tan 
No  mo  tenc  ad  afan 

5  Ane  hom  non  vi  aman 
Miels  âmes  ses  enian 
Qieu  nom  vau  ges  camjan 
Si  con  las  dônas  fan. 
VIL  Ben  for  oimais  sazos 
Bella  donna  e  pros 
Qem  fos  datz  guiardos 
Dun  iazer  a  rescos 

5  Car  non  sui  enoios 
E  ia  per  als  non  fos 
Cus  bes  val  dautre  dos 
Qant  per  sors  *  es  datz  dos. 
VIII.  Qant  vei  vostras  faizos 
El  gent  cors  amoros 
Bem  merauil  de  vos 
Com  es  de  brau  respos 

5  Car  ben  es  tracios 
Cant  on  per  francs  e  bos 
E  pois  es  orguillos 
Lai  on  es  poderos. 
IX.  Bel  vezer  si  nom  fos 
Mon  dauantolz  '^  e  nos 
leu  laissera  chanzos 
Per  mal  des  enoios. 


EN  PEIRE  VIDALS 
(=  B.  Gr.  70,  28) 

I.  {p.  117)  Lou  douz  temps 

[de  pascor 
Ab  sa  fresca  verdor 
Nos  aduitz  fueille  flor 
De  diuersas  colors 

5  Per  qe  tiiit  laimadors 
Son  gai  e  chantadors 
Mas  eu  qi  plaing  e  plor 
Cui  lois  non  a  sabor. 
II.  A  totz  me  clam  segniors 
De  mi  donz  e  damors 
Aqil  diu*  traidors 
Car  mi  fiza  vendors  * 

5  Mi  fan  viure  a  dolors 
Per  bes  e  per  honors 
Qai  fag  a  la  genzors 
Qenon  valnim  socor. 

III.  Las  e  niure'  qem  val 
Car  non  vei  a  iornal 
Mon  fui*  ioi  natural 
E  leis  al  fenestral 

5  Blanche  fresch  autretal 
Com  par  neus  a  nadal 
Si  camdui  cominal 
Mesurassem  engal. 

IV.  Non  uist  drut  tan  leial 
Qe  penz  qaia  *  s  al 
Qieu  port  amor  coral 
A  leis  de  mi  non  cal 

5  Enanz  die  qe  per  al 
Nom  a  ira  mortal 
E  si  per  zom  fai  mal 


*  Voyez  no  62  —  1  /.  ;  dui  —  «  Z.  :  fizana  en  lor  —  «  c.  en  :  uiure  —  ♦c. 
en;  fin  —  6  Z.  ;  menz  o  aia  —  ♦  1.  :  fom  —  '  l,:  Eis  —  »  c.  en:  nos  — 
•  /.  :  fors  —  !•  /.  :  dauan  totz. 


228     LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


118 

EN  PEIRE  UI  DALS 
(  =  B  Qr.  47,  9) 

I .  Plus  ai  de  telan  qe  non 

[sueil 
Gom  pogues  far  auzir  chan- 

[tan 

Com  ten  amors  en  son  coman 

E  com  fai  de  me  so  qeilplai 

5  Qeram  sa^  chantar.  ai  tam 

[ben 
Ab  lo  laig  temps  et  ab  la 

[gran  freidor 
Con  degra  far  lai  el  temps 

[de  pascor. 
II.   (p.  118)  On  plas  vaac  plus 

[am  e  plus  veill 
Ab  fin  cor  e  de  bon  telan 
La  bella  qê  compret  baian 
Era  lam  tan  qe  non  puesc 

[mais 

5  E  non  sai  per  qe  mes  deneu  ^ 

Qe  can  li  platz  qem  fai  ben 

[ni  honor 
Et  ieu  lam  mais  non  sai  con 

[sesdamor. 
m.  E  can  mi  fai  semblan  dor- 

[gueil 
Ges  lamors  nos  laissa  per 

[tan 
Anz  es  vers  e  nom  tom  a 

[dan 
Ma  dôna  qas  vous  '  puesc 

[nius  sai 
5  Desamar  per  neguna  ren 
Ni  vol  esser  en  luec  dêper- 

[ador 


Per  qieu  de  vous  gires  mon 

[cor  aillor. 

IV.  J a  nous  serion  las  mei  oill 

Desgardar  leis  nil  sieu  sem- 

[blan 
Neis  si  dur  au  al  ioms  un  an 
Tant  mes  bel  tôt  can  dis  ni 

[fai 

5  Qe  de  nuil  maltrag  nô  soue 

Qe  son  bel  cors  e  sa  fresca 

[color 
Mal  Onal  cor  en  gaug  et  en 

[douzor . 
y.  Lo  mal  traditz  don  eu  plus 

[mi  dueil 
Es  car  adesnoil  son  denant 
Mas  ades  i  son  en  pensan 
Qes  oils  del  cor  tein  ades  lai 
5  Mas  lo  dezir  qieu  ai  ab  me 
Magra  be  mort  lonc  temps 

[a  de  dolor 

Sil   doutz  baisars  non  fos 

[qemë  socors. 


119 

EN  PEIRE  VIDALS 
(  =:  B.  Gr.  30,  6) 

I .  Aissi  con  mos  cors  es 
Francs  e  fiz  vas  amor 
Amail  ^  dumilitat 
Ma  lois'^  a  sa  part  près 

5  Qe  maltrag  ni  dolor 
Non  plaing  tan  mes  conois- 

[cenz  • 
Qan  i  conosc  amor 
Mais  beus  die  sen  clamor 
Bona  donna  valenz 


*  /.  :  fa  —  *  c.  en:  m'esdeuen  —  » c.  «i :  nous. 

*  c,  en  :  A  mais  -  ^  c.  en:  iois  —  •  /. ;  cosenz 


LE   CHANSONNIER  DE   BERNART  ÂMOROS 


?29 


10  Tant  mi  vezetz  cocha tz 
Si  merces  non  socor 
Tem  qe  naures  pechat. 
II .  E  si  iam  vengua  bes 
Ni  gaugz  de  vostr  amor 
Tan  fiina^  voluntat 
Non  crei  mei  com  agues 

5  Vas  dompna  ni  segnior 
Cab  bels  ditz  auinenz 
Enanz  vostra  lanzor 
&  am  tant  de  douzor 
Lo  vostre  mantementz  ^ 
10  E  bel  parlar  per  grat 
La  bocham  na  sabor 
Qant  ai  daatras  parlar^. 

III.  Domna  ab  cor  cortes 
Flors  de  ioi  e  damor 
Ë  mirails  de  beutat 
Près  ni  ries  nom  tengues 

5  Contra  Tostra  valor 
Ma6  proB  hom  conoissenz 
Qun*  fai  (p.  119)  ben.  ni 

[honor 
Et  en  lu  ec  dericor 
Soi  nos  >  obedienz 
10  De  tan  finamistat 
Cades  en  truep  roeillor 
Mon  fin  cor  esmerat. 

IV.  Âmors  qelfin  cor  uenz 
Sil  non  es  vers  clamors 
Merce  e  pietat 

A  lei  come  conqes 

5  Cui  son  obs  valedor 
Te  clam  ge  la  turmenz 
Qem  fassatz  tant  donor 
Cab  lei  vas  cui  ador 
Met  alcuns  chaazimenz 

10  Qel  cori  ai  pauzat 
SI  qe  nol  vir  aillor 


Ni  er  ia  sol  pensât. 
V.  E  sius  adui  merces 
Qem  fassatz  tan  damor 
A  lei  daimont®  au  mat 
Ai  douze  francha  res 
5  E  ai  dig  gran  folor 
Car  me  près  ardimenz 
Qeus  qezes  tan  donor 
Mas  sa  fin  amador 
Deu  venir  chauzimens 
10  Denc''  ioi  e  donrat 
Eu  son  el  gra  dauzor 
E  siam  perdonat. 
VI.  Gen  conquis  la  lauzor 
El  bos  ensegnamenz 
Qe  dieus  vos  a  donat 
En  un  iom  de  pascor 
5  No  serian  contât. 


120 

EN  PEIRE  VIDALS  . 
(=  B.  Gr.  364,16) 

1 .  De  chantar  mera  laîssatz 
Per  tra  •  e  per  dolor 
Del  pro  comte  mon  segnior 
E  pos  vei  cal  bon  rei  platz 

5  Voil  faire  una  chanzon 
Qen  porte  en  aragon 
An  nascol  '  romeus 
Sel  sons    li    par  bons    ni 

[breus. 
1 1 .  Qai  tal  domnam  fui  '°  tornatz 
Qe  mude  ^'  ioi  e  damor 
E  de  pretz  e  de  valor 
On  safina  aisi  beutalz 

5  Com  laursen  larden  charbon 


*  c.  en  :  fina  —  ^  c.  en  :  mantinentz  —  3  Z.  :  parlât  —  *  Z.  :  Qim  —  *  c. 
en  :  uos  —  ^  c.en:  datmont  —  '  c.  en  :  De  rie. 

•  c.  en  :  ira  —  •  c.  en  :  uascol  —  *•  c.  en  :  sui  —  "  /.  :  uiu  de 


230 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


E  ^  moB  precs  li  sap  bon 
Bem    part   qel    segles    es 

[mieus 
E  qeil  rei  tenon  mos  fieus. 
II  l .  Qeu  soi  ries  e  coronatz 
Sobre  totz  enperador 
Car  de  filha  de  comtor 
Me  sui  tant  enamoratz 
5    Qe  mais  ai   dan  pauc  cor- 

[don 
Qe  na  raembaadam  '  don 
Qel   reis    richartz   ab   pei- 

[teuB 
Et  ab  tors  et  ab  angieus. 


121 

EN  PEIRE  VIDALS 

(=B.  Gr.  364,  25  et  80,28) 

I .  (p,  120)  Aram  va  miels  qe  no 

[sol 
Gant  ieu  remir  mon  anel 
No  vei  ciutat  ni  castel 
Tug  non  fasson  mon  coman 

5  E  li  rei  e  lamiran 
Me  tenon  tug  per  segnior 
Pel  gaug  e  per  la  doiizor 
Qem  ven  dauas  nauiema. 
II.  Qeu  sai  un  austor  tersol 
Mudat  cane  non  prez  auzel 
Goindet  e  gai  e  isnel 
Ab  cuî  ieu  mapel  tris  tan 

5  E  tôt  per  aital  semblan 
Ma  près  a  entendedor^ 


Et  am  dat  mais  de  ricor 
Qe  se  fos  rei  de  valerria  ^. 

III .  La  laozet  el  rossinol 

Am  mais  de  nuille  autre  au- 

[zel 
Ganc'  pel  gaug  del  temps 

[nouel 
Mouon  tug  primeitan  ®  lor 

[chan 
5  E  tôt  par  aital  semblan 
Go  fan  lautre  trobador 
Mou    ieu    mon    chan     per 

[araor 
De  ma  dona  na  uierna. 

IV.  Aragones  fan  gran  dol 
Gatalas  e  cel  dussel 

Qe  non  trobon  qils  cap  del 
Mas  un  ^  segnior  fat  e  gran 
5  Tal  qes  vana  en  chantan 
E  vol  mais  diuers  qonor 
E  pendec  son  ancessor 
Don  si  destruis  e  semfema. 
V.  Pos  lo  coms  richartz  mais 

[vol 
Beiruies  ^  sai  près  bordel 
Qe  couhat  ni  mirabel 
Ni  Chartres  ni  sain  ioan 
5  Grieu  cobrera  botenan 
Ni  feira  a  son  segnior 
Bratas  *  moillar  per  paor 
Per  qieu  creis  merlis  les- 

[qema. 
VI.  Quil  aguza  el  esmol 

El  trencha  come  coma  col- 

[tel 
Lo  segnior  qe  ten  bordel 


*  /.  E  car  —  ^ceniidi  embaudam. 

Voyez  le  texte  imprimé  par  M.  C*  Chabaneau  dans  la  Revue  d.  l,  r.  ///. 
s.f  t.,  XII  p.  236  ss.  [Les  couplets  i  et  S  appartiennent  à  Peire  Vidal,  les 
autres  à  Bei'tran  de Born)  —  3  Chab,  ;  emendedor  —  ♦  Chah.:  Palerna 

—  ^  Chab,:  Car  —  *  c.  en:  primeiran,  Chab,  :  primeir(an) —  '  Chab.  :  an 

—  ^  cen:  Beirmes  —  •  c.  en:  Braias 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


231 


Mas  trop  son  espes  denan 
5  E  mol  dauas  lo  trenchan 
E  plus  le  iau  dun  prior 
Merce  a  les  moledor 
Ben  viurai  a  viterna^ 

VII.  Pos  la  reina  damor 
Ma  près  a  entendedor 
Ben  pose  far  v  o  el  terna. 

VIII  Tristan  per  la  vostra  amor 
Mi  veiram  tomeiador 
  peitau  qi  qes  nesqerna. 


122 

KN  PEIRE  UIDALS 
(=  B.  Gr.  135,  5) 

I.  (p.    121)     Lo     rossignols 

[chanta  tan  douzamen 

Qe  neguns  chans  dauzel  al 

[seu  nos  pren 

E  qant  ieu  aug  de  lui  matin 

[e  ser 
Ghanz  e  retintz.  douzas  vous 

[e  refraitz 
5  Adonc  oblit  totz  mos  autres 

[pessars 

E  penz  damor  car  cel  pens 

[mes  plus  cars 

E  membra  me  de  main  tz  bes 

[qe  ma  faitz. 

II.  Los  guiardos  e  las  merces 

[len  ten  * 
Em  tenc  per  sieu  en  tôt  bon 

[couinen 
E  ia  nô  voil  issir  del  sieu 

[voler 

Car  moût  men  Iau  per  qieu 

[mi  son  affraitz 


5  Per  bona  fe  qe  de  re  noil  so 

[vars 
Canz  e  sades  mos  plus  co- 

[chos  affars 
Seruir  a  leis  on  mos  cors  ses 

[atraitz. 

III.  So  es  aqil  pros  domn  ab  lo 

[cors  gen 
Cui  eu  mi  don  al  meil  qel  o 

[enten 
E  si  ial  puesc  seruir  a  son 

[plazer 
Ben  son  gueritz  et  enders  e 

[refaitz 
5  Qeil  genzers  es  del  mon  ses 

[totz  gabars 
E  es  saubut  e  proat  et  es- 

[pars 
Et  en  maintz  luecs  lo  sieus 

[bos  pretz  ^. 

IV.  De  la  beautat  qes  en  lieis 

[solamen 
Aurion    pro    dautras    pros 

[donas  cen 
Qest  albrar^  ceuriom'^  son 

[vezer 
Tro  qe  leis  vis  qe  dautra  es 

[mal  traitz 
5  Car  ges  en  tan  n5  es  la  soa 

[pars 
Qan  cobre  cel  s  de  ^  terra  ni 

[clan  mars 
Ni  nuls  bos  pretz  nô  les  en 

[re  sofraitz. 

V.  Perqieu   son  lieus^  en  far 

[son  mandamen 
Cautra  noia  deman  ni  tene- 

[men 
Ni  part  ni  dreg  ni  respeig  ni 

[poder 


*  Chab. :  ui[d'e]tema.  —  ^  c.  en:  ren  —  ^L:  pretz retraitz  —  *  /.  :  Qest' 
albiap  —  ^c.  en:  deuriom  —  «  c.  en:  te  —  '  c.  en:  sieus 


2^2 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


So  sab  il  ben  qieu  son  a  totz 

[trazaitz 
5  Sos  fins  amies  vers  et  bu- 

[mans  e  clars 
Feracs  '  e  segurs.  e  oO  de  re 

[auars 
Em  son  par  leis  dautra  amar 

[estrait. 
VI.  E  pos  il  sap  caissi  ma  ses 

[conten 
Ben  dei  trobarmerce  e  cbau- 

[zimen 
Ab  lois  oc  be  iés  no  men 

[desesper 
Cab  gent  seruir  ai  uist  maintz 

[aturs  fraitz 
5  For  qe  de  leis  nom  taing 

[assegurars 
De  nuUa  re  si  fai  qe  despe- 

[rars 
Es  falsa  fes  e  plus  dobles 

[forfaitz. 
VII.  Sapcbatz  miraill  car  si  es 

[mes  amars 
En  leis  qe  totz  nés  faillitz 

[mos  agaitz. 

123 

EN  PEIRE  UIDAL 

(=-  B.  Or.  364,  45) 

L  (p.  228),  Son  ben  apoderatz 
Per  amor  e  uencuts 
Car  aital  via  tenc 
Qe  lai  on  ieu  plus  prenc 
5  Dan  cra*  ni  demcombrier 
Torni  plus  volontier 
Perqieu  sai  qes  vertatz 


Qel  es  mage  assatz 
Gaugz  cant  es  car  compratz 
10  Caicel  don  es  viutatz. 

II.  Enqier  sui  plus  iratz 
Del  cordon  cai  perdutz 
Qe  daisso  qe  mauenc 
E  pero  ges  nom  fenc 

5  Anz  sui  plus  vertadier 
Qe  no  magra  mestier 
Qenqer  par  als  costatz 
Con  ieu  sui  ^laig  menatz 
Ë  puis  mes  tôt  deintatz 

10  Pois  ca  ma  dona  platz. 

III.  Don  pueis  mo  castratz  ^ 
Amutz  ^  ni  rauba  drutz 
Noil  penz  sieu  len  reprenc 
Car  qi  fa  qi  blasténc 

5  Auzit  de  repropcher 
E  car  per  pauc  damor 
Fui  en  sa  cort  raubatz 
Lo  blâmes  lieis  ressatz 
E  fora  plus  bonratz 

10  Sel  fos  del  re  venjatz. 

IV.  Cel  nés  plus  enianatz 
Qil  es  damor  téngutz 
Qel  segnier  de  be  renc 
Sai  ben  cô  les  deuenc 

5  Ë  pueis  lo  pog  nautier 
Car  guerreiet  premier 
Fon  per  el  desrocatz 
E  ia  totz  temps  guidatz 
Sos  bos  amies  priuatz 
10  Si  con  lescarauaitz. 
V.  Per  zo  nés  sos  comtatz 
Bnrecbitz  e  cregutz 
Mas  moins  val  duna  renc 
Zo  qe  per  forsa  renc  * 

5  Qel  près  monge  claustier 
A  coi  tolc  lo  moustier 


*  /.  .•  Ferms.  —  »  c.  m:  cta  —  ^  c.  en:  foi—  ♦  c.  em:  castiatz  —  *  c.  en 
Âuniti  —  *  c.  en  :  tenc 


LE  CHANSONNIER  DE  BEBNART  AMOROS 


23^ 


Pero  si  na  raubatz 
Samfeltz  e  momatz 
Mas  trîpol  so  sapchatz 
10  So^  gen  del  conqistatz. 

VI.  El  portai  els  fossatz 

De  son  *  chau  fondutz 
E  pueis  eau  ^  men  soaenc 
Qe  de  plus  no  mestenc 
5  Qe  za  ne  for  chazier  ^ 
Ënemic  e  gerrier 
Si  qe  mos  gazaignhatz 
Ten  opida  em  patz 
Ë  si  es  perdonatz 
10  Si  na  tort  lo  pechatz. 

VII.  Domna  nostras  ^  beautatz 
El  fiuz  pretz  mentraubutz 
Mi  fai  semblar  sabenc 
Tôt  autre  ioi  cane  venc 

5  De  vos  un  alegrier 
Mestauc  a  cor  entier 
Don  nai  mager  solatz 
Ai  don  humilitatz 
E  pretz  e  pietatz 
10  Vos  met  entre  mos  bratz. 

VIII.  {p.  123).  Nameina  • 


pos  ' 
[vilaz 


Mal  enseignatz 
Es  qi  vos  aloignatz 
De  nostras  amistatz. 
IX.  Perqe  mos  chastiatz 
Ses  proma  cermatz^ 
Sil  fai  mas  es  pecbatz 
Pos  totz  noi  estabatz*. 


124 

EN  PEIRE  UIDALS 

(=  B.  Gr.  364,  3) 

I .  Amors  prop  sui  de  la  bera 
Car  mes  tant  de  mala  guisa 
Qen  cuiei  magues  conqiza 
La  gencer  e  la  plus  gaia 
5  Damors  mas   noil  qal  qeu 

[laia 
Per  qeu  morai  desesperatz 
Amors  et  en  ^®  tortz  e  pe- 

[chatz 
Si  daqèst  voetre  ben  voillen 
Non  aues  qalqe  chauzimen. 
II.  Ja  sieu  saubes  non  ame^a 
Qe  men  prezes  dàitàl  guiza 
Qera  ma  voluntat  priza 
Cil  qes  orgoillosa  et  gaia 
5  Vas  mi  e  per  mal  qen  traia 
Nom  qal  qan  ma  mes  en  tal 

[latz 
Qe  chanz  ni  deportz  ni  so- 

[latz 
Dautra  nom  dona  esbaudi- 

[ment 

Ne  de  leis  nul  ioi  non  aten. 

m.    Per  qieu  a  mon  gi'at   nés- 

[tera 
Fe  qeus  dei  anz  de  ma  guiza 
Qëcar  non  lagra  enqisa 
E  pero  non  es  tan  gaia 
5  Qeu  de  lei  mal  non  retraia 
E  dirai  enuoigz  e  viutatz 
Si  tôt  ses  mensonge  foudatz 
Car  cors  qes  plen  daziramen 
Fai  ben  faillir  boca  souen. 


'  c.  en:  Fo  —  ^c.  en:  fon 
▼ostras  —  ^  c.  en;  Nauierna 
* c.en:  estaratz.  —  *<>/.:  er 


^  cen:  can  —  *  c.  en  :  chacier  —  s  /.: 
'^  c.  en  :  poitz  —  *  c.  en:  crematz  — 


?34 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


l  V.  Tost  temps  sim  lègues  blas- 

[mera 

Leis  ques  tan  de  bona  guiza 

Mainta  razo  nai  assiza 

Em  blasmar  la  domna  gaia 

5  Per  qes  ben  dreitz  qem  nes- 

[traia 
Em  partirai  de  samor  for- 

[satz 

[•. ] 

Si  val  partrai  men  bonamen 

Et  irai  mon  miels  enqeren. 

V.  {p,  124)  Qi    ia  vi   lora  qil 

[mera 
Plazens  e  de  bella  guiza 
E  sa  bocha  gent  apriza 
Em  parlar  paraula  gaia 
5  Mais  bon  pretz  finz  e  veraia 
Sos  cors  adreitz  e  gent  for- 

[matz 
Desegnamenz    e   de  beau- 

[tatz 
Cane  anc  hom  non   vi  tan 

[valen 
Ni  ab  tan  bel  cbaptenemen. 
VI.  Mas  ar  mes  esqiua  e  fera 
Tomada  de  mala  guiza 
Si  qele[s]peranza  briza 
Don  fon  ma  voluntatz  gaia 
5  Pos  nouz  plas  bes  men  es- 

[chaia 
Peigz  trai  de  mort  tan  vif 

[iratz 
Ar  conosc  e  sai  qes  vertatz 
Qe  diable  son  seu  paren 
Qal  sieus  dona  peiorturmen. 


[125.  (C»  89)] 

FEIRE  UIDAL(c  f.  60  r«) 

(=B.  Gr.364,  48) 

I  •  Tant  mi  plaz 

Jois&  solaz 

Dhomes  hondraz 

Per  qieu  faz 
5  Tal  chanson  uiaz 

Bon  reis  qe  uoill  qaprendaz 

E  sim  domâdaz  ^ 

Tan  souen  p«r  qe  châtaz 

Per  far  enug*  al  s  maluaz 
10  E  gauz  a  nos  enueiaz  ' . 

II.  Ben  sapchaz 
Seu  fos  amaz 
Qe  *  ausiraz 
Esmeraz 

5  Chanteretz  ^  préiaz 

Qar  on  plus   son  ®  malme- 

[naz 
Fatz  merauelliaz 
Motz  ab  un  sonet  dauraz 
Qami  nô  ^  ual  amistaz 
10  NI  nô   chant  mas    de  pre- 

[chatz*. 

III.  Plus  hondraz' 
Fora  chom  naz  ^^ 
Sil  bais  emblaç  ** 
Mi  fos  daz 

5  0  *2  sol  autreiaz 

E  no  uoilh  qen  qe  iraz  *** 
On  es  totz  mos  graz 
Qe  ben  leu  mal  me  faraz 
Qar  souen  fai  cobeitaz 
10  Fallir  los"  plus  ensenhaz 

IV.  *5  Cors  dolgazifi 


L.  S.  :  ^  demandaz  —  *  Car  es  enuegz  —  3  uos  enuezatz  —  ♦  Qeus  — 
8  Ghantaretz  —  «soi  —  "^  E  no  men  —  8  perchatz  —  "  Meils  paiatz  - 
10  com  natz  —  i  emblatz  —  ^^  e  —  13  qe  menqeiratz  —  **  als  — -  i'  L,  S. 
ha  questa   stanza   2»  —  *•  delgaz 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


23fï 


Faisonaz  ^ 
Merce  naiaz 
Piataz* 
5.  Vos  lan  ^  conseîlhaz 
Qe  destreitz  son  &  coitaz  * 
Ha  ^  dOna  gardatz 
Mon  cor  e  *  nO  lauçiaç 
Qe  mans  '  &  tortz  &  pechaz 
10  El*  seu  mor  ^  desesperaz . 
V.  Ab  un  daz  • 

Menut  plombaz  ^^ 
Nos  a  trichaz 
Maluestaz 
5  Et  es  cassetaz  ^^ 
E  nos  ramon  non  ^*  gitaz 
Qades  nO  fassaz 
De  ben  *'  aitanz.  qant  pus- 

[caz  ** 
Qe  bom   manSç  cobes   se- 

[riaz  ** 
10  Val  menz  qe  mort**  soter- 

[raz. 
VI.  "Poisbeutaz 

Fal  plus  senbaz  ** 
Oltracuiaz 
Per  *•  qes  faz 
5  Qî  nos  ten  solaz  ^^ 
Mas  eu  sui  ben  **  encban- 

[taz 
Sabmî  donc  parlaz 
Qe  nO  pos  partir  de  laz  ^^ 


0  eu  son  gelos  *'  proaz 
10  0  del  tôt  enamoraz. 
VIL  «♦  Neus  &  glaz 
Qar  nO  restaz 
Ja  uen  estaz 
E  bel  praz 
5  Qe  non  uerdeiaz 
Qeu  sui  plus  enamoraz 
Per  lei  cui  embraz 
Qe  nostr  emperaire  faz 
Qe  la  perd  ut  so  sapcbaz 
10  Sec    sentz     sol    cancb   nO 

[tenbdadz. 

[126  (c»  93)] 

PEIRE  UIDAL 

(B.  Gr.  364,  4) 

l.  Ane  no  moii  per  amor  ni 

[per  al 
Mas  mi  **   uida  pod  2«  ben 

[ualer  morir 
Qant  uei  la  ren  qe  plus  am 

[e  désir 
E  ren  nô  faz  ^^  mas  qe  dolor 

[&  mal 

5  Nô  ual  ben  mort  mas  an- 

[qar*^  mes  plus  greu 

Qen   breu   sarem   ia   ueilz 

[ella  &  eu  " 


*  Gen  faisonaz  —  *  Pietaz  —  *  lam  —  *  cochatz  —  c  Ai  —  •  qe  — 
'  Qenjans  —  'muer  —  «  datz  ^  *o  plombatz —  ^  Dont  ieis  escarsetatz 
—  ï'Mas  en  rainers  nô  —  '•  Qe  pros  —  '*  uiuatz  —  *'  Qe  ries  hom  loues 
serratz  ~  *•  piegz  cuns  mortz  — 17  prima  (c.-à-dire:  stanza)  —  *8  Palz 
p.  membratz  —  19  Ben —  **cen  celaz  —  ^*  si  —  ^^  Qieu  noU  puesc  moure 
dallatz  —  ^  gilos  —  ^*  L.  S.  non  ha  questa  stanza  ma  ha  il  canzoncino 
qui  appié  : 


Nauierna  patz 

Volgram  fes  mos  chastiatz 

L.  S,  :  2B  ma  —  *•  pot  —  *t  fai  _  28  enqer 


Qen  proenza  sui  tornatz 
Morir  con  la  lebrel  jatz. 


-_t0 


leu 


236 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AM0R08 


E  sai  si  perd^  lo  meo^  el 

[teo  3  iouen 

Mal  mes  del  meo'  mas  del 

[seo  '  per  un  cen. 

II,  Et   anc   no  ui^  plait  tant 

[descomunal 
Qe  qant  eo  pois  nul'   ren 

[far  ni  dir 
Qa  lei  daignes  placer  nia  be- 

[lir 

Ja  mats  *  nô  uoil  far  nul 

[altre'  iornal 

5  Mas  *  tôt  qan  faiz  par  a  lei 

[uil  e  leu 
Qe*  per  merçe  ni  per  amor 

[de  deu 
Nois  paesc  trobar  merçe  ni 

[çausimen*® 
Tort  a  de  mi  "  e  pechat  ses 

[conten. 
III.  Bona  domna  *'  uostr  hom^* 


[natural 


Podez  seos  *^  plaz  leugera- 

[ment  aucir 
Mas   a  la    gent  uos  farez 

[escarnir 
E  pois  naurez  un  ^^  pechat 

[criminal 

5  Vostr  hom  soi  ben  qe  ges 

[nom  teing  *•  per  meu 

Mas  ben  lais  hom  a*'  mal 

[seignor  son  feu  *• 


E  ual  ben*'  pane  ries  hom 

[qan  pert  sa  gen 

E*®  dairel  rei  de  perse**  fo 

[paruen. 
IV.  Esters  *^  mon  grat  am  totz 

[sols  per  cabal 
Leis  qi  nom  deigna  ueçer 

[oi  aaçir 

Qen   ferai  doncs*'  pois  nO 

[men  pois  ^*  partir 

Ni  ÎAusimôt'B  ni  merçes  no 

[mi  ual 
5  Tenrai  *^  mal  us  del  enoios 

[romeu  ^ 
Qi  qer  &  qer  '^   qar  de  la 

[freida**  neu 

Nais  lo   cristals   don  hom 

[trai  fog  arden 

Qe  per  ^^  esforz  uençon  li 

[bon  sofren. 
V.  Ësforsar    mai    enqar  dons 

[per  aitaP* 

Qel  ben  el  mal  me  uoil  en 

[pais  sofrir" 

Mas  ben  sabreu  honrada- 

[men  graçir*' 

Sen   ses    secors   &    a  lei 

[damic  coral  " 

5  Qe  seu^^  uolgues  dona  segre 

[autre  trea** 

Onrat  placer  agra  eu  con- 

[qist  en  "  breu 


*  saissi  pert  —  *meu  —  'sieu  ^  ♦uia  —  *eu  cug  nulla  —  *  E  ia  — 
'pensar  daltre  —  ^Gar  —  *Canc  —  >•  Non  uol  auer  de  mi  nul  chauzimen 

—  i*E  an  gran  tort  —  i*domnal  ~  **  home  —  '*siu8  ^  i*aurezen  — 
*•  Ben  soi  uostre  qe  ren  nom  tenc  —  *'  p^r  —  *«  so  fieu  —  *•  Epois 
ual  —  *  Qa  -—  **  persa  —  *2  Estiers  —  *•  Doncs  qe  farai  —  **  puesc  — 
*8  chausimenz  —  *•  Penrai  —  ^  romieu  —  2g  Qe  qet  e  qier  —  *  freja 

—  80  E  ab  —  •'  Doncs  qen  farai  sufrirai  per  aital  —  •*Col  pros  destreigz 
cui  auen  a  suffrir  —  ^^  Som  li  fai  mal  mas  be  saura  grazir  —  s*  Qim 
fezes  ben  en  luec  damic  leal  —  s»  E  sieu  —  5*  penr  autrui  fieu  — 
•'a.  zo  cug  em 


LE  CHANSONNIER  DE  BBRNÂRT  AMOROS 


:>37 


Mas  senes^  uos  non  pnesc* 

[esser  (c/.  62  v^)  plaçen 

Ni  de  ren  aU  gauç^  entier 

[nO  aten. 
VI.  Per  ço  men  soi^  gitaz  e  n6 

[men  cal 
Con  hom  uolpilz  '  qi  sobli- 

[da  •  fugir 
Qi  nos'  ausa  tomar  ni  sab 

[gandir 

Qant  lencaasant^  sei  enemic 

[mortal 

5  ,N0  ai  conort  nias  a  qel  del 

[iudeu 

Qe  sim  fai*  mal  fac  ades 

[lo^®  seu 

Aisi  com  cel  qa  orba  se  ^i 

[defen 

Ai  tôt  perd  ut  la  força  e  lar- 

[dimen. 

VIL  Lai  uir   mon   chan  al   rei 

[celestial 

Gui  deuen  tuit  onrar&  obe- 

[dir  " 

Et  es  mester  qe  lanë  lei*' 

[seruir 

On  cOquerrem  ^*  la  uide  spe- 

[rital  « 

5  Queil  saracin  desleial  ^^  ca. 

[nineu 

Lan  tolt*^  son  règne  des- 

[traita  sa  pieu 

Qe    saçitan'*    la    croz    el 

[monumen 

Don  deuen   tuit  auer  gran 

[espauen  *' . 


VIII.  «®Cons  de  piteus  de  uos  mi 

[clam  a  deu 
E  deus  a  mi  psr  aqel  eis 

[cOuen 
Qamdos    auez    traiz    moût 

[malamen 
Lui  de  sa  oroz  e  mi  de  mô 

[argen. 


[127  (c*  95)] 
PEIRE  UIDAL 
(B.  Or.  364,  42) 

I.  Sieu  fos  en  cort  on  hom  ten- 

[gues  dreitura 
De  ma  dôna  sitôt  ses'^  bona 

[e  bella 

Me  '2  clamejra  qa  tan  gran 

[tort  me  mena 

Qe  nom  aten  pleui  *•  ni  cO- 

[uença 
5  E  donc  per  qem  promet  ço 

[qe  nom  dona 

Non  tem  pechat  ni  sap  qe 

[ses  uergogna. 

II.  E  valgram  mais  qem  fos  al 

[prim  esqiua 

Qe  qem  tengues  en  aitan 

[greu**  rancura 

Mas  illo  fai  si  cum  '*  cel  qe 

[cembela  '• 

Qab  bels  semblanz  mi  tê'^ 

[en  mortal  pena 


ires  ses  —  *nom  pot  —  3  gaug  —  *P.  aisso  sui  —  *  Can  lo  uulpilz  — 
subtida  —  'non  —  •  lencauzon  —  *  «el  fa -^  '•  m.  fa  le  el  &  al  -»  **  qi  ad 
orb  si  1»  obezir  —  i3  lanem  a—  i*  hom  conqer  -  *•  uer  gaug  esperital 
—  **serpacin  del  maluatz  —  *'  An  mort  —  18  E  an  ne  tout  -^  *•  marri- 
men  —  ^^L.  S.  non  ha  gtiesto  canzoncino,^  L.  S.  :  '*  es —  *2  Mi—  23  pleui» 
^  **  Qil  ia  magues  mes  en  aital  —  *•  con  —  '*qi  cembella  —  *'  ma  mea 


238 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


5  On  ja  ses  leis  nô  cre  auer  ' 

[guirëça 

(o  /.  03 v^)  Qanc^  mala  fos 

[tan  bella  ni  tan  bona. 

III.  Daatres   afars  mes  cortesa 

[&  chausida 
Mas  mal  o  fai  qar  a  mon 

[dan  sabriua 
Qe  peiz  mi  fai  e  ren  no  sen' 

[meillura 
Qe  ^  mais  de  dent  qan  dol  en 

[la  maissella 
5  Qal^  cor  me  bat  ades  e  nom 

[refréna 
Samors  ab  leis  &  ab  tota 

[proeça* 

IV.  E  qar  ^  nO  uei  mon  rainer 

[de  •  marseilla 
Si  tôt  me  uiu  mos  uiures  nô 

[es  nid a 
E  malaudes  ^  qan  soueu  reca- 

[liaa 

Guaris  molt  greu  anz  mor  ^^ 

[si  SOS  mal  *^  dura 

5  Doncs  serai  mortz  senaisim 

[renouella 
A  qel**  désir  qim  **  toi  souen 

[la  lena. 

V.  Al  meu  semblan  moût  laurai 

tard  côqista 
Qar  nulla  dOpna  piez  nO  sa 

[conseil  a 
Ves  son  amie  qe  qan  plus  lai 

[seruida 

De  mon  poder  eu  la  trob  ** 

[plus  umbriua 


5  Donc  '^  pos  tan  lam  ben  faz 

[plus  foletura  " 

Qel  fols  pastre  qal  bel  pog 

[caramela  ". 
VI.  Mas  uencuz  es  cui  amers 

[apodera 
Apoderaz  sui  qan'^  madOna 

[aig  oista 
Qar  nuU  *•  autra  ab  leis  ^ 

[nos  aparella 
De  gaug  enter  ab  proessa 

[cOplida 
5  Per  qeu  soi  seus  e  serai  tant 

[qant  uiaa 
E  si  nom  ual  ^^  er  tortz  e  des- 

[mesura. 
VII .  Chansons  uai  ten  a  la  ualen 

[reina'* 
En  aragon  qar  mais  reina 

[uera 

No  sai'^  el  mon  e  si  nai 

[mainta  uista 

Ni  n5  trob  **  mais  ses  tort  e 

[ses  qerella 
5  QilP*^  es  francha  e  cortesa  e 

[grasida  *• 
Vas  tota  gen  &  uas  deu 

[agradiua. 
VIII  E  qar  lo  reis  sobrautres  reis 

[senansa 
Ad    aital  rei  conuen  aitals 

[reina. 
IX.  Bels  castiaç  '^  uostre  prez 

[segnoreia 

Sobr  autres  '•  preç  qab  plus 

[rix  faiz  ^  senansa. 


itrobar—  *  Ai  —  'mi  —  *  Qel  —  •Qel  —  •  ppoença—  'car  —  «da  — 
•Qel  malautes  —  lOmuer  —  i*  mais  —  *' Aqest  —  **  qem  —  *♦  truep  — 
'*  Don  —  *•  foliatura  —  *'  ca  bel  poig  chalamolla  —  **  cant  —  '•  negun  — 
••  lei  —  *i  nonouol  —  **  regina  —  *3  trop  —  **trobi  —  •*  Car  ill —  •«  leials  e 
granda  —  *'  castiat  —  *8  tôt  —  *»  cablo  meillor 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNAllT  AMOROS 


239 


X.  Mon  gauçagnat  sal  deus  en 

[auierna 
Qar  hom  tan  gent  ^  nô  dona 

[ni  guerreia. 


[128  (c»  98)] 

PEIREUIDAL(o/^.<J5t?o) 

(=  B.  Gr.  364,  31) 

I .  Nuls  hô  nO  pot  damor  gan- 

[dir 
Pos   qel  seu  segnoriu  ses 

[mes 
0  tôt  li  plaça  o  tôt  li  pes 
Sos  talenz  lauen  a  seguir  ^ 
5  E  sapchaz  chom  enamoraz 
Nô  pot  segre  autra  uolontaz 
Mas  lai  on  uol  amors  lai 

[cor 
E  noi  garda  sen  ni  folor. 
11.  Adonc    saup  eu  pauc  des- 

[cremir 
Qancnom  gardei  tro  keu  fui 

[près 
Col  fols   ausels  qant   aud 

[los  *  bres 
Qes  uai  coitosamSt  auçir  ^ 
5  Me  mes  '  eu  coitos  ^  en  tal 

[laz» 
Don  eram  teng  per  engi- 

[gnaz  * 
Qen  poder  soi  de  tal  seinor 


Qe  nom  uol  far  ben  ni  ho- 

[nor. 

III.  E  ren  nO  degra  hom  meill 

[fugir 
Com  mal  segnoriu  qi  pogues 
Mas  fugir  nol  puesc  eu  ges 
Coltra  la  mar  manet  ferir 
5  Amors  ues  lo  senestre  laz 
Tal    colp   per   qeu    soi   ça 

[tornaz 
Don  morria  dira  &  de  dolor 
Se  gaug  enter  no  men  socor. 

IV.  Mas  ab  gaug  me  pora  garir 
Dira  ma  dôna  sil  uolgues 
Qar  per  ma  fe  sa  leis  pla- 

[gues 
Nol  degra  ma  morz*  abelir 
5  Qe  tôt  soi  seus  en  domeniaz 
Ane  no  o  die  ies  ço  sapehaz 
Fer  ço  qem  faça*®  mort  paor 
Mas  qar  i  perd  **  son  ama- 

[dor. 
V.  Daltre  **  mal  mi  sabreo*^ 

[cobrir 
Ma  daqest  **  mi  destreing  ** 

[lo  fres 
Qe**  ma  bella  dôna  "  promes 
Ça    don   ma  dat  en  cor  a 

[mentir  ** 

5  El  seruis  mal  gueerdonaz  *• 

Acel  qil  prendes  gran  pe- 

[chaz 
Qe  per  mal  guierdonar  ^^ 
Son  paubre  maint  bon  ser- 

[uidor  2* 


*Com  miels  de  lui. —  i.  S,  :  ^  complir  --  3  au  lo  —  ♦  cochozament 
aucir  —  »  mis  —  •  cochos  —  Uatz  —  «  enjanatz  —  »  mortz  lo  f  assa  —  "  pert 
"  Daqest  —  "  sabreu  —  **  adoncs  —  «  trenchet  —  i»  Gan  —  l'dônam 
-  "  magramors  ses  fallir  —  "  Qe  s.  m.  guierdonaz  —  20  guiardonador 
^  *i  L.  S,  hà  più  questa  stanza,  ma  non  ha  poi  le  seguenti  : 

VI.  Dona  pos  nô  men  puesc  su-  Chauzimenz    0    dieus    i^en 

[frir  [ualgues 


240 


LE  CHANSONNIER  DE  BEHNÂRT  AMOROS 


VI.  Ben  degra  ma  domna  chausir 
Com  soi  tornaz  en  sas  merces 
Qar  per  raçon  ual  bona  fes 
On  faill  lo  poder  de  serair 
5  Qen  las  ricas  corz  pietaz 
De  sen  colpals  plus  encol- 

[paz 
Per  qumilitaz  ab  rioor 
Domna  toz  altres  lois  sabor. 
VII.  Gentils  cons  de  petiu  bem 

[plaz 
Qar  es   en  lausor  e  prez 

[môtaz. 
(c  f,  66  r^)  Qe  gent  nos  uei 
[cobrar  donor 
Qe  perdiron  uostre  ancessor. 
VIII  Se  tôt  ses  mal  mons  castiaz 
Dolor  men  pren  e  pietaz 
Qar  aie  ueilz  ab  deshonor 
En  tor  na  uierna  en  samor. 

[129  (c*  100)1 

PEIRE  UIDAL 

(=  B.  Gr.  364,  11) 

I .  Ben  paug  ^  diuern  &  destiù 
E  de  freg  &  de  cal  ors 
Et  am  neus  ai  tan  cum  flors 
E  pros  '  mort  mais  cauol 

[uiu 
5  Qar  aisim  ten  esforçiu 


Joi  &  louent  e  ualors 
E  qar  ar  '  dOna  nouella 
Sobrauinent  e  plus  bella 
Qem  par  toças  ^  en  trel  gel 
10  E  clar  tôps  a  trebocel.  '^ 

II .  Ma  domnam  près  sot  lo  riu* 
Denant  mil  combatedors 

E  contrai  fais  fignedors 
Ab  Bolaz  tant  ^gradiu  ' 
Qal    partir   quecs  iuro  à 

[pliu« 
5  Qe  dOna  es  de  las  meillors  * 
Qe  lois  ^^  &  prez  la  capdella 
E  q&t  respont  ni  appella 
Sei  dit  man  sabor  de  mal 
ip  Don  sembla  san  gabriel. 

III.  E  fas  temer  plus  dû  "  griu 
Als  uilans  domneiadors 
Et  als  fins  conoissedors 

A  solaz  tan  agradiu 
5  Qal  partir  qex  "  iur  e  pliu 
Qe  domna  es  de  las  meillors 
Per  qem  *•  train  en  cem- 

[beUa** 
Em  trail  cor  de  soz  laissai- 

[la« 
Domna  **  leial  et  fiçel 
10  E  plus  iust  que  deus  abel. 

IV.  Dondrat"  prez  nomenatiu 
Creis  tant  la  sua  ualors 
Qe  nO  (o/.  67  r^)  pot  sofrir 

[laudors 


Qem  nalgues  de   uos  cals-  Qom  (/.  :  Qen)  uazitz  mais 

[qel  es  [oilz  e  passatz 

Po9  non  ai  poder  cals  désir  Si  cal  destrai  dal  resplandor 

5  Sjm  destrein  uostra   granz  Qem  toi  lo  sen  e  la  uigor. 

[beutatz 
L,  S.:  *  pac  —  *  ppou  —  »  qaram  —  *  Parom  rozas  —  *  a  trebol  cel 
—  •  domn  pretz  honoriu  —  '  Ten  establit  mon  esqiu  —  •  Per  son  rie 
segnoriu  —  »  Lauz^ngiers  si  om  pot  far  cors  —  *o  Car  senz  r-  **  de  — 
"  qeigz  —  i«  som  —  *♦  em  sembeilla  —  "  sotz  laisseilla  —  **  Don  ma— 
17  Londrat 


LE  CHANSONNIER  DK  BERNART  AMOROS 


:^li 


La  gran  força  del  uer  briu 
5  Sei  enemic  son  çaitiu  * 
E  sei  amie  ries  &  sors 
Oils   front  ^    nas  bocha  e 

[maisella 
Blanc  peiz  *  ab  dura  ma- 

[mella 
Del  taill  dels  fils  disrael  * 

10  Et  es  colOba^  ses  fel. 

V*  Per  çom  ten  morn  e  pensiu 
Ades  qan  me  uir  allors 
Pois  creis   mon  gangs   & 

[doiçors 
Qar  del  seu  bel  cors  maisiu 

5  Aisi  cû  de  re  caliu 
Ar  nai  caud  ar  nai  freidor 
E  qar  es  gaia  &  isnella 
E  de  toz  mais  aibs  paicella 
Am  la  mais  per  sant  rafel 

10  Qe  iacob  no  fe  rachel. 

VI.  Uers  uai  ten  uas  mantoliu 
E  dim  alas  très  serors 

Qe  tan  mi  plaz  lor  amoros  ' 
Qinz  en  ^  mO  cor  las  escriu 

5  Vas  totas  très  momeliu* 
En  faz  dOnas  &  segnors 
E  plagram  mais  de  castella 
Una  frescha  iouençella 
Qe  daar  mil  cargat  camel  '® 

10  Ab  lempeiri  manuel  " . 

VII.  Franc  reis  proensaus  apella 


Qe  sens  claus^'  desclauella 
E  gestaus  la  cera  ^'  el  mel 
E  sai  trame t  uos  lo  fel.  ** 
VIII.  Per  lapostol  qem  "  appella 
San  iame  ^^  de  cOpostella 
En  linçi  a  '^  tal  miqel 
Qem  ual  mais  qaicell  del 

[cel. 

[130  (C  105)] 

PEIRE  UIDAL 

(=  B.  Gr.  364,  24) 

I .  Ges  pel  tSps  fer  &  brau 
Qadus  tempier  '*  &  uenz 
Don  torbals  ^*  elemenz 
Ë  fal  >o  cel  brun  &  blau 

5  Noc  **  camja  mos  talenz 
Anz  68  mos  pêsamenz 
En  iois  &  en  cbantar 
Em  uoill  mais  **  allegrar 
Qan  uei  la  neu  sus  en  lauta 

[môtagna 

10  Qe  qant  la  flors  se  spftdon 

[per  la  plagna. 
II.  Amors  &  iois  m^i  clau 
Et  amesuran  ^'  senz 
E  beutaz  &  iouenz 
Mallegra  &  mesgau  ^^ 


1  chaitiu  —  *  Front  cils  —  3  peitz  — 
ha  qtiesta  ftanza  —  '  amors  —  *  e 
^^^  L,8.  hà  di  più  questa  stanza  : 

Qen  franza  e  en  beriu 
E  a  peiteu  e  a  tors 
Qer  nostre  segner  socors 
Pels  turcs  qel  tenon  faidiu 
5.  Car  tout  Tan  los  uaus  el  riu 

is  En  sapcho  laus  ^  is  Qel  en  trai 
**coin  —  *«  Sain  iacme  — *'  lui  un.  - 
bals—  w  fai  —  *i  Uos  —  "  Kra  dei 


*  israel  —  •  colûba  —  •  i.  8,  non 
—  »  mumeliu  —  lo  Qe  c.  un  camel 


On  anauoil  pechadors 
E  totz  hom  qe  nos  reuella 
Contra  quesiA  gent  fradella 
Mal  ne  sembla  daniel 
10.  Qel  dragon  destruis  a  bel 

la  cer  —  i<  E  a  uos  enuial  fel  — 
'L,  S.:  *■  Qaduz  tempiers  —  ••cor- 
miels  —  *•  amesural  —  *♦  mes  j  au 

10 


242 


LB  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


5  E  cor  gais  cortes  &  genz  * 
Mes  de  totz  mais  guirenz  * 
Bel  ris  &  doaç  esgar 
Me  fai  rire  &  iogar 
Cortes    solaz   mi  reten   en 

[guadagna  ' 
10  El  gaaç  enter  me  toi  trebaill 

[&  lagna. 

III.  Domna  de  nos  me  *  laa 
Qar  es  dooça  &  placez 
E  la  plus  auinenz 

Qe  negus  hom  mentaa 
5  Qe  ^  nostre  ensegnamenz 
Vos  '  fai  als  conoisenz  ^ 
Ben  dir  &  tener  car 
Et  a  mi  tant  amar 
Qel  cor  el  sens  me  diz  qab 
[nos  remagna 
10  E  sim  fai  ^  mal  ad  '  autra 

[nomen  plagna. 

IV.  Qar  qi  nos  uei  ni  an 
Nô  pod  *®  esser  dolenç 
De  "  neguns  marrimenz 
Ë  dôna  tant  suau 

5  Mapodera  em  uenz 
Vostra  caira  ridenz  " 
Qe  qant  uos  au  ^^  parlar 
No  puesc  mos  oiil  '^  airar 


Tant  mabelis  aostra  fina  ^^ 

[compagna 
10  Qe  daoltres  mes  saluag'*  & 

[estragna.  *^ 
V.  De  lai  on  creis  oU^  fau 
Mi  aen  esbaadimenz 
Don  soi  g^i  &  iausenz 
Canal  nom  de  pietau  ** 
5  E  ial  fais  recresenz 
Cobes  mal  despendenz*^ 
Nô  poira  conqistar  ^* 
Per  soaen  petbenar  ^^ 
Sitôt  se  peinch  nis  mira  ni  ^^ 

[saplagna 
10  Totz  son  affar  nô  preç^^  una 

[castagna.  ^^ 
VI.  Qelcorallac&  eau 
Et  es  menz  qe  nienz 
Qe  per  mil  >>  sagramenz 
Nol  creiriahom  dun  clau 
5  E  dolon  me  ^^  las  denz 
Qan  parli  daitals  genz 
Per  qeu  mo  lais  estar 
Dun  sa  je  filh  dalbar 
Qen   maluestaz   se  soioma 

[es  bagna 
10  E  SOS  preç  es  aital*«  com 

[fîls  de  ragna. 


1  E  francs  cors  eissamenz  — •  *  maier  benz  —  3  gazagna  —  *  mi •  El 

—  ^  Se  —  ''  plus  ualens  —  •  faitz  —  •  caz  —  *Opot  ~  "  Per •*  rizenz 

—  '3  uei  —  !•  oils  —  *«douza  — 16  daultrame  sealuag—  l'L.  S.  hà  qui 
di  più  la  seguente  stanza: 


5 


De  lai  on  ueing  ni  uau 
Soi  uostre  ben  uolenz 
E  séria  obedienz 
Con  cel  ca  buo  sestail 
Per  far  uostres  talenz 
E  ia  francs  chauzimenz 


Non  dei  oimais  tarzar 
Zo  qem  fai  esperar 
Qe  pois  artus  a  cobrat  en  bre- 

[taigna 
10  Non  es  razons  qe  mon  ioi  me 

[sofraigna. 


*8creissoil  —  *•  Contrai  nom  peitau  —  'o  reiai  despenz  —  *•  Noi  pot  ga- 
dagnar  —  2>  penchenar  —  *3  peing  es  m.  e  —  24  g^s  aifars  non  ual  — 
**  castaigna  —  2«  de  nul  —  ^^  men  —  '8  aitals 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNARÏ  AMOROS 


!?43 


YII  AI  rei  ualent  &  car 
Voil  mon  uers  enuiar 
Qe  se    ça  ^  perd    proensa 
[paac  gadagna 
Pel  *  bel  soiorn  qe  pren  * 
[lai  en  espagna. 
VIII.  Praire  rire  &  iogar 

Si  uulh^  par  nos  &  chantar 
Mas  er  ai  dreit  qe  sospir  & 

[qe  plagna 
Qar  aostramors  messaluag<^ 

[&  estragna. 

[131  (o*  108)] 

PEIRE  UIDAL 
(=  B.  Gp.  242,  50) 

I.  Non  es  sauis  ni  gaire  ben 

[après 
Cel  qes  blasma  damor  ni 

[mal  en  diz 
Qamors  sap  gen  donar  gauç 

[uls  marriz 
E  fai  tomar  lo  malastruc  ^ 

[cortes 
5  Chascan  ^  fai  de  failliment 

[guardar 
Qi  gen  la  sap  car  tener  e 

[celar 
E  als  failliz  torn*  auinen 

[perdon 
El  fin  aman  son  per  lei  car 

[&  bon. 
II.  Ben  aial  t€ps  el  iorn  el  anz 

[el  mes 

Qel  douç  cors  gais  plaçen- 

[tiers  gen  noiriz 


Par  lo  meillor  ^  desiraz  & 

[grasiz 
De  lei  qes  tan  complida  de 

[toç  bes 
5  Qe*°  sap  ferir  al  cor  dun 

[douç  esgar 
Do  ia  nom  uoill  départir  ni 

[sebrar 

Qar  ges  nO  es  dôna  ni  er  ni  fon 

De  tan  bons   aibs   ab  tal 

[gentil  faiçon. 

III.  Ane  mais  a  nul  aman  tan 

[ben..." 

Ni  tan  nO  fo  de  fin  ioi  enqeriz'* 

Gom   eu   qel  iorn  qe  mos 

[chanz  fo  ausiz 

Per  uos  dOna  eus  plac  qe 

[retraisses 
5  Vostra  lauçor  el  preç  com- 

[plit  &  car 
E  sieu  sai  ren  dauinen  dir 

[ni  far 
Vostra  beltat  el  honor  non 

[cbaison 

Qieu  teng  engual  dun  corn- 

[plit  guiardon. 

IV.  Tant    maueç   dat   pois    qe 

[magues  conqes 

Per  qautre  "  dons  per  me 

[nous  er  qeriz 

Ma  uostre  cors  per  lo  meil- 

[lor  chausitz 
Sap   qe  conuen  gardar  en 

[totas  res 
5  Pero  cel  qi  sens  qerre  uol 

[donar 
(o/*.  72  r*^)  Ben  fai  lo  dons  mais 

[mil  tanç  apreçar 


*saras—  *E1—  *pres  —  *Sueil  — »  saluatja.  — 
— '  E  chascun  —  »  don  —  *  los  meillors  —  *•  Me  — 
i^enrcquitz  —  i'  Qe  autre 


L,S,:  *  mais  adautz 
ïi  ben  nom  près  — 


244 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


Qeu  ai  bon  uist  sens  qerre 

[far  rie  don 

E  don    qeriz  mermar  *   lo 

[miels  del  pron. 

V.  Mon  fertn  uolerdOna  ai  tan 

[en  nos  mes 
Qe  ia  non  er  delognatz  ni 

[partiz 
E  qar  damor  soi  eu  si  ^  con- 

[qeriz 
Ben  dei  rendre  desta  preison 

[merçes 
5  Ben  fui   astruc  qi  prtmier 

[sap*  amar 


Ghom  qe  ^  eortes  en  sa  meil 

[esquiar^ 
Enag  *  uillanie  &  faillison 
Per  qeu  estac  en  bona  sos- 

[peison. 
YI.  Seinher     guilP     malaspina 

[deus  gar 
Vostra  nalor  el  preç  côplit 

[&car 
Qen  ttos  trob  hom  ioi  &solaz 

[e  don 

Per  qeu  uos  uoill  presentar 

[ma  chanson. 


1  mtrma  —  >  SBi  près  e  —  '  saup  —  ^  Gom  nés  ^  s  eschioar  ^  *  Enueig. 


£ .  Stbngrl. 


(A  WHnn0.) 


I  DODICI  CANTI 


ÉPOPÉE  ROMANESQUE  DU  XV1«  SIÈCLE 


CANTO  NONO 


(Suite) 

63 .  Et  volto  al  coderon  alza  la  spada 
Et  con  la  usata  possa  un  gran  fendente 
Mena,  et  la  coda  salta  in  su  la  strada, 
Onde  Aleramo  il  sir  forte  et  prudente 
Tutto  si  scuote  per  non  star  più  a  bada, 
Et,  aciô  del  dragon  le  forze  spente 
Restino,  con  prestezza  quanto  puote 
La  ancisa  coda  dalle  gambe  scuote. 

64.  Ma  quella  coda  si  dimena  in  guisa 
Più  che  se  giunta  al  corpo  fusse  stata, 
Anzi  più  assai  di  pria  che  fusse  ancisa, 
Et  al  guerrier  fa  guerra  più  spietata, 
Che  già  di  sangue  gli  ha  la  faccia  intrisa, 
Ma  non  che  la  forza  habia  anichilata. 
Non  dà  alla  coda  più  ne  al  drago  ancora, 
Perché  il  sangue  il  veder  le  discolora. 

65.  Et  con  la  bocca  che  ha  in  le  parti  estreme 
La  coda  al  sir  la  destra  gamba  afferra, 

Et  tanto  forte  quella  stringe  et  prieme 

Che  sforzato  è  costui  cadere  in  terra. 

Il  drago  con  la  coda  mosso  insieme 

Sopra  il  caduto  sir  tutto  si  serra 

Con  impeto  crudel,  con  gran  furore, 

Da  dar  a  Marte  non  ch*  a  un  huom  terrore. 


2A6  1  DODICI  CANTI 

66.     Ma  Aleramo,  che  sol  dlionor  è  vago, 
Pur  si  rincora  et  di  rizzarsi  pruova 
Corne  délia  vettoria  sua  presago, 
Usando  una  destrezza  alliera  et  nuova. 
Tutto  si  caccia  sotto  Tampio  drago 
Con  el  nudo  pugnal,  et  ciô  le  giuova, 
Perché  in  un  fianco  ove  la  pelle  è  molle 
Tutto  lo  caccia  et  la  vite  le  toile. 

[F^  106  r^'jô?.     Poi  menô  un  colpo  aile  tre  teste  un  tratto 
Con  la  sua  spada  et  quelle  tagliô  netto, 
Et  con  la  coda  rimase  disfatto 
Di  vita  una  altra  volta  il  maladetto 
Brutto  animal  ;  et  fe  la  coda  un  atto 
Che  fu  miracoloso  in  primo  aspetto, 
Che,  morto  il  drago,  tutta  si  distese, 
La  bocca  aperse  e  il  sir  libero  rese  ; 

68.  Corne  dicesse  :  «  Poich'  è  morto  il  resto, 
Viver  non  posso  più;  per6  ti  lasso.  i> 

El  sir,  che  1  drago  non  ha  più  molesto, 
Lieto  et  contente  ritirato  il  passe 
Per  accostarsi  ov'  è  il  bel  viso  honesto 
Di  Sylvana  gentil,  pensando  al  passe 
Délia  immensa  vettoria  esser  già  giunto, 
Nuova  cosa  apparir  vidde  in  quel  punto. 

69.  Che  vidde  dalla  bocca  certo  orrenda 
Del  drago  morto  uscîr  con  sette  teste 
Una  hydra  di  brutezza  si  stupenda 

Ch*  avria  impaurito  il  forsenato  Oreste. 
Corne  contra  Aleramo  ella  s'accenda, 
Inditio  fanne  Topre  sue  moleste, 
Ch'  un  assalto  le  fe  ch'avria  impaurito 
Ogni  altro  huom  di  forti  armi  ancor  guemito. 

70.  Astoifo  che  è  lontan,  non  si  assicur[a] 
Quasi  ivi  starsi  ;  intrépide  sol  resta 
Aleramo,  che  sol  senza  paura 

Spera  quelle,  eh'  [h]a  fatto  al  drago,  a  questa 
Hydra  far  anco,  et  perô  ben  procura 
Tener  con  Tochio  si  la  mente  desta, 
Che  ovunche  lliydra  si  rivolge,  altersi 
Non  offeso  il  guerrier  possa  tenersi. 


CANTO  NONO  ^47 

71 .     Ha  sette  teste,  corne  è  detto,  e  ognuna 
Ha  un  corno  in  fronte  pien  di  tosco  amaro. 
Non  è  persona  che  la  veggia  alcuna 
Ghe  di  fuggirla  assai  non  habia  caro, 
Eccetto  quella  d'Aleran  digiuna 
D'ogni  timor,  d'ogni  suspetto  raro, 
Gh'uno  deî  sette  capi  con  la  spada 
Fa  il  sir  che  sanguinoso  in  terra  cada. 

72.     Ne  prima  fa  quel  teschio  anciso  in  terra 
Che  tre  ne  surser  nel  sanguigno  collo, 
Più  brutti  et  più  superbi  et  alla  guerra 
Più  agil  contra  il  sir,  che  mai  satollo 
Non  si  ritruova  finchè  non  atterra 
Questo  animal  con  Taltro  duro  crollo 
Dell'  aspra  morte,  che  vettoria  attende 
Gui  sol  drizza  il  pensier,  cui  sol  intende. 

[F°105v<»]73.     0  generoso  cor,  animo  invitto 
Che  nuUa  teme  del  nuovo  caso  1 
Astolfo  ha  per  paura  il  cor  trafitto, 
Et  scolorito  è  nel  volto  rimaso, 
Dubbiando  et  egli  a  simile  conflitto 
Successor  farsi  per  Tultimo  occaso 
Che  pensa  del  compagne  et  ferme  spera 
Per  la  prestezza  délia  strana  fera. 

74.  Dice  fra  se  lo  Inglese  :  «  Di  due  cose 
Una  convien  che  sia  per  quanto  i'  veggio  : 
Se  ogni  testa  che  taglia  tre  orgogliose 
Ne  fa,  corne  le  tre  ch'han  preso  il  seggio, 
Pian  le  tutte  infinité  et  perigliose 

E  nostra  morte  fia  per  nostro  peggio, 
E  cosl  havremo  un  strano  guidardone, 

10  del  gigante  et  ei  del  rio  dracone.  » 

75.  Mentre  che  seco  ci6  TEnglese  volve, 

11  medesmo  Aleramo  ancora  pensa, 
Et  dentro  el  cor  pensando  si  rissolve 
Mostrar  Tanimo  suo,  la  forza  immensa. 
Onde  li  sette  coUi  in  su  la  polve 

Fece  a  colpo  cader  con  quella  accensa 
Prestezza,  et  Thydra  per  la  coda  prese 
Et  quella  con  il  drago  in  fuoco  accese. 


248  I  DODIGl  GANTI 

76.  Non  men  fu  lieto  Astolfo  che  Aleramo 
Délia  vettoria  che  la  strana  lutta 
Vidde  finir,  che  prima  n'era  gramo, 
Dubbiando  che  conversa  in  esao  tutta 
Ella  non  fusse,  et,  corne  il  pesce  a  V  hamo, 
Havervi  a  rimaner  et  dalla  brutta 
Hydra  esser  col  compagne  divorato. 

Hor  che  ella  è  morta,  lieto  è  ritornato. 

77.  Et  baldanzosamente  alla  regina 
Rivolto  disse  :  «  0  generosa  diva. 
Gui  tanta  gratia  il  ciel  largo  destina, 
Che  finchè  1  monde  dura,  sempre  viva 
Tua  persona  gentil,  eu'  ognun  se  inchina 
Per  la  virtù  che  mai  in  te  sempre  è  viva  ; 
Hoggi  mai  faccian  triegua  con  li  mostri 
Et  contempliamo  questi  luoghi  vostri  ; 

78.  Che  un  paradiso,  un  luogo  di  beati 
Certo  mi  pare  questa  vostras[t]anza, 
E  voi  angeli  pur  dal  ciel  mandat! 
Quivi  habitar  :  se  non  tracotanza 

11  mio  parer  et  s' i  giudicii  usati 
Ho  meco  interi,  et  se  la  nuova  usanza 
Del  luogo  non  mi  toile  lo  intelletto, 
11  castel  vostro  è  un  eterno  diletto.  » 

[po  i06r°]79.     Onde  la  fata  sorridendo  a  lui 

Disse  :  «  Un  buon  cavallier  non  brama  posa  ; 
Pur,  perché  lassi  se  te  hor  amendui, 
Esservi  voglio  in  questo  gratiosa 
Che  gratiosi  ancor  comprendo  vui 
Degni  da  me  impetrar  più  horevol  oosa.  » 
Et  dette  questo  per  la  man  li  prende 
Et  verso  il  bel  pallagio  il  passe  stende. 

80.     Ces)  coi  cibi  vanne  a  ristorare 
I  corpi  dalle  gravi  fatiche  affranti, 
Et  contra  un  choro  délie  fate  andare 
Videro  a  se  con  dolci  e  ameni  canti, 
La  lor  regina  vera  acompagnare 
Et  honorar  i  dua  guerrier  erranti 
Dentro  un  giardin  d'una  bellezza  taie 
Quanto  veder  mai  possa  ochi[o]  moptale. 


CANTO  NONO  249 

81 .  Un  mezzo  miglio  da  ogni  lato  il  tiene 
Posto  in  quadrato,  et  un  coUetto  in  mezzo, 
Sul  quai  di  marmi  un  fonte  con  amené 
Acque  vi  spande,  e  intomo  un  grato  rezzo. 
Quinci  habitaron  già  Falme  Ghamene» 
Mai  si  ritornarono  al  dassezzo 
Previsto  havendo  di  Sylvana  il  caso 

Nel  bifforcato  monte  di  Parnaao. 

82.  Et  in  memoria  délia  lor  partita 
Fu  da  Sylvana  da  quei  marmi  omato 
Et  d'ognuna  Timagine  scolpita 

Col  nome  lor,  col  lor  signiffîcato. 
L'opra  è  si  degna,  si  tersa  et  pollita 
Cbe  ciascun  che  la  vede  sta  ammirato. 
Scritto  era  il  nome  ancor  di  chi  orné  il  fonte 
Che  fu  de  V  eccellente  Zenofonte. 

83 .  L*imagin  prima  che  a  V  intrar  del  fonte 

Si  vedea,  havea  due  facc[i]e  e  in  ogni  mano 
Un  libre  grande  et  sotto  i  piedi  un  monte. 
Un  volto  era  divino  et  l'altro  humano, 
Una  corona  Tuna  et  Taltra  fronte 
D'oro  cingeva,  cui  poco  lontano 
Sedeva  a  piedi  un  vechio  al  destro  lato, 
Et  dritto  a  l'altro  un  giovinetto  omato. 

84.     Disotto  al  monticel,  ch'  ivi  era  scolto, 
laceva  un  corpo  human  con  quatro  teste, 
Et  era  différente  ciascun  volto 
Di  quelli  quattro,  et  parte  senza  veste 
Era  del  corpo,  et  una  parte  molto 
Non  vestita  era  ben;  et  sotto  queste 
Cose  era  scritto  il  nome  délia  musa 
Che  in  Greco  et  in  Latin  Clio  ogn'uno  accusa. 

[Fol06v*]85.     L'imagine  seconda  dimostrava 
Una  donna  gentil  saggia  et  omata 
D'ogni  bellezza,  che  a  ciascun  prestava 
Diletto  grande  et  la  chioma  ha  dorata. 
Un  flauto  tenea  in  mano,  et  chi  mirava 
In  lei  la  mente  havea  quasi  beata. 
El  pastor  Pan  da  lato  li  sedeva 
Che  flauti  et  zampognette  li  porgeva. 


250  I  DODIGI  CANTI 

86.  Ove  eUa  i  piè  firmaTa,  on  praticello 
Ameno  altresi  sculto  ▼!  si  vede, 

Con  herbe  et  fiori  da  qualch*  arboscello 
Accompagnato,  che  fa  ferma  fede 
Délia  eccellentia  del  maestro  isnello. 
Coi  forsi  Pifajsitele  in  qaesto  cède, 
Ove  è  appiccato  on  epitaphio  a  on  sterpe 
Con  la  scrittora  che  diceva  Ëoterpe. 

87.  L*imagin  terza,  che  '1  bel  fonte  honora, 
Di  varie  veste  ona  legiadra  donna 
Vestita,  cui  la  bella  trecia  infiora 

Una  ghirlanda  d'hedra,  a  una  coUonna, 
Che  li  fa  sopra  ona  scena  décora, 
Totta  s'appoggia,  et  la  soprema  gonna 
Ha  de  diversi  fior  totta  dipinta. 
Et  d'ona  vite  pampînosa  è  cinta. 

88.  A  piè  doi  faoni  con  sonore  canne 
Segono  délia  diva  ai  gesti  lieti  ; 

Et  sotto  i  piè  pastor  con  le  cappanne, 
Con  stridoli  capretti  et  agnei  qoieti 
Et  cani  Colchi  che  mostran  le  zanne 
A  certi  lopi  o  lor  greggi  inqoieti, 
V  eran  scolpiti  con  gran  maestria, 
Et  scritto  infra  :  la  comica  Thalia. 

89.  La  quarta  ona  mestissima  matrona 
Che  di  sardonio  havea  la  sopravesta 
E  in  man  teneva  ona  rotta  corona, 
Et  scori  veli  sopra  délia  testa. 

Et  sopra  un  tronco  totta  s'ablandona. 
Su  la  sinistra  tien  la  goancia  mesta, 
Efc  nella  destra  u[n]  gran  coltel  sangoigno, 
Et  sotti  i  piedi  un  lamentevol  cigno. 

[po  I07r®]90.     Phylle  suspesa  al  tronco  vi  si  scorge, 
Ove  la  musa  il  cubito  suo  appoggia  ; 
Dalla  altra  parte  una  gran  pietà  sorge 
Et  inaudita  et  paventosa  foggia, 
Pyramo  et  Thysbe,  alli  quai  sola  porge 
Una  spada  la  morte  che  ognun  pogg^a 
Volo[n]tario  sevra  essa  ;  ivi  è  Medea 
Coi  figli,  et  scritto  vi  è  :  Melpomena. 


CANTO  NONO  251 

91 .  La  quinta  un  a  donzella  vaga  e  humile, 
Gioconda  et  lieta  in  man  tiene  una  cetra. 
Porpora  bianca  veste  la  gentile 
Fanciulla,  et  viva  par,  non  sculta  pietra. 
Una  girlanda  in  capo  signorile 

Di  gemme  porta,  et  sol  da  lei  s'impetra 

Soavità,  dolcezza,  ligiadria, 

Gratia,  honesti  placier,  dolce  harmonia. 

92.  Sîede  a  piè  délia  musa  al  destro  lato 
Un  pastorello  Hebreo  su  un  capo  humano 
D'un  bel  diadema  d*oro  incoronato, 

Et  al  sinistro  il  Tratio  che  la  mano 
Movendo  adolcia  ogni  cor  efferrato, 
Et  fuor  dei  fiumi  et  fuor  de  TOcceano 
I  pesci  il  suono  tira,  et  sotto  il  piede 
Terpsichore  esser  scritto  vi  si  vede. 

93.  El  sesto  luogo  d*un  puro  alabastro 
Una  imagine  tien  che  par  che  spiri 

Et  mostra  la  eccellentia  del  suo  mastro, 

Oui  par  che  im[m]ortal  gratia  intomo  agiri, 

Ivi  discesa  dal  più  benigno  astro 

Che  fu  nel  ciel,  sia  ne*  perpetui  giri. 

Di  rose  ha  il  capo  omato  inanzi  et  dietro, 

E  in  una  man  la  lyra  e  [in]  l'altra  il  pletro. 

94.  Di  myrthl  ha  sotto  i  piedi  un  bel  boschetto 
Fra  quai  damme,  conigli  et  capriuoli 

Van  lascivendo,  et  Cyprigna  ivi  il  letto 
Haver  si  vede  infra  sua  duo  '  figliuoli 
Ch'  uno  detto  Disio,  Taltro  Diletto, 
Quai  senza  lei  mai  non  si  veggion  soli, 
E  un  epitaphio  tien  dove  è  notato 
A  lettre  d'oro  :  «  1*  son  la  musa  Erato.  » 

95.     In  el  settimo  luogo  una  scultura 
Sembra  una  giovinetta  honesta  et  grave 
Che  nella  destra  tiene  una  scrittura, 
Et  negli  ochi  ha  un  guardar  molto  soave . 
Nella  eloquentia  eccede  la  misura 
E  i  riguardanti  in  lei  unqua  non  pave. 
In  Greco  la  scrittura  scritta  estolle  : 
«  Muove  ogni  cor  da  V  ira  il  parlar  molle.  » 


25?  1  ooDici  aum 

'  F*  107 v«j96.     Infra  i  siuiTi  fior  dd  gnJU>  amomo 

Ti6De  elU  i  piedi,  e  un  Groeo  hm  delU  destra 

AssiBO  a  on  arboacel  di  cjnamomo 

Et  on  grave  Latin  dalla  sinestra 

Di  gratto  aapetto,  et  tieoe  in  mano  un  poino 

Soare  agli  ochi,  e  on  armdlin  s'adeatra 

Di  morder  quelle,  et  aotto  i  ptè  alla  diva 

Un  motte  è  aciitto  :  «  Qui  Polimnia  viva.  » 

97.     Ne  Tottavo  è  nna  donna  che  li  panni 
Sqnarciati  porta  et  povereDa  pare. 
Et  moatra  per  ettà  più  di  ottanta  anni  ; 
Nnde  ha  le  braccia  et  par  che  misnrare 
La  terra,  il  mar  e  il  ciel  tatta  s'affiuini. 
Con  ona  sphera  in  man,  quai  fa  girare 
Un  venticel  aoave  che  ivi  spira, 
Un  oehio  in  alto  et  Taltro  in  baaao  mira. 

98*     Sopra  d'un  monticel  d'alberi  et  fronde 
PrivOy  la  musa  ferma  ambe  le  plante. 
Siede  ivi  an  vecchio  ch'  amendue  le  sponde 
Del  monte  abraccia,  et  qninci  è  scritto  Athlante. 
Di  sotte  il  monte  nascon  limpide  onde 
Ghe  danno  sete  ad  ogni  circonstante, 
Ma  chi  troppo  ne  bee  viene  in  insania. 
Il  motto  ivi  notato  dice  :  Urania. 

99.     Adempie  il  nono  Inogo  nna  Camena 
Con  lunga  chioma  simile  al  pur  oro, 
Vaga  in  aspetto  et  di  fronte  serena, 
Gui  le  temple  clrconda  un  vcrde  aloro, 
Et  l'una  et  Taltra  man  di  pletri  ha  piena. 
Et  ricamate  di  sottil  lavoro 
Le  veste  varie,  dl  bel  fior  omate, 
A  riguardanti  sopra  modo  grate. 

100.     Di  hedre,  di  laurl,  di  gesmlnl  et  myrthi 
Sotto  1  piè  délia  diva  è  un  bel  boschetto, 
Cul  dalli  latl  seggono  dul  spirtl 
D'uno  elevato  et  divine  intelletto, 
Ll  sens!  al  cl[e]l....  levât!  et  irtl, 
Un  Oyprio,  un  Mantuau  con  varie  affetto. 
Corouatl  de  aloro  oguun  teneva 
Un  brève  quai  Calllopea  dlceva. 


CANTO  NONO  253 

101.     Intorno  al  fonte  di  bel  marmo  bianco 
Ligiadri  seggi  et  atti  al  riposarsi 
Ciascun  che  sia  o  per  f  atiea  stanco 
0  per  voler  qualche  diletto  darsi, 
Dove  giongendo  col  Thedesco  il  franco 
Inglese  con  Sylvana  prepararsi 
Vidder  la  mensa  di  soavi  cibi 
Che  par  che  dichi  a  ognnn  :  «  Perché  non  libi  ?» 

[F*  108  r**]  102.     Qaivi  di  canti  et  suon  Taura  lissuona) 
Et  Tacqua  alla  regina  e  ai  cavailieri 
Aile  man  dassi,  et  Tincljta  persona 
Pria  di  Sylvana  et  puoi  i  guerrieri 
Si  pongono  alla  mensa,  e  ana  corona 
Si  paone  in  capo  dei  campioni  altieri, 
Di  quercia  verde  et  di  edera  contesta 
Per  le  man  sol  délia  regina  honesta. 

103.  Vengon  li  cibi  delicati  et  tanti 
Et  si  diversi  et  di  si  grati  odori 

Che  perdon  gli  gesmini  et  gli  amaranti, 
Et  di  cedri  et  limoni  i  vaghi  fiori 
Di  Narciso  et  Hyacinthe  et  degli  accanti, 
Et  soverchiano  i  vin  gli  altri  liquori  ; 
Soverchiano  H  vasi  ogni  gran  regno 
Di  prezzo,  di  materia  et  di  dissegno. 

104.  Struono  a  l'alta  mensa  alcune  fata 
Più  che  d'human  d*angelici  sembianti» 
Et  con  loro  accoglienze  honeste  et  grate 
Honorano  altamente  i  siri  erranti. 

Ma  perché  le  regine  già  lasciate 
Coi  régi  et  gli  altri  dui  guerrier  prestanti» 
Che  di  Rinaldo  il  bel  triomphe  i'  siegua, 
Quanto  più  l'una  et  l'altro  puo'  mi  adegua, 

105.  Ritorno  a  quella  mensa  ov'  io  lasciai 
Li  régi,  le  regin[e],  i  cavailieri 

Con  Doralice,  che  piena  di  lai 

Va  ramentando  i  suo'  tempi  primieri, 

Né  satiasi  mirar  costor  giamai 

Yedendoli  ne  Tarmi  esser  si  fieri  ; 

Ma  di  Rynaldo  s'è  fiammata  tanto 

Che  par  ch'  abia  nel  petto  il  cor  afifranto. 


254  1  DODIGI  GANTI 

106.  Da  un  carro  è  lieta  di  vedersi  inante 

I  sir  pregiati  questa  donna  altiera  ; 

Da  l'altra  parte  du[o]l8e  esseme  amante, 
Perô  che  possederli  unqoa  non  spera, 
Ghe,  Funo  et  Taltro  di  essi  essendo  errante, 
Non  ha  notitia  di  lor  stirpe  vera 
Ella  né  il  padre,  e  in  qaesto  pensier  molto 
Guarda  hora  questo  et  hor  qael  altro  in  volto. 

107.  Et  talhor  se  arosciava  et  scoloriva 
Talhor  in  faccia,  del  che  la  regina 
Vechia  si  accorse,  onde  di  amor  non  priva 
La  figliaola  conobbe  ;  et  Fiordispina 

Sta  tatta  lieta  d*animo  et  gioliva 
Vedendosi  honorar  et  che  s*inchina 
Giascana  a  lei,  et  li  benigni  régi 
Honorano  i  guerrier  di  Iode  et  fregi. 

[F«  IOSt*"]  108.    Disïoso  Rynaldo  di  sapere 

Ghi  sia  colui  con  chi  la  pugna  haveva, 
La  bocca  âpre  doppo  un  lungo  tacere  ; 
Del  nome  et  délia  patria  il  richiedeva. 

II  bon  Guerin,  che  non  si  pu6  tenere 
Del  suspirare,  cosl  rispondeva  : 

u  Signor,  non  ti  so  dir  dov*  io  sia  nato, 
Ma  son  certo  in  Bizantio  nudricato. 

109.  El  mio  nome  Meschino  ivi  fu  detto, 
Et  da  fanciul  fui  preso  da  corsari 

Et  da  un  mercante»  ch'  io  suggevo  a  petto, 
Gomprato  fui  con  robbe  et  con  denari, 
Et  alla  moglie  senza  alcun  rispetto 
Mi  presentô  ;  fra  presenti  più  rari 
Rarissimo  fui  io,  a  ciascun  grato 
Di  lor  et  da  figliuol  nutrito  e  amato. 

1 10.  Un  altro  figliuolin  mio  coetano 
Havea  costui  che  mio  padre  io  credevm. 
Crescendo  nui  alla  acuola  andayano 

Et  ambi  per  figliuoli  ei  ne  taneva  ; 
Un  vestir,  un  caliar,  an  viso  humano 
A  me  come  al  figliuol  proprio  faceva. 
Ne  schiavo  mi  conobbi,  un  giorno  eccetto 
Ch'  io  fui  ai  sacro  imperador  accetto  ; 


CANTO  NONO  255 

111.  Che  s'accoste  al  figliuol  del  mio  padrone, 
Quai  sempre  i'  cresi  a  me  fusse  fratello, 
Et  disse  a  lui,  présente  più  persone  : 

u  Donami  quel  tuo  schiavo  meschinello.  » 

Ma  quel  al  divo  imperatore  espone 

Suo  me  non  esser,  ma  del  padre,  et  che  ello 

Farà  col  padre  se  possibil  fia 

Ch'  alla  sua  Maiestà  concesso  io  sia. 

112.  Et  cosi  fu  che  ad  Alessandro  poi 
Imperador  et  al  suo  vechio  padre 
Fui  caro  servo  quanto  ad  altri  heroi 
Altro  mai  fussi,  et  cosi  la  sua  madré 
Portommi  amor,  et  alli  tempi  suoi 

Yinsi  una  giostra  et  poi  più  armate  squadre, 

Et  libérai  Constantinopoi,  ch'era 

Da  Turchi  oppresso,  per  battaglia  fera. 

113.  Et  poi  deliberaimi  ritruovare 

La  stirpe  mia  onde  l'origine  hebbe, 

E  agli  alberi  del  sole  investigare. 

Di  quanto  nel  diaio  pensier  mi  crebbe, 

1  genitori  miei  tanto  cercare 

Giurai,  et  giurato  baver  forte  me  increbbe , 

Quando  truovaimi  al  fium  di  Tbermodonte, 

Che  fa  abbassar  a  ognun  Taltiera  fronte. 

[P»  109r»]  1 14.    Agli  alberi  del  sole  i'  ritruovai 
Un  sacerdote  cui  la  barba  vesta 
Et  li  capei  facevano  che  mai 
Tal  ne  fu  visto,  et  scalzo  sempre  resta, 
Arso  dal  sol  et  crespo  d'anni  assai, 
Et  da  ridolo  suo  mi  porto  questa 
Risposta  ch'  io  n'andassi  nel  Ponente 
Dove  io  ritruovarei  mia  stirpe  et  gente  ; 

115»     Et  che  io  era  ancor  due  volte  battezato 
Mi  sottogiunse  il  venerabil  vecchio, 
Et  nello  primo  fui  Guerrin  chiamato, 
Meschin  ne  l'altro,  et  cosi  mi  apparechio 
Venir  verso  il  Ponente,  et  il  spietato 
Fiume  mi  toise  di  baldanza  il  specchio, 
Per6  che  un  vento  dispettoso  che  bave 
Ivi  condusse  la  mia  trista  nave. 


^56  I  DODIGI  GANTI 

116.  Con  restai  prigione  in  qpék  rio  regno, 
Ne  possuto  ho  aeguire  il  mio  viaggio 
Che  mi  roppe  fortana  il  mi'  dâssegno.  » 
Coi  Rynaldo  d'Amon,  cavallier  saggio, 
Di  fregio  omalo  et  di  gran  loda  degno, 
Disse:  «  Per  certo  sei  di  gran  lignaggio 
Che  qoel  ch*è  nato  d'ona  stirpe  yile, 
Mai  non  pnô  fare  un  atto  signorile. 

117.  Ma  ben  mi  daol,  snggionse  il  palladino, 
Chliabi  giurato  vendiear  colei, 

Perché  morendo  non  sarai  Gaerrino, 
Né  riportarai  più  tanti  trophei, 
Anzi  preyalerà  il  nome  Mesehino, 
Poichè  Meschin  ribattizato  sei, 
Bssendo  tn  aiivato  in  l'aspra  mano 
Del  fer  Rynaldo,  sir  di  Monte-Albano.  » 

118.  Qaando  li  régi  entesero  U  parlare 
Del  sir  di  Montalban,  hebber  saspetto» 
Onde  li  fecer  presto  aeompagnare 

Coi  lomi  accesi  dentro  al  ricco  letto, 
Ne  si  YQolse  alcon  di  essi  disarmare, 
Non  perô  che  sapessero  il  concetto 
Di  qnesti  re,  ma  perché  loro  asanza 
Era  d*armati  star  nella  altmi  stanza. 

119.  Restano  i  régi  et  le  regine  ancora, 
Gacdati  i  servi  faori,  a  parlamento  . 
El  vecchio  Stordilan  con  sua  décora 
Favella  dice  :  «  1*  fui  molto  contento 
Che  *1  cavallier,  che  si  da  nui  s'honora, 
Trahesse  Fiordispina  a  salvamento , 
Ma  ben  mi  daol  che  qnesto  sia  Rynaldo 
Oie  in  Tarmi  è  si  possente,  ardito  e  baldo. 

[F»  109  V*]  120.    E  qel  altro  anco  che  la  pugna  ha  seco, 
Pur  è  Christiano  et  è  ne  l'armi  esperto  , 
Onde  ana  opinione  al  cor  mi  areco 
Che  habia  da  lor  mio  regno  esser  deserto.  » 
Rispaose  Zenodor  con  l'ochio  bieco  : 
«  Potrebbe  il  parer  tuo  succéder  certo, 
Se  délia  sposa  mia  il  liberatore 
Fusse  amico  di  €huio  il  traditore. 


CANTO  NONO  ^57 

121.  Ma  nèTaspetto  suo  dimostra,  et  meno 
L'altro  combattitor,  di  delettarse 
Oprar  effetto  che  li  renda  meno 

Di  honor  et  gloria,  et  a  me  sempre  parse 
Enteso  haver  quel  sir  ne  più  né  meno 
Chiaro  del  sol,  ne  capidigia  Tarse 
6ià  mai  se  non  dlionor,  di  eterna  fama,  • 

Perché  regno  o  thesor  non  stima  o  brama. 

122.  Se  regno  desïasseil  paladino, 
N'havrebbe  più  di  diece  al  suo  comando  ; 
Quello  di  Chiariel,  quel  di  Mambrino 
Sarebbon  suoi  o  del  cngino  Orlando. 

Né  re  sarebbe  il  figliuol  di  Pipino, 

Se  regno  alcuno  andesse  hora  cercando 

L'animoso  signer  di  Monte-Albano, 

SI  cbe  aqueta  il  pensier  tuo  perché  é  vano.  » 

123.  Lavaga  Fiordispina,  che  si  sente 
Obligp  haver  al  palladin  cortese, 

A  tal  parlar  truovandosi  présente, 

La  sua  protettion  benigna  prese 

Et  disse  al  suocer  suo  modestamente  : 

«  So  che  Rynaldo,  o  sir,' mai  non  ti  offese, 

Ma  secontempli  bene  il  suo  valore, 

So  che  li  renderai  perpetuo  honore.  )> 

124.  Crolla  la  testa  il  vecchio  Stordillano,, 
Et  ciô  vede  la  bel! a  Doralice 

Ch'ama  di  cor  i!  ser  di  Montalbano 
Et  tienesi  in  amarlo  esser  felice. 
Conoscendo  del  padre  il  pensier  strano 
Chetamente  in  V  istesso  animo,  dice  : 
i(  Non  ti  riuscirà,  padre,  il  pensiero, 
S'offender  pensi  questo  cavalière  » 

125.     Et  cerca  con  astutia  feminile 

Del  padre  saper  chiaro  il  riô  concetto, 
Dicendo:  «  0  signer,  mio  padre  gentile, 
Di  Doralice  tua  ferme  diletto, 
Questo  Rynaldo  sotto  spetie  humile 
Ti  vuol  forsi  gabbar,  ma  poi  ch'  in  letto 
Ei   si  ritruova  et  forsi  disarmato, 
Potrai  pigliarlo  e  asicurarti  il  stato.  » 

V 


258  I  DODIGI  GANTI 

[F^  llOro]  126.    Né  a  Zenodoro  ne  a  Fiordispina  maneo 
Piace  di  Doralice  la  preposta. 
S*aro8sa  il  viso  a  Pun,  a  Taltra  bianco 
Diventa  per  pietade  ;  e  il  dir  s'acosta 
Di  Doralice  al  vecchio,  ma  il  cor  franco 
Délia  figliaola  fa  ferma  proposta 
Nottiffioar  ai  cavallier  il  tutto, 
Ghe  per  ben  far  non  habino  mal  frutto. 

127.  Et  cosi  da  li  régi  la  licentia 
Piglia  con  dire  cheli  duol  la  testa. 

Parte  ella  adonque,  et,  poich*  è  in  loro  absentia, 

Seco  una  cameriera  ardita  et  presta 

Menando  dove  i  cavallieri  senza 

Timor  si  posan,  chiaro  manifesta 

Del  padre  la  parole  e  il  pensier  strano, 

Aciô  si  guardin  dal  novello  grano. 

128.  Ringratian  Doralice  i  cavallieri, 
E  poi  proposto  fan  di  starsi  a  Terta. 
Dorme  uno,  Taltro  veglia  volentieri, 
Sperando  che  la  cosa  a  lor  fla  certa. 
Fan  le  guardie  a  vicenda  i  buon  gaerrieri 
Gon  la  mente  ferigna  in  Parmi  esperta  ; 
Et  io  li  lasso  in  Un  ch'io  torno  a  dire 

Di  lor,  che  1  canto  mio  qui  vuo*  finire. 


Ferdinand  Castbts. 


{A  suivre,) 


CONTES  LENGADOUCIANS 
Han  piooh  de  Sant-Loup  an  piooh  de  Sant-Gla 


(suite) 


8.  —  A  Getôri,  Getôri  e  mièoh 

Àqueles  moustres  de  Getôris  se  plasoun  pas  mai  qu*à  countà 
de  talounadas.  Ë,  zou!  au  pus  fort  la  pelha  ! 

Un  jour  dounc,  Tônl  e  Glousquet  se  rescountrèroun  à  la 
Marina. 

—  H6u!  T6ni,  couma  sien? 

—  Mai?aco's  Glousquet.  Ghaval!  quant  i'a  que  t'avièu  pas 
vist? 

—  Ere  à  la  baraqueta.  Gontes  pas  res  de  n6u? 

—  No  ;  franc  que  te  diguèsse  ce  que  m*arrivèt  dimàs  pas- 
sât. •.  Mes  lou  dèves  saupre. 

—  léu?...  Sabe  passoulamen  dequé  me  dises. 


8,  ^  A  Gettois,  Gettois  et  demi 

Ces  monstres  de  Cettois  ne  se  plaisent  qu'aux  gasconnades.  Et, 
en  avant  I  gasconnons  à  qui  mieux  mieux  ! 
Un  jour  donc  Toine  et  Closquet  se  rencontrèrent  à  la  Marine  ^ 

—  Ohé  1  Toine,  comment  ça  va  ? 

—  Tiens?  voilà  Closquet.  Ce  qu'il  y  a  longtemps  qu'on  ne  t'avait 
vu?... 

—  J'étais  à  la  baraquette.  Tu  ne  contes  rien  de  neuf. 

—  Non;  à  moins  que  je  ne  te  dise  ce  qui  m'arriva  mardi  dernier... 
Mais  tu  dois  le  savoir. 

—  Moi?...  Je  ne  sais  môme  pas  de  quoi  tu  me  parles. 

1  Marché  aux  poissons. 


260  CONTES   LANGUEDOCIENS 

—  Te  lou  vau  countà.  Imagina-te  que  quand  faguèt  aquel 
tant  gros  ourage,  sabes?  pescaven  toutes  dous  amé  Pitota,  à 
Testang.  Acha  !  i'èren  talamen  afeciounats  que  se  maufisaven 
pas  de  res.  De  maniera  que,  quand  s'avisèren  dau  tems,  èra 
un  pauc  tard.  Agantèren  be  chacun  un  rem,  e  voga  que  you- 
garàs!  mes,  ni  per  aquelal...  Tourage  crevèt  qu'èren  encara 
liontsdauBourdigou.Ëd'iglaus!...  e  detrons  I...ede  plojal... 
e  de  ventl...  te  lou  pode  pas  dire.  Tout  d'un  cop,  —  flic-flac- 
flao  !  —  un  tron  espaventable  nous  ensourdis,  un  iglau  nous 
avugla,  la  barra  de  fioc  nous  raseja  lou  nas,  e  toutes  dous^ 
flau  !  de  mourres  au  founs  de  la  bèta.  Am'aco  mai  de  peu  que 
de  mau.  Se  matan  d*ausida  e...  oil  de  ma  vida  e  de  mous 
jours!...  s'ai  jamai  cresegut  d'avedre  toucatlaboumba,  seguèt 
be  quand  vegère  ounte  se  capitaven...  Devigna? 

—  La  bèta  s'èra  pas  devirada? 

—  Aube,  devirada!...  Se  capitaven  entre  lou  Mol  e  Ion 
Brisa-lamas.  Sembla  pas  poussible  couma  marcha,  aquela 
eleitricitat  !  Avièn  fach  un  saut  dau  mens  dous  kiloumèstres 
sans  mètre  mai  de  tems  que  per  cridà  :  secous  ! 

—  Lou  crese. 


—  Je  vais  te  narrer  ça.  Imagine-toi  que  le  jour  où  il  fit  ce  fameax 
orage,  ta  sais  bien?  nous  péchions  à  l'étang,  Pitote  et  moi.  Nous 
étions  tellement  absorbés  dans  notre  pêche  que  nous  en  avions  oublié 
tout  le  reste.  De  sorte  que  nous  prîmes  garde  au  temps  un  peu  trop 
tard.  Saisir  chacun  un  aviron  et  ramer  vigoureusement  ?  c'est  bien  là 
ce  que  nous  fîmes;  mais,  va-te faire  fiche!...  Torage  éclata  que  nous 
étions  encore  assez  loin  de  la  Bordigue.  Et  des  éclairs  1...  et  des  coups 
de  tonnerre  !...  et  de  la  pluie!...  et  du  vent  !...non,je  ne  puis  pas  te  dire 
ça.  Tout  à  coup,  —  flic-flac-flac  !  —  un  coup  de  tonnerre  épouvantable 
nous  assourdit,  un  éclair  nous  aveugle,  la  barre  de  feu  nous  frise  le 
nez,  et  tous  les  deux,  patatras  !  museau  premier  au  fond  de  la  barque. 
Avec  ça  plus  de  peur  que  de  mal.  Nous  nous  relevons  vitement  et... 
ohl  de  ma  vie!  oh  I  de  mes  jours!...  Si  j'ai  jamais  cru  avoir  perdu  la 
boule,  ce  fut  bien  quand  je  vis  en  quel  endroit  nous  nous  trouvions... 
Devine? 

—  La  barque  n'avait  pas  chaviré  ? 

^  Ah  !  bien,  oui,  chaviré  I . . .  Nous  étions  entre  le  Môle  et  le  Brise- 
lames.  Ca  ne  semble  pas  possible  ce  qu'elle  va  vite,  cette  électricité  I 


CONTES  LANGUEDOCIENS  261 

—  D'abord,  lou  podes  demanda  à  Pilota. 

—  Lou  crese,  t'ai  dich...  Me  n'es  b'arrivat  una,  à  iéu 
tamben,  que  vau  la  tieuna  ! 

—  Oi?...  Dequé  t'es  arrivât? 

—  Sabes  be  Finèta? 

—  Ta  china  roussèla? 

—  Oi. 

—  Eh!be? 

-^  Eh!  be,  la  senmana  passada  cadelèt.  E  sus  cinq  cadèls 
n'en  faguèt  dous,  un  nègre  e  un  blanc,  de  per  l'aurelha 
gaucha. 

—  Aco,  presemple,  lou  crese  pas. 

—  Dequé?..,  lou  creses  pas? 

—  No,  cranta  cops  no  ;  aquela  es  trop  grossa. 

—  Terré  !  trop  grossa  !.,.  Iéu  te  l'ai  cresegut  per  dous 
kiloumèstres,  e  tus  lou  creses  pas  per  dous  pans  soulamen  !... 
Acha!  vos  que  te  lou  digue:  siès  una  miola!... 


Nous  avions  fourni  un  saut  de  deux  kilomètres  au  moins,  sans  mettre 
plus  de  temps  que  pour  crier:  au  secours  ! 

—  Je  le  crois. 

—  D'abord,  tu  peux  le  demander  à  Pitote. 

—  Je  le  crois,  t'ai -je  dit...  11  m'en  est  bien  arrivé  une,  à  moi  aussi, 
qui  vaut  la  tienne  1 

—  Oui?...  Que  t'est-il  ariivé? 

—  Tu  connais  bien  Finette  ? 

—  Ta  chienne  rousse? 

—  Oui. 

—  Eh!  bien? 

—  Eh!  bien,  la  semaine  dernière  elle  mit  bas.  Et,  sur  cinq  petits, 
elle  en  fit  deux,  un  noir  et  un  blanc,  par  Poreille  gauche. 

—  Ça,  par  exemple,  je  ne  le  crois  pas. 

—  Plaît-il?...  tu  ne  le  crois  pas? 

—  Non,  quarante  fois  non  ;  elle  est  trop  forte,  celle-là. 

—  Oui-dà!  trop  forte  ?...  Moi  je  te  l'ai  cru  pour  deux  kilomètres, 
et  toi  tu  ne  le  crois  pas  pour  deux  empans  seulement!...   Tiens 
veux-tu  que  je  te  le  dise  :  tu  n'es  qu'une  mule  ! . , , . 


262  CONTES  LANGUEDOCIENS 


9.  —  Loa  Penjat  qae  ris 

Loa  fèt  se  passèt  d*aquel  tems  qu*à-loga  de  segà  loa  col  as 
laires,  assassins  e  autras  bonas  granas,  ie  lou  sarravoun,  au 
coantràri,  emb'una  soulida  caravata  de  cambe.  Per  aco  faire 
i'aviè  de  pouténcias  semenadas  un  pauc  pertout  e  mai-que- 
mai  à  rintrada  das  bosses.  E  disoun  que  la  dau  bosc  de 
Yalena,  à  très  ou  quatre  ouras  de  Mountpeliè,  èra  pas  la 
qu'aviè  lou  mens  de  praticas. 

Veja-t-aqui  qu'un  jour  dous  pastourèls,  Privât  e  Bertou- 
mieu,  arrivats  de  fresc  dins  lou  Païs-Bas,  gardavoun  sas 
fedas  à  Yalena.  Era  pas  lou  prumiè  cop  que  vesièn  una  pou- 
téncîa,  mes  jamai,  de  sa  vida  e  de  sous  jours,  n'avièn  pas 
atrouvat  en-lioc  ges  de  tant  ben  enzengadas.  Atabé,  plantats 
davans,  chifravoun  e  fasièn  de  comtes  qu'aco  n'en  ûnissiè  pas 
pus. 

—  Té  !  veses  :  fan  antau  per  lous  penjà. 

—  An  !  bota^  ie  siès  pas:  es  antau  que  fan. 


9.  —  Le  Pendu  qui  rit 

En  ce  temps-là,  au  lieu  de  couper  le  cou  aux  larrons,  assassins  et 
autres  honnêtes  gens,  on  le  leur  serrait  solidement,  au  contraire,  avec 
une  bonne  cravate  de  chanvre.  A  cet  effet,  il  y  avait  des  gibets,  de  ci, 
de  là,  un  peu  partout  dans  notre  beau  pays  de  France,  le  plus  souvent 
à  l'orée  des  boiâ.  Et  Ton  dit  que  le  gibet  du  bois  de  Valeine,  à  trois 
ou  quatre  lieues  de  Montpellier,  n^étaitpas  celui  qui  recevait  le  moins 
de  pratiques. 

Voilà  donc  qu'un  beau  jour,  deux  jeunes  pastoureaux,  Privât  et  Ber- 
thomieu,  nouvellement  descendus  de  leurs  Cévennes  en  Bas-Languedoc, 
gardaient  leurs  brebis  à  Valeine.  Ce  n'était  pas  la  première  fois  qu'ils 
voyaient  une  potence,  mais  jamais,  au  grand  jamais,  ils  n'en  avaient 
trouvé  nulle  part  aucune  d'aussi  bien  agencée  que  celle  qu*ils  admi- 
raient là.  Aussi,  plantés  devant  le  gibet,  ils  émettaient  des  réflexions 
et  des  suppositions  à  langue  que  veux-tu. 

—  Tiens  I  vois-tu:  on  s'y  prend  de  cette  façon  pour  les  pendre. 

—  Tais-toi  donc,  tu  n'y  es  pas  :  c'est  comme  ceci  qu'on  s'y  prend. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  263 

E patin,  e  coufin,  e  gni,  6  gna.  coumalas  fennas  aalavadou. 
D^aquel  tems,  de  fedas  iatravoan  dins  un  blat  e  vous  laisse 
à  pensa  se  lou  panre  el  aviè  la  broda. 
Seguèt  Privât  que  lou  prumiè  s'en  avisèt. 

—  Oi,  monstre  de  sort!  cridèt:  veja  mas  fedas?...  Eh! 
be,  sièi  poulit  ara  !  Quau  sap  quant  me  lou  faran  pagà?...  Au 
diable  ta  pouténcia  amai  ta  pouténcia!... 

Se  i^acoussèt  per  las  vira. 

Ëntramen,  Bertoumieu,  per  ben  s'assegurà  couma  aco  se 
fasié,  escarlimpa  sus  la  pouténcia,  aganta  una  corda  que  pen- 
doulaya,  se  la  passa  autour  dau  col,  vira,  revira,  e...  loupèd 
le  resquilha.  Veja  Taqui  penjat,  mes  penjat  per  de  bon. 

Quand  Privât  revenguèt,  en  sacrejant  couma  un  deganaud, 
lou  devistèt  que  se  bigoursava  e  se  debigoursava,  e  rega- 
gnava  las  dents. 

—  Ah!  bougre-de-bougre!  aco  te  fai  rire,  tus?...  ie  cridèt. 
Pagaràs  couma  iéu,  camarada:  n'i'aviè  taat  de  las  tieunas 
couma  de  las  mieunas  !... 

E  sacrejant  que  mai,  vous  lou  quitèt  en  plan. 


Et  patati,  et  patata,  et  gni,  et  gna,  ainsi  que  femmes  au  lavoir. 
Pendant  ce  temps,  des  brebis  entraient  dans  un  champ  de  jeune 
blé,  et  je  vous  laisse  à  penser  si  la  pauvre  herbe  était  tondue. 
Ce  fut  Privât  qui  le  premier  s'en  aperçut. 

—  Oh  I  monstre  de  sort  !  cria-t-il  ;  vois  mes  brebis.  Eh  bien  I  je 
suis  joli,  moi,  maintenant  !  Qui  sait  ce  qu'on  me  fera  payer!  Au 
diable  tes  potences  et  toutes  tes  potences! 

11  se  précipita  vers  le  champ  pour  en  chasser  ses  bêtes. 

Demeuré  tout  seul,  Berthoraieu  voulut  en  avoir  le  cœur  net.  Il 
grimpa  sur  une  potence,  saisit  une  corde  qui  balançait,  se  la  passa 
autour  du  cou,  tourna,  retourna,  et...  le  pied  lui  manqua.  Si  bien 
qu'il  fut  pendu.  Et  pendu  pour  tout  de  bon. 

Quand  Privât  revint,  jurant  comme  un  huguenot,  il  aperçut  son 
compagnon  qui  se  trémoussait,  et  se  tordait,  et  tirait  la  langue,  et 
montrait  les  dents. 

—  Ah!  brigand-de-brigand!  ça  te  fait  rire,  toi  ?...  lui  cria-t-il.  Tu 
paieras  comme  moi,  camarade  :  il  y  en  avait  autant  des  tiennes  que 
des  miennes  !... 

Et,  jurant  de  plus  en  plus  fort,  il  vous  le  planta  là. 


264  CONTES  LANGUEDOCIENS 

10.  —  Loa  PeiUat  que  ris  paA 

Un  pauc  pus  tard,  à  la  mèma  pouténcia  de  Valena,  n'fen 
arrivèt  una  autra  que  vous  vole  dire  per  acabà. 


«  * 


Avièn  coundannat  à  la  pouténcia  lou  paare  coulas  Jan  Ra- 
piàmus,  un  mèstre  laire  d'aladounc.  De  bon  mati,  de  grand 
mati,  el,  lou   bourrèl  embé  sous  ajudaires  èroun  partits  de 
Mountpeliè.  Quand  arrivèroun  à  Valena  èra  pancara  sourel 
levant,  qu'aco's,  couma  sabès,  lou  moumen  ounte  se  fasièn  las 
penjadissas.  De  mai,  nostres  bourrèls  s'avisèroun  qu'avièn 
pas  près  soun  tuga-verme,  e  que,  Ter  dau  mati,  lou  cami,  e 
patati,  i'avièn  rendut  Testoumac  tèu  :   u  S'anavian  prumiè 
dejunà?  diguèt  un.  —  Farian  pas  pus  mau,  ajustèt  un  autre.» 
De  maniera  que,  estaquèroun  Jan  Rapiàmus  à  la  pouténcia, 
ben  âcelat  couma  se  deu,  e  s'agandiguèroun  à  la  Baraca.  Àcos 
èra  una  auberja,  à  dous  cops  de  fusil  d^aqui,  ounte,  de  cous- 
tuma,  se  ie  fasiè  bona  vidassa. 


10.  —  Le  Pendu  qaine  rit  pas 

Quelque  temps  après,  au  même  gibet   de    Valeine,  il    arriva  une 
autre  aventure  que  je  veux  vous  conter  pour  finir. 


* 


On  avait  condamne  à  la  potence  le  mauvais  gas  Jean  Rapine,  un 
maître-larron  de  ce  temps-là.  De  bon  matin,  de  grand  matin,  le  pauvre 
sire,  le  bourreau  et  les  aides  de  ce  dernier,  étaient  partis  de  Mont- 
pellier. Quand  ils  arrivèrent  à  Valeine  ce  n'était  pas  encore  le  lever 
du  soleil.  Or,  à  soleil  levant  seulement  devait  se  faire  la  pendaison. 
De  plus,  nos  bourreaux  s'avisèrent  qu'ils  n'avaient  pas  tué  le  ver  et 
que,  l'air  du  matin,  le  chemin,  et  patatan  et  patatin,  avaient  creusé 
leurs  estomacs  :  «  Si  nous  allions  d'abord  déjeuner  ?  dit  l'un  d'eux. — 
Nous  ne  ferions  pas  plus  mal,  ajouta  un  autre.  » 

Si  bien  qu'ils  attachèrent  Jean  Rapine  au  pied  du  gibet,  solide- 
ment garroté,  et  qu'ils  se  dirigèrent  vers  la  Baraque  C'était  le  nom 
d'une  auberge,  à  deux  portées  de  fusil  de  là.  L'on  y  faisait,  d'habitude, 
de  bonnes  et  franches  ripailles. 


CONTES   LANGUEDOCIENS  265 

Tout  escàs  dau  darniè  s'avalissiè  Tesquina,  quand  passât 
contra  la  pouténcia  Tôni  lou  Gros-Bardot,  un  jouine  gava- 
chou  qu'èra  pas  el  Tencausa  se  las  granoulhas  an  pas  de  coue- 
tas.  Per  quicon  i'avièn  dounat  l'escai-noum  de  bardot. 

—  Outre!...  dequé  fasès,  vous,  aqui,  moussu? 

—  Ah  !  ah  I...  jouine  orne,  gagne  très  francs  per  oura? 

—  Oh  !  que,  moussu,  badinas  !... 

—  Noun  pas,  moun  ome.  Lou  mèstre  d'aiços  es  un  famous 
medeci  que  v6u  saupre  quand  se  pot  demourà  d'ouras  estacats. 
Pren  toutes  lous  que  ne  voloun  èstre.  léu,  i'ai  déjà  gagnât 
cent  escuts.  Lou  mestiè  a  dau  bon,  couma  vesès.  Pamens  on 
finis  per  n'avedre  un  prou. 

—  Bougri  de  bougri  I...  e  iéu  que  cerque  de  traval  !.  .  Di- 
gàs,  moussu,  cresès-ti  que  lou  mèstre  d'aici  me  prenguèsse  ? 

<-  Soulide,  d'abord  que  iéu  me  vole  enanà. 

—  Oh!  moustre...  ie  parlariàs  pas  per  iéu,  digàs,  moussu? 

—  Mes  si,  moun  ome...  Milhou  qu*aco.  Vous  quite  ma 
plaça  d'ausida,  se  voulès.  Avès  pas  mai  qu'à  desfaire  las 
cordas..  • 


A  peine,  du  dernier  d'entre  eux,  le  dos  disparaissait-il  dans  Tau- 
berge,  qu'auprès  du  gibet  vint  à  passer  Toine  le  Gros-Butor,  jeune 
gavach  de  qui  ce  n'était  point  la  faute  si  les  grenouilles  n'ont  pas  de 
queue.  Ce  n'était  pas  pour  des  prunes,  d'ailleurs,  qu'on  l'avait  sur- 
nommé Gros-Butor. 

—  Morguiennel...  que  faites-vous  là,  Monsieur  ! 

—  Ha  !  ha!,.,  jeune  homme,  je  gagne  trois  francs  par  heure. 

—  Oh  !  que,  Monsieur,  vous  badinez?... 

—  Non  pas,  mon  ami.  Le  maître  de  céans  est  un  fameux  médecin 
qui  veut  savoir  combien  de  temps  un  homme  peut  demeurer  attaché.  Il 
prend  tous  ceux  qui  se  présentent.  Moi,  j'ai  déjà  gagné  cent  écus.  Le 
métier  estbon,  comme  vous  voyez.  On  finit  cependant  par  en  a  voir  assez. 

—  Bigre  de  bigre!...  Et  moi  qui  cherche  de  l'ouvrage!...  Dites, 
Monsieur,  croyez-vous  qu'il  voudrait  de  moi,  votre  maître? 

—  Certainement,  puisque  je  vais  le  quitter. 

—  Oh  I  bigre...  Ne  lui  parleriez-vous  pas  un  peu  pour  moi,  dites. 
Monsieur  ? 

—  Mais  volontiers,  mon  garçon...  Mieux  que  ça.  Je  vous  aban- 
donne ma  place,  sur-le-champ,  si  vous  voulez.  Vous  n'avez  qu'à  délier 
les  cordes... 


265  CONTES  LANGUEDOCIENS 

Tant  j  a  que  Tôni  destaqaèt  Rapiàmas  e  qa'aquesie  ficelèt 
nottre  Gros-Bardot  à  la  lesta  e  se  saavèt  sans  sonna  FaDgèlns. 


La  ûirtalha  de  la  Baraca  doTiè  pas  èstre  trop  marrida, 
d*abord  qne  nostres  bonrrèls  ie  dejnnèroun  sas  dos  ouras. 
Quand  s'en  reTenguèronn  Ion  Gros-Bardot  vous  ie  cridèt  : 

—  Eh  !  moussus,  fai  dos  ouras  que  çai  sièi  !  Me  bailarés 
aqueles  dous  escuts  qne  vous  ai  gagoat?  Se-que-de-nou  demore 
pas  mai. 

Lous  bourréis  s'arregardèroan,  embabouchits. 
*-  Moustrede  sort  !  es  pas  nostre  orne?  Eh!  be,presemple, 
sianpoulitsl... 

—  H6u  I  pioi,  faguèt  lou  mèstre,  que  siègue  aquel,  que 
siègue  Tautre,  sufis  que  n*i*age  un  de  penjat.  Degus  ie  cou- 
nonitrà  pas  res.  Anen  !  zou,  à  Tobra. 

E  se  sarrant  dau  Gros-Bardot: 

—  Anàs  toucà  vostre  argent,  ie  diguèt.  Quitàs  aici  vostres 
esclops  e  mountàs  embé  iéu  sus  Tescala.  Vous  reglaren. 


Tant  il  y  a  qae  Toine  délia  les  cordes,  qae  Jean  Rapine  ficela  notre 
Bator  très  sommairement  et  pais  s'enfuit,  sans  sonner  la  cloche 
d'alarme,  comme  bien  vous  pensez. 

•  ♦ 
La  cuisine   de   la   Baraque  ne  devait  pas   être  mauvaise  :   les 
bourreaux    déjeunèrent    durant   deux    longues  heures.    Quand    ils 
revinrent  an  gibet,  le  Gros-Butor  vous  leur  cria  : 

—  Hé!  Messieurs,  voilà  deux  heures  que  je  suis  là!  Vous  me 
donnerez  les  deux  écus  que  j'ai  gagnés?  Sinon,  je  ne  reste  pas 
davantage. 

Les  bourreaux  s*entre-regardèrent,  interloqués . 

—  Dieu  me  damne  !  ça  n*est  pas  notre  homme  ?  Eh  bien  I  nous 
voilà  dans  de  beaux  draps I... 

—  Bah  !  fit  le  chef,  qu'on  pende  celui-là  ou  qu'on  en  pende  un  autre, 
suffit  qu'il  y  en  ait  un  de  pendu.  Personne  n'y  connaîtra  rien.  Allons  ! 
preste,  à  l'ouvrage. 

11  s'approcha  du  Gros-Butor  : 

—  Vous  allez  toucher  votre  argent,  lui  dit-il.  Laissez  vos  sabots 
dans  un  coin  et  montez  avec  moi,  à  Téchelle.  Nous  vous  réglerons. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  267 

—  Se  perdran  pas  mous  esclops  au  mens,  brave  moussu  ? 

—  Nàni,  nàni  ;  Q*agés  pas  làgui. 

Tôni  escarlimpèt  sus  Tescala.  le  passèroun  lou  nous  autour 
dau  col,  en  ie  diguent  qu'èra  d'acoustumança  de  faire  antau 
e  tout  d'un  cop,  zac  !  se  trapèt  panlevat  en  Ter. 

Per  bounur  aviè  plougut.  La  corda  èra  mièja-pourrida.  Se 
coupèt.  Tôni,  per  tant  tôni  que  seguèsse,  empougnèt  vite 
sous  esclops  e  se  vouèt  d'ausida  àNostra-Dama  de  las  Cambas. 
PamenSy  quand  seguèt  prou  liont,  s*arrestèt  e  bramèt: 

—  Michants  sugèts!  voulurs!...  Vau  lous  querre  ious  gen- 
darmas. Me  lous  racarés  aqueles  dous  escuts  !...  Monstres  !... 
arrouïna-paures  !  assassins  !...  Se  la  corda  se  copa  pas  m*es- 
trangoulhavoun  !... 


* 


Espéras  !  L'afaire  unis  pas  aqui. 

Un  parel  de  meses  après,  moussu  de  Mountpeliè,  preniè 
Ter,  un  bèu  dimenche,  as  entours  de  la  vila,  perquinaqui  vers 
lou  Plan  das  Quatre-Segnous.  Caminava  sans  pensa  mau,  rede 


—  On  n'égarera  pas  mes  sabots,  au  moins,  mon  bon  Monsieur  ? 

—  Non,  non  ;  n*ayez  nulle  crainte. 

Toine  grimpa  sur  Téchelle.  On  lui  passa  la  corde  au  cou.  C^était 
Tusage,  lui  dit-on.  Et  puis,  soudain,  zac!  il  se  trouva  lancé  dans 
le  vide. 

Heureusement,  il  avait  plu.  La  corde  était  à  demi  pourrie.  Elle 
rompit.  Toine,  pour  si  gros-butor  quMl  fut,  se  précipita  sur  ses 
sabots,  les  prit,  les  mit  en  un  clin  d'œil,  et  se  recommanda  sur-le- 
champ  à  Notre-Dame-de-Prends-tes-Jambes.  Quand  il  fut  assez  loin, 
il  s'arrêta  : 

—  Mauvais  sujets  !...  voleurs  î  cria-t-il  tant  qu*il  put...  Je  vais  les 
prendre  les  gendarmes. Vous  les  cracherez  ces  deux  écus  !... Monstres  ! 
Vauriens!  Assassins!...  Si  la  corde  n'eût  point  cassé,  ils  m'étran- 
glaient!... 


♦  ♦ 


Minute!  L'affaire  ne  finit  pas  là. 

Une  couple  de  mois  plus  tard,  M.  de  Montpellier,  prenait  le  bon  air, 
un  dimanche,  dans  les  environs  de  la  ville,  près  du  Plan  des  Quatre- 


?68  CONTES   LANGUEDOCIENS 

cou  ma  s^aviè  fach  sas  Pascas,  quand,  tout  d*un  cop,  à-n-an 
crousadou,  un  bèu  droulàs  se  quilha  davans  el.  E  nostre  ga- 
vacb,  —  car  èra  un  gavacb,  —  Tagacha,  Tespia,  lou  bada, 
sembla  que  se  v6u  miralbà  dins  el. 

—  Siàs  pas,  ie  dis,  lou  bourrèl  de  Mountpeliè. 

—  Nàni. 

—  Acbàs,  pamens,  moussu,  que  ie  semblàs  fossa. 

—  Vous  dise  qu'es  pas  iéu. 

—  Ob!  be,  bougri  de  bougri!  que  lou  siagués  ou  que  Ion 
siagués  pas,  eau  que  vou'n  âque  una  bona  desbourrelada!... 

E  vous  pausèt  sous  esclops;  e  n'agantèt  un  de  cbaca  man; 
e  vous  toumbèt  sus  lou  casaquin  de  moun  bourrèl  ;  e  vous  i'es- 
poussètlas  arnas  ;  e  vous  Pacivadèt  d'aco  pus  bèu  en  bramant: 

—  Me lous  pagarés  aquelesdousescuts,melouspagarés!... 
Urousamen  per  lou  bourrèl  que  se  vegèt  veni  de  mounde, 

ce  que  faguèt  encouri  Tôni.  Sans  aco  Tanriè  quitat  frech. 

Es  égal,  de  Tacivadage  moussu  de  Mountpeliè  s'en  souveo- 
guèt,  se  dis,  mai  de  quatre  matis. 


Seigneurs.  11  allait,  sans  penser  à  mal,  raide  comme  s*il  fût  venu  de 
faire  ses  Pâques,  lorsque,  tout  à  coup,  à  un  carrefour,  un  garçon  for- 
tement râblé  se  dressa  devant  lui.  Et  notre  gavach,  —  car  c'était  un 
gavach,  —  vous  le  dévisageait  curieusement,  obstinément. 

—  N'êtes-vous  pas,  lui  dit-il,  le  bourreau  de  Montpellier? 

—  Non. 

—  Sais  pas!...  Vous  vous  ressemblez  beaucoup  tous  les  deux. 

—  Je  vous  dis  que  ce  n'est  pias  moi. 

—  Oh!  bien,  bigre  de  bigre  1  que  vous  le  soyez  ou  que  vous  ne  le 
soyez  pas,  il  faut  que  je  vous  donne  une  bonne  bourrelée!,.. 

Et  il  posa  ses  sabots  ;  et  il  en  prit  un  dans  chaque  main  ;  et  il  vous 
tomba  sur  le  casaquin  de  mons  bourreau  ;  et  il  vous  lui  secoua  les 
puces  ;  et  il  vous  lui  en  administra  une  maîtresse  raclée  tout  en  criant: 

—  Vous  me  les  paierez  ces  deux  écus,  vous  me  les  paierez!... 
Heureusement  pour  le  battu,  des  gens  se  montrèrent,  pas  bien  loin, 

ce  qui  fit  enfuir  maître  Toine.  Sans  cela  il  Teût  étendu  sur  le  chemin. 
Tout  de  même,  dit-on,  M.  de  Montpellier  garda  de  cette  aventure 
un  cuisant  souvenir,  plus  de  quatre  matins. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  269 

IX 
UN  VIAGE  EN  ANFER 

AU  BRAVE  AMIC  F.  DOUMBRGUB. 

Au  Bourdigou,  autre  tems,  i'aviè'n  capelan  e  un  medeci 
qu^on  vesiè  souvent  ensemble  e  que  pamens  se  carcagnavoun 
de-longa.  Ou,  quand  se  carcagnavoun  pas,  èra  que  Tuu  debi- 
tava  à  l'autre  quauca  grossa  messourgassa,  en  espérant 
qu'aqueste,  quand  vendriè  soun  tour,  n'en  faguèsse  ûlà  una 
pus  grossa  encara.  Car,  sus  aquel  chapitre,  fasièn  mai-que-mai 
au  pus  fort  la  pelha. 

Or,  un  divendres  au  vèspre,  Moussu  Siau  (es  lou  noum  dau 
capelan),  qu'intrava  enco  de  Moussu  Dduièl  (es  lou  noum  dau 
medeci)  per  ie  passa  la  velhada,  Tatrouvèt  mai  que  ben  atau- 
lat  davans  un  capounàs,  amai  qu*aviè  pas  Ter  de  ie  faire  la 
bèba. 

Estoumacat,  se  sinnèt  d'abord,  e  pioi,  issant  las  mans  : 


UNE  VISITE  EN  ENFER 

A  l'ami  F.  DOUMBRGUE. 

A  la  Bordigue,  auti'efois,  il  j  avait  un  curé  et  un  médecin  qu'on 
voyait  très  souvent  ensemble.  Et  cependant  c'était  entre  eux  un 
chamaillis  continuel.  Ou  bien  si,  par  hasard,  ils  cessaient  de  se  cha- 
mailler, on  pouvait  être  sûr  qu'alors  l'un  contait  à  l'autre  quelque 
mirifique  aventure,  en  attendant  que  celui-ci,  son  tour  venu,  débitât 
des  sornettes  plus  mirifiques  encore.  Sur  ce  chapitre,  ils  faisaient  à  qui 
gasconnera  le  plus. 

Or  donc,  un  vendredi  soir,  M.  Silhol  (c'était  là  le  nom  du  curé) 
entrait  chez  M.  Daniel  (c'était  le  nom  du  médecin)  pour  passer  la 
veillée.  Il  trouva  le  compère  béatement  attablé,  tête  à  tête  avec  un 
superbe  chapon.  Et  Thomme  n'avait  pas  l'air  de  bouder  l'animal. 

Très  surpris,  estomaqué,  notre  curé  se  signa  premièrement  ;  puis 
levant  les  mains  au  ciel  : 

—  Seigneur!  Grand  Dieu!  Miséricorde  I...  un  vendredi  manger  da 
la  viande!...  Mais  Tenfer,  malheureux  !  l'enfer  qui  vous  attend?... 


270  CONTES  LàNOUBDOGlgNS 

—  Secous!  faguèt,  un  divendres  manjà  de  oarl...  Mes 
Tanfer,  malarousl  Tanfer  que  vous  espéra?... 

—  M'espéra  pas  iéu,  moussu  lou  Curai  ;  n'agés  pas  p6u 
d'aquela. 

—  Presemple,  n'agés  pas  pôu  d'aquela?...  Vendredi  chair 
ne  mangeras.,. 

—  Ni  Samedi  mémement.  Tout  aco  sabèn.  Mes  counvendrés 
be  pameus  que,  per  anà  dins  Tanfer,  caudriè  que  Tagèsse  de 
plaça.  E  per  iéu  i*a  pas  ges  de  plaça. 

—  Per  vous  i*a  pas  ges  de  plaça?... 

—  Nàni,  n'fa  pas  ges...  Oh  !  boutas,  fagués  pas  vostre  Sant- 
Toumàs  :  se  vous  hou  dise  es  que  n'en  sièi  souiide.  E  n'en  sièi 
soullde  d'abord  que  i'ère  ioi  e  qu'hou  ai  vistcouma  vous  vese. 

—  Anen  !  anen  !  es  pas  lou  cas  de  farcejà.  Sera  pas  emb'a- 
quelas  couiounadas  que  vous  tirarés  das  arpieus  de  Satan. 

—  Gouioune  pas,  moussu  lou  Curât  ;  vous  assegure,  conma 
ai  cinq  dets  à  la  man,  que  sièi  anat  à  Tanfer,  pas  pus  tard 
que  ioi. 

—  Ahl  voulès  pas  n'avedre  lou  démentit!...  Eh!  be,  per 
veire,  countàs  un  pauc  couma  aco  se  i'entoulha  en  aval?  E 
avisàs-vous  que  cadre  ben. 


—  Il  ne  m'attend  pas  moi,  Monsieur  le  Curé  ;  soyez  sans  crainte. 

—  Comment  1  soyez  sans  crainte!...  Vendredi  chair  ne  mangercu.,* 

—  Ni  samedi  mêmement  Nous  savons  cela.  Mais  vous  conviendrez 
bien  cependant  que,  pour  aller  dans  l'enfer,  il  faudrait  tout  d'abord 
qu'il  y  eût  de  la  place.  Et  pour  moi  il  n'y  a  point  de  place. 

—  Pour  vous  il  n'y  a  point  de  place  ?... 

—  Nenni,  qu'il  n'y  en  a  point...  Oh  !  voyons,  Monsieur  le  Curé,  ne 
faites  pas  le  Saint-Thomas  :  si  je  vous  le  dis  c'est  que  j'en  suis  sûr. 
Efc  j'en  suis  sûr,  puisque  j'y  étais  aujourd'hui  :  j'ai  vu  la  chose 
comme  je  vous  vois. 

—  Allons  l  allons  I...  ce  ne  sont  pas  là  matières  à  bouffonneries. 
Et  toutes  ces  fariboles  ne  vous  tireront  pas  des  griffes  de  Satan. 

—  Je  ne  badine  pas,  Monsieur  le  Curé.  Je  suis  allé  en  enfer  aujour- 
d'hui même,  aussi  vrai  que  j'ai  cinq  doigts  à  chaque  main. 

—  Ahl  vous  ne  voulez  pas  en  avoir  le  démenti?...  Eh  bien!  voyons: 
contez  un  peu  comment  vont  les  choses  par  là-bas?  Et  attention  que 
cela  cadre  comme  il  fauti 


CONTES  LANGUEDOCIENS  271 

^  Vous  hou  vau  countà  d*aasida,  e  se  vous  dise  una 
messorga,  vole  que  la  testa  me  saute  I...  Escnsàs  se  me  decope 
pas  de  moun  soupà,  mes  sièi  afamat  couma  un  loup  de  tant 
que  lou  viage  m'a  curât,  e  pioi  aco  m*empacharà  pas  de  bar- 
jacà,  n'agés  pas  làgui. 

Donne,  coupen  court.  S'intra  en  anfer  per  un  grand  pourtau 
que  Tes  alandat  nioch  e  jour.  Ë  l*on  s'encapita  dins  una  espèça 
de  courredouy  long,  long  oouma  tout  ioi,  e  nègre,  nègre... 
couma  diànsis  dirai?...  couma  vous,  moussu  lou  Curât. 

Badinage  à  despart,  se  le  vei  pas  mai  que  s*on  èra  dins  un 
four.  M'embrouncave  d'aici,  retustave  d'aiai,  beièu  me  ûquère 
de  costas  mai  de  dèch  cops.  A  la  perfin,  pamens,  m'avisère 
que  i'aviè  très  portas  :  una  de  chaca  man  e  Tautra  au  ân-founs. 

léu,  pecaire  I  couma  un  ase  cargat  de  iatas,  t'anère  picà 
tout  drech  à  la  prumièira  quo  s'eiideveiiguèt:  èra  la  de 
gaucha. 

—  01!  bougre  de  bastard  de  sort!...  mai,  vendran  me  segà 
las  aurelhas  ?...  faguèt  un  lourdagnàs  que  sourtiguèt  d'ausida 
couma  un  chi  caïn,  lou  mourre  autant  risent  que  las  portas 
d'una  prisou...  Quau  ses  vous? 


—  Je  vais  vous  narrer  l'affaire,  sur-le-champ.  Et,  si  je  vous  dis  le 
plus  petit  mensonge,  qu^on  me  coupe  la  tête!...  Vous  m^excuserez  de 
ne  pas  interrompre  mon  repas:  c'est  que,  voyez- vous,  je  suis  plus 
affamé  qu^mloup,  tellement  le  voyage  m*a  creusé  Testomac.Et  puis, 
ça  ne  m^empêchera  pas  de  jouer  de  la  langue. 

Donc,  coupoDs  court.  On  entre  dans  Tenfer  par  un  grand  portail, 
ouvert  nuit  et  jour.  Et  Ton  se  trouve  tout  de  suite  dans  une  espèce  de 
couloir,  long,  long  comme  tout  aujourd'hui,  et  noir,  noir...  comment 
dirai-je?...  comme  vous.  Monsieur  le  Curé. 

Mais,  trêve  de  badineries.  On  y  voit  clair  là  dedans  à  peu  près 
comme  dans  un  four.  Je  trébuchais  par  ci,  je  me  cognais  par  là;  je 
tombai  tout  de  mon  long  peut-être  plus  de  dix  fois.  A  la  fin  des  fins , 
pas  moins,  je  parvins  à  distinguer  trois  portes  :  une  de  chaque  côté 
et  la  troisième  tout  au  fond. 

Moi,  pauvre  innocent,  comme  un  âne  chargé  de  bois,  j'allai  tout 
de  go  frapper  à  Tune  d^elles,  au  petit  bonheur.  C'était  à  la  porte  de 
gauche. 

•»  Oh  I  canaille  de  bâtard  de  Sorti...  encore,  on  viendra  nous  assas- 


272  CONTES  LANGUEDOCIENS 

^  Sîèi  moussa  Daniel,  dau  Boardlgoa. 

—  E  qae  noun  ie  demouràs  à  vostre  salle  Bourdigoa,  tron- 
de-noum-de-noum  d'un  goi?  ...  An  1  per  veire,  dequé  yenès 
faire  aici  ? 

—  Voulièi  vous  demanda,  moun  brave  moussu,  s'auriàs  pas 
una  plaça  per  iéu... 

—  Ah!  ça,  mes,  digàs  :  prendriàspas  un  er  de  dous  ers,  per 
hasard?...  Yous  couparièi  pulèu  Ion  mourre...  Pétard  de- 
noum-de-noum  !  hou  sabès  pas  que  çai  sèn  quichats  connaa  de 
sardas?  L*on  se  creva  de  Tbou  dire  à-n-aqueles  bougres 
d*abestits,  e  vous  agachoun,  pioi,  en  badant  una  maissa 
qu'envalariè  dous  faisses  de  palhal...  Anàs  vous  faire  enfourcà 
pus  lient,  sieuplèt,  ou  gara  de  mas  costas!... 

Chaval  I  coussi  peta  vostre  fouet,  camarada  I  me  pensère. 
Mes  gardère  aquelas  refleciouns  per  iéu.  Quand  lou  moande 
soun  tant  ounèstes,  ce  milhou  es  de  lous  quitààsoun  adressa. 
Acampère  dounc  un  grand  chut  e,  sans  mai  d'alônguis,  anère 
picà  à  Tautra  porta,  la  de  drecha. 

—  Dequ'es  encara  tout  aquel  varal?...  faguèt  un  autre 


siner  les  oreilles?...  fit  un  monstre  de  laideur  qui  sortit  impétueuse- 
ment, ainsi  qu'un  chien  hargneux,  le  museau  aussi  riant  que  les 
portes  d'une  prison...  Qui  étes-vous? 

—  Je  suis  M.  Daniel,  de  la  Bordigue. 

—  Et  pourquoi  n'y  restez-vous  pas  à  votre  sale  Bordigue,  ton- 
nerre-de-nom-d'un  boiteux?...  Allons!  pour  voir,  que  venez-vous 
faire  ici? 

—  Je  voulais  vous  demander,  mon  bon  monsieur,  si,  des  fois, 
vous  n'auriez  pas  une  place  pour  moi  .. 

—  Ah!  ça,  mais,  dites  donc;  vous  n'auriez  pas  un  air  de  deux 
airs,  par  hasard?...  Je  vous  casserais  plutôt  la  gueule...  Nom-de-nom- 
d'un  pétard!  ne  le  savez-vous  pas  que  nous  sommes  ici  encaqués 
comme  des  harengs?...  On  se  tue  à  le  leur  dire  à  ces  espèces  de  cru- 
ches, et  puis  il  vous  regardent  ahuris,  ouvrant  une  bouche  qui  semble 
vouloir  avaler  deux  bottes  de  paille!...  Allez  vous  faire  enfourcher 
plus  loin,  s'il  vous  plaît,  ou  sinon  gare  de  mes  côtes  !... 

Peste!  pensai-je,  comme  il  claque  votre  fouet, camarade  !...  Mais  je 
gardai  cette  réflexion  pour  luoi.  Quand  les  gens  sont  si  affables,  le 
mieux  est  de  les  laisser  à  leur  enseigne.  Je  restai  donc  bouche  cousue 
et,  sans  plus  lanterner,  j'allai  frapper  à  l'autre  porte,  celle  de  droite. 


CONTES  LANGUEDOCIENS  27 ft 

poulit  moorre  qu^espinohèt  emb'un  er  risouliè  couma  lou  de 
mabèla-maire...  Vous  manoa  quicon?... 

—  Nàni,  moussu.  Sièi  moussu  Daniel,  dau  Bourdigou,  e 
Youdrièi  saupre  s'auriàs  pas  una  plaça  per  iéu. 

—  Aco's  aco  I  Quand  vous  dise  que  caudrà  prene  un  ban 
bilhot  ?...  Fai  belèu  mai  de  cent  que  vènoun,  ioi...  Mes,  sacre- 
mila-noums  d'un  fou...tre!  que  me  fariàs  dire,  sabès  douno 
paslegi,  bougre  d'ase  ?  Dequé  Ta  aqui  dessus  ?... 

De-fèt,  me  faguèt  veire  en-dessus  de  la  porta^  —  quau  tron 
s*en  èra  avisât  !  —  una  maniera  de  pancarta  pas  trop  linda, 
que  pourtava  d*escrich  : 

a  COUMOULIBUS   » 

—  Escusàs,  Moussu,  ie  diguère,  sièi  un  pauc  de  Courtesoun 
per  la  vista,  e  per  lou  lati...  sièi  de  Sant-Jan-das-Ases  :  ai  pas 
jamai  sachut  qu'amoulèn  rapiàmus. 

—  Anàs-vou  *n  au  diable,  e  pas  tant  d'armanacs  ! 
Pardieu!  demandave  pas  que  de  mai  que  d'anà  au  diable  ; 

mes,  sacrapètal  ounte  trcn  se  deviè  'ncapità?  Àchàs  que 


—  Qu'est-ce  que  c'est  que  tout  ce  vacarme?  ..  fit  un  autre  joli- 
cœur  qui  montra  un  visage  gracieux  comme  celui  de  ma  belle-mère... 
Vous  manque-t-il  qnelque  chose?... 

—  Non,  monsieur.  Je  suis  M.  Daniel,  de  la  Bordigue,  et  je  vou- 
drais savoir  si  vous  n'auriez  pas  une  place  pour  moi. 

—  Encore  un  autre?...  Quand  je  vous  dis  qu'il  faudra  prendre  un 
bon  gourdin?...  Ça  fait  peut-être  plus  de  cent,  aujourd'hui...  Mais, 
aacrô-mille-noms  d'un  fou...  tre!  —  car  vous  me  feriez  mal  parler,  — 
vous  ne  savez  donc  pas  lire,  espèce  d'âne?...  Qu'y  a-t-il  là  dessus?.  . 

Il  me  fit  voir,  en  effet,  au-dessus  de  la  porte,  —  du  diable  si  j'y 
aurais  pris  garde!  —  une  manière  de  pancarte  pas  trop  limpide, 
qui  portait  en  écriteau  : 

«   OOMPLBTIBUS    » 

—  Faites  excuse,  monsieur,  lui  dis-je,  je  suis  un  peu  de  Courte- 
son  quant  à  la  vue,  et  pour  ce  qui  est  du  latin...  je  suis  de  Saint- 
Jean-les-Bourriques  :  je  n'ai  jamais  su  que  rapiàmus. 

—  Allez  vous  en  au  diable,  et  pas  tant  de  sornettes  ! 

Pardieu  !  je  ne  demandais  pas  mieux  que  d'aller  au  diable  ;  mais, 

18 


274  CONTES  LANGUEDOCIENS 

sabiëi  pas  trop  coassi  faire  de  picà  ou  de  picà  pas  à  la  porta 
daa  founs. 

Pamens,  me  digaère,  ie  siës,  ie  siès  :  te  ie  eau  faire  à  la 
carreta  I...  As  adejà  envalat  doas  afrounts,  an  de  mai  pot  pas 
estoufà  *n  ome  e  n'auras  au  mens  la  councienca  nota. 

Ëmbé  tout  aoo,  se  vous  disièi  que  tramblave  pas  un  pauqaet, 
série  *n  grossa  messorga  :  lou  oor  me  fasiè  trica-traca. 

—  Quau  i*a  'val?..,  me  cridèt  una  voués  que  semblava  pas 
tant  rufa  couma  las  autras.  De-fèt  lou  que  doubriguèt  aqueste 
cop,  sans  èstre  un  astre,  pamens,  èra  pas  d'à-founs  tant  lourd 
couma  lous  do  us  qu*avièi  vist. 

—  Sièi  moussu  Daniel,  dau  Bourdigou,  tournère  mai  dire. 

—  Ah  !  tant  milhou...  B  dequé  çai  venès  faire? 

—  Vesès,  pas  grand*causa  :  tant  soulamen  per  saupre  se 
i'auriè  pas  una  plaça  per  iéu. 

—  Ai  moun  Dieu  I  taisàs-vous,  qu'aiço's  pie  couma  un  i6u  : 
sèn  lous  uns  sus  lous  autres. 

—  Mes...  anûn, quand  seguèsse  pas  qu'un  pichot  recantou?... 

—  Vous  tome  à  dire  que  Tauriè  pas  per  cabi  'n  jol...  E 


saperlipopette  I  où  donc  se  trouvait-il?...  Voyez-vous,  j'étais  bien  indé- 
cis :  heurterai-je,  ne  heurterai-je  pas  à  la  porte  du  fond?... 

Cependant  je  me  tins  ce  discours  :  a  Tu  y  es,  tu  y  es  :  passes-y 
jusqu'au  bout  sous  les  fourches  caudines!...  Tu  as  déjà  essuyé  deux 
affronts,  un  de  plus  ça  ne  peut  pas  tuer  un  homme,  et  tu  en  auras 
au  moins  le  cœur  net.  » 

Tout  de  même,  si  je  vous  disais  que  je  ne  tremblais  pas  on  peu, 
je  mentirais  effrontément.  Mon  cœur  battait  la  générale. 

^  Qui  va  là?...  demanda  une  voix  qui  me  parut  moins  rude  que 
les  deux  précédentes.  En  effet,  celui  qui  ouvrit  cette  fois,  sans  être 
un  astre  à  la  vérité,  n'avait  pas  le  museau  rébarbatif  des  deux  cer- 
bères déjà  vus. 

—  Je  suis  M.  Daniel,  de  la  Bordigue,recommençai-je. 

—  Ah!  vraiment?...  et  que  venez-vous  faire  par  ici? 

—  Une  misère,  mon  bon  monsieur,  une  misère  :  savoir,  tout  simple- 
ment, si  vous  n'auriez  pas  une  place  pour  moi. 

—  Mon  Dieu!  taisez-vous  donc!...  c'est  plein  comme  un  œuf  chez 
nous.  Nous  sommes  les  uns  sur  les  autres. 

—  Mais...  enfin...  ne  serait-ce  qu'un  petit  coin? 


CONTES  LANGUEDOCIENS  275 

tenès:  de  pôu  que  creseguèsses  que  vous  badine,  vous  hou 
vole  faire  veire, 

M'alandèt  la  porta  e,  iéu,  intrère.  Pu...uh!  la  marrida 
pudissina  que  i'aviè  aqui  dedinsi  Creseguère  de  m'estavani. 
E  de  mounde  ?...  Tout  n'èra 

Tant-i'a  qu'agèren  bèu  ântà  de  drecha,  reântà  de  gaucha, 
trapèren  pas  res.  Si,  à  la  û,  m'anère  avisa  d'un  traça  de 
pichot  banc,  arrecantounat,  destrech  couma  sabe  pas  dequé, 
e  que,  se  i'aviè  de  large  per  plaça  un  bout  d'una  anca,  èrabe, 
tron-de-miola  I  tout  ce  que  se  poudiè  faire. 

—  E  aqui  ?  faguère  ;  tamben  me  countentarièi  d*aiço. 

—  Ah  !  nàni.  Fai  pas  pensât  de  vous  hou  dire  pus  lèu,  mes 
tout  juste  avèn  pas  qu'aqucl  ûoc  de  plaça  e  poudèn  pas  vous 
lou  bailà 

—  Diànsis  1  qu*aco*s  foutent  !...  E  perdequé  poudès  pas  me 
loà  bailà,  se  sièi  pas  trop  curions  ? 

—  Perdequ'aco*s  la  plaça  que  gardan  per  lou  capelan  dau 

Bourdigou... 

Gustàvi  Theround. 


—  Je  vous  répète  qu'on  ne  trouverait  pas  à  caser  un  goujon... 
Et  tenez I  vous  croiriez  peut-être  que  je  vous  badine:  je  m'en  vais 
vous  le  faire  voir. 

Il  m'ouvrit  aussitôt  la  porte,  toute  grande. Moi,  j'entrai  bravement. 
Pouah  !...  l'infecte  puanteur!...  Je  faillis  m'évanouir!  Et  du  monde?... 
C'était  bondé. 

Si  bien  que  nous  eûmes  beau  fureter  de  ci,  refureter  de  là,  nous 
ne  trouvâmes  rien,  rien,  rien.  Si,  cependant.  A  la  fin  des  fins,  j'allai 
découvrir,  dans  une  encoignure,  un  mauvais  petit  banc,  étroit  comme 
je  ne  sais  quoi.  S'il  était  assez  large  pour  qu'on  put  asseoir  dessus 
le  bout  d'une  fesse,  c'est  bien,  saprelotte  1  le  plus  qu'on  en  puisse 
dire! 

—  Et  là?...  demandai-je.  Au  besoin,  je  me  contenterais  de  ceci. 

—  Ah!  fichtre,  non.  Faut-il  que  je  sois  étourdi?...  J'aurais  dû  vous 
prévenir...  Nous  n'avons  tout  juste  que  ce  bout  de  banc,  et  il  nous 
est  impossible  de  vous  le  donner. 

—  Diantre!  que  c'est  désespérant!...  Et  pourquoi  ne  pouvez-vous 
me  le  donner,  si  je  ne  suis  pas  trop  curieux  ? 

—  Mais,...  parce  que  c'est  la  place  qu'on  garde  pour  le  curé  de  la 

Bordigue... 

(A  suivre),  G.  T. 


BIBLIOGRAPHIE 


Pf0Îflinr(6.^  —  Ein  problem  der  romanischen  wortforschnng,  I,  1899 
[40  p.]  et  II,  1900  [20  p.],  StuttgarL  Greiner  é  Pfeiffer. 

Cette  étade  it  particulièrement  pour  bot  d'établir  Tétimologie  du 
mot  fr.  outil.  L'aateor  en  rapproche  ▼&.  ttetUît,  stoeille  et  remonte 
par  là  à  one  forme  *  uràla^ta.  Mais  $ieeiUe,  stoeiUe,  qui  semble  signifier 
«  chaise  >»  et  qoe  M.  Behrens  {Beitrâge  sur  romanischen  philologie 
dédiés  à  M.  G.  Grôber)  rapporte  avec  beaucoup  de  vraisemblance 
à  ûaLvaslod,  stoeUfe,  n*a  rien  à  voir  avec  nutil.  *  Uritahilia  croule  par 
le  fait. 

De  ce  prétendu  *usiiabiUa  M.  Pfeiffer  tire  olivettes  qui  ne  vent  cer- 
tainement pas  dire  «  oatîls  »  et  qui  est  sans  doute  apparenté  avec 
fr,  atU/er  ;  des  aUveUes  ce  sont  des  objets  d'attifement,  comme  Tindique 
Cotgrave  qui  traduit  ce  mot  par  «  trinkets,  tyres.  or  attyres  ». 

Puis  du  même  *usitabilia  sortirait  estovoir,  qui  ne  convient  ni  pour 
le  sens  ni  pour  la  forme,  —  puis  stenys  qui  serait  le  même  mot  qiiesio- 
voir,  —  puis  atoivre  qui  serait  encore  le  même  mot,  —  puis  siilU, 

—  puis  esioire,  —  puis  tœillier,  —  puis  atUler,  iaUmiUer,  tantouiUer, 

—  puis  artillier. 

Le  singulier  *  usitabile  n'aurait  pas  eu  une  postérité  moins  inatten- 
due :  ce  serait  wall.  stafe,  puis  wall.  scoffe,  scafe,  sitofe,  et  en  défini- 
tive fr.  étoffe  qui  sortirait  du  wallon. 

Cette  énumération  se  passe  de  commentaire;  mais  nous  ne  croyons 
pas  inutile  de  relater  cette  liste  de  mots  parce  qu'elle  est  présentée 
chez  Fauteur  avec  une  érudition  incontestable  et  une  certaine  virtuo- 
sité à  laquelle  quelques-uns  pourraient  se  laisser  prendre. 

Dans  le  second  fascicule  destiné  à  renforcer  le  premier,  M.  Pfeiffer 
construit  un  *  usahïlia,  qui  doit  confirmer  le  *  usitdbilia  du  premier 
article.  A  ce  *  uaabilia  remonterait,  entre  autres  formes,  fr.  useteiUe  ; 
inutile  d'insister. 

Si  Tauteur  a  obtenu  des  résultats  aussi  surprenants,  c'est  qu'il  met 
en  œuvre  une  sémantique  dont  l'élasticité  n'a  pas  de  limites  et  une 
fonétique  fondée  uniquement  sur  les  cas  particuliers,  les  faits  d'ana- 
logie, les  croisements  de  mots,  les  exceptions.  Pourtant  son  travail 
dénote  des  qualités  qui  pourraient  être  un  jour  utilisées  de  façon  plus 


BIBLIOGRAPHIE  277 

fructueuse  ;  mais  ce  qui  est  inquiétant  pour  le  moment,  c'est  que  la 
seconde  brochure  se  termine  par  ces  mots  <*  Wird  fortgesetzt  ». 

Maurice  Grammont. 


Wilmotte.  —  La  naissance  de  Vêlement  comique  dans  le  théâtre  reli- 
gieux. Congrès  d'histoire  comparée  de  1900,  Maçon,  Protat  frères,  1901, 
n-8o  de  23  p. 

En  annonçant  aux  lecteurs  de  la  Revue  des  langues  romanes  un 
récent  volume  de  M.  Sepet,  je  les  ai  entretenus  des  «  origines  catho- 
liques du  théâtre  moderne  ».  C'est  au  même  sujet  que  se  rattache 
une  remarquable  communication  faite  par  M.  Wilmotte  au  Congrès 
d'histoire  comparée  de  1900. 

On  a  le  plus  souvent  admis  et  professé  que  l'élément  comique  des 
mystères  leur  venait  du  dehors  :  les  fabliaux  avaient  donné  nais- 
sance à  des  farc3s,  et  de  ces  farces  certains  personnages  et  certains 
incidents  sont  passés  dans  les  mystères.  Mais  où  sont  ces  farces 
et  ces  fabliaux  dont  on  veut  que  les  auteurs  de  mystères  se  soient 
servis  ? 

Qu  on  observe  attentivement  les  faits,  qu'on  étudie  Tun  après  l'au- 
tre les  documents,  et  l'on  se  convaincra  que  les  mystères  n'ont  rien 
emprunté;  mais,  au  contraire,  que  «  l'élément  comique  est  en  germe 
dans  les  premiers  développements  scéniques  qu'a  connus  l'Eglise, 
comme  ces  développements  sont,  en  quelque  sorte,  latents  dans  la 
liturgie  ». 

Bien  plus,  l'élément  comique  né  au  sein  du  mystère  en  est  sorti,  a 
donné  naissance  à  son  tour  à  des  scènes  et  à  des  divertissements 
profanes;  nous  le  retrouvons  dans  Robin  et  Marion,  d'Adam  de 
le  Haie,  dans  la  Grisélidis  de  1395,  dans  le  dialogue  des  voleurs 
{jeu  de  saint  Nicolas)^  de  Jean  Bodel  :  «  Les  sujets  d'ordre  comique  de 
1200  à  1400  sont  tous  pris  dans  les  mystères,  ou  du  moins  s'y  re- 
trouvent ou  peuvent  légitimement  s'y  retrouver  ». 

Telle  est  la  thèse  qu'avec  beaucoup  de  clarté  et  de  logique  expose 
le  savant  professeur  de  Liège.  Çà  et  là  des  vues  ingénieuses  viennent 
encore  augmenter  le  prix  de  sa  démonstration,  a  11  serait  intéres- 
sant »,  lit-on,  p.  17,  note  3,  «  de  poursuivre  ailleurs  une  enquête  sur 
les  «  Bergeries  »  et  de  se  demander  si  le  goût  n'en  passa  point  les 
monts  au  XV1«  siècle  (j'ai  nommé  tantôt  Guarini,  qui  aurait  pu  se 
déclarer  Tauteur  de  l'entre-jeux  du  miracle  de  Grisélidis),  pour  nous 
revenir  légèrement  métamorphosé  au  siècle  suivant  ;  il  y  a  là,  j'en  ai 
la  certitude ,  tout  un  champ  d'exploration  pour  de  nouveaux  cher- 
cheurs )». 

Engène  Rigàl. 


?78  BIBLIOGRAPHIE 

Rolurtmi  (O).  —  Etode  sur  Jehan  Bodeh  Thèse  pour  le  doctorat.  — 
Uppsala,  Imprimerie  Almqvist  et  WikseU,  1900,  in-8*.  [XVI-  207  p.] 

M.  Rohnstrôm,  qui,  dans  les  Mélange»  de  philologie  romane 
dédiés  à  Cari  fFaA/«fuf  (1896),  avait  déjà  préliminairement  publié  des 
Remarques  sur  quelques  noms  propres  dans  la  Chanson  des  Saxons 
(pp.  123-136),  vient  de  consacrer  une  étude  approfondie  à  Tœuvre 
complète  du  poète  arrageois  Jean  Bodel.  Après  une  Introduction^ 
où  il  rend  compte  des  faits  se  rapportant  à  la  vie  de  Jean  Bodel, 
l'auteur  soumet  à  un  examen  consciencieux,  en  cinq  chapitres  consé- 
cutifs, les  Pastourelles  attribuées  à  Jean  Bodel,  ses  Congés,  le  Jeu  de 
saint  Nicolas,  la  Chanson  des  Saxons  et,  enfin,  la  langue  du  poète, 
telle  qu'elle  ressort  de  ses  œuvres.  L'exposé  est  clair  et  facile  à  lire, 
et  l'auteur  nous  renseigne  partout,  d'une  manière  systématique  et 
intelligente,  sur  les  opinions  divergentes  concernant  les  questions  en 
litige.  Je  ne  saurais  dire,  si,  pour  chaque  fait  spécial,  M.  Rohn- 
strôm  est  arrivé  à  un  résultat  définitif  et  assuré  ;  dans  tous  les  cas, 
son  argumentation  est  toujours  très  solide  et  mérite  d'être  prise  en 
sérieuse  considération.  Je  dois  me  borner  ici  à  signaler  brièvement 
quelques  conclusions  importantes  de  cette  œuvre  très  méritoire. 

Pour  la  date  de  la  mort  de  Jean  Bodel,  Tauteur  approuve  Topinion 
selon  laquelle  le  poète  est  mort  vers  la  fin  de  1209  ou  au  commence- 
ment de  1210.  Quant  aux  pastourelles^  M.  Rohostrôm^  d'accord  avec 
M.  Cloetta,  croit  que  Jean  Bodel  est  également  l'auteur  de  la  pas- 
tourelle N®  1702  de  la  Bibliographie  de  M.  Raynaud  (L'auirier  me 
cJievaucJioie  Lés  une  sapinoie),  laquelle  est  anonyme  dans  les  trois 
mss.  qui  la  donnent.  Les  Congés  dateraient,  comme  Font  admis 
MM.  Cloetta  et  G.  Paris,  de  Tannée  1202.  Pour  la  Chanson  des 
SaxonSf  il  faudrait  prendre  comme  base  de  la  restitution  du  texte  le 
ms.  Paris,  Arsenal,  f.  fr.  3142  (A),  dont  la  langue  est  nettement  picarde. 
Quant  à  la  langue  du  poète,  M.  Rohnstrôm  prouve,  entre  autres,  que 
Jean  Bodel  rimait  -ie  <^  -  ita  avec  -ie  =  -tee,  réfutant  ainsi  l 'opinion 
contraire  de  M.  Raynaud,  que  j'avais  adoptée,  avec  trop  peu  de  cri- 
tique, dans  mon  édition  de  Conon  de  Béthune, 

Voici,  pour  finir,  quelques  petites  erreurs  de  fait  que  j 'ai  observées. 
P.  9  :  La  III*  pastourelle  (Raynaud,  n^  1702)  se  trouve  dans  Mon- 
merqué-Michel,  Théâtre  frç.,  page  37,  et  non  pas  p.  77.  — P.  12  :  Par 
une  erreur  d'impression  il  n'est  pas  dit  que  la  IV*  pastourelle  (Raynaud 
n°  367)  a  aussi  été  publiée  par  Dinaux,  Trouv.  Art.,  p.  206,  *  sous  le 

1  La  Bibliographie  de  M.  Raynaud  indique  à  tort  p.  190,  ce  qui 
s'explique  par  le  fait  que  la  p.  207  porte,  par  erreur  typographique,  le 
numéro  191. 


BIBLIOGRAPHIE  279 

nom  de  Gillebert  de  Berneville.  —  P.  22  :  Les  Congés  se  trouvent 
encore  dans  le  ms.  Paris,  Arsenal,  3313  (B.  L.  fr.  170),  qui  est  une 
copie  (du  XVUI®  siècle)  du  ms.  Paris,  B.  N.  fr.  375  (voy.  Zeïtschr.f, 
rom.  PhiloL  IV.  p.  477,  note  2).  —  P.  70:  La  strophe  176,7-22  du 
Jeu  de  saint  Nicolas  (éd.  Monmerqué-Michel)  a  les  rimes  :  ababccdde- 
fefggcc,  et  non  pas  :  abab ccddefef ggoa. 

Helsingfors.  A.  Wallenskôld. 


Gaston  Jonrdanne.  —  Garcassonne.  Un  vol.  in-12,  yi-174,  pp.  et  un 
plan.  Carcassonne,  Gabelle,  1900. 

Bien  que  ce  petit  volume  soit  une  œuvre  de  circonstance,  (écrite, 
si  nous  ne  nous  trompons,  à  Toccasiou  d^une  fête  félibréenne)  et  que 
l'auteur  y  ait  évité  avec  beaucoup  de  bonne  grâce  toute  prétention 
scientifique,  il  mérite  d'être  signalé,  tant  à  cause  de  l'autorité  de 
Técrivain  si  compétent  en  matière  d'histoire  et  d'archéologie  langue- 
docienne, que  pour  les  services  qu'il  pourra  rendre  aux  archéologues 
de  profession  comme  aus  simples  touristes.  Après  Cros-Mayrevieille, 
après  Viollet-le-Duc,  après  Foncin,  après  G.  Boyer,  M.  Jourdanne  a 
pensé  qu'il  y  avait  place  encore  pour  un  guide  à  la  Cité  de  Gar- 
cassonne, et  son  entreprise  se  justifie  par  l'abondance  et  la  précision 
des  détails,  comme  par  la  clarté  et  la  méthode  de  l'exploration  de  la 
Cité  telle  que  son  itinéraire  la  présente.  C'est,  comme  de  juste,  à  la 
Cité  qu'est  consacrée  la  plus  grande  partie  (et  la  plus  intéressante) 
du  volume.  Après  quelques  indications  générales  sur  l'histoire  et 
l'archéologie  de  la  vieille  Cité,  Jourdanne  décrit  en  détail  la  basilique 
de  SS.-Nazaire  et  Celse,  puis  l'enceinte  intérieure  :  1**  de  la  tour  de 
Justice  à  la  tour  Saint-Nazaire  ;  2**  le  Cloître  ;  3°  de  la  tour  Saint- 
Nazaire  à  la  Porte  Narbonnaise  ;  4*  de  la  Porte  Narbonnaise  au 
Château  ;  l'enceinte  extérieure,  qui  se  divise  en  lices  hautes  de  la 
Porte  d'Aude  à  la  Porte  Narbonnaise  et  en  lices  basses  de  la  Porte 
Narbonnaise  au  Château.  L'étude  des  entrées  :  Porte  d'Aude,  Porte 
Narbonnaise,  Grande  Caponnière  et  avant-porte  du  Château,  complète, 
avec  celle  du  Château,  la  description  très  approfondie  de  la  Cité.  On 
ne  pourrait  trouver  de  guide  mieux  renseigné  et  plus  indépendant  à 
l'égard  des  légendes  et  des  traditions  locales.  M.  Jourdanne  n'en 
ignore  aucune,  mais  il  est  loin  de  les  accepter  toutes.  Cette  partie  du 
volume  se  termine  par  quelques  notes  sur  les  sénéchaux  royaux,  les 
prévôts  des  mortes-payes,  la  statue  de  Dame  Carcas  et  la  légende 
deCarcas  et  de  Charlemagne,  et  les  anciens  faubourgs.  Une  vingtaine 
de  pages  contient  ensuite  des  renseignements  plus  que  suffisants  sur 
la  Ville  Basse,  et  peut-être  un  peu  maigres  sur  le  Musée-Bibliothèque 


280  BIBUOGRAPHIE 

qui  eontieiit  des  œuvres  et  des  collections  întéressanles,  siirtoat  snr 
les  CbénieFf  sur  Peyrosse  et  sor  Mahul.  Le  Tolmne  est  carieasement 
illustré  de  photogravures  d'après  les  clichés  de  ranteur,  qui  a  même 
donné  on  horaire  photographique  qoi  sera  précieax  pour  les  ama- 
teurs. Je  me  permets  de  réclamer  pour  les  amateurs  bibliographes 
une  bibliographie  sommaire  de  Carcassonne,  qu*il  ne  sera  pas  difficile 
à  M.  Jourdanne  de  nous  donner  dans  sa  seconde  édition,  et  que,  selon 
toute  apparence,  nous  n'attendrons  pas  longtemps. 

L.-G.  P. 

CosU&tino  Vigra.  —  Uno  degli  Edoardi  in  Italia.  Fayola  o  storia  ? 
(Extrait  de  la  Nuova  atUologia,  1*'  aTiil  1901.  Rome  1901.  25  pp.) 

La  tradition  des  chroniqueurs  anglais  veut  que  le  roi  Edouard  II 
d'Angleterre  ait  été  mis  à  mort,  d'une  façon  barbare,  par  ordre  de 
sa  femme  Isabelle  et  de  l'amant  de  celle-ci,  Mortimer,  au  Château 
de  Berkeley,  à  une  date  généralement  fixée  au  21   septembre  1327. 
Manupl  da  Fiesco,  chanoine  dToik,  puis  évoque  de  Vercelli  de  1343 
à  sa  mort  en  1348,  a  donné,  dans  une  lettre  adressée  au  roi  Edouard 
111,  une  version  tout  à  fait  différente  des  dernières   années  de  ce 
piince  :  d'après  Fiesco,  Edouard  II  aurait  réussi  à  s'évader  de  Ber- 
keley, et  à  gagner  le  continent;  il  aurait  traversé  la  France  jusqu'en 
Languedoc,  reçu  quelque  temps  l'hospitalité  de  Jean  XXI 1  à  Avignon, 
puis,  après  un  pèlerinage  à  Cologne,  serait  revenu  se  fixer  en  Lom- 
bardie,  à  Milan  d'abord,  puis  dans  les  ermitages  de  Melazzo  et   de 
Cecima.  C'est  là  que  la  mort  serait  venu  le  prendre.  Ce  récit  aurait 
été  fait  par  lui-même  à  Manuel  da  Fiesco,  «  ea  quae  audivi  ex  con- 
fessione  patris  vestri  »,  phrase  où  «  confession  »  veut  dii'e  sans  doute 
confidence,  ou  bien  implique  un  singulier  manquement  de  Fiesque  à  ses 
devoirs  ecclésiastiques.  —  Malheureusement  cette  lettre  de  Fiesque 
n'est  pas  datée,  et  le  plus  ancien  texte  qu*on  en  ait  est  une  copie 
insérée    par  Arnaud   de  Verdale  dans  le  cartulaire  épiscopal  de 
Maguelone  :  or  Fiesque  est  mort  en  1348,  le  cartulaire  a  été  rédigé 
en  1368  ;  cet  écart  de  vingt  ans  diminue  quelque  peu  l'autorité  de  ce 
témoignage,  fort  surprenant  et  qui  n'est  confirmé   par  aucun  autre 
document  contemporain.  —  Ce  document  fut  publié  pour  la  première 
fois  en  1877,  par  M.  Alexandre  Germain,  qui  accepta  pleinement  son 
authenticité,  €  sans  vouloir  imposer  cette  conviction  » ,  mais  qui  récla- 
ma la  révision  de  cette  question  historique,  et   discuta  savamment 
les  divers  problèmes  et  hypothèses  qui  se  posent  et  se  suggèrent  à  son 
endroit.  11  conclut  à  l'authenticité,  pour  ce  motif  que  la  fabrication 
d'un  tel  document  n'aurait  eu   aucun  but  utile  et  aucun  avantage 


BIBLIOGRAPHIE  281 

pratique  pour  le  faussaire .  Gomme  on  oe  possède  pas  TorigiDal  de  la 
lettre,  cette  question  d'authenticité  est  double  :  L*originaI  était-il 
authentique?  On  ne  peut  rien  en  savoir  et  il  n'a  peut-être  jamais 
existe.  La  copie  Test-elle?  Il  est  possible,  comme  Ta  suppose  Germain, 
que  la  copie  elle-même  ait  été  un  apocryphe  destiné  à  tromper 
Arnaud  de  Verdale,  grand  collecteur  de  chartes  et  de  documents 
anciens.  Il  est  possible  enfin,  et  Germain  et  Nigra  n'ont  pas  envisagé 
cette  hypothèse,  que  nous  ayons  affaire  ici  à  un  simple  jeu  d'esprit, 
à  un  document  purement  littéraire  et  fabriqué  de  toutes  pièces, 
comme  le  moyen  âge  et  le  XV^  siècle  en  ont  tant  produit  ;  lequel 
document  aura  été  recueilli  dans  le  cartulaire  par  un  clerc  trop  naïf. 
On  retrouve  en  effet  dans  cette  lettre  plusieurs  éléments  ordinaires 
des  récits  analogues  de  Folk-lore,  les  détails  de  l'évasion, la  substitu- 
tion du  cadavre,  la  réception  par  le  pape,  le  pèlerinage  à  Cologne, 
qui  paraît  un  épisode  tout  à  fait  arbitraire.  Jusqu'à  nouvel  ordre,  il 
n'y  a  pas  lieu,semble-t-il,  de  substituer  à  la  version  romanesque  de 
l'assassinat  la  version  encore  plus  romanesque  de  l'évasion.  A  vrai 
dire  l'une  et  l'autre  sont  également  peu  certaines  et  impossibles  à 
prouver.  11  faut  appeler,  comme  Nigra,  l'attention  des  chercheurs  sur 
ce  petit  mystère  et  souhaiter  la  découverte  de  nouveaux  documents. 

La  prochaine  publication  du  cartulaire  de  Maguelone  donnera 
peut-être  à  notre  savant  confrère  M.  Berthelé  l'occasion  de  revenir 
sur  cette  question,  de  compléter  la  découverte  de  Germain,  de  déci- 
der l'authenticité  du  document,  et  provoquera  peut-être  la  découverte 
de  nouveaux  textes  relatifs  à  ce  mystère.  Si  Edouard  11  a  vécu  une 
quinzaine  de  jours  à  la  cour  pontificale,  il  est  impossible  que  les 
registres  Introitus  et  Exitus  de  la  curie  de  Jeun  KXIl  n'en  aient 
conservé  aucune  trace. 

Dans  le  présent  article,  M.  C.  Nigra  ne  fait  guère  que  résumer 
le  mémoire  de  Germain,  il  donne  le  texte  et  la  traduction  italienne 
de  la  lettre  de  Fîesque,  conclut  à  la  vraisemblance  de  Tévasion; 
Germain  était  peut-être  conduit  à  cette  conclusion  par  l'amour-pro- 
pre  du  trouveur,  Nigra  y  est  amené  par  l'amour-propre  local  de  l'itu- 
lien,  heureux  de  voir  son  pays  mêlé  à  un  problème  historique.  — 
C'est  du  reste  le  caractère  d'à-propos  que  l'avènement  d'Edouard  Vil 
donne  à  l'histoire  de  ses  prédécesseurs  homonymes  qui  Pa  décidé  à 
revenir  sur  cette  question.  Peut-être  Edouard  VU  trouvera-t-il  cette 
actualité  de  mauvais  augure. 

L.  G.  Pélissikr. 


/ 


TSf  BIBLIOGRAPHIE 

Joardanne.  —  Contribation  an  folk-lore  de  TAade.  Usages,  contmnes, 
littérature  populaire,  traditions  légendaires.  Un  toI.  in-8«,  243  pp. 
Paru,  Mai  ormeuce;  Carcassanne,  André  Gabelle,  1899-1900. 

M.  Jourdanne  a  eu  une  excellente  idée  en  réunissant  dans  un 
tirage  à  part,  restreint  et  par  là-même  appelé  à  devenir  rare  et  pré- 
cieux, des  études  publiées  dans  le  Momteur  de  l'Aude  et  dans  les 
MénuAree  de  la  Société  des  art$  et  9ciemees  de  Careassotme  sur  le  folk- 
lore de  ce  département  de  TAude  qu*il  connaît  si  bien  et  dont  il  veut 
être  l'historien  attitré.  L*eQsemble  de  ces  études  comprend  naturelle- 
ment trois  divisions:  Usages  et  coutumes,  littérature  populaire,  tra- 
ditions légendaires.  Dans  la  première,  Fauteur  examine  successive- 
ment les  fêtes  populaires  (à  noter  un  incident  singulier  arrivé  en  1785 
à  la  fête  du  Roitelet),  les  croyances  aux  êtres  surnaturels,  la  fée  Bîs- 
tande^  la  Dame  blanche  de  Pnjlaurens,le  Dracula  ma«co, les sinagries 
les  breichoSj  les  peurs,  le  messager  des  âmes  (il  observe  justement 
que  ce»  superstitions  ont  un  caractère  plus  âpre  et  plus  triste  en 
Languedoc  qu*en  Provence),  les  proverbes  et  dictons,  les  jeux  des 
enfants,  les  coutumes  nuptiales  et  funéraires,  les  formules  de  con- 
versation, les  usages  administratifs,  les  usages  résultant  des  rivalités 
do  quartier,  les  métiers  de  la  rue  [gitano,  panieraire,  pendulaire,  hru- 
la-bif  estamaire,  germenaire  eisant%belli)^\e^  usages  culinaires  et  médi- 
caux, chai)itre  toujours  abondant  en  étrangetés  et  en  très  anciennes 
survivances,  enfin  les  usages  popupulaires  religieux  réunis  sous  le  nom 
de  liturgie  romane. 

La  deuxième  partie,  —  poésie  et  prose  populaires  —  est  peut-être 
moins  nouvelle,  et  moins  spéciale  à  l'Aude  :  les  chants  enfantins,  les 
danses,  les  chansons  d'amour  et  de  mariage,  les  pastourelles,  les 
chants  religieux,  se  retrouvent  avec  des  variantes  hors  du  dépar- 
tement. Signalons  cependant  les  chants  languedociens  appliqués  à 
rhytmer  la  polka  et  le  quadrille,  certains  chants  bouffons,  et  les 
chants  de  métier,  dont  il  est  étonnant  que  M.  J.  n'ait  pas  fait  un 
chapitre  spécial  (Cf.  chant  du  bouvier,  p.  97  ;  chanson  des  tisserands, 
p.  51). Tout  à  fait  intéressants  et  locaux  par  contre  sont  les  chapitres 
de  quelques  chansonniers  populaires  (Combettes,  Vidal,  Tourret,  Jala- 
bert,  Rigaudel,  Birat,  Achille  Mir)  et  ^wv  les  chansons  politiques  popu- 
laires dont  la  plupart  sont  du  XIX®  siècle,  dirigées  contre  Napoléon, 
contre  Déjean,  Mahul,  Legoux,  etc.  C'est  en  effet  un  chapitre 
essentiel  pour  constituer  le  folk-lore  des  temps  contemporains. 

La  troisième  partie  consacrée  aux  traditions  légendaires  est  celle 
qui  intéressera  le  plus  les  historiens  et  les  archéologues  :  l'antiquité 
il  1  lissé  quelques  traces  dans  la  région  ;  on  attribue  des  origines 
fabuleuses  à  certaines  villes  de  l'Aude,  notamment  à  Carcassonne,  à 
Narbonne  ;  les  Wisigoths,  les  Sarrasins  ont  fortement  impressionné 


BIBLIOGRAPHIE  ?83 

rimagination  populaire  (trésor  des  Goths,  châteaux  d'Alaric  II,  la 
tour  pinte  de  Garcassonne,  la  tour  mauresque  de  Narbonne,  les  sept 
statues  d'argent  enlevées  à  Narbonne,  les  sept  colonnes  d'argent 
enlevées  à  Garcassonne,  les  murailles  de  Narbonne  transportées  à 
Cordoue.  la  statue  de  Mahomet).—  Une  autre  série  de  traditions  date 
du  cycle  carolingien  et  de  l'époque  féodale  :  c'est  la  geste  narbon- 
naise,  Philomena,  le  poème  d'Aimery  de  Narbonne,  et  toutes  les 
légendes  qui  en  dérivent.  Charlemagne  en  personne  (par  Dame  Carcas 
et  le  siège  de  Narbonne)  et  Roland,  ont  eu  une  popularité  remarquable 
dans  ces  régions.— Autour  de  la  guerre  des  Albigeois  s'est  formé  tout 
un  cycle  de  traditions  :  Roger  Trencavel,  Amaury,  Simon  de  Montfort, 
Saint- Dominique,  sont  autant  de  noms  autour  desquels  devaient  cris- 
talliser les  légendes  et  les  anecdotes.  —  L'hagiographie  chrétienne 
s'est  aussi  propagée  dans  le  domaine  du  merveilleux,  avec  saint  Paul 
Serge,  saint  Gimer,  saint  Stapin,  saint  Papoul,  sainte  Gamelle,  les 
saintes  Puelles,  et  autres  analogues.  M.  Jourdanne  a  groupé  dans 
un  intéressant  chapitre  les  légendes  formées  pour  expliquer  certains 
monuments  antiques  ou  curieux,  ou  pittoresque  :  les  pierres  de  Nau- 
rouse,  les  souterrains  et  le  grand  puits  de  la  Gité  de  Garcassonne,  la 
Vierge  de  la  Porte  Narbonnaise,  la  pierre  tombale  de  Simon  de 
Montfort,  la  grenouille  de  saint  Paul  et  la  lampe  de  saint  Just,  à 
Narbonne,  etc.,  etc.).  —  Un  dernier  chapitre  est  consacré  à  des 
légendes  d'origine  suspecte  sorties  purement  de  la  fantaisie  indivi- 
duelle de  quelques  nouvellistes  du  XIX»  siècle,  plus  épris  de  roman- 
tisme macabre  que  de  tradition  méridionale.  Il  n'est  pas  inutile  de 
préciser  l'origine  purement  livresque  de  ces  légendes  (dont  aucune, 
au  reste,  ne  paraît  avoir  dépassé  le  magazine  originel),  tandis  qu'on 
peut  encore  la  retrouver  sûrement.  —  11  manque  un  chapitre  à  ce  très 
intéressant  volume  :  c'est  une  revue  du  folk-lore  d'origine  historique 
contemporaine.  M.  J.,  qui  a  cité  une  chanson  contre  Napoléon,  ne 
pense-t-il  pas  qu'on  pourrait  retrouver  dans  les  traditions  populaires 
des  anecdotes  sur  Napoléon,  Kléber  et  autres?  Plusieurs  carcasson- 
nais  ont  fait  l'expédition  d'Egypte;  la  petite  BelUllette  était  compa- 
triote de  Peyrusse  11  serait  invraisemblable  que  l'étrange  fortune  de 
cette  petite  bourgeoise,  devenue  maîtresse  de  Bonaparte,  n'ait  pas 
donné  lieu  à  quelques  traditions.  Je  crois  que  Napoléon  et  la  Révo- 
lution dans  les  traditions  populaires  sont  des  sujets  dignes  de  l'atten- 
tion des  folk-loristes.* 

L.-G.  PÉLISSIER. 

ï  II  faudra  aussi  s'inquiéter  dans  quelques  années  des  légendes  et  tra- 
ditions auxquels  auront  donné  naissance  dans  les  villages  les  récits  des 
soldats  coloniaux  ou  qui  auront  fait  la  guerre  outre  mer.  L'instruction 
primaire  n'empêche  pas,  bien  au  contraire,  la  déformation  de  l'histoire 
dans  des  cerveaux  primitifs  ou  débiles. 


CHRONIQUE 


Nos  deux  collaborateurs  MM.  Eugène  Rigal,  professeur  de  litté- 
rature française  à  la  Faculté  des  lettres,  et  Martinknohb.  professeur 
de  rhétorique  au  lycée  de  Montpellier,  viennent  d'être  honorés  par 
l'Académie  française  d'un  prix  de  500  francs  chacun,  le  premier,  pour 
son  volume  intitulé  Victor  Hugo,  poète  épique  (Paris,  Lecéne  et  Oudin, 
éditeurs],  le  second,  pour  sa  thèse  française  la  Comedia  espagnole  en 
France  de  Hardy  à  Racine  (Paris,  Hachette  et  Cie,  1901). 

M.  RiGAL  avait  déjà  obtenu  un  prix  de  l'Académie  pour  sa  thèse  sur 
Alexandre  Hardy.  Nos  plus  vives  félicitations  aux  deux  lauréats. 


Le  D'  Stepfens  s'est  habilité  à  l'Université  de  Bonn,  comme  Pri- 
vat'Dozent  de  Philologie  romane. 

Le  D"*  Gaufinez,  lecteur  de  français  s'est  habilité  à  la  même  Uni- 
versité, comme  Privât- Dozent  de  Philologie  fraiçaise. 


* 
•  » 


Les  thèses  de  notre  collaborateur,  M.  J.  Roucaute,  intéresseront 
vivement  ceux  de  nos  lecteurs  qui  s'occupent  d'histoire  languedo- 
cienne. La  thèse  française*  expose  l'histoire  du  Gévaudan  de  1585 
à  1596.  Grâce  aux  nombreux  documents  inédits  qu'il  a  consultés  aux 
archives  de  Mende,  M.  Roucaute  a  pu  donner  un  récit  vivant  et 
animé  en  même  temps  que  sincère  de  cette  période  troublée. 

La  thèse  latine  2,  quoique  traitant  d'un  sujet  spécialement  histori- 
que, pourra  avoir  quelque  utilité  pour  les  philologues.  Les  pages  87- 
114  contiennent  en  effet  un  index  des  propriétés  royales  dans  le  Gé- 
vaudan en  1307.  Les  noms  sont  donnés  sous  la  forme  latine  qu'ils 
ont  dans  les  chartes  et  sous  la  forme  officielle  qu'ils  ont  aujourd'hui. 
Si  l'auteur  avait  pu  nous  donner  en  même  temps  la  formes  langue- 
docienne  de  ces  lieux  dits,  mas  et  tènements,  l'intérêt  de   cet  index 

1  Le  pays  de  Gévaudan  au  temps  de  la  Ligue,  par  J.  Roucaute, 
Paris,  A.  Picard,  1900. 

2  Qua  ratione  et  quibus  temporibus  fines  dominii  regii  in  Gabalitano 
constituta  sint  (anno  MGLXI-MGGGVII),  Mende,  librairie  A.  Privât. 


CHRONIQUE  ?85 

aurait  été  encore  plus  grand.  Il  ne  faut  pas  oublier  d'ailleurs  que 
l'orthographe  officielle  des  noms  de  lieux  dans  le  Midi  n^est  souvent 
que  la  transcription  pure  et  simple  des  formes  languedociennes. 

J.  A. 

Le  FéUhrige  latin  a  publié  dans  son  numéro  de  juillet-août  1899 
une  étude  intitulée  Si  Jasmin  est  un  Théocrite.  Une  note  nous  avertit 
que  ces  pages  ont  paru  pour  la  première  fois  en  1854,  dans  un  journal 
du  Midi.  Le  temps  n'en  a  affaibli  ni  la  finesse  ni  la  justesse.  Elles 
sont  signées  d*un  pseudonyme  dont  nous  devons  —  dans  cette  Revue 
—  respecter  le  secret. 


«  • 


L&Zeitschrift  fur  romanische  Philologie,  publiée  parle  professeur 
G.  Groeber,  paraît  désormais  en  six  fascicules.  Le  prix  qui  était  de 
20  marks  est  fixé  à  25  marks. 


•  * 


JEUX  FLORAUX  DE  SARA008SE  (1901) 

Les  mainteneurs  de  Saragosse  adressent  une  vibrante  invitation  aux 
poètes  de  la  langue  d'oc  et  de  la  langue  d'oil  pour  leurs  Jeux  floraux, 
Ley  de  esta  tierra  es  la  cortesia,  disent-ils  dans  leur  lettre  missive. 
On  jugera  de  la  vérité  de  cette  pensée  si  on  parcourt  le  programme 
et  l'invitation  en  trois  langues  (français,  provençal,  espagnol)  qui 
raccompagne.  Voici  le  texte  provençal  et  français  de  l'invitation  : 

LA  ClÉUTA  DE  SARAGOUSSO 
Palladium  di  Jo  Florau,  i  noble  b  gai  fblibrb  de  Prouvbnço, 

B  A  TÔUTI  LIS  AUTRI  ESORIVAN  DB  FrANÇO  :  SaLUT 

Vous  gramacian,  ami,  qu'avès  aculli  nostro  obro  emé  tant  de 
benvoulènci.  Quand,  antan,  recaupeguerian  de  coumpositioun  escricho 
dins  touti  li  dialèite  de  vosto  terro  ensouleiado,  quand  li  meiouro 


LA  GITE  DE  SARAGOSSE 

Palladium  des  Jeux  Floraux,  aux  nobles  et  gais  pélibrbs  de 
Provence  et  a  tous  les  autres  écrivains  de  France  :  Salut 

Nous  vous  remercions,  amis,  pour  l'accueil  bienveillant  que  vous  avez 
fait  à  notre  œuvre.  Quand,  naguère,  nous  reçûmes  des  compositions 
écrites  dans  tous  les   dialectes  de  votre  terre  ensoleillée,  quand  les 


286  CHRONIQUE 

daverèron  li  joio  semoundudo,  quand,  dins  la  soulenneta  de  nosto 
fèeto,  lou  Conse  de  voste  pais  oucupè  lou  sèti  d'ounour  que  se 
resôrvo  à  Toste  d'eléi,  quand  nosto  obro  triounfanto  aguô  en  guier- 
doun,  lou  rampau  dou  lausié  qu'a  vie  oumbreja  la  toumbo  de  Vergèli, 
alor  veguerian  que  li  Jo  Flourau  de  Saragousso  eron  benesi  de  Dieu, 
amor  qu'avien  près  pèr  normo  la  lei  santo  de  Tamour  freirenau. 

Evitas  nous,  vuei,  lou  maucor  dis  adieu;  volèn  que  restés  emé 
nautre  uno  anado  encaro,  e,  pèr  que  Fouspitalita  vous  siegue  mai 
agradivo,  signés  libre  de  veni  a  nosta  segoundo  Festo  coume  vous 
sara  lou  mai  plasènt,  emé  de  proso  o  de  pouësio,  dins  la  parladuro  de 
la  bello  e  gènto  Provènço  o  dins  la  de  lengo  d' Oil  consagrado  pèr 
Lamartine  e  pèr  Molière. 

E,  pèr  qu'ansin  siegue.  vous  semoundèn  dos  joio  e  vous  signalan 
dous  tèmo. 

Un  gau  d'or,  simbole  de  voste  païs,  guierdoun  de  voste  Conse  en 
wSaragousso,  sara  la  recoumpènso  dôu  meiour  conte  escri  en  lengo 
franceso,  e  aguènt  pèr  sujet  de  mour,  comtumo  o  caractère  d'uno 
prouvinço  de  Franco. 

La  viôuleto  d'or,  la  joio  la  mai  requisto  dôu  FeUbrige,  la  baiaren 
a  la  meiouro  coumposicioun  pouëtico  escricho  en  prouvençau  classi  o 
en  un  autre  di  dialèite  de  la  lengo  d'  0,  em*  uno  entiero  liberta  de 
sujet,  de  ritme  e  de  loungour. 


meilleurs  obtinrent  les  récompenses  oifertes,  quand,  dans  la  solennité 
de  notre  Fête,  le  Consul  de  votre  pays  occupa  la  place  d'honneur  qu'on 
réserve  à  l'hôte  préféré,  quand  notre  Œuvre  triomphante  reçut  en  guer- 
don  le  rameau  de  laurier  qui  avait  ombragé  la  tombe  de  Virgile,  nous 
vîmes  que  les  Jeux  Floraux  de  Saragosse  étaient  bénis  de  Dieu  parce 
qu'ils  avaient  pris  pour  norme  la  loi  sainte  de  l'amour  fraternel. 

Evitez-nous,  maintenant,  le  chagrin  d'un  adieu  ;  veuillez  rester  avec 
nous  un  an  encore  ;  et  pour  que  l'hospitalité  vous  soit  plus  agréable, 
venez  à  notre  seconde  fête  comme  il  vous  plaira,  avec  de  la  prose  ou  de 
la  poésie,  dans  le  parler  de  la  langue  de  la  belle  et  gente  Provence  ou 
dans  celui  de  la  langue  d'Oil,  consacrée  par  Lamartine  et  par  Molière. 

Et  pour  qu'il  en  soit  ainsi,  nous  vous  offrons  deux  prix  et  vous  signa- 
lons deux  thèmes. 

Un  coq  d'or,  emblème  de  votre  pays,  don  de  votre  consul  à  Sara- 
gosse, sera  la  récompense  du  meilleur  conte  écrit  en  langue  française 
et  ayant  pour  sujet  des  mœurs,  coutumes  ou  caractères  d'une  province 
de  France. 

La  violette  d'or,  prix  le  plus  précieux  du  Félibrige,  sera  pour  la 
meilleure  composition  poétique  écrite  en  provençal  classique  ou  en  un 
autre  des  dialectes  de  la  langue  d'Oc,  avec  une  entière  liberté  de  sujet, 
de  rythme  et  de  longueur. 


CHRONIQUE  287 

Vous  pregan  de  manda  au  «  Secretario  del  ExceleirUisimo  Ayunta- 
miento  de  Zaragoza  »  vôstis  obro  noun  signado,  portant  uno  deviso 
reproducho  parieramen  a  Festeriour  d'un  pie  ferma  que  dedins  i*  aura 
escri  lou  noumee  Tadrèisso  de  l'autour. 

Pèr  YÔsti  coumposicioun  lou  councours  sera  dubert  enjusquo  au  15 
de  setèmbre  de  1901  à  cinq  ouro  dôu  tantost.  Pèr  vous,  sara  toujour 
duberto  la  Ciéuta  de  Saragosso,  e  pèr  vosto  amistanço  lou  cor  dis 
aragounés. 

Demandan  pas  mai,  senoun  que  Dieu  vous  alumine  e  nous  garde 
touti  souto  aquelo  lèi  de  pas  e  d'amour  qu'es  un  doun  dôu  Cèu. 

Donna  en  Saragousso  lou  jour  de  nosto  proumiero  Fèsto,  dès  e  noù 
d' oûtobre  de  Y  an  de  Nosto  Seignour,  milo  nôu  cent. 

Veuillez  envoyer  au  c  SecretaHo  del  Excelentisimo  Ayuntamiento  de 
Zaragoza  »  vos  œuvres  non  signées  portant  une  devise  reproduite  éga- 
lement à  l'extérieur  d'une  enveloppe  fermcc  qui  contiendra  le  nom  et 
l'adresse  de  l'auteur. 

Pour  vos  compositions,  le  Concours  sera  ouvert  jusqu'au  15  septembre 
1901  à  cinq  heures  du  soir; pour  vous  sera  toujours  ouverte  la  Cité  de 
Saragosse,  et  pour  votre  amitié  les  cœurs  des  aragonals. 

Nous  ne  demandons  pas  autre  chose  sinon  que  Dieu  vous  illumine  et 
nous  garde  tous  sous  cette  loi  de  paix  et  d'amour  qui  est  le  don  du  Ciel. 

Donné  à  Saragosse  le  jour  de  notre  première  Fête,  dix-neuf  octobre 
de  l'an  du  Seigneur,  mil  neuf  cent. 

* 
«  » 

Un  des  derniers  numéros  de  la  Revue  Celtique  (avril  1901,  p.  216, 

sqq.)  contient  un  intéressant  article  de  M.   A.  Thoma.s  intitulé  De 

quelques  noms  de  lieux  français»  Citons  parmi  ces  noms  ceux  à'Abeillan 

^  *  Apilianum),Adissan  (<^  *  Atîcianum),  noms  de  deux  communes 

de  l'Hérault,  Indrois,  nom  d'un  petit  affluent  de  T Indre.  Indrois  serait 

formé  avec  un  diminutif  gaulois  iscus,  iscos, 

* 

Notre  collaborateur,  M.  Eugène  Rigal,  dont  nous  annonçons  ci- 
dessus  le  succès  académique,  vient  de  publier  une  nouvelle  étude 
d'histoire  littéraire,  à  laquelle  nous  souhaitons  volontiers  la  même 
fortune  :  c'est  le  Théâtre  français  avant  la  période  classique  (fm  du 
XVI*  et  commencement  du  XVII*  siècle).  M.  Rigal,  dont  on  connaît 
la  profonde  érudition  et  la  compétence  spéciale  sur  ces  matières,  a 
refondu  dans  ce  volume,  en  les  complétant  et  en  les  mettant  au  cou- 
rant des  dernières  découvertes,  —  on  dirait  mieux  de  ses  dernières 
découvertes  —  son  Esquisse  de  l'histoire  des  théâtres  de  Paris  et  les 
chapitres  d'intérêt  général  de  sa  thèse  sur  Hardy.  C'est  désormais  le 


288  CHRONIQUE 

livre  classique  et  indispensable  pour  Tétude  de  cette  période  si  inté- 
ressante et  si  complexe  de  notre  histoire  dramatique. 


*  f 


M.  Francesco  Fiamini,  professeur  de  lettres  italiennes  à  TUniver- 
sité  de  Padoue,  a  publié  dans  la  Revue  de  la  Renatascmce  (récemment 
fondée  par  M.  Séché)  une  curieuse  étude  sur  le  Rôle  de  Pontus  de 
Tyard  dans  le  Pétrarquisme  français,  où  il  montre  comment  ce  poète, 
tout  en  imitant  Maurice  Scève  et  Cariteo,  «  s'éloignait  bien  plus  que 
»  Melin  de  Saint- Gelais  dans  ses  vers  alambiqués  et  guindés,  qui 
»  visent  à  reproduire  tout  ce  que  Pétrarque  a  de  plus  étrange  et  de 
»  plus  fade.  Il  se  rattache  à  Melin  et  ouvre  la  voie  à  Desportes  ».  — 
L*étude  de  M.  Flamini  sera  lue  avec  intérêt  par  tous  ceux  qui  étudient 
les  relations  littéraires  de  la  France  et  de  l'Italie. 

Il  est  question  depuis  quelque  temps  de  la  création  d'un  enseigne- 
ment de  littérature  et  de  langue  espagnole  à  la  Faculté  des  lettres 
de  Montpellier  :  des  subventions  s'élevant  ensemble  à  3.000  francs 
ont  été,  nous  assure-t-on,  votées  par  le  Conseil  municipal  de  Mont- 
pellier et  le  Conseil  général  de  THérault.  Bien  que  notre  Faculté  des 
lettres  ait  des  besoins  plus  urgents,  nul  ne  pourrait  s'étonner  d'y 
voir  instaurer  cet  enseignement.  Et  ce  n'est  assurément  pas  la  Revue 
des  langues  romanes  qui  voudrait  y  contredire. 

•  • 

Parmi  les  mémoires  récemment  soumis  à  la  Faculté  des  lettres  de 
Montpellier,  comme  épreuves  de  la  licence  es  lettres,  nous  devons 
signaler,  en  raison  de  son  intérêt  pour  l'histoire  provinciale  de  Lan- 
guedoc, celui  de  M.  Henri  Chaber,  étudiant  en  histoire,  licencié  es 
lettres,  sur  V Assistance  publique  en  Languedoc  au  XVIII^  siècle.  Le 
jeune  auteur  a  traité,  d'après  les  documents  inédits  d'archives,  uneques- 
tion  nouvelle  et  mal  connue,  et  son  mémoire  apporte  des  résultats 
intéressants  et  curieux,  sinon  définitifs.  Il  sera  probablement  imprimé. 

• 

•  » 

Au  moment  de  terminer  cette  chronique,  nous  recevons  et  nous 
nous  empressons  de  signaler  le  Libre  Nouvial,  consacré  par  M.  Ca- 
mille Laforgue  à  commémorer  le  mariage  de  Mademoiselle  Laforgue, 
sa  fille,  avec  M.  le  vicomte  d'Armagnac.  Nous  reviendrons  sur  ce 
volume  auquel  ont  collaboré  presque  tous  les  félibres  et  les  poètes 
méridionaux,  et  qui  imite  brillamment  l'usage  délicat  des  Per  nozze 
italiens.  Bornons-nous  aujourd'hui  à  dire  qu'il  fait  le  plus  grand 
honneur  aux  presses  de  la  maison  Hamelin,  et  à  M.  Roque-Ferrier 
qui  en  a  dirigé  la  composition  littéraire  et  typographique. 

Le  Gérant  responsable  :  P.  Hamelin. 


LA  CRIDO  DE  BIARN 


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Allegro. 


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Au      noum  de   Dieu    vi 


ç  j  j>  jTn^^^ 


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de    san-to    Es 


te  -  Uo.   Au        noum    de     Dieu     vi- 


i>==a: 


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vent    Fa  -  sen  ço     que      de      -      vèn.  Vai 


lèu,  bai  -  le  -  ro,         lèu, 


bai 


le  -  ro,  lèu,  bai- 
Allegro. 


--i^  j  I  m.  M  r^i"rf±j 


lè-ro,Vai     lèu,bai-lè  -  ro,  lèu,  de  sou  -  lèu  en  sou   -    lèu. 


Au  noum  de  Dieu  vivent 
Emai  de  santo  Estello, 
Au  noum  de  Dieu  vivent 
Fasen  co  que  devèn. 


Vai  lèu,  bailèro,  lèu, 
Bailèro,  lèu,  bailèro, 
Vai  lèu,  bailèro,  lèu  \ 
De  soulèu  en  soulèu. 


LA  CRIEE  DE  BEARN 


Au  nom  de  Dieu  vivant  «,  —  au  nom  de  sainte  Estelle ,  —  au  nom 
de  Dieu  vivant,  faisons  notre  devoir. 

Va  tôt,  cbant  des  bergers,  —  chant  des  bergers,  va  tôt,  —  va  tôt, 
chant  des  bergers,  de  soleil  en  soleil. 

*  Criée  que  font  les  pâtres  pour  se  héler  entr'eux,  dans  les  montagnes 
de  Gascogne  :  espèce  de  tyrolienne. 

^  Ancienne  formule  de  serment  usitée  en  Béarn. 

xLiv.  —  Juillet- Août  1901 .  19 


t^Ù 


LA  CRÎDO  DE  BIABN 


Ë  vaeicriden:  Oussau, 
Oussau,  vivo  la  Vaco  I 
Ë  vuei  criden  :  Oussau, 
Veici  ii  Prouvençau. 

Yai  lèu,  bailèro,  etc. 

Ë  vivo  Despourrins 
Amount  en  terro  d'Aspo, 
E  vivo  Despourrins 
Que  jogo  dôu  clarin  1 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 

Ë  vivo  Jaussemin 
Avau  dins  la  Gascougno, 
Ë  vivo  Jaussemin 
Qu*a  fleuri  lou  camin. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 


Venèn  pèr  caligna 
Lou  Biarn  e  la  Bigorro, 
Venèn  pèr  caligna 
Lou  Biarn  e  TArmagna. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 

Lou  vin  de  Jurançoun 
Fai  canta  la  cigalo, 
Lou  vin  de  Jurançoun 
Fai  parti  li  cansoun. 

Vai  lèn,  bailèro,  etc. 

Ë  diren  soun  coublet 
Au  blu  berret  de  lano, 
Ë  diren  soun  coublet 
Au  rouge  capulet. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 


Et  aujourd'hui  crions:  —  Ossau,  vive  la  Vache* I  —  Crions:  Ossau, 
Ossau,  —  voici  les  Provençaux  ! 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Et  vive  Despourrins,  —  là-haut  en  terre  d'Aspe,  —  et  vive  Des- 
pourrins —  qui  y  joue  du  haut-bois  '  ! 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Et  vive  aussi  Jasmin,  —  là-bas  dans  la  Gascogne,  —  et  vive  aussi 
Jasmin  —  qui  a  fleuri  la  voie  ! 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Nous  venons  courtiser  -^  le  Béam,  la  Bigorre ,  —  nous  venons 
courtiser  —  le  Béarn,  TArmagnac. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Le  vin  de  Jurançon  ^  —  fait  chanter  la  cigale  *,  —  le  vin  de  Ju- 
rançon —  fait  partir  les  chansons . 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

1  Oussau  e  Biarn^  vivo  la  Faco  /  devise  héraldique  de  la  vallée  d'Ossau. 

2  Gyprien  Despourrins,  poète  béarnais  (1698-1755),  né  à  Accous  dans 
la  vallée  d'Aspe. 

•  Cru  célèbre  de  Béam. 

*  Aganta  la  cigalo  y  s'enivrer,  en  provençal. 


LÀ  GRIDO   Dfi  âlÀRN 


i^^l 


Ti  gave  plen  d^encèns, 
O  Biarn,  fan  de  miracle^ 
Ti  gave  plen  d'encens 
An  couva  sant  Vin  cens. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 

Ti  pourtaire  d'esclop 
Vènon  grand  capitàni, 
Ti  pourtaire  d'esclop 
Vènon  rèi  quauque-cop. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 

Pèr  Jano  de  Labrit 
Que  faguè*n  tantbèu  drôle. 
Fer  Jano  de  Labrit 
Enauren  noste  crid. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 


En  passant  pér  Nera 
Saladaren  Floureto, 
En  passant  pèr  Nera 
Floureto  nous  rira. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 

Plantaren  lou  rampau 
(Ë  toco-ié,  se  Tattses), 
Plantaren  lou  rampau 
Sus  lou  castèu  de  Pau. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 

Au  cabiscôu  d'Ourtés 
Aro  pourten  un  brinde, 
Au  cabiscôu  d'Ourtés 
Qu'es  valent  e  courtes. 

Vai  lèu,  bailèro,  etc. 


Nous  dirons  son  couplet  —  au  bleu  berret  de  laine,  —  nous  dirons 
son  couplet  ^-  au  rouge  capulet  '. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Tes  gaves  pleins  d'encens,  —  Béarn ,  font  des  miracles,  —  tes  gaves 
pleins  d'encens  —  ont  couvé  Saint  Vincent  2. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Tes  porteurs  de  sabots  — deviennent  grands  capitaines, —  tes  por- 
teurs de  sabots  —  deviennent  rois,  parfois. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Pour  Jehanne  d'Albret  —  qui  fit  un  si  beau  gars,  —  pour  Jehanne 
d*Albret  —  élevons  notre  cri. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

En  passant  par  Nérac  —  nous  saluerons  Florette,  —  en  passant  par 
Nérac  —  Florette  nous  rira*. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

*  Capulet^  capote  en  drap  portée  par  les  femmes,  dans  les  Pyrénées. 
»  Saint  Vincent  de  Paul,  né  à  Pouy,  près  Dax. 
'  Floureto^  jeune  paysanne  aimée  par  Henri  IV. 


292                               LÀ   GRIDO  DE   BIARN 

E  garden  lou  simbèu  E  zôu  I  Fèbus  avant. 

Qu'es  nosto  vièio  lengo,  Que  cridon  lis  enfant. 
Garden  noste  simbèu 

Que  i'a  rèn  de  plus  bèu.  ^^^  ^^"'  bailèro,  lèu, 

Bailèro,  lèu,  bailèro, 

Vai  lèu,  bailèro,  etc,  Vai  lèu,  bailèro,  lèu 

■T.    .    I  C7W             .  De  soulèu  en  soulèu. 
E  ZOU  I  Febus  avant^ 

Coume  an  crida  11  paire,  ^'  Mistral. 


Nous  planterons  la  palme  —  (touches-y,  si  tu  Toses)  *,    —  nous 
planterons  la  palme  —  sur  le  château  de  Pau. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Au  capiscol  dOrtbez  —  enfin  portons  un  toast,  —  au  capiscol  d*Or- 
thez  —  valeureux  et  courtois  *, 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Et  gardons  le  symbole  —  qu*est  notre  vieille  langue,  — >  gardons 
notre  symbole:  —  il  n'est  rien  de  plus  beau. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  etc. 

Et  sus!  Phébas  avant,  —  comme  ont  crié  les  pères,  —  et  sus  ! 
Pkébus  avant,  —  que  les  enfants  le  crient^. 

Va  tôt,  chant  des  bergers,  —  chant  des  bergers,  va  tôt,  —  va  tôt, 
chant  des  bergers,  —  de  soleil  en  soleil. 

F.  Mistral. 


1  Toco-i,  si  gauses,  devise  que  Gaston  de  Foix  avait  fait  graver  sur  la 
porte  d'une  forteresse. 

*  Adrien   Planté,  d'Orthez,  félibre  majorai,    président  de  VEicolo 
Gastou-Fèôus  et  de  l'Académie  de  Pau. 

3  Cri  de  guerre  de  Gaston  Phœbus  et  de  ses  successeurs. 


LA  FEMME 

DANS  L'ŒUVRE  DU  POÈTE  THÉODORE  AUBANEL 


Messieurs  \ 

C'est  avec  le  plus  grand  plaisir  que  j'ai  accepté  l'offre  qui 
m'a  été  faite  de  venir  parler  au  milieu  de  vous  de  notre  grand 
poète  provençal  Théodore  Aubanel.  Celui  qui  fut  essentiel- 
lement le  poète  de  l'amour  et  de  la  beauté  doit  être  aimé  de 
ceux-là  surtout  pour  qui  l'amour  et  la  beauté  sont  encore  les 
choses  essentielles  de  la  vie,  et,  en  vérité,  vous  aimez  tant 
Aubanel  et  vous  le  connaissez  si  bien  que  je  suis  bien  sûr  de 
ne  rien  vous  apj>rendre  au  cours  de  cette  causerie:  j'éveil- 
lerai seulement  vos  souvenirs  et  ensemble  nous  nous  livre- 
rons,  ce  soir  encore,  au  charme  infini  que  nous  éprouvâmes 
si  souvent  devant  tant  d'images  élégantes  et  tant  de  beaux 
vers  passionnés  que  nous  offre  le  poèt  '  de  la  Miougrano,  des 
FihocTAvignoun  et  du  Rèire-Soulèu. 

Mais,  avant  tout,  Messieurs,  je  ne  voudrais  pas  paraître 
avancer  qu'Aubanel  vécut  toute  sa  vie  sous  l'obsession  fémi- 
nine. Il  fut,  lui  aussi,  comme  tous  les  grands  poètes,  la  lyre 
qui  vibre  au  vent  qui  passe;  je  veux  dire  que  son  esprit  fut 
ouvert  aux  choses  de  l'extérieur  et  que  les  événements  du 
dehors  trouvèrent  en  lui  des  échos  parfois  même  retentissants. 

Français  et  bon  Français,  Aubanel,  comme  tous  ses  frères 
en  Félibrige,  sentit  son  cœur  saigner  devant  les  blessures 
que  la  guerre  de  1870  fit  à  la  patrie  française,  et  la  douleur 

*  Les  pages  qui  suivent  ne  sont  que  la  reconstitution  d'une  causerie 
faite  par  M.  Jules  Véran  aux  étudiants  de  Montpellier,  en  l'hôtel  de  leur 
Association. 

On  a  adopté  les  abréviations  suivantes  : 

M  =  /a  Miougrano. 

F.  A.  =  H  Fiho  d'Avignoun. 


2  94  LA  FEMME   DANS   l'CEUVRE 

et  rirritation  des  vaincus  éclatèrent    chez   lui  en  strophes 

admirables  d'émotion  et  d'énergie. 

Catholique  et  ultramontain,  les  événements  de  Rome  de 
1869  lui  inspirèrent  un  sirventès  enflammé,  où  l'on  reconnut 
un  écho  prolongé  des  conseils  violents  de  l'apôtre  Pierre  au 
Christ  insulté. 

Provençal  enfin  et  félibre,  que  de  fois  ne  prit-il  pas  la 
parole  ou  la  plume  pour  exalter  sa  patrie  d'origine  dont  les 
destinées  semblaient  prendre  contre  toute  espérance  un  cours 
nouveau,  et  pour  affirmer  sa  foi  dans  l'œuvre  entreprise  par 
son  illustre  ami,  le  grand  Mistral  ? 

Qu'il  ait  su  encore  s'intéresser  aux  magnifiques  spectacles 
delà  nature,  l'admirable  pièce  li  Fabre^  qu'Alphonse  Daudet 
considérait  comme  un  de  ses  chefs-d'œuvre,  suffirait,  entre 
autres,  à  en  témoigner,  et  des  poèmes  parfaits  comme  VEsca- 
lié  di  Gigant  sont  là  pour  montrer  quel  vif  et  profond  senti- 
ment et  quelle  pénétrante  compréhension  il  eut  des  merveil- 
les artistiques  et  historiques  qu'il  lui  fut  donné  d'approcher. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai,  Messieurs,  qu'on  peut  bien  dire 
que  la  Femme  emplit  l'œuvre  d'Aubanel;  le  poète  peut  inter- 
rompre un  moment  Thjmne  d'amour  et  d'adoration  qu'il 
élève  vers  elle  pour  écouter  les  voix  du  dehors  ou  pour  con- 
templer le  décor  qu'il  a  devant  les  yeux,  mais  il  revient  vite  à 
Tobjet  de  son  culte,  et,  se  dérobant  aux  distractions  passagè- 
res, son  cœur  reprend  sans  se  lasser,  sans  faiblir,  son  amou- 
reuse cantilène. 

Vous  comprendrez  bien,  Messieurs,  que  je  n'essaie  pas  de 
vous  parler  des  femmes  qu'Aubanel  chanta:  ce  serait  vous 
parler  des  femmes  qu'il  aima,  et  le  sujet  serait  singulièrement 
délicat:  à  Dieu  ne  plaise  que  j'encourre  de  gaieté  de  cœur  les 
sévérités  des  cours  d'amour  ressuscitées!  Pour  l'une  d'entre 
elles  cependant  le  voile  est  levé  depuis  longtemps  et  il  pou- 
vait l'être  sans  danger,  car  il  cachait  le  plus  pur  des  visages 
et  la  plus  chaste  des  âmes.  Vous  avez  nommé  Zani,  la  douce 
jeune  fille  qui  se  déroba  à  l'amour  du  poète  pour  se  consa- 
crer dans  les  pays  lointains  au  soulagement  des  misères 
humaines  sous  le  costume  des  sœurs  de  charité,  Zani  à  qui 
Aubanel  éleva,  avec  les  premiers  désirs  et  les  premières  dou- 
leurs de  son  cœur,  un  monument  impérissable. 


DU  POETE  THEODORE   AUBANÈL  295 

Mais  à  qaoi  nous  servirait,  Messieurs,  de  mettre  an  nom  sur 
les  diverses  figures  de  femmes  qui  passent  dans  Tœuvre  d'Au- 
banel  ?  Avons-nous  besoin  pour  jouir  du  parfum  d'une  fleur 
ou  pour  en  admirer  les  couleurs  de  savoir  comme  elle  se 
nomme,  et  Tétoile  qui  brille  au  firmament  nous  paraîtra-t- 
elle  plus  belle  si  nous  connaissons  Tappellation  qu'il  a  plu 
aux  hommes  de  lui  donner  ?  C'est  toujours,  Messieurs,  l'éter- 
nelle ûeur,  l'éternelle  étoile,  et  c'est  aussi   l'éternel  féminin. 

Je  ne  suis  pas  bien  sûr,  d'ailleurs,  qu'Aubanel  ait  toujours 
connu  par  leur  nom  celles  dont  la  beauté  l'arrêta  sur  fa 
route:  elles  passaient,  il  les  aimait, il  les  chantait;  ce  qu'il 
gardait  d'elles,  quand  leur  robe  avait  disparu  au  détour 
du  chemin,  c'était,  avec  leur  gracieuse  image,  un  parfum 
d'amour  :  leur  nom,  s'il  l'avait  jamais  su,  avait  fui. 

Mais  ce  qui  est  bien  certain,  Messieurs,  c'est  que  la  poésie 
d'Aubanel  était  trop  sincère,  dirai-je  trop  réaliste?  comme 
d'ailleurs  toute  la  poésie  provençale,  pour  nous  of^ir  des 
peintures  idéales,  de  pures  créations  d'une  imagination  eroti- 
que :  les  figures  de  femmes  que  nous  présente  l'œuvre  d'Au- 
banel sont  toutes  des  figures  que  la  vie  anima,  des  figures  de 
chair  sur  qui  des  jeux  et  des  lèvres  se  posèrent  et  qui,  par 
la  magie  de  l'évocation  poétique,  appellent  encore  des  yeux 
et  des  lèvres. 

La  preuve  en  est  facile  à  faire  ;  laissez-moi  vite  ajouter 
qu'elle  est  agréable.  Tournons,  si  vous  voulez,  les  feuil- 
Uts  brûlants  de  l'incomparable  Livre  d'amour  que  forment  les 
diverses  œuvres  d'Aubanel,  et  nous  verrons  avec  quelle  amou- 
reuse sollicitude  il  décrit,  ne  s* arrêtant  que  là  oii  le  bon  goût  lui 
défend  d'aller  plus  loin,  les  richesses  du  corps  féminin,  les 
yeux,  les  cheveux,  les  seins... 

Les  grands  yeux  l'attirèrent  : 

Emésoun  front  tant  lise  e  si  grœnds  iue  tant  bèu... 

(M.,  Lib»  de  V Amour ^  IV.) 

Parqué,  tant  bono,  un  jour  d'estiéu 
M'enmasca,  brune  vierginello, 
Emé  ti  grands  iue  pensatiéu  ! 

{M.,  Lib.  de  V Amour  XXV.) 


296  LA  FEMMK  DANS  l'OBUVRB 

Quand  me  r^ardon  ti  gnmd»  iœ, 
Zani  me  ris  dins  ti  pmnello. 

(P.  A.,  A  Dono  Viôuleto  éTOr. 

11  ehanta  les  jeux  bleus  : 

Yole  le  canta,  caro  Felibresso, 
Ganta  tia  iae  bluj  canta  ti  péa  d*or. 

(F.A.,  it6mtt.) 

Il  chanta  les  jeax  verts  : 

Sis  iae  d'enfant  foons  e  verdau 

(P.  A.,  la  Venus  d'Avignoun.) 

O  chato,  fires  rasin  oont  voadriéa  beca  ! 
Uno  fai  mi  délice  e  me  poon  d'amaresso  ; 
Sis  iae  verd  coame  l'aigo,  un  brisounet  maca, 
Trelason  d'ignoarènço  e  d'estranjo  arderesso. 

(P.  A.,  Bèumouno.) 

Il  chanta  les  jeux  noirs  : 

Mai  nègre  que  ta  raubo  negro, 
Brano,  tis  lue  m'an  trevira. 

(M.,  lÀb.  de  C Amour,  XXV.) 

Qaand  me  regardon  ti  béas  iae, 
Tis  iae  nègre  coame  la  niae, 
Une  niae  clafido  d'estello, 
Quand  me  regardon  ti  grands  iae, 
Zani  me  ris  dins  ti  prunelle. 

(F.  A.,  A  Dono  Viôuleto  d'Or.) 

A  deux  reprises  Aubanel  se  livre  à  un  rapprochemeot  entre 
les  yeux  des  femmes  et  les  étoiles.  Mais  ce  ne  serait  pas  la 
peine  de  Tindiquer,  s'il  s'agissait  d'une  banale  comparaison, 
vieille  comme  le  monde.  Dans  l'un  de  ces  passages,  donnant 
la  vie  aux  étoiles,  il  les  identifie  avec  les  yeux  féminins  : 

Dis  estello  amigo  lis  iue, 
Dous  e  bèu  coume  d'iue  de  femo, 
Me  regardavon  dins  la  niue  : 
L'oumbro  èro  founso,  bluio,  semo. 

(P.  A,,  Vèspre  d'abriéu,) 


DU  POÈTE  THÉODORE  AUBANEL        297 

Dans  le  second  passage,  les  yeux  féminins  ne  sont  que  le 
reflet  des  étoiles  : 

D'uno  estranjo  flamo, 
Au  founs  de  la  niue, 
Dis  estello  Tamo 
Atubo  lis  iue. 

(F.  A.,  Palinello.) 

Mais  plus  que  les  yeux  encore,  Aubanel  a  aimé  la  chevelure 
des  femmes. 

Il  ne  parle  jamais  des  cheveux  sans  les  montrer  abondants 
et  dénoués  : 

Coum  'un  enfant,  urouso  e  lèsto, 
Dansavo  en  cantant  ;  de  sa  tèsto, 
Qu'aviéu  courounado  defloiir, 
Si  peu  prefuraa,  si  peu  nègre, 
A  l'asard  voulavon,  alegre, 
E  moun  cor  ère  gounfle,  èro  gounfle  d  amour. 

(M.,  Lib.  de  r Amour,  V.) 

A  la  fin  pamens,  las  de  courre, 
Las  de  rire,  las  de  dansa, 
S'assetavian  souto  li  roui'e, 
Un  moumenet,  pèr  se  pausa  ; 
Toun  long  peu,  que  se  destrenavo, 
Moun  amourouso  raan  amavo 
De  lou  rejougne,  e  tu,  tant  bravo. 
Me  leissaves  faire,  plan-plan, 
Coumo  uno  maire  soun  enfant. 

M.,  Lib.  de  r  Amour,  XIX.) 

Eilalin  passo  un  veissèu 
Quefasié  lou  tour  dôu  mounde  ; 
Alor,  pèr  que  rèn  l'escounde, 
Jito  à  rèire  dins  lou  cèu 
Sa  fièro  como  e  s'amuso 
A  foulastreja  toute  nuso 
La  sereno  sus  lou  clar. 

(F.  A.,  La  Sereno.) 

Que  sa  tèsto  èro  belle,  aqui,  sus  moun  espalo, 
Dins  si  long  peu  negado  e  penjant  toute  palo... 

(M.,  Lib.  de  l'Amour,  V.) 


^^^  LA   FEMME   DANS  L'CEUVRE 

Qu'èpo  inoucènto  e  qu'èro  urouso  I 
Leissant  toumha,  touto  crentouso, 
Sus  sis  espalo,  au  mendre  brut, 
Sous  long  peu  coume  un  long  fichu. 

(M.,  Lib,  de  VAmour,  XII.) 

Anen,  dansas  mé  li  jouvènt, 
Lou  peu  au  vent  I 

(M.,  Lib.  de  CAmour,  XV.) 

Arrage,  soun  peu  negrinèu 
S'estroupo  à  trenello,  en  anèu... 

(F,  A.,  La  Venus  d'Avignoun,) 

Enterîn,  sus  vosto  man  blanco 
Voste  bèu  front  se  clino  un  pau. 
Vosto  man  trempo,  blanco  e  leno, 
Dins  vôsti  peu  ;  Tauro  s*esmôu, 
Tendramen  Taureto  qu'aleno 
Li  demouso  sus  voste  côu. 

(F.  A.,  A  Madamisello  Sofio  de  L.) 

Toun  peu  destrena  devalo 
De  la  pienche  à  long  trachèu  : 
Toun  fichu,  de  tis  espalo, 
S'esquiho,  e  vai  de-eantèu. 

(M.,  Xi  Tirarello  de  sedo.) 

Vous  pourriez  croire,  d'après  ces  citations,  qu'Aubanel 
n'aima  que  les  cheveux  noirs  :  je  crois  bien  qu'il  les  aima 
tous.  Voici  des  vers  où  il  chante  les  chevelures  blondes  : 

Es  amado,  lajouvènto. 
Dis  auceloun  dôu  païs  ; 
Car,  pèr  tôuti  benfasènto, 
N'a  jamai  davera  'n  nis. 
Ve-Paqui  roso  e  sereno, 
Roso  coume  lou  matin, 
Emé  lou  bhd  de  si  treno, 
E  soun  jougne  souple  e  prim. 

(M.,  Li  Piboulo.) 
Lèu,  sus  ti  long  peu  d'or 
Met  la  courouno. 

(F.  A.,  Cansoun  pèr  Dàufino.) 


DU   POÈTE  THÉODORE  AUBANEL  5J99 

A  soun  en  tour  se  recouquiho 
Toun  peu  d'or  en  anèu  galant. 

(F.  A.,  La  Perlo,) 

Vole  te  canta,  caro  Felibresso, 
Ganta  tis  iue  blu,  canta  ti  peu  d*or. 

(F.  A.,  Abriéu.) 

En  vérité,  c'est  toute  la  gamme  des  chevelures  qu'Aubanel 
a  chantée.  Lisez,  dans  les  Fiho  (TAvignoun,  l'admirable  pièce 
A  Vamigo  qu'ai  jamai  visto  et  vous  y  verrez  comme  il  célèbre 

La  treno  castagno 
Di  chato  que  van,  lou  matin, 
Mena  li  cabro  à  la  mountagno... 

et  les  cheveux  n  pleins  de  lune  »  d'Ophélia,  et  les  boucles 
tt  pleines  de  soleil  »  : 

Oufelio  à  peu  plen  de  luno  ; 
L'autro,  1  frisounplen  de  soulèu... 

et  les  cheveux  de  feu  de  la  Madeleine  : 

Soûl  vièsti  de  la  Madaleno, 
0  fourèst  de  si  peu  de  fiô  ! 

et  les  cheveux  noirs  de  saZani^  de  la  reine  Jeanne,  de  Madame 
Marcabrun,  et  les  cheveux  roux  de  la  Desdemona. 

Toute  cette  pièce,  d'ailleurs,  est  un  hymne  à  la  chevelure 
féminine  : 

Car  di  chato  que  lou  cor  béu 
Ço  que  lou  mai  me  bouto  en  aie, 
Noun  es  pèd  prim,  man  fino,  taio 
Encantarello,  iue  que  dardaio, 
Oràci,  tendresse  :  es  lou  long  péul 

Lou  peu  !  lou  peu  !  aquelo  glôri 
Gisclado  di  man  dôu  bon  Dieu  ; 
Lou  peu  I  aquéu  cap-d'obro  flôri , 
Aquéli  rai  paupable,  viéu  ! 
De  li  mira'n  toutojouvènto 

Acô  m'enchusclo  e  fai  fresi. 
Voudriéu  èstre  Tauro  que  vènto 


'^^^  IJk  FEMME  DANS   l'CEUVRE 

B  me  perdre  i  como  moavèiito, 
O  la  piendio  an  couifii  eaTènto 
E  diitB  Ion  dmd  mordre  à  plesi  ! 


De  que  sonn  lî  rais  i's  estello. 
De  qu'es  1  esplendoc    dôa  soolèa, 
Contre  la  como  qa'enciantello 
De  sonn  Vrl  >uty  Je  sa  dentello  ? 
O  paparri  de  farfan telle, 
Oante  li  sen  fan  dons  reléa  ! 


Retenez  cette  dernière  image  :  a  O  mantille  d^éblouissement, 
oà  les  seins  font  Jeux  reliefs  !  »  Je  reux  bien  croire,  puisqu'il 
le  dit,  que  ce  qui  exalte  le  plus  Aabanel,  dans  la  feume,  ce 
sont  les  cheveux,  mais  sMl  en  a  parlé  souvent  et  avec  le  plus  vif 
enthousiasme,  il  n'en  a  pas  parlé  plus  amonreusement  que  des 
seins.  Corsages  dejiunes  ûlles,  corsages  de  femmes  :  son  œi^ 
avide  de  beauté,  s  j  arrête  avec  complaisance.  Pour  dire  sa 
joie  devant  leurs  protnesses  ou  leurs  richesses,  il  trouve  les 
mots  les  plus  exquis  et  les  images  les  plus  sensuelles  : 

Emé  soun  joiigne  prim... 

(M.,  Lib.  de  V Amour,  IV.) 

Oh  !  n*èPO  qu'uno  enfant,  e  n'èro  que  mai  bello  ! 
Soun  coursetde  basin,  trop  pichot  e  trop  just, 
Badavo  un  pau  davans,  e  si  poulit  bras  nus 
Sourtien  de  sa  mancho  de  telo. 

(M.,  Lib   de  C Amour,  XVII.) 

Oh  !  quaa  me  levara  la  set 
De  la  chato?...  A  ges  de  courset  : 
Sa  raubo,  fièro  e  sens  pie,  molo 
Soun  jouine  sen  que  noun  trémolo 
Quand  marcho,  mai  s'arredounis 
Tant  ferme,  que  subran  fernis 
Voste  cor  davans  la  chatouno. 

^F.  A.,  La  Venus  d*Avignoun.) 

Vese  de  liuen  bada  toun  jougne 
Coumo  uno  fiour  que  s'espandis. 

(Id.) 


DU   POETE  THEODORE  ÀUBANEL  301 

La  taio,  64  fèu  que  noun  Tamiro 
De  la  centuro  à  soun  coutet  ; 
La  ligno  puro  dôu  boumbet, 
Quand  se  tourno,  bèn  miés  s'amiro. 
Leissant  au  mièi  un  blanc  relarg, 
La  mousseline  en  crous  se  plego  ; 
Lou  sen,  fin  e  redoun,  boulego 
Entre  li  pie  dou  fichu  clar. 

(F.  A.,  En  Arle.) 

Pèr  un  soulet  regard,  pôr  la  mendro  babiho 
Toun  sang  superbe  e  viéu  cour  souto  lou  satin 
De  ta  peu  roso  autant  que  la  roso  au  matin  ; 
Dins  lou  boumbet  redoun  toun  sen  ton  plus  sesiho. 

(F.  A.,  Cardelino,) 

Autant  souple  que  ramaiiuo, 
Uno  danso  d'un  biais  ardit  ; 
Si  fier  teté  sus  la  peitrino 
De  soun  fringaire  an  reboundi. 

Dôu  désir  grandis  la  fangalo 
Li  mignoto  n*an  plus  d'alen  ; 
Lou  sen  fai  lou  mounto-davalo 
Dins  lou  boumbet  jouine  e  trop  plen. 

(F.  A.,  Lou  Bal.) 

Sous  la  hantise  de  la  beauté,  Aubanel  la  recherchait 
partout,  et,  quel  que  fût  le  voile  qui  semblât  la  défendre  des 
regards  du  passant,  il  n^hésitaitpas  à  le  soulever  pour  arriver 
jusqu'à  elle. 

C'est  ainsi  qu'il  ne  passa  point  sans  s'arrêter  devant  la 
femme  qui  donne  le  sein  à  son  enfant  : 

De  sa  bouco,  au  teté,  Tenfant  se  pendoulavo, 
E  souto  toun  fichu,  pièi,  quand  vouliés  jouga, 
Toun  teté  l'escoundiés,  e  l'enfant  l'escalavo, 
Emé  si  pichot  det  veniè  lou  descata  ! 
E,  trefoulido,  alor,  dins  ti  grandi  hrassado, 
Lou  sarraves,  o  maire,  uno  longo  passado! 

f(M.,  Lib.  de  la  Mort,  Au  felibre  Jan  Bf^net.) 

Regardas-lou,  vès!  coume  chourlo 
Eo^'  afecioun  au  blanc  mamèu  : 


302  LA  PKlim  DANS  L^OBCVRE 

Es  rouge  coume  hbo  ginjoario 
Qu'amie  toambA  sabre  la  nèo. 

(F.  A.,  Jaquet  AmavieUo,) 

Mails  laiMeK-moi  tous  citer  tout  entier  le  sonnet  qui  a  poor 
titre  :  La  Matty  nn  des  bijoux  de  cet  incomparable  recueil 
que  forme  les  Fiho  fAfrigtunm, 

Je  ne  sais  trop  si  vous  pourres  trouver,  je  ne  dis  pas  seule- 
ment chez  Aabanel  loi-même,  mais  chez  un  autre  poète,  et 
je  n'oublie  ni  Racine,  ni  André  Ghénier,  tant  de  hardiesse 
unie  à  tant  de  grâce  et  à  tant  de  délicatesse.  Ecoutez  : 

LAMAN 

L*eafant  souino,  la  maire  espincho  uno  lagremo  ; 
Si  det  fin  cercon.  proamte,  i  dentello  mescla, 
L'évèri  dou  mamèa  qae  sort  gonnfle  de  la. 
Yese  encaro  la  man  oante  oiansson  li  gemo 

De  si  bago.  Aquelo  ooro  ôro  tant  casto  e  semo 
Qa'esmoagu  de  respèt,  pauroas  de  treboula, 
M'envaa.  «  Tant  lèu  !  »  me  dis.  E,  sènso  mai  parla. 

Me  trais  sa  belle  man,  la  siavo  jouino  femo  ; 
lèu  la  porto  à  mi  bouco  e  ié  fau  an  poutoan. 
DÎQS  la  raubo  daberto,  ebria,  l'enfantoun 
Aa  blanc  mamèa  bevié  coume  à-n-un  pur  calice. 

0  man,  pichoto  man,  au  touca  fres,  rousen  !... 
Me  souvendrai  toujour  d'aquèu  bais  de  délice, 
Que  ie  beisant  li  det,  cresiéu  beisa  lou  sen. 

Quelquefois  Aubanel  s'est  plu  à  donner  des  portraits  de 
femmes  achevés,  je  veux  dire  où  rien  de  ce  qui  paraît  de 
leur  personne  n*est  laissé  dans  Tombre.Ët  quelle  vie  toujours 
dans  ces  portraits!  Quelle  richesse  de  couleurs I  Et  quelle 
grâce  exquise  dans  les  détails  ! 

Voici  d'abord  la  Vénitienne  : 

Sis  èr  risènt  e  malancôni 
Avien  de  Fange  e  dôu  demôni  ; 
Noun  se  poudiè  vèire  lou  founs 
De  sis  iue  prefound  coume  Poundo  ; 


DU  POÈTE  THEODORE  AUBANEL        303 

Ero  blanco  e  palo,  èro  bloundo, 
Mai  coume  à  Veniso  lou  soun  ; 

Bloundo  coume  un  lamp  de  toupàsi, 
La  glôri  d*un  sant  en  estàsi, 
E  li  darrié  trelus  dôu  jour. 
Quand  lou  soulèu  plego  li  ciho, 
Espôussant  For  de  sa  raubiho 
Davans  Sant-Jorge-lou-Majour 

Vesias  lou  nus,  mau-grat  la  raubo 
Qu'à  pichot  ped  mouvènt  derraubo 
La  béuta  supremo  ;  vesias 
Soun  cors  pur  qu'avié  Tarmounlo 
D*uno  divesso  d'Iounio, 
D*uno  estatuo  de  Fidias. 

Coume  se  gounilo  la  marine, 
Boumbavo,  ardido,  sa  peitrino; 
Plen  de  désir  e  de  respèt, 
L*iue  caressavo  sa  belle  anco  ; 
Taurias  poutouna  si  man  blanco, 
Taurias  beisa  si  pichot  pèd... 

(F.  A.,  Uno  Veniciano.) 

Voici  la  Venus  d'Avignoun  avec  ses  yeux  d'enfant,  profonds 
et  verts,  ses  lèvres  tendres,  un  peu  boudeuses,  ses  dents  plus 
blanches  que  le  lait,  sa  chevelure  noire^  son  jeune  sein  moulé 
dans  sa  robe  sans  plis  et  tout  le  reste  enûn  : 

Gamino  e  la  creirias  voulant  : 
Souto  la  gràci  e  lou  balans 
Dôu  fres  coutihoun,  se  devino 
Anco  ardido  e  cambo  divino. 
Tout  sôun  cors  ufanous  enfin... 

(F.  A.,  La  Venus  d'Avignoun.) 

Mais  le  poème  des  poèmes,  Thjmne  des  hymnes  qui  aient 
été  chantés  à  la  gloire  de  la  femme,  n'est-ce  pas  Tode  à  la 
Vénus  d*ArleSj  incarnation  de  la  beauté  féminine?  Je  pourrais 
vous  parler  du  souffle  lyrique  extraordinaire  qui  anime  cette 
pièce  qu'on  croirait  avoir  été  écrite  d'un  seul  trait  dans  un 
moment  de  fureur  poétique,  du  mouvement  qui  s'y  soutient 
sans  faiblir  du  premier  vers  au  dernier,  du  rythme  à  la  fois 


304  LA  FRMME   DAMS  L'CEUVRE 

noble  et  léger  qui  emporte  les  alexandrins,  de  la  grâce  ou  de 
ia  beauté  des  images,  deTéclat  et  du  relief  de  lapeintare;  — 
mais  je  ne  veux  pas  sortir  de  mon  dessein  qoi  est,  non  d'ana- 
Ijser  les  beautés  littéraires  d^Aobanei,  mais  d^étudier  Aabanel 
comme  peintre  de  la  femme  ;  et  nous  Toici  devant  le  portrait 
de  la  femme  idéale,  telle  qne  la  lai  révéla  an  des  chefs-d'œuvre 
de  la  statuaire  antique  :  la  Vénus  (F Arles. 

Le  poète,  en  présence  de  cette  image  splendide  de  la 
Beauté,  pousse  d'abord  un  cri  d'admiration  : 

Siés  bello,  ô  Venus  d'Arle,  à  faire  veni  fou  ! 

11  se  repreiiii  ensuite,  il  ose  s'approcher  de  la  déesse,  la 
regarder  iongiiement,  Texaminer  en  détail  et  minutieusement. 

Ses  jeux  s'arrêtent  d'abord  sur  la  tête  de  la  Vénus  dont  il 
retient  Texpression  générale  ;  puis  il  voit  le  cou,  la  bouche, 
les  cheveux  : 

Ta  tèsto  èi  fièro  e  doaço,  e  tendramen  toon  c6u 

Se  clino.  Respirant  li  poutoan  e  loa  rire, 

Ta  fresco  bouco  en  flour  de  qa*èi  que  vai  nous  dire  ? 

Lis  Amour,  d'uno  veto,  emé  gràci  an  noasa 

Ti  long  peu  sus  toun  front  pèr  oandado  frisa. 

Les  jeux  du  poète  «iescendent  au-dessous  du  cou  :  les 
épaules  nues  de  la  Vénus  lui  arrachent  un  long  cri  de  joie  : 

0  blanco  Venus  d'Arle  !  ô  rèino  prouvençalo  ! 
Ges  de  mantèu  n'escound  ti  supèrbis  espalo  ! 
Se  vèi  que  siés  divesso  e  fiho  dôu  cèu  blu  ! 

A  mesure  cependant  que  le  poète  découvre  les  beautés  de 
la  déesse,  son  enthousiasme  s'accroît:  le  voici  arrêté  devant 
les  seins  ;  ces  seins,  d'une  ligne  si  pure,  le  fascinent  ;  et  tandis 
que  jusqu'alors  il  n'a  fait  que  s'adresser  à  l'objet  de  son  admi- 
ration, impuissant  maintenant  à  se  contenir,  il  veut  faire 
partager  sa  joie  à  tout  l'univers,  et  il  convie  les  peuples 
devant  Vénus  : 

Toun  bèu  pitre  nous  bado,  e  l'iue  plen  de  belu 

S'espanto  deplesi  davans  lajouino  auturo 

Di  poumo  de  toun  sen  tant  redouno  e  tant  puro. 


DU  POETE  THEODORE  àUBANEL        SOo 

Que  siés  bello  I...  Venés,  pople,  venès  teta 
A  si  béa  sen  bessouD  Tamour  e  la  bèuta  1 

Voilà  pourquoi  le  poète  aime  et  adore  Vénus  :  c'est  qu'elle 
est  la  souroe  de  toute  beauté  et  que  le  monde  ne  serait  rien 
s'il  était  vide  de  beauté  : 

Oh  I  sènso  la  bèuta  de  que  sarié  lou  mounde  1 

Luse  tout  ço  qu*es  bèu,  tout  ço  qu^es  laid  s*escounde  I 

Et^  dans  ce  violent  appétit  du  beau,  le  poète  ne  supporte  pas 
qa'aucun  voile  le  cache  :  il  le  veut  rayonnant  comme  le  soleil. 
Les  bras  nus,  le  sein  nu,  les  flancs  nus  de  la  déesse  le  trans- 
portent d'enthousiasme,  mais  pourquoi  cette  draperie  qui 
s'enroule  à  ses  hanches?  Il  s'emporte  contre  cette  étoffe  qui 
dérobe  à  ses  jeux  des  merveilles,  et  son  désespoir  est  si  vio- 
lent que  les  vers  par  lesquels  il  s'exprime  en  perdent  tout 
rythme — jusqu'au  cri  splendide  qui  termine  ces  objurgations, 
cri  de  passion  débordante  et  d'une  magnifique  impudeur, 
s'exhalant  dans  un  vers  bien  frappé,  clair  et  retentissant  : 

Fai  vèire  ti  bras  nus,  tous  sen  nus,  ti  flanc  nus  ; 
Mostro  te  touto  nuso,  o  divino  Venus  I 
La  bèuta  te  vestis  miès  que  ta  raubo  blanco  ; 
LaisBo  à  ti  pèd  toumba  la  raubo  qu'à  tis  anco 
S'envertouio,  mudant  tout  ço  qu'as  de  plus  bèu  : 
Abandouno  toun  ventre  i  poutoun  dôu  soulèu  ! 

Vous  connaissez  la  fin  de  cet  admirable  poème  : 

Coume  l'èurre  s'aganto  à  la  rusco  d'un  aubre, 
Laisso  dins  mi  brassado  estregne  en  plen  toun  maubre  ; 
Laisse  ma  bouco  ardènto  e  mi  det  tremoulant 
Courre  amourous,  pertout,  sus  toun  cadabre  blanc  I 

0  douço  Venus  d'Arlel  6  Fado  de  Jouvènço  ! 
Ta  bèuta  que  clarejo  en  touto  la  Prouvènço 
Fai  bello  nôsti  fiho  et  nèsti  drôle  san. 

Souto  aquelo  car  bruno,  6  Venus,  i'a  toun  sang 
Sèmpre  caud,  sèmpre  viéu  ;  e  nôsti  chato  alerte, 
Vaqui  perqué  s'en  van  la  peitrino  duberto, 
E  nôsti  gai  jouvènt,  vaqui  perqué  soun  fort 

1  lucho  de  l'amour,  di  brau  et  de  la  mort  I 


306  LA  FEMME  DANS  L^CÊUVRE 

E  vaqui  perqué  t'ame,  e  ta  bèuta  m'engano, 

E  perqué  iéu,  crestian,  te  cante,  6  grand  pagano  I 

Arrêtons-nous  sur  le  dernier  vers  :  Aubanel  s'y  peint  tout 
entier  et  le  dualisme  qui  partagea  son  âme  s'y  définit  magni- 
fiquement. Aubanel  fut,  en  effet,  le  plus  païen  peut-être  de 
nos  poètes,  et  il  ne  cessa  jamais  pourtant  d'être  chrétien  et 
catholique. 

Son  paganisme  éclate  à  toutes  les  pages  de  son  œuvre, 
soit  qu'il  donne  une  âme  aux  rochers,  aux  nuages,  aux  arbres, 
à  tout  ce  qui  vit  dans  la  nature,  soit  qu^il  se  prosterne  en 
adorateur  devant  toutes  les  images  de  la  Beauté  et  qu'il 
proclame  en  quelque  sorte  le  Beau  comme  la  raison  d'être 
du  monde.  Pourquoi  insisterais-je?  N'avez-vous  pas  senti 
passer  sur  vous,  à  la  lecture  de  tant  de  beaux  vers,  le  souffle 
le  plus  pur  de  l'antiquité  ? 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'Aubanel,  ainsi  qu'il  l'affirme 
avec  tant  d'éclat  dans  le  vers  final  de  la  Venus  (fArle^  était 
chrétien  et  catholique. 

Il  l'était  d'abord  de  tradition.  On  sait  que,  bien  avant  la 
réunion  du  Comtat-Yenaissin  à  la  France,  la  maison  Aubanel, 
à  Avignon,  avait  reçu  du  gouvernement  papal  la  qualité 
d'  a  imprimeur  du  Saint-Siège  »  ;  et  ce  qui  se  perpétua  dans 
cette  maison,  avec  son  industrie  et  son  beau  privilège,  ce  fut 
la  foi  religieuse. 

Théodore  Aubanel  fut  aussi  catholique  par  conviction. 
Mille  faits  en  témoignent  :  ses  pièces  religieuses,  ses  lettres, 
son  pèlerinage  à  la  Salette  après  unô  maladie  de  sa  femme, 
sa  présence  dans  la  confrérie  des  Pénitents  Blancs,  dans  le 
Tiers-Ordre  de  Saint-François,  l'appui  qu'ilprêta  aux  Récollets 
d'Avignon  au  moment  de  l'exécution  des  décrets,  enfin,  et  en 
dehors  de  sa  mort  chrétienne,  toute  une  vie  passée,  en  dépit 
de  ce  qu'il  eut  à  subir  de  la  part  de  certains  catholiques  qui 
le  traitèrent  comme  un  simple  Albigeois,  dans  les  prescrip- 
tion de  l'Eglise  catholique. 

Ce  catholicisme  sincère  d'Aubanel,  j'ai  dit  déjà  que  maintes 
poésieà  religieuses  en  portaient  le  témoignage.  Mais  il  se 
montre  ailleurs  encore.  N'est-ce  pas  déjà  un  mal  religieux 
que  de  sentir  en  soi,  alors  qu'on  est  cependant  occupé  par 


DU  POETE  THEODORE  AUBANEL       307 

mille  distractions  charmantes,  un  vide  immense  et  inexpri- 
mable? N'est-il  pas  prêt  à  se  tourner  vers  les  croyances  reli- 
gieuses celui  qui  trouve  de  Tamertume  au  fond  des  cou- 
pes de  la  joie?  N'est-ce  pas  enân  d'un  cœur  chrétien  de 
rester  assoiffé  d'amour  après  avoir  bu  à  l'amour  jusqu'à 
rivresse  et  de  se  sentir  «  bourrelé  par  l'éternel  désir  »  d'un 
idéal  qu'on  a  en  vain  poursuivi  sur  terre? 

Aubanel  a  souffert  tout  ce  mal. 

L'amour  et  la  beauté  n'ont  point  rempli  son  cœur: 

De-qu'èi  que  te  lagnes  encaro  ? 

Ah  1  se  Tamour  e  la  béuta 

Noun  donon  la  félicita, 

Moun  Dieu  I  que  noun  moun  cor  se  barre? 

De-que  vos,  moun  cor,  de  qu'as  fam  ? 
Oh!  de-qu'as,  que  toujour  crides  coume  un  enfant? 

(M.,  lib.  de  V Amour,  XXII.) 

Ses  lèvres  sont  restées  amères  en  quittant  la  coupe  d'amour: 

Vai,  li  caresse  de  la  femo 
Soun  bono  que  pèr  lis  enfant  ; 
Quand  sias  orne,  que  mau  vous  fan  1 
Dins  si  poutoun,  que  de  lagremo  I 

(M.,  lib.  de  l'Amour,  XXII. 

Ecoutez  enân  les  plaintes  désespérées  de  son  cœur  en  souf- 
france d'idéal: 

Quand poudriés,  à  toun  grat,  culi,  pourpalo  o  blanco, 
Toute  flour  espandido  au  miejour  coume  au  Nord  ; 
Quand  poudriés,  à  ta  fam,  dôu  frut  de  touto  branco 
Manja,  s'aviés  fa  pache  emé  lou  traite  sort  ; 

Dins  ti  bras  quand  poudriés  encentura  lis  anco 
De  tôutili  jouvènto,  ome,  s'ères  proun  fort, 
Te  dise  qu'à  la  fin  em'  un  tèdi  qu'escranco 
T'aplantariés  en  routo,  e  sounariés  la  Mort  ! 

Car  chourlariés  per  vin  li  rai  pur  dis  estello, 
L'enebriaduro  es  pas  dins  li  flanc  dôu  boucau  ; 
Calignariés  la  femo  enca  mai  amarello, 

Uno  fado  à  poutoun  mai  que  fôu,  subre-caud, 


308  LA  FEMME  DANS  l' OEUVRE 

N'atroubaras  jamai  Pamour  blous,  eternau... 
E  Teterne  désir,  ô  moun  cor,  te  bourrellol... 

(F.  A„  Patimen, IL) 

Mais  le  christianisme  d'Aubanel  n'est  pas  resté  à  cet  état 
latent  :  son  impitoyable  besoin  d'amour,  il  l'a  prosterné 
devant  Dieu,  et  cet  éternel  désir  qui  faisait  son  tourment,  il 
l'a  satisfait  en  la  divinité  : 

Rintro  à  Toustau  e  toumbo  à  geinoun,  misérable  ! 
Davans  Dieu,  paure  fôu,  plouro  e  desgounflo-te  ! 

(F.  A.,  Patimen.l.) 

Et  encore  : 

E  vène  maigre,  e  me  transisse, 

E  ma  sorre  me  dis  :  —  De  qu'as?  — 

Res  p6u  saupre  ço  que  soufrisse... 

0  Segnour,  baias-me  la  pas  ! 

Un  pau  de  pas  que  me  restaure, 

La  pas,  la  pas  que  m'a  quita  ! 

Cou  me  un  vèire  d'aigo  à-n-un  paure, 

Fasès  me  n'en  la  carita  ! 

Ta  qu'uno  joio  vertadiero 

En  aquest  mounde  tant  catiéu. 

Mai  aquelo  èi  sènso  pariero  : 

La  joio  de  t'ama,  moun  Dieu  I 

J'ai  insisté  sur  le  côté  chrétien  d'Aubanel,  parce  que  la 
physionomie  du  poète  desFiho  (TAvignounme  paraît  y  gagner 
un  intérêt  considérable.  Sans  cette  mélancolie,  sans  ces 
remords,  sans  ces  retours,  ou,  si  vous  préférez,  cet  aboutis- 
sement à  la  divinité,  Aubanel  serait  resté,  sans  doute,  un 
admirable  poète  de  l'amour  et  de  la  beauté,  mais  il  n'aurait  été 
que  cela.  Païen  et  chrétien  à  la  fois,  et  l'un  combattant  l'autre 
en  lui,  il  me  semble  résumer  toute  une  race  et  incarner  deux 
mondes,  deux  civilisations.  De  combien  n'en  est-il  pas  grandi  ! 

Du  monde  et  de  la  civilisation  antiques,  personne  n'ignore 
les  prolongements  dans  les  temps  modernes.  L*Evangile  ni 
la  science  n'ont  réussi  à  extirper  tout  à  fait  les  racines  du 
paganisme,  et  l'esprit  païen  souffle  encore  par  intervalles 
sur  le  monde. 


DU  POETE  THEODORE  AUBANEL        309 

Mais  s'il  est  quelque  part  une  terre  où  le  rameau  païen 
a  continué  de  vivre  et  de  fleurir,  n'est-ce  pas  la  terre  proven- 
çale? Les  débris  de  marbre  des  déesses  y  dorment  sous  le  soi 
d'où,  parfois, la  charrue  du  paysan  les  ramène  à  la  lumière; 
la  beauté  grecque  j  revit,  noble,  élégante,  d'une  pureté  par- 
faite, dans  les  filles  d'Arles;  le  profil  de  médaille  des  empereurs 
romains  s'y  retrouve  dans  les  traits  des  gardians  de  Camargue  ; 
les  danses  eurythmiques  des  Panathénées  y  sont  ressuscitées 
dans  les  farandoles  des  Maillanaises  ;  et,  dans  la  sereine  douceur 
des  soirs  d'été,  les  filles  des  champs,  en  retournant  au  village, 
suspendent  encore,  d'un  geste  adorablement  païen,  les  gerbes 
d'or  des  épis  ou  les  grappes  violettes  de  la  vigne  aux  croix 
des  chemins  —  telles  les  moissonneuses  des  temps  antiques 
chargeant  des  prémices  de  la  récolte  les  bras  de  la  bonne  Cérès. 

Ainsi  vivent  dans  Aubanel  la  poésie  du  passé  et  la  poésie 
du  présent.  Et  voilà  bien  ce  qui  fait  son  originalité  et  son 
charme.  Dans  son  œuvre  si  profondément  humaine  et  d'une 
personnalité  si  puissante,  passe  tour  à  tour  l'écho  des  voix 
qui,  sa  vie  durant,  sq  battirent  dans  son  cœur:  la  voix 
sévère  des  cloches  sacrées  disant  la  fragilité  de  toutes  choses 
et  le  néant  des  jouissances  terrestres  et  la  voix  de  Pan  procla- 
mant le  règne  éternel  de  la  Beauté  et  l'enivrante  Joie  de  vivre  — 
de  Pan  qui,  se  riant  des  menteuses  clameurs  du  vieux  Thamus 
qu'aissaillirent  justement  les  riverains  du  fleuve  où  passait 
sa  barque  lugubre,  vint  se  réfugier  dans  un  bosquet  parfumé 
de  la  grecque  Provence  d'où,  la  nuit  venue,  sous  le  regard 
caressant  de  Phœbé,  sa  sœur  immortelle,  il  module  des  airs 
divins  que  les  poètes  provençaux  redisent  à  leur  réveil. 

Jules  VÉUAN. 


LE  SIEGE  DE  BEAUCAIRE  DE  1632 

(Arles,  Bibl.  Munie,  cod.  207). 


[P.  201]  Discourg  et  fidèle  rapport  de  tout  ce  çui  s'est  passé  de  plus 
considérable  dans  la  province  du  Languedoc  en  Vannée  16S2,  ensuite 
de  la  descente  faite  en  icelle  par  Monseigneur  le  duc  d'Orléans,  frère 
unique  du  Roy.  Et  principalement  du  siège  et  prinse  du  chasteau  de 
Beaucaire  par  Monsieur  de  Vitry,  mareschal  de  France,  gouverneur  et 
lieutenent  général  pour  le  Roy  en  Provence .  Et  [des  fiddles  services 
rendus  en  ceste  occasion  par  la  ville  d'Arles. 

Monseigneur  le  dac  d'Orléans  ',  frère  unique  du  roj,  aprez 
environ  nne  année  d'absence  de  la  cour  et  du  rojaume  pour 
quelques  mescontentements,  j  estant  revenu  et  rentré  à  main 
armée,  parcouru  la  Bourgongne,  TAuvergae  et  autres  provin- 
ces pour  tascher  à  se  saisir  des  plus  importantes  places,  des- 
cendit enfin  dans  la  province  du  Languedoc,  où  il  creut  que 
Monsieur  de  Montmorency,  quj  en  estoit  le  gouverneur  et 
quj  luj  avoit  donné  sa  foj  de  l'assister  en  toutes  ses  excé- 
cutions,  auroit  le  pouvoir  de  l'introduire  dans  les  meilleures 
places  de  son  gouvernement,  et  les  mettre  à  sa  dévotion,  aa 
moyen  de  l'authorité  et  assendence  qu'il  avoit  sur  les  affec- 
tions et  les  volontés  de  toute  la  noblesse  et  des  capitènes  des 
plus  considérables  villes  et  forteresses  de  ceste  province. 

[P.  202]  Le  marquis  de  Pérault  en  estoit  l'un,  lequel  comme 
seneschal  et  viguier  de  la  ville  de  Beaucaire,  capitène  et  gou- 
verneur du  chasteau,  sortj  d'une  fille  naturelle  de  feu  Henry 
de  Montmorency,  connestable  de  France,  père  de  cestuy  cy,  et 
par  ainsy  estroictement  obligé  et  attaché  aux  intérêts  de  ce 
seigneur,  [et  comme  emporté  par  la  considération  de  tant  de 

1  Son  nom  du  babtesme  :  Gaston  Jean-Baptiste  ;  fat  premièrement  duc 
d'Anjou  comme  troisième  fils  de  France,  puis  duc  d'Orléans  par  le  décès 
du  duc  d'Orléans  son  frère  puisné.  (Note  marginale.) 


LE    SIEGE  DE  BEA UG AIRE  DE    1632  311 

bienfaits  dont  il  luj  estoit  redevable]  ^,  luj  avoitasseuré  entre 
autres  et  donné  paroUe  de  luy  livrer  et  à  Monseigneur  le  duc 
d*Orléans  non  tant  seulement  le  chasteau,  mais  encore  la 
ville,  soubs  Tappuy  de  plusieurs  gentils  hommes,  habitans 
dMcelle,  quj  estoientde  tout  temps  esgalementamisdePun  et 
serviteurs  de  l'autre,  et  tout  de  suite  la  ville  de  Tharascon, 
dans  laquelle  il  asseuroit  encor  avoir  des  très  puissantes  in- 
telligences. 

La  créance  asseurée  que  toutes  ces  promesses  produiroient 
quant  et  quant  leur  effect,  fiata  tellement  les  espérances  de 
M.  de  Montmorency  qu'elle  le  porta  de  persuader  vivement 
Monseigneur  de  venir  promptement  à  la  ville  de  Beaucaire 
et  de  commencer  par  là  ses  conquestes. 

Il  y  dnt  donc,  accompagné  de  Monsieur  le  comte  de  Moret^, 
de  M.  le  duc  d'Ëlbeuf,  dudit  sieur  de  Montmorency  et  plusieurs 
autres  de  considération,  avec  environ  mil  à  douze  cents 
maistres,  partie  croates,  qu'il  avoit  amenez  quant  et  soy  de 
la  Flandre  d'où  il  estoit  party;  vint  prendre  logement  à  Mont- 
frin  et  autres  petits  lieux  circonvoisins  pour  donner  temps 
au  marquis  d'achever  son  ouvrage,  disposer  les  habitans  à 
le  recevoir  aveuglement,  ainsy  qu'il  avoit  promis,  et  surmon- 
ter les  difflcultez  que  les  âdèles  serviteurs  du  Roy  luy  pour- 
roient  opposer. 

La  nouvelle  de  son  arrivée  au  pays  et  approche  de  Beau- 
caire cy  [p.203]  fustbien  tost  apportée,  dont  le  peuple  s'esmeut; 
et  les  consuls  résolus  de  luy  fermer  les  portes,  commencent  à 
fortifier  les  courages  de  ceux  qu'ils  avoient  de  longue  main 
reconnu  vrais  serviteurs  du  Roy,  font  d'ailleurs  tous  les  prépa- 
ratifs née  essères  pour  résister  aux  attaques  qu'ils  pourroient 
avoir  de  ceste  part,  et  jurent  entre  eux  irrévocablement  de  se 
perdre  ou  conserver  leur  ville  en  l'obéyssance  du  Roy. 

On  reconnut  en  mesme  temps  l'esprit  de  division  glisser 
parmy  les  habitans,  et  les  vrais  serviteurs  du  Roy  se  retirer  de 
la  conversation  de  leurs  plus  grands  amis  qu'ils  jugeoient 
l'estre  du  marquis  et  de  Monsieur  de  Montmorency,  de  manière 

1  Addition  marginale. 

2  En  marge  :  «  Il  estoit  nommé  Antoine  de  Bourbon,  frère  naturel  de 
Sa.  fiifajesté  et  de  luy. 


312  LE  SIEGE  DE  BEAUCAIFE  DE   1632 

qae  telz  reffroidissemenis  et  aliénations  d'affections  produisi- 
rent plusieurs  querelles  entre  eux. 

Le  marquis,  quy,  dans  ses  plus  résolues  actions  en  Tobserva- 
tion  de  ses  irrésolues  promesses,  avoit  tousjours  devant  les 
yeux  rimage  de  son  prochain  malheur,  que  Thorreur  du  crime 
et  de  sa  félonie  luj  alloit  représentant,  et  duquel  enfin  il  ne 
sceut  se  desveloper ,  s*estant  aperceu  des  défiances  et  des 
querelles  de  ses  compatriotes,  et  jugeant  que  leur  division 
pourroit  grandement  nuire  à  ses  projectz  s'il  ne  les  estonffoit 
en  leur  naissance,  et  ne  remettoit  tous  ses  secretz  amis  dans 
la  bonne  odeur  des  consuls  et  du  peuple  pour  s*en  servir  avec 
plus  de  sceureté  et  moins  de  soupçon,  pria  et  conjura  les 
consuls  et  toute  la  noblesse  ainsj  divisée  de  se  trouver  un 
jour  assigné  au  devant  de  la  grande  esglise,  où,  (n'osant  encor 
desGOUvrir  ses  desseins),  il  leur  fit  à  tous  une  assez  véhémente 
exortation  d'oublier  mutuelement  leur  injure,  de  s'entr'em- 
brasser  et  demeurer  désormais  bons  amis  et  unis  avec  iuj  en 
une  sj importante  occasion,  où  ils'agissoit  de  respreuve[p.204] 
de  leur  fidélité  envers  le  Roy  et  de  l'avantage  et  tranquilité 
perpétuelle  de  leur  patrie;  aocompaguée  d'une  infinité  d'im- 
précations contre  ceux  quy,  par  quelque  ocasion  que  ce  fust,  y 
f croient  banqueroute. 

Il  n'eut  pas  grande  peine  à  tirer  d'eux  l'effect  de  sa  prière 
puisqu'ils  y  estoient  tous  portez,  les  uns  pour  le  zelle  qu^ils 
avoient  au  service  du  Roy^  et  les  autres  pour  avoir  les  moyens 
plus  libres  de  fortifier  secrètement  leur  party,  quils  voyoient 
en  péril  par  l'inesgalité  des  actions  du  marquis  :  ain^^y  ils 
s'entr'embrassèrenttous,  soubs  ces  différentes  intentions,  et  fut 
crié  Vive  le  Roy  ou  de  bouche  ou  de  cœur,  d'un  aplaudisse- 
ment  universel,  avec  le  peuple  quy  y  estoit  concouru. 

Cest  artifice  estoit  plausible  vraiment  pour  desguiser  ses 
doubles  intentions^  mais  aussy  estoit-ce  mettre  des  impres- 
sions en  l'esprit  et  des  armes  entre  les  mains  du  peuple,  dont 
il  couroit  le  hazard,  non  tant  seulement  de  ne  pouvoir  effacer 
ny  fere  tomber  des  mains,  mais  d'en  estre  bientost  assailly. 
Aussy  la  justice  divine,  quy  ne  manque  jamais  de  récompense 
aux  bons  non  plus  que  de  chastiments  aux  pervers,  rétorquera 
bientost  sur  luy  et  sa  famille  les  désolations  qu'il  avoit  procu- 
rées à  sa  chère  patrie. 


LE  SIEGE  DE  BEÂUCÂIRE  DE    1632  ^13 

Le  combat  pourtant  estoit  encor  bien  grand  en  son  âme, 
flotante  entre  ces  deux  puissantes  considérations  de  la  perfidie 
et  de  la  fidélité:  celle-cy,  soustenue  des  sages  et  vertueux 
admonestements  de  sa  femme,  oelle-la  fomentée  des  malheu- 
reuses suggestions  de  ses  deux  enfants  et  de  son  frère,  évesque 
d'Usèz.  [P.  205]  Mais  enfin  il  s'abandonne  aveuglement  à  son 
malheur,  et  propose  de  suivre  irrévocablement  les  volontés  de 
Monsieur  de  Montmorency,  estimant  que  la  honte  de  s'en  retirer 
souïileroit  plus  son  honneur  et  sa  réputation  que  tous  les  ser- 
vices qu'il  pourroit  rendre  à  son  Roy,  à  ses  parens  et  à  sa 
patrie,  ne  luy  pourroient  acquérir  de  gloire  et  de  louanges. 

Il  bande  donc  alors  tous  ses  desseins  à  cet  effect:  et  pour 
mieux  les  fere  réussir,  il  demeure  tousjours  et  d'apparence 
et  de  discours,  fidèle  serviteur  du  Roy,  uny  avec  les  consuls,  et 
leur  en  produit  quelques  légers  tesmoignages.  Néanmoins , 
comme  il  est  malaisé  que  le  puissant  venim  qu'on  a  une  fois 
avallé  ne  produise  promptement  des  convultions  violantes, 
ainsy  le  marquis  ne  peut  longuement  desguiser  ses  résolutions, 
sans  estre  quant  et  quant  soupçonnées  des  consuls  et  du 
peuple:  lesquelz,  dans  la  deffiance  qu'ils  en  eurent  et  de 
plusieurs  gentilshommes  leurs  habitans,  ses  iuthimes  amis  et 
serviteurs  de  M.  de  Montmorency,  appréhendant  leur  autho- 
rité  dans  la  ville,  et  de  n'y  pouvoir  estre  assez  puissants  pour 
résister  à  la  fois  et  aux  domestiques  et  aux  étrangers  s'ils 
entreprenoient  de  l'enlever,  ils  en  donnèrent  promptement 
advis  à  Monsieur  le  Mareschal  de  Vitry,  gouverneur  et  lieu- 
tenent  général  pour  le  Roy  en  Provence,  quy  s'estoitjaporté 
dans  la  ville  de  Tharascon,  dèz  qu'il  apprint  que  Monseigneur 
s'en  estoit  aproché,  et  réclamèrent  son  assistance. 

[P.  206]  Cependant  le  marquis,  muguetant  tousjours  quelque 
habitant,  sçavoit  encor  se  feindre  avec  telle  justesse  et  dexté- 
rité, qu'à  tout  moment  les  consuls  rappelloient  en  doute  s'ils 
dévoient  s'arrester  en  leur  doute,  et  luy,  ayant  aprins  l'assis- 
tance qu'ils  avoient  implorée  et  jugé  quelle  ne  pourroit  leur  être 
envoyée  qu'à  la  ruyne  entière  de  ses  entreprises,  leur  jouant 
encor  un  nouveau  tour  de  souplesse,  les  cajeoUa  si  bien  qu'en 
leur  fesant  plusieurs  belles  et  nouvelles  protestations  de  sa  fidé- 
lité, et  leur  représentant  uleur  commun  péril  en  la  résistance  où 
ils  s'étaient  résolus  ensemblement,  [et  qu']ils  ne  pourroient  trou- 


314  LE  SIÈGE  BE  BEÂUGAIRE  DE   1632 

ver  de  refuge,  an  cas  que  la  ville  fust  forcée  de  succomber,  que 
dans  son  chasteau,  qu v  de  tout  temps  avoit  esté  et  seroit  encores 
en  ceste  extrémité  Tazile  de  tous  leurs  habitans,  mais  que  n  y 
ayant  assez  de  munition  de  bouche  pour  y  soustenir  un  long 
siège,  il  etoit  nécessaire  de  Ten  fournir  avec  abondance  u  ; 
les  consuls,  quy  ne  sçavoient  bonnement  quelle  créance  ils 
dévoient  prendre  de  luy,  inclinant  néanmoins  ingénument  à 
sa  demande,  la  luy  accordèrent.  Ainsy  il  tira  d'eux  abondam- 
ment et  leur  extorqua  tout  ce  qu'il  jugea  nécessère  pour  son 
utilité  et  pour  en  affoiblir  la  ville. 

Ses  desseins  prospérant  ainsy,  selon  son  jugement,  il  n'ar- 
resta  pas  en  sy  beau  chemin,  car  il  pourveut,  sependant,  avec 
tout  le  secret  et  diligence  requise  son  chasteau  de  tous  les  bons 
soldats  des  environs  qu'il  avoit  de  longue  main  reconnus 
ses  amis. 

[P.  207]  La  Roche  Sainct-Angel,  premier  consul,  estoit  absent 
durant  toutes  ces  menées,  et  ayant  trouvé  à  son  retour  que  les 
bons  ordres  que  ses  collègues  avoient  estably  dans  leur  ville 
estoient  très  avantageux,  en  fut  extrêmement  resjouy  et  leur 
en  donna  de  grandes  louanges. 

Le  marquis  donc  ainsy  pourveu  de  tout  et  en  estât  de  ne 
rien  craindre,  selon  son  jugement  aveuglé,  osta  le  masque  et 
se  déclara  ouvertement  pour  Monseigneur,  soubs  la  créance 
que  Monsieur  de  Vitry  n'oseroit  entreprendre  dans  le  gouver- 
nement de  Monsieur  de  Montmorency.  Mais,  peu  après,  ayant 
apprins  que  la  ville  d'Arles  armoit,  de  son  commandement,  et 
jugé  que  sy  Beaucaire  en  estoit  secouru,  il  n'y  seroit  plus  à 
temps  pour  le  surprendre,  ainsy  qu'il  avoit  de  longue  main 
projecté  (ne  luy  ayant  tousiours  esté  que  trop  aisé,  puis  qu'il 
avoit  à  sa  dévotion  le  capitène  de  la  ville  quy  gardoit  les  clefs 
des  portes)  ;  de  manière  que,  s'imaginant  que  les  menaces 
pourroient  enfin  emporter  et  vaincre  le  courage  et  résolution 
des  consuls  ;  leur  déclara  etreprésenta  ouvertement  «  l'indigna- 
tion que  Mgr  avoit  conceue  contre  d'eux,  par  le  refus  qu'ils 
faisoient  à  l'introduire  dans  leur  ville  ;  les  maux,  dont,  en  leur 
particulier, ils  se  rendroient  coulpables  en  lui  résistant  et  demeu- 
rant forcez  ;  les  malheurs  quy  accueilliroient  leurs  habitans;  et 
l'inévitable  désolation  de  leur  patrie», les  conjura  d'assembler 
promptement  leur  conseil  général,  et  prendre  en  iceluy  une 


LE   SIEGE  DE  BEÂUGAIRE  DE   1632  315 

résolution  irrévocable  [p.  208]  de  le  recevoir  et  le  recon- 
noistre;  soubs  oeste  asseuranoe  que,  comme  viguier  y  prési- 
dent à  son  accoustumée,il  auroit  des  persuasions  assez  fortes, 
joincts  à  iuy  les  suffrages  de  tous  ses  amis,  pour  emporter  la 
délibération  selon  ses  intentions,  et  les  fère  déclarer  rebelles 
avec  lui. 

Les  consuls,  esoandalisez  de  ce  discours,  luj  respondirent, 
par  la  bouche  du  premier,»  que  la  ville  n'en treroit  jamais  aux 
termes  de  consulter  quel  party  elle  devoit  eslire,  tant  que  Tau- 
thorité  seroit  en  leurs  mains  ;  mais  bien  par  quel  moyens  elle 
pourroit  repousser  les  efforts  des  ennemis  du  Roy , et  fere  chastier 
la  desloyauté  de  tant  de  mauvais  citoyens  »  et  plusieurs  autres 
semblables  discours;  desquelz  le  marquis, se  sentant  vivement 
piqué,  eut  des  ressentimens  si  cuisans  qu'il  ne  peut  se  con- 
tenir de  lui  lascher,  avec  Tun  de  ses  âls  quy  estoit  avec  luy, 
quelques  injures  quy  leur  furent  soudain  bien  hardiment 
rétorquées. 

On  vit  à  rinstant  le  peuple  résolu  et  tellement  animé  et 
confirmé  en  Tobéissance  du  roy  et  soustien  des  consuls,  quUl 
courut  généralement  aux  armes  et  commença  à  dresser  des 
retranchemens  et  barricades,  à  chasque  bout  de  rue  proche 
la  porte  du  chasteau. 

Cependant  Monsieur  le  mareschal  de  Vitry,  quy  tout  à  point 
s*estoit  porté  dans  la  ville  de  Tharascon,  ainsy  qu*est  touché 
cy-devant,  et  où  sa  présence  avoit  estouffé  plusieurs  secrettes 
menées,  et  empesché  que  le  mal  contagieux  de  Beaucaire  ny 
communiquât[p.  209]  plus  avant  son  venin  ;  prévoyant  bien  que 
de  la  révolte  ou  prise  deceste  ville  dépendoit  le  repos  et  la  tran- 
quillité de  son  gouvernement,  despescha  promptement  divers 
courriers  en  trois  différentes  partsàlafois  ;  scavoir  à  Monsieur 
le  mareschal  de  La  Force  quy  estoit  dans  le  Bas  Languedoc, 
tallonnant  Monseigneur  de  la  part  de  Sa  Majesté  avec  une 
armée  volante  pour  Tempescher  d*y  fère  progrès,  auquel  il 
donna  avis  de  tout  ce  quy  s*estoit  passé  en  ceste  occasion  ; 
aux  sieurs  consuls  d'Arles  (par  Tun de  ses  carrabins  quy  arriva 
à  eux  le  dimenohe  premier  aoust,  sur  les  trois  heures  au  matin), 
pour  les  suplier  et  enjoindre  de  la  part  du  roy,  de  luy  envoyer 
promptement  trois  cents  hommes,  et,  en  dernier  lieu^  aux  Com- 
munautés d'Ayrargues,  Saint  Rémy  et  autres  lieux  du  vi- 
guerat,  pour  en  avoir  autant. 


SIC  LE  SIBGE   DE   BEAUGAIRE  DE   1632 

Les  citojeiiB  d'Aries,  qoj  TÎTent  des  toosjoars  dans  ceste 
honorable  ambition  de  tesmoigner  en  toutes  occnrrances  à  Sa 
Blajesté  qu'elle  n*a  Tille  en  tout  son  royaume  en  laquelle  ses 
mandements  et  de  ses  ministres  soient  exécutés  avec  plus 
d'ardeur  et  d^affection,  et  qu'ils  ne  pourroient  jamais  estre 
ingrats  ny  mesconnaissants  à  tant  de  biens-faicts  qu*il8  reçoi- 
Tent  de  ses  mains  libérales  ;  oultre  le  devoir  de  la  fidélité  natu- 
relle qu  j  les  oblige  sy  estroitement  à  une  sy  doulce  et  débon- 
nère  servitude,  recevant  incontinent  ceste  agréable  semonce 
de  la  bouche  de  leurs  consuls,  furent  [p.  210]  soudain  en 
armeSy  d'entre  tous  lesquels  en  furent  par  eux  choisis  trois 
cents,  dont  la  plus  grande  partie  estoit  de  noblesse  ou  aultres 
gents  d*eslitte  et  de  considération  ;  tous  lesquels  en  sortirent 
le  mesme  jour  dimenche  premier  aoust  sur  les  deux  heures 
après-midy,  conduits  par  le  sieur  Philipe  Beuf,  l*un  des  consuls 
de  Testât  des  bourgeois,  sage,  expérimenté  et  courageux 
capitène. 

Les  Communautéz  du  Viguerat,  s'estant  assemblées  aussj  le 
mesme  jour,  avec  extrême  diligence,firent  levée  d'environ  cent 
cinquante  hommes  et  partirent  avec  telle  scélerité  qu'ils  n'en- 
rentmesmes,  presque  tous,  le  loisir  de  se  pourvoir  des  munitions 
necessères  ;  soubs  l'espérance  néanmoins  que  Monsieur  le 
mareschal  leur  en  feroit  destribuer  à  Tharascon  à  leur  arrivée  ; 
on  s'estant  randus  et  ne  luy  ayant  peu  o£frir  que  leurs  per- 
sonnes et  leurs  arme8,ainsy  presque  inutiles,  il  leur  commanda 
pourtant  de  passer  promptement  sur  l'isle  pour  ne  perdre  le 
temps,  avec  promesse  de  leur  en  fere  tenir  incontinent,  esti- 
mant que  les  consuls  de  Tharascon  luy  en  présenteroient, 
atendant  qu'il  en  eust  fait  venir  de  la  ville  d'Arles.  Et  pria  le 
sieur  d'Alein,  gentil-homme  d'Arles,pourlors  viguler  de  Mar- 
seille, quy  Favoit  suivy  et  ne  l'abandonna  jamais  durant  l'oca- 
sion^  d'aller  à  eux  de  sa  part  et  leur  en  demander,  avec  pro- 
messe de  leur  en  rendre  autant  :  ce  qu'ayant  promptement 
exécuté^  et  n'y  ayant  trouvé  que  des  refus,  s'excusants  sur 
l'impuissance,  Monsieur  le  mareschal  en  receut  des  extrêmes 
desplaisirs  et  leur  en  fit  de  vives  et  picquantes  reproches. 

[P.  211]  Tandis,  la  troupe  d'Arles  arrivée  immédiatement 
après  et  en  queiie  des  autres,  environ  les  cinq  heures  du  soir, 
Monsieur  le  mareschal  la  faict  de  mesmes  tout  d'un  train  passer 


LE  SIEGE  DE  BEAUGAIHE  DE    1632  dl7 

sur  l'isle^  ayant  apprins  que  Monseigneur  devoit  dans  peu 
d'heures  entrer  au  chasteau  de  Beaucaire. 

On  observa  ce  soir  là  plusieurs  circonstanoes  de  ceux  de 
Tharascon,  lesquelles  donnèrent  un  très-évident  esclaircisse- 
ment  à  la  proposition  que  le  marquis  de  Perault  avoit  faite  à 
Monsieur  de  Montmorency  de  luy  livrer  encor  ceste  ville  au 
moyen  des  intelligences  qu^il  y  avoit  :  car  premièrement,  par 
la  lettre  que  Monsieur  le  mareschal  de  Vitry  escrivit  aux  con- 
suls d'Arles,  il  leur  marquoit  que  les  gents  qu'il  leur  demandoit 
estolent  pour  ramplir  la  place  de  ceux  de  Tharascon,  qu'il 
allait  dès  ceste  heure  là  faire  entrer  dans  Beaucaire  ;  néan- 
moins tant  s'en  faul t  qu'ils  y  deussent  estre  desj  à  à  leur  arrivée 
qu'au  contrère  lorsque  le  consul  y  aborda  avec  sa  troupe  et 
receut  son  commandement  de  passer  promptement  sur  Tisle, 
il  le  vid  sur  le  bord  de  la  rivière  sans  autre  compagnie  que 
des  siens,  fors  un  ou  deux  gentilshommes  de  la  ville,  apprint 
qu'il  n'y  estoit  passé  que  la  troupe  du  viguerat  qu'il  y  voyoit 
encores  descendre,  pour  laquelle  encor  on  luy  avoit  refusé 
des  munitions  de  guerre;  et  ce  quy  augmenta  plus  encor  Tes- 
candale  à  ceux  d'Arles  fut  de  n'avoir  receu  d'eux  à  leur  arrivée 
ou  passage  aucune  gratification  de  rafraischissements ,  en 
recompense  de  ceux  qu'on  leur  avoit  Largement  fournis  puis 
naguères  à  Arles  (dont  ils  avoient  grand  besoing)  à  leur  retour 
d'Aiguës  Mortes  en  semblable  occurrence.  Toutes  ces  circon- 
stances, dis-je,  donnèrent  argument  que  dans  ceste  ville  le 
service  du  Roy  ny  avoit  pas  pour  lors  grande  vigueur.  Tant 
eatquecestroupesainsyassommées[p.212]  de  la  plus  ardente 
et  insuportable  chaleur  quy  fut  jamais,  elles  passèrent  toutes 
gayement  sur  Tisle  ;  mais  la  saison  pour  estre  introduites  dans 
Beaucaire  n'estoit  pas  encor  arrivée  pourtant,  les  sffferes  n'y 
estant  point  entièrement  disposées  par  les  artifices  que  le 
marquis  et  la  noblesse  de  la  ville  y  apportoient  atout  moment, 
ainsy  que  nous  verrons  cy  aprèz.  Etfalut  qu'elles  campassent 
là  tout  le  reste  du  jour  et  toute  la  nuict  suivante. 

Or  ceux  d^ Arles  n'y  furent  plustost  descendus  qu'il  fut  in- 
continent déclaré  à  leur  consul  par  les  premiers,  qu'ayant 
esté  coustraints  de  se  lever  et  de  sortir  ainsy  de  leur  maison, 
àiahaste,  sans  munition  de  guerre,  soubs  l'espérance  de 
s'en  fournir  à  Tharascon ,  et  ne  l'ayant  peu  fere  pour  ne 


31 B  LE  SIEGE  DE  BEAUGÂIRE  DE   \6^ft 

retarder  leur  descente,  ils  en  estoient  en  des  extrêmes  des- 
plaisirs. A  quoi  le  consul,  pourvoyant  sur  le  champ,  leur  fit 
despartir  quant  et  quant  du  plomb,  de  la  mssche,  et  ddux 
cartouches  de  plomb  à  chasqun,  que  ses  propres  soldats 
arrachèrent  de  leurs  bandollières  et  leur  donnèrent. 

La  descente  de  ces  troupes  sur  Tisle  donna  des  estranges 
appréhentions  au  marquis  et  à  la  noblesse  de  Beaucaire  qay 
suivoit  son  partj,  jugeant  que  leur  introduction  dans  la  ville 
estoit  le  coup  mortel  de  leur  espérance.  Aussj  dès  lors  ne 
batirent-ils  plus  que  d'une  aisle  et  le  marquis  s*estant  retiré 
au  chasteauy  toute  la  ressource  des  autres  se  réduisit  à  ce 
point  de  courir  ouvertement  les  rues,  déclamer  contre  leurs 
consuls,  et  imprimer  en  Tesprit  du  peuple  mille  terreurs 
paniques  et  toute  sorte  d*appréhention  de  Tinsolence  que  les 
soldats  exerceroient  en  leurs  biens,  en  leurs  maisons  et-  leurs 
familles,  et  en  leurs  propres  personnes  s^ils  estoient  intro- 
duits. 

[P.  213]  Ce  fut  une  rude  attainte  à  Tauthoritédes  consuls,  de 
laquelle  ils  virent  soudain  naistre  mille  murmures  et  soublève- 
mens  du  peuple,  violemment  agité  et  effarousché  dételles  appré- 
hentions qu*j  porta  aucuns  des  plus  mutins  à  leur  reprocher  le 
peu  de  confiance  qu'ils  avoient  en  eux  de  ne  les  avoir  estimé 
capables  de  garder  et  deffendre  courageusement  leurs  mu- 
railles et  leurs  maisons,  soubs  leur  authorité,  sans  Fassistance 
d'autruj  ;  et  que  Tintroduction  de  ces  troupes  ne  leur  pour- 
roit  estre  que  dommageable  et  funeste. 

Les  consulz,  estonnés  de  telz  mouvemens  et  taschant  à 
ramener  le  peuple  de  son  desvoyementySe  fortifièrent  de  Tau- 
thorité  des  magistrats  de  justice  et  principalement  de  Dupuj, 
procureur  du  Roy,  homme  très-résolu.  Tous  lesquelz  ensem- 
blement,  après  des  hardies  et  puissantes  menaces  de  cestu  j-cj, 
parlant  au  nom  du  roj,  et  des  vives  et  pressantes  persuasions 
de  ceux-là  comme  pères  de  la  patrie,  Tajant  par  ce  moyen 
aucunement  ramené,  ils  résolurent,  enfin,  de  donner  rentrée 
à  leur  secours  à  quelque  prix  que  ce  fût,  voyant  que  d'iceluj 
dépendoit  et  le  gain  de  leur  partie  et  la  tranquilité  de  leur 
patrie,  ainsy  que  la  suite  le  fera  voir. 

Toute  ceste  nuit  s'écoula  en  telles  consternations  domesti- 
ques  qui  les  empeschèrent  non   seulement  de  l'introduire 


LE  SIEGE  DE  BEâUGAIHE  DE   163!^  3 19 

(appréhendant  quelque  mésaventure),  mais  encor  de  pour- 
voir à  ses  nécessitez. 

Ce  long  retardement  d'ailleurs  et  oe  peu  de  conte  qu'on 
tenoitdeces  troupes  leur  donnoit  cependant  de  très-puissants 
mouvements  de  [p.  214]  cholère  et  de  très-violents  soupçons 
de  quelques  mauvais  jeu.  Si  bien  que  le  consul  Beuf,  pour  ne 
recevoir  quelque  affront,  logea  quant  et  quant  à  la  plus  haulte 
poincte  de  Tisle,  le  sieur  de  Mandon(run  des  cinq  capitènes  des 
cartiers  d'Arles)  avec  toute  sa  troupe  pour  en  défendre  ren- 
trée du  costé  de  la  terre.  Et  luy,  avec  tout  le  reste,  se  tint 
préparé  à  recevoir  et  repousser  courageusement  de  tous  les 
autres  endroits  ceux  quy  Vj  voudroient  mettre  en  eschec. 

Le  marquis,  cependant,  qui  avoit  comme  abandonné  ou 
quitté  la  partie  dès  la  défense  de  ces  troupes  sur  Tisle,  et s'estoit 
retiré  en  son  chasteau,  en  donna  promptement  advis  à  Mon- 
seigneur, luy  représentant  ce  secours  beaucoup  plus  consi- 
dérable et  plus  grand  qu'il n'estoit  ;  lequel  fesant  promptement 
réassembler  ses  troupes  quj  s'étoient  dispersées  et  relaschées 
dans  les  villages  circon  voisin  s,  vint  quant  et  quant  à  Beau- 
caire,  accompagné  de  tous  ces  seigneurs  qui  le  suivoient,  se 
présenta  tout  de  nuict  à  la  porte  du  chasteau  qui  regarde  la 
prerye  ^,  et  y  fut  introduit  avec  tous  les  siens. 

Tandis,  les  consuls  qui  n'estoient  bonnement  encore  bien 
confirmés  en  la  résolution  de  recevoir  leur  secours,  ayant  eu 
advis  que  Monseigneur  estoit  au  chasteau  et  que  toutes  ses 
troupes  j  rentroient  à  la  fille,  firent  soudain  donner  Tallarme 
au  peuple  par  le  tocsin,  afin  qu'un  chascun  se  rendit  sur  les 
murs  de  la  ville  ou  au  corps  de  garde  de  leur  cartier,  et 
cependant  envoyèrent  promptement  une  troupe  de  leurs  plus 
[p.  215]  hardis  habitans  ranforcer  ceux  quy  s'estoient  jà  saisis 
de  toutes  les  aveniies  de  la  porte  du  chasteau  quy  est  dans  la 
ville;  attendant  d'y  loger  leur  secours,  commandèrent  au 
capitaine  de  la  ville  de  luy  aller  ouvrir  la  porte  de  Cadenet 
quy  luy  estoit  la  plus  prochaine,  et  à  Dions,  fils  du  premier 
consul,  de  l'aller  introduire  promptement. 

Ce  fut  à  ce  point  que  le  peuple,  reconnoissant  l'erreur  où 
la  suggestion  de  tous  ces  mauvais  serviteurs  du  Roy  l'avoit 

*  La  prairie  ou  champ  de  foire. 


3tD  Lis    SIEGE  DE  BEAUGAItlE  DE  1632 

Toalu  précipiter,  courut  comme  désespéré  à  la  deffence  de 
lear  muraille,  loua  les  vertueuses  intentions  de  leurs  consuls, 
commencea  à  bien  espérer  de  leur  résolution,  et  à  se  pro- 
poser quMnfailliblement  leur  courageuse  résistance  seroit 
largement  récompensée  de  la  débonnèreté  du  Roy,  et  que  le 
moins  qu*il  pourroit  espérer  de  sa  libéralité  ce  seroit  leur 
affranchissement  de  la  tyrannie  du  marquis  ;  ainsy  en  par- 
loient-ils. 

Le  capitène  de  la  ville,  quoyque  des  intimes  amis  du  marquis 
et  serviteur  de  M.  de  Montmorency,  fesant  violence  à  ses 
volontés,  fut  constrainct  d^ aller  ouvrir  ceste  porte,  aprèz  quel- 
ques sourdes  paroles  de  refus  qu*il  laschea  aux  consuls,  les- 
quelles furent  suivies  de  menaces  de  luy  ester  les  clefs.  De 
manière  que  le  sieur  de  Dions,  quy  s'estoit  jà  suffisemment 
pourveude  batteliers,  montant  promptement  sur  leurs  batteaux 
passa  sur  Tlsle  (laissant  le  sieur  de  la  Roche,  son  père,  à  la 
porte},  pria  le  consul  Beuf,  au  nom  de  son  dit  père,  de  ses 
collègues  et  de  tout  le  peuple,  de  vouloir  [p.  216]  prompte- 
ment entrer  dans  leur  ville  et  luy  fit  des  excuses  de  ce  long 
retardement. 

Le  sieur  consul  Beuf,  cependant,  quy  avoit reconnu,  avant 
l'arrivée  du  sieur  de  Dions  à  luy,  que  toute  la  cavallerie  de  Mon  - 
seigneur  estoit  sur  le  pied,  et  ouyt  en  même  temps  le  tocsin 
sans  savoir  sy  c'estoit  pour  Monseigneur  ou  pour  soy  (n'ayant 
ancores  veu  personne  de  la  part  des  consuls),  despescha  promp- 
tement le  sieur  Peinct,  l'un  de  ses  volontères,  son  inthime 
amy,  et  lieutenent  en  ceste  expédition,  devers  M.  le  Mareschal 
de  Yitry  pour  apprendre  ses  intentions  sur  ceste  occurrence: 
et  consulta  d'ailleurs  le  sieur  de  Rousset,  gentilhomme  de 
Provence  (auquel  M.  le  Mareschal  avait  donné  la  conduite 
de  la  troupe  du  Yiguerat)  avec  les  plus  expérimentés  de  leurs 
volontères,  pour  les  formes  de  leur  subsistance  ou  de  leur 
introduction  au  cas  qu*ils  feussent  enfin  appeliez,  reconnois- 
sant  leur  entreprise  grandement  hazardeuse  et  toute  remplie 
de  péril  ;  mais,  durant  leur  consulte,  Dions  arriva  à  eux; non- 
obstant la  prière  duquel,  et  les  asseurances  qu'il  leur  donna 
que  son  père  les  attendoit  à  la  porte,  et  ses  collègues  aux 
autres  endroits  de  la  ville  pour  ordonner  de  leurs  postes,  ils 
délibérèrent  pourtant  d*envoyer  tout  premier  dans  la  ville 


LE  SIEGE  DE   BEÀUGâIRE  DE   1632  31^1 

LaBre8che,ran  de  leurs  sergents,  pour  reconnoistreet  juger 
de  la  contenance  des  habitants  et  prièrent  Dions  de  demeurer 
avec  eux,  en  hostage  pour  Tasseurance  d'iceluj  et  jusques  à 
son  retour. 

[P.  217]  Ce  sergent,  passant  promptement  le  bac  et  entrant 
dans  la  ville  environ  les  deux  heures  aprèz  la  minuict,  donna 
seul  jusques  dans  la  place  du  marché,  et  n*eut  autre  rencontre 
que  dudit  sieur  de  Laroche  à  sa  porte  et  du  capitène  de  la  ville  • 
laquelle  ayant  ouverte  contre  son  cœur,  ne  sceut  sj  bien 
retenir  ses  ressentimens  qu*il  ne  luj  usât  de  quelques  sourdes 
menaces,  «  que  tout  autant  d*estrangers  quj  entreroient  dans 
la  ville  y  seroient  taillés  en  pièces.  » 

Tandis,  ces  compagnies  de  Croates  quj  suivoient  Monsei- 
gneur, estant  sur  le  pied  pour  entrer  au  chasteau  et  ayant  ap  prins 
que  ces  troupes  estoient  surPisle,  firent  tout  leur  effort  pour 
avoir  congé  de  les  y  aller  attaquer  et  d*y  passer  à  guay  du 
costé  où  estoit  assis  en  garde  le  sieur  de  Mandon.  Mais  ils  en 
furent  divertis  par  quelques-uns,  lesquelz  représentèrent  à 
Mgr  y  avoir  trop  de  péril  et  en  ce  guay  et  en  Tincertitude 
du  nombre  des  soldats,  etque  la  ville  estant  une  fois  saisie,  on 
auroit  bien  moyen  de  les  deffère. 

La  Bresche  cependant,  sa  descouverte  faite,  revint  à  la 
porte  d*une  part,  à  mesure  que  le  sieur  Peinct,  de  Tautre, 
redescendoit  sur  Tisle  avec  ordre  de  Monsieur  le  Mareschal  de 
fère  entrer  promptement  ces  troupes  à  quelque  prix  que  ce 
fat,  et  tous  deux  furent  estonnés  d'en  voir  desja  une  bonne 
partie  dans  la  ville  avec  le  sieur  de  Dions  et  le  consul  Beuf 
en  teste  dMcelle.  Auquel  néanmoins  le  sergent  rapporta  le 
discours  qu'il  avoit  ouy  du  capitène  de  la  ville,  mais  il  n*ar- 
resta  pourtant,  le  Rubicon  estant  jà  passé,  et  tous  les  soup- 
çons vuidez  et  surmontez  par  son  courage  et  par  la  confiance 
qu'il  avoit  en  la  franchise  du  sieur  de  Dions  quy  le  guidoit 
et  de  son  père  quy  le  [p.  218]  recevoit.  De  manière  que  le  sieur 
Peinct  fut  grandement  joyeux  de  trouver  que  Tobeyssance 
avoit  prévenu  le  mandement  que  M.  le  Mareschal  luy  avoit 
donné  et  que  tout  le  reste  passoit  à  la  haste. 

Le  sieur  de  la  Roche  donc,  ayant  accueilly  le  sieur  consul 
Beuf  avec  les  plus  tendres  remerciemens  que  méritoit  un  sy 
important  et  signalé  service,  et  que  la  briefveté  du  temps  luy 

21 


3^2  LE  SIEGE  DE   BEÀUGAIRE   DE   1632 

peut  permetre,  le  conduisit  de  ce  pas  avec  toutes  les  troupes 
jusque  dans  la  place  du  marché  où  elles  se  mirent  promp- 
tement  en  bataille.  Et  de  là,  sans  arrester,  allèrent  se  loger 
tout  contre  les  jardins  joignant  les  murailles  et  la  porte  du 
chasteau  quj  descend  à  la  ville,  où  les  habitans  avoient  Ja 
mis  quelques  charretes  et  commencé  à  se  barricader.  Le 
consul  Beuf  y  choisit  la  porte  la  plus  prochaine  et  la  plus 
dangereuse,  en  laquelle  il  s'arreata  avec  Teslitte  de  ses  volon* 
tères,  laissant  les  autres  plus  esloignées  au  reste  des  troupes 
et  aux  habitants. 

Ces  barricades  n'estoient  à  peine  alors  bien  commencées 
qu'un  chasqun  d'eux  mit  promptement  la  main  à  Toeuvre  pour 
se  retrancher  et  mettre  en  defience ,  et  leur  fut  donné  par 
les  consuls  tout  ce  qu  ils  leur  demandèrent  pour  cest  effect. 

Le  jour  venu  (lundjdeuxiesme  aoust),  le  marquis^  qu  js'estoit 
imaginé  que  Tarrivée  de  Monseigneur  dans  son  chasteau  auroit 
donné  telle  appréhention  aux  consuls  et  au  peuple  [p.  219]  que, 
les  armes  leur  tombant  des  mains,  ils  n'auroient  le  courage  de 
fere  entrer  leur  secours  et  le  ranvojeroient  en  désordre,  fut 
bien  estonné  de   les   veoir  tout  contre  les   murs  d'iceluj, 
retranchez,  barricadez,  et  en  estât  de  luj  disputer  courageu- 
sement rentrée  de  leur  ville.  Et  ceste  noblesse,  d'ailleurs, 
quy  suivoit  ses  mouvemens  avec  tant  de  passion  et  d'aveu- 
glement, remplie  de  mesme  estonnement  que  luj  et  hors  de 
toute  espérance  d'entreprendre  désormais  aucune  chose  à  leur 
avantage^  reconnoissant  qu'il  y  alloit  de  la  honte  et  des  uns  et 
des  autres  d'avoir  eu  tant  de   belles  intentions  pour  Monsei- 
gneur, tant  de  courage  d'excécuter,  et  néanmoins  perdre  des  sj 
belles  ocasions  de  se  rendre  maistres  de  leur  ville,  et  princi- 
palement celle  que  la  nuict  précédente  leur  avoit  sj  favora- 
blement produite,  lorsque  ce  peu  d'habitans,  qujr  necommen- 
çoient  qu'à  desseigner  encore  leurs  retranchemens,  n'eussent 
peu  rendre  à  Mgr  aucune  considérable  résistance,  s'ils  Teas- 
sent  fait  descendre  en  armes  promptement  dans  la   ville,  se 
réduisirent  tout  enfin  à  ce  dernier  remède  de  fère  quelques 
abouchemens  et  conférances  avec  les  consuls,  pour  tascher  de 
se  mettre  à  couvert  des  reproches  et  des  indignations  de  Mon- 
seigneur, qui  avoit  ignoré  toutes  ces  contradictions  et  résis- 
tances et  creu  que  le  tout  luy  estoit  asseuré.  Quelques-uns 


LE  SIE&E   DE   BBAUCÂmE  DE   168!^  dl^à 

d'entre  eax  obtindrent  des  consals  de  pouvoir  monter  au  chas- 
teau  et  proposer  à  Mgr  et  au  marquis  quelque  accommodement 
[p.  220]  qu  j  leur  donnast  de  la  satisfaction  à  tous.  Ainsj  ceste 
matinée  s'esooula  en  allées  et  venues  d'une  part  à  Tautre  sans 
fruict  ;  et  Varie,  Tun  d'eux,  s'y  estant  entremeslé  de  la  part  des 
consuls,  fut  porté  par  terre,  descendant  du  chasteau,  par  une 
mosquetade,  que  luj  tira  un  soldat  de  la  garnison,  quj  luj 
entra  par  le  col  et  sortit  par  Tespaulle. 

Ce  coup  contre  le  droit  des  gens,  mit  sel  en  bouche  aux 
consuls,  les  ât  aller  plus  retenus,  et  le  marquis  en  receut  un 
grand  desplaisir.  Néanmoins,  s'imaginant  de  pouvoir  avancer 
luj  mesmes  ce  que  ses  amis  n'avoient  peu  le  matin,  il  demanda 
encore  de  parler  aux  consuls  et  permission  de  descendre 
jusqu'à  la  prochaine  barricade.  Son  intention  estoit  double, 
car  il  désiroit  voir  le  retranchement  et  la  contenance  des 
soldats.  Les  consuls,  néanmoins,  quojque  très  résolus  en  leur 
première  délibération  de  servir  le  Roj  à  quelque  prix  que  ce 
fût,  estimant  que  sj  de  telles  conférances  pouvoit  sortir 
quelque  accommodement,  leur  honneur  sauve  et  la  ville 
demeurant  tousjours  dans  les  termes  de  l'obéjssance,  elle  en 
seroit  d'autant  plus  soulagée  et  exempte  des  fouUes  que  les 
gens  de  guerre  j  produisent  communément,  \uy  accordèrent 
enûn  ses  demandes. 

Il  descendit  donc  à  la  ville  avec  les  sieurs  d'Ëlbene,  le  baron 
[p.  221]  de  Ledenon  et  Laroche  d'Agoult,  escuyer  de  M.  de 
Montmorency.  Et  rencontrant  à  la  première  barricade  le  con- 
sul Beuf  en  teste  de  Teslitte  de  ses  volontères,  et  en  estât  de 
la  bien  deffendre,  s'y  arrestant  un  peu  et  fesant  bonne  mine, 
loua  fort  leur  contenance  et  leur  résolution,  leur  Jaschant  en 
passant  ce  petit  traict  de  vanité,  c  qu'ils  estoient  tous  dignes  de 
commander  des  régimens.  oLequelayant  été  soudain  recueilly 
par  un  gentil  esprit  de  la  troupe,  le  luy  couvrit  avec  grâce 
par  ses  paroles  :  «  Ouy,  certainement,  Monsieur,  luy  dit-il,  mais 
ce  nous  est  beaucoup  de  gloire  et  de  satisfaction  de  n'estre 
en  cette  occasion  que  simples  soldats  soubs  notre  consul  et  y 
servir  le  Roy.  » 

Le  sieur  de  La  Roche  donc  s'approchantde  lui,  tirant  quant 
et  soy  hors  de  la  barricade  le  sieur  consul  Beuf  pour  estre 
tesiuoing  de  tous  leurs  discours,  la  première  parole  du  mar- 


P,2l  LE  SIEGE   DE  BEIUCAIRE  DE  1631^ 

quis  ao  eonsul  fat  d*ayoir  Tiolé  sa  foj  en  la  matoelle  promesse 
qa*ils  s*eftoient  faite  de  n'introduire  ancane  personne  estran- 
gére  dans  la  TilJe  nj  dans  le  chasteaa.  A  qaoj  il  respondit 
qu*elle  avoit  ainsj  Yéritablement  esté  £aite  entr^eox,  mais 
sonbs  cette  condition  de  servir  le  Boj  et  les  nns  et  les  antres, 
et  qu'ayant  vu  la  nnict  précédente  entrer  Monseignenr  dans  son 
chastean,  il  avait  de  mesmes  introduit  dans  la  ville  le  consal 
d'Arles  et  sa  troupe  ;  ains j ,  n'ayant  fait  en  cela  que  [p .  222]  l'en- 
suivre, il  en  estoit  le  premier  coulpable.  Le  sieur  d'Ëlbene  et  le 
baron  de  Ledenon ,  ap prehendan t  que  ces  parolles  n'en  produisis- 
sent d'antres  plus  fascbeuses,  interrompant  le  discours  du  mar- 
quisy  pressèrent  fort  alors  le  sieur  de  la  Roche  de  congédier  les 
messieurs  d'Arles  et  laisser  la  ville  entre  les  mains  des  habi- 
tants. Mais  au  contraire  la  connoissance  et  rappréhention 
qu'il  avoitde  ceux  quj  suivoient  le  party  du  marquis,  dans  la 
ville,  et  du  peu  d'assurance  du  peuple,  luy  fit  rejetter  bien 
loing  telles  propositions  et  demeurer  ferme  en  son  procédé, 
reconnoissant  très  bien  que,  ceux  d'Arles  estant  son  prin- 
cipal apuy,  la  partie  demeureroit  fort  inesgale  et  leur  afière 
seroit  bientost  vuidée  à  la  confusion  et  au  grand  détriment 
du  service  du  Roy. 

Durant  ce  pourparler,  tous  les  soldats  des  barricades  obser- 
vant diligemment  les  actions  et  les  mouvemens  du  marquis 
demeuroient  sur  pied,  et  en  estât  de  repousser  vivement  sa 
violence  au  cas  qu'il  en  eust  voulu  user  contre  leurs  consuls. 
Et  sur  ce  poinct  il  arriva  qu'un  soldat  du  chasteau  laschea 
une  mosquetade  dans  la  barricade  du  consul  Beuf,  quj  porta 
contre  un  mur,  où  estoit  appuyé  un  de  ses  volouteres,  auquel 
ayant  ramply  le  visage  et  le  chapeau  du  desbris  de  la  pierre, 
8*adre8sant  au  marquis  :  «Voyez,  Monsieur,  luy  dit-il  S  comme 
vos  soldats  nous  traitent  dans  vos  tresves  et  vos  abbouche- 
ments»  »  [p.  223]  De  quoy  il  lui  ût  ses  excuses,  et  menaceant 
rudementle  soldat,  asseura  tout  haut  ce  volontère  qu'il  n'enten- 
doit  point  que  la  foy  publique  fut  ainsy  violée.  Lequel  luy  répli- 
qua avec  une  contenence  gentille  a  que  les  mosquetades 
estoient  trop  peu  de  cas  pour  les  fere  desmouvoir  de  leurs 
postes,  et  qu'il  y  falloit  joindre  le  canon,  » 

*  En  marge  en  regard:  M.  Peinct. 


J 


LE    SIÈGE    DE   BEâUGâIRE  DE   1632  325 

Cet  excès  porta  soudain  le  désir  de  deux  soldats,  habitans 
de  Beaucaire  meslés  parmj  ceux  d*A.rlesS  d*en  tirer  sa 
revenche.  Et,  s'estantavaocez,  s^appoinctèrentconjoinctement 
pour  tirer  au  marquis,  mais  le  volonté re  s'en  estant  aperceu 
s'avancea  à  eux,  leur  donna  tout  à  poinct  de  la  main  sur 
Tharquebuse  quMls  avoient  enjoiiée,  les  en  destourna  et  leur 
ûi  le  hola,  ne  voulant  permettre  de  venger  une  lascheté  par 
une  autre. 

Tandis,  Monsieur  le  mareschal,  sçachant  que  ces  troupes 
de  Beaucaire  ne  pouvoient  avoir  de  muuition  de  guerre  que 
ce  qu'un  chasqundes  soldats  pouvoit  avoir  sur  soj,  et  jugeant 
que  les  consulz  ainsj  troublez  n'auroient  pu  avoir  le  seing  de 
leur  en  fère  fournir,  despechea  promptement  aux  sieurs 
consuls  d'Arles  pour  les  prier  de  fere  encor  ce  bon  service 
au  Roj  de  iuj  en  envoyer  promptement.  A.  quoy  ils  furent 
très  diligents,  etluj  en  envoyèrent  quatre  muletz  chargez  quj 
luj  furent  [p.  224]  présentés  de  leur  part  par  un  gentilhomme 
de  la  ville  qu'ils  lu  j  députèrent  (ce  fut  le  sieur  Despins).  A  quoj 
il  receut  une  incroyable  satisfaction  et  leur  en  ût  des  grands 
remerciements,  ne  pouvant  se  contenir  d'exagérer  à  tous 
coups  la  grandeur  de  leur  affection  et  la  promptitude  de 
leurs  services  aux  choses  concernantes  Tinter  est  de  Sa 
Majesté. 

La  conférance  du  marquis  demeurant  vaine  enfin  et  sans 
efiect,  et  les  consulz  rentrés  dans  la  barricade,  on  oujt  à 
l'instant  de  tous  les  soldats  quj  y  estoient  une  acclamation 
universelle  de  Vive  le  Roy,  quy  donna  un  très  rude  coup  d'es- 
tonnement  au  marquis  et  le  plongea  dans  une  grande  confu- 
sion, ne  sçachant  trouver  à  Monseigneur  excuse  vailable  et 
légitime  pour  coUorer  tant  de  manquements.  De  manière  qu'il 
fut  sur  les  termes  de  demeurer  dans  la  barricade  avec  les 
consuls  pour  éviter  ses  indignations. 

Monseigneur  estoit  pour  lors,  avec  MM.  de  Moret,  d'Ëlbeuf, 
de  Montmorency  et  autres  de  considération  à  la  porte  du  chas- 
teau  par  le  dedans  sans  y  estre  aperceus,  attendant  l'issue  de 
ceste  conférance  pour  donner  tous,  l'espée  à  la  main,  contre 
les  barricades  au  cas  qu'elle  ne  terminast  selon  ses  intentions  : 

*  En  marge  en  regard  :  Scève  en  estoit  l'un. 


S26  LE    SIEGE  DE    BEAUGAIRE  DE  1632 

et  ayant  ouj  le  brait  des  soldats  et  demandé  lacaose  d'iceluj, 
on  loj  dit  que  c'estoit  an  cry  de  Vive  le  Roj  :  c  Ooj,  répli- 
qaat-il  soudain,  tirant  son  chapeau  ,  Vive  le  Roy  !» 

[P.  225]  Tons  ces  Messieurs  donc  rentrez  au  château  et 
Monseigneur  ayant  apprins  la  ferme  délibération  des  consuls, 
entra  en  une  sy  grande  fureur  contre  le  roarqnis  qu'il  proposa 
de  le  fere  saulter  des  créneaux  ;  lequel,  le  sçachant^  n*08a  se 
présenter  devant  luy  que  son  esprit  n'eust  esté  radoucy  avec 
beaucoup  de  peine  par  tous  ces  seigneurs.  Aussy,  à  vray  dire, 
il  ne  scent  jamais  en  ceste  action  obliger  entièrement  ses  amis 
ny  désobliger  ses  ennemis. 

L* ardeur  de  la  cholère  de  Mgr  luy  fit  incontinent  demander 
ses  armes,  délibéré  d'aller  enfoncer  ces  barricades,  disant 
que  puisque  la  querelle  estoit  pour  soy  il  vouloit  estre  le  pre- 
mier à  les  franchir  ;  mais  Dieu  en  ayant  disposé  autrement  et 
ne  Yonlant  permettre  qu'il  s^exposast  avec  tant  de  noblesse 
en  unsy  éminent  péril,  snssita  sur  le  champ  le  sieur  d'Ëlbene, 
quy  avoit  veu  la  contenance  de  ceux  des  barricades,  lequel 
luy  représenta  <iquMly  avoit  reconnu  un  si  grand  courage  aux 
soldats  et  un  sy  ferme  propos  et  délibération  d'y  mourir  très- 
tous  plustost  que  d*en  démordre  et  Tabandonner,  estant  tous 
gents  de  condition,  commandés  par  leur  consul,  homme  très- 
résolu,  quUnfalliblemeot  se  seroit  s'exposer  et  toute  sa 
noblesse  à  la  boucherie  de  gayeté  de  cœur,  et  que  le  moindre 
d'eux  quy  s'y  pourroit  perdre  yalloit  mieux  que  toute  la  ville 
ensemble»,  avec  plusieurs  autres  véhéments  discours  sar 
ce  sujet. 

[P.  226]  Le  sentiment  du  sieur  d'Elbene  estoit  très-bon  pour 
n'exposer  la  personne  de  Mgr  qu'on  n'eust  peu  que  malaisément 
retenir,  aussy  prévalut-il  et  fit  changer  ceste  résolution  ;  mais 
à  vraydire,sy  Monseigneur  eust  fait  attaquer  vivement  ces  bar- 
ricades d'une  part,  et  tous  les  gentilshommes  de  la  ville  amis 
du  marquis  eussent  à  mesme  temps  saisy  l'une  des  portes  de 
la  ville  pour  l'y  introduire  par  le  dehors  comme  il  leur  estoit 
très-aisé,  sans  doute  la  ville  estoit  enlevée;  car  les  barricades 
n'estoient  pas  encore  en  très-bon  estât  ny  capables  de  trop 
grandes  résistances;  ny  mesmes  le  nombre  des  tenants  assez 
grand  quoy  que  très-vertueux,  et  d'ailleurs  la  plus  grande 
partie  du  peuple  quy  suivoit  les  consuls  vagoit  encor  dans 


LE   SIEGE  DE  BEÂUGAIRE  DE   1632  327 

rirrésolution,  dans  la  crainte  et  dans  la  confasion.  Enfin, 
caste  parolle  eust  sj  grand  poids  que  ceux  de  Beaucaire  peu- 
vent désormais  la  naarquer  dans  leurs  fastes  pour  Tune  des 
choses  les  plus  essentielles  de  leur  bonne  aventure  et  de  leur 
tranquilité  publique,  puisque,  sans  avoir  plus  grand  seing  ou 
perte  des  leurs,  ils  ont  vertueusement  monstre  le  front  au 
frère  du  plus  grand  et  redoutable  prince  de  la  terre  armé  pour 
les  subjuguer,  et  se  sont  glorieusement  conservés  dans  la 
légitime  obéyssance,  malgré,  s'il  faut  ainsj  dire, d'eux  mesmes. 

Pierre  Dblacrau. 
(A  suivre.) 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


(Suite) 


[132  (c»  112)] 

PEIRE  UIDAL(c/>.  74  r^) 

(=  B.  Gr.  364,  17) 

I  •  Dieus  en  sia  graçitz 
Qel  franc  reis  es  gueriz 
E  sans  &  deleitos  * 
Per  qeu  *  cobri  cansos 
5  Galas  &  ab  gais  sos 
Qe  *  mer  a  giquitz 
Corroços  *  &  marriç 
Mas  la  sua  saluç 
Nos  a  totz  erembuz  ^ 

10  E  tornat  en  iouen 

Mon  cor  &  mon  talen. 
II.   Qar  de  bona  raiz 
Es  bos  arbres  ichiz  ^ 
E  fructz  es  car  &  bos 
E  ries  "^  &  saboros 
5  Et  en  ^  torn  amoros 
Vais  domnas  &  ^  chausitz 
Tant  qe  noia  ^®  als  marriz 
De  oui  son  plus  remsutz  ^^ 
Qe  focs  ni  fers  agutz 

10  Qar  don  men  uulh^^  men- 
Qus  no  ^^  las  mi  defen.  [pren 


III.  Ben  tainh  qeu  sia  arditz 
Qe  tal  domna  mes  guiz^* 
Qes  la  genser  qanc  fos 
Qab  sas  bellas  faisos 

5  El  bels  oils  orgoillos 
An  mantz  ^^  cors  enuaiz  ** 
Per  qe  mos  esperiz 
Es  ab  leis  remasuz  '^ 
Don  mi  senc  ^^  reuenguz 
10  De  tôt  mon  marrimen 
Qai  sofert  loniamen. 

IV.  Jouenz  es  mal  bailiz 

E  pretz  ces  **  per  traiz 
Per  colpa  dels  baros 
Quer  uenson  ^^  los  guarsos^* 
5  Manêz  et  orgoillos 
El  **  certes  escarniz 
E  domnas  trichairiz 
Regnon  contra  nos  druz 

10.  Trop  deschausidamen 

Ab  doble  faillimen. 
V.  A  bel  cors  gent  bastiz 
De  totz  bos  aibs  compliz 


23 


L.  S.  :  1  deleichos  —  *  qem  —  3  De  qe  —  ♦  Gorrossos  —  ^  ereubutz  — 
«  eislis  —  '  E  douz  —  *  ieu  —  *  cai  —  ^^  nuig  —  "  temsutz  —  **  uoil  — 
13  Qom  nô  —  **  guitz  —  i8  mon  —  *«  euazitz  —  *'  remansutz  —  i8  gui  — 
1*  tenc  —  '®  Car  uezon  —  •!  garzos  —  22  Los  —  28  Dona  sim  renia  uos 
Humil  e  uoluntos  E  destregz  e  cochos 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS         329 


Si  com  cel  qes  feriz 
Damor  &  ^  cor  qem  diz 
Qem  renda  uos  uencuz 
Doncs  si  nom  faiz  aiuz 
10  M  ort  aurez  chausimen 
E  nous  estara  gen. 

VI .  Per  flac  rei  apostiz 
Es  bos  règnes  deliz 
Qar  planh  ^  sas  messios 
E  plorals  autrui  dos 

5  £  fug  solaz  dels  pros 
E  reis  pos  uiu  auniz 
Val  mens  qe  sebeliz 
Mas  eu  son  car  tenguz 
Pels  meillors  &  cresuz 
10  Per  la  cortesa  gen 
Qes  contradig  nomen  3. 

VII.  Per  som  son  gent  guarniz 
Contrais  uags  acapiz  '* 

Qe  ab  mi  lof>,  74  v*»)  es  ara- 

[gos 

Et  castella  &  leos 
5  E  ^  ualent  rei  nanfos 

Els  ®  cas  tels  estabiliz  "^ 

On  preç  es  gent  seruiz 

Et  ondraz  &  tensuz 

Si  qe  dels  abatuç 
10  Flacs  auars  cor  de  uen 

Non  ai  nul  pensamen®. 
VIII.  Aitant  com  plus  ardiz 

Es  leos  qe  crapitz 

Et  ors  qe  bous  cornuz 

E  lops  qe  bec  barbuz 
5  Ai  en  tant  ardiment 

IX.  E  qi  mos  diz  aguz 
Es  contra  si  enten 
En  li  don  franchamen. 


133 

PEIRE  DALUERGNE 

(=  B.  Gr.  323,  13) 

I .  (p,  125)  Cui  bos  vers  agrada 

[auzir 
De  mi  aconseilh.  qe  lescolt 
Aqest  qera  comenz  a  dir 
Qe  pos  li  er  sos  cors  assis 
5  Em  ben  entendrels  sos  els 

[motz 
Ja  nô  dira  qel  anc  auzis 
Meillors  digz  trobar  loin  ni 

[prop. 

II .  De  be  no  fai  adescarnir 

Qi  lau  anz  deu  agradarmolt 
Se  tôt  loutracuiat  albir 
Ab  lor  nesci  feble  fat  ris 
5  Torno  zo  qes  damont  deios 
El  bes  vezer  qe  sen  antis 
El  esqerns  resta  de  galop. 

III.  E  per  tal  sai  *  sen  bon  sofrir 
Cane  esqern  ni  corage  es- 

[toit 
Si  broillet  no  sai  vim  florir 
E  par  dauol  respeg  iardis 
5  Cant  ve  qe  la  sima  nil  brotz 
No  ieta  frucha  requis  ^®. 
El  intrador  neisson  tuig  clop. 

IV.  Eraus  vueil  al  res  deuezir 
Qi  dauer  sai  a  gran  comolt 
Ben  sen  deuria  far  seruir 
Qe  mil  muegz  de  marabotis 

5  No  don  aria  doaz  notz 
Pos  a  la  bochail  venrail  fiz 
Nil  prestre  secodra  lizop. 
V.  A  qec  deuria  souenir 


1  el  —  «  plain  —  3  contradreg  non  men  —  ♦  A  mon  cor  e  cabitz  —  8  El 
—    Ges  —  '  establitz  -  «  i.  5.  ncm  ha  le  seguenti  stanzette. 
Voyez  VéditiondeM,  Zenker  ErUmgen  1900  p.  124  ss.  ^  c,  en;  fai    - 
.en:  trucha  tequis;  L:  fpucha  ni  tequis 


le 


330 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNÂET  AMOROS 


Qe  non  agues  coratge  estolt 
Del  be  on  vos  deuem  aiizir 
Qen  oraizon  fossom  conqis 
5  Ë  cant  ve  al  derrier  sanglot 
Non  li  val  oncle  ni  cozis 
Ni  metges  ab  son  issirop. 
VI.  Ben  deuria  pensai*  moiir 
Qi  dreitz  oils  garda  sus  lo 

[volt 
Cossi  dieus  per  nos  a  guérir 
Receup  mort  e  pois  mortz 

[laucis 
5  Selui  qi  p^r  nos  venc  en 

[croitz 
Tuig   mortem*    cauers  nO 

[guaris 
Negu  al  temps  plus  qe  fes 

[iop. 
Vil .  Moût   son  intrat   en  lonc 

[cossir 
Tug   cil  qi  son  al   detir  ' 

[clop 
Ca  la  mort  nos  pot  escremir 
Coms   ni   reis   ni   ducs   ni 

[marqes 
5  E  senanz  nos  nedeia  totz 
Qe  la  mortz  li  serre  lo  uis 
Be  si  pot  sil  ^  vol  tarzar 

[trop. 
VIII  Tôt  iorn  *  porria  ligir 

Mas  preguem  dieu  per  sa 

[douzor  • 

[ ]• 

Qens  7  meta  el  sieu  paradis 
On  me  ^  isaac  e  iacop. 


134 

PEIRE  DALUERGNE 
(=  B.  Gr.  323,  18*) 

I.  (p.  126)  Gent  es  mentrom 

[va  •  lezer 
Senanz  le  someil  a  faire 
Qes  cal.  saizinal.  cuiaire 
Tal  ora  es  lares  de  voler 

5  E  qi  enanz  es  auertitz 
Qe  lagaitz  li  sia  issitz 
Non  es  ges  del  tôt  musaire. 
IL  Contraisso  dru**  aparer 
En  cui  senz  es  albergaire 
Qe  scienza  non  pretz  gaire 
Sa  luecs  non  la  vei  parer 

5  Doncs  on  er  de  mi  sentitz 
Lo  sabers  don  soi  reqitz 
Cor  fiz  0  mesclatz  ab  vaire. 

III.  Qel  segle  ai  fag  mon  plazer 
Tant  qen  soi  de  trop  pe- 

[chaire 
Et  er  agradam  nestraire 
Pos  dieus  prom  na  dat  lezer 
5  Pot  hom  esser  descauzitz 
E  nd  mes  obs  mai  **  delitz 
Per  outracuiat  iutgaire. 

IV.  Pos  dieus  som  laissa  vezer 
En  qe  poest  **  esser  miraire 
De  mo   miels   e    sordeigz 

[raire 
On  om  plus  a  de  saber 
5  On  mager  senz  les  qesitz 
E  aqel  par  plus  faillitz 
Ca  SOS  obs  nés  enganaire. 
V.  Mas  si  ieu  en  saubes  lo  uer 


*  c.en:  morrem  —  ^c.en:  dereir  —  3  c.  en  :  sis  —  ♦  /.  :  iorn  nos  —  •/.  : 
mercis  —  «  /.  :  Qens  garde  del  enfemal  potz  —  '  /.  :  E  qens  —  *  /.  :  mes.— 

Voyez  l'édition  de  M,  Appel  dans:  Prov.  Inédit  a  p.  201  ss,  et  celle  de 
Af.  Zenkerp.  121  ss, — »  /.;  na  — *o  /.;  deu  —  **  c.  en: nan—  **  /. :  poesc. 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


331 


Be  sai  for  enqers  cofraire 
De  iouent  e  enqistaire 
Ses  ris  qe  degra  chaer 
5  En  grat.  sa  ios  esbauditz 
Mas  sil  fais  segles  mestitz 
Qeil  fag  son  pauc  contrai 

[braire. 
VI.  Mentre  chascus  pot  qerer 
Lui  qes  vers  dieus  e  sal- 

[uaire 
Moût  es  endreit  se  bauzaire 
Pos  0  met  e  nOchaler 
5  Qe  maiers  gratz  nés  cobitz 
Qi  ser  ses  colp  qe  feritz 
Daitan  son  ben  esproaire. 

VII .  So  feira  plus  a  praier  * 
Perqe  son  meraueillare 
Com  non  es  leu  reguardaire 
Tro  qes  aproisinatz  ^  al  ser 

5  Qel  iornals  los^  escurzitz 
E  sadoncs  vo  *  ve  complitz 
Non  cug  qe  pueis  sen  es- 

[claire . 

VIII.  Amors  bem  degra  doler 
Si  neguns  autrêguannaire 
Mas  lo  drechurers  iutgaire 
De  vos  am^  pogues  mouer 

5  Qe  per  vos  er  enriqitz 
Ë  saluatz  etenantitz 
E  pel  segnor  de  belcaire. 

IX.  (p.  126  *)  Mas   so  non  pot 

[remaner 
Gorteza  amors  de  bon  aire 
Don  me  lais  esser  amaire 
Tan  magrada  lai  tener 
5  On  vol  lo  saintz  esperitz 
E  pos  el  mezeis  mes  guitz 
Nous  pas  sauos  non  repaire. 

X.  Qeu  en  sai  tal  gouemaire 


Qez  el  vol  enguit  auer 
PeirO  daluergne  so  ditz 
Non  deus  for  anqers  partîtz 
5  Ni  per  autra  amor  chiam- 

[jaire. 

135 

PEIRE  DALUERGNE 
(  =  B.Gr.323,14) 

I.  De  dieu  non  puesc  pauc<^ 

[parlar 
Ni  moût  nous  en  sai  deuezir 
Qe  graures  "^  e  restaria  dir 
El  paucs  el®  plus  qe  non 

[apar 
5  E  pos  ilh  manteno  valor 
Degra  son  senz  contraparer 
Ben    taing    dir    adreg  per 

[samor 
So  cal  sieu  poble  na  mester. 

II .  Donc  die  com  si  degra  gardar 
Cals  es  ni  que  deu  deuenir 
E  si  se  mena^  cossir 

Ja  megz  nd  sabria  prezar 
5  Mas  Ios  oils  te  en  tenebror 
En  lesgart  gloto  obezirier  *o 
El  cors  consent  en  la  flor^^ 
Guida  larma  a  mal  destor- 

[bier . 
III.  De  qem  puesc  pro  merauil- 

[liar 
Tan  *^  per  si  nô  pren  en 

[albir 

Qe  qant  qeil  trie  1er  a  morir 

E  pels  pas  ancessors  passar 

5  Et  en  tan  estraigna  âairor 

Reuertir  lo  plus  bobancier 


^  c.  en:  temer —  2  /. ;  aproismatz  —  ^l,:  Tes  —  ♦  /.  ;  no  —  * i.  :  iam* 
Voyez  Véd.  de  M.  Zenker  p.  128  ss.  —  «/.  :  pauc  ben  —  '  /.  :  gran  res  — 
•  /.  :  es  —  »  /.  ;  metia  e  —  *•  /.  :  dezirier  —  "  /.  :  folor  -- 1«  /.  :  Can 


332 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


Co  nauzem  a  gran  feror* 
M  as  ven  •  soblido  dacordier. 
IV.  Qester  e  fo  fort  amar 

Al  temps  passam  del  guerpir 
Daqo  de  qes  degrom  aizir 
Anz  qeil  sobrauengaes  afar 
5  Qeu  sai  catar  ^  se  contra  cor 
Qi  nés  cobrans  be  del  ar- 

[qier 
Qe  del  cop  senta  la  vigor 
Car  moût  val  garda  de  pri- 

[mier. 
V.  Mas  grieus  es  hom  acas- 

[tiar 
Qe  mais  amason  dan  chauzir 
Car  ses  volgues  tant  enantir 
Val  *  be  com  contrai    mal 

[obrar 

5  Ja  non  perderal règne  ausor 

Pel  gang  daqest  mon  men- 

[songier 
De  qel  cains  s  caitiua  sabor 
Lesperit    pren  en    encom- 

[brier. 
VI.  En   qeus  puesc   per  peîor 

[comtar 
Homo  seu  voil  ver  espandir 
De  ren  qauja  el  segle  issir 
Pos  a  deu  nos  sap  accordar 
5  Que  las  es  tôt  desanador 
Et  es  resorzent®  e  corsier 
Et  hom  deu  a  son  criator 
Dels  fais  pos  mort  respond 

[rentier. 
VII.  {p,  127)  E  pos  dieus  nous 

[dêgna  donar 
Vezer  et  entendre  et  auzir 
E  parlar  e  sen  e  sentir 


E  de  tanta  richessa  usar 
5  Bes  deu  esser  souenidor 
Car  tort  te  qi  dautrui  tener^ 
Deue  ries  e  del  frug  meillor 
Nés  escas  a  dieu  a  sobrier. 
VIII.  Per  qer  escur  so  qar  es  clar 
Lai  on  dieus  mostral  ^  martir 
Consëten  per  nos  a  suffrir 
De  qens  auenra  totz  trem- 

[blar 
5  Al  iorn  del  iutzamen  maior 
On  non  aura  ren  dufaner 
Cab  gran  gaug  et  ab  non 

[pauc  plor 
Et  on  desebrars  dui  sem- 

[dier. 

IX.  On   chascuns   se    degra  a 

[senhar 
Et  esser  soen  en  sospir 
Com  dieus  se  degnec  huma- 

[nar» 
E  qe  près  per  los  sieus  sal- 

[uar 
5  E  can  pauc  porto  tug  del 

[lor 
Seguen  tre  lo  sanglot  derier 
Car  moût  mes  destreita  la- 

[bor 
Qe  no  laissol  auer  parer  ^® 
Cel   qe  trop  sen  sai'^par- 

[sonier. 

X.  E  com  lo   blanc  el  vert  el 

[var 
Ses   te  ges  far  del  megs 

[seruir 
Don  noil  platz  alcus  bel  '^ 

[ufrir 
Per  aquel  cui  ner  a  penar 


i]c.  en  :  fetor  —  8  /.  ;  uei  —  '  c.  en:  catat  —  *  /.  :  Vas  -  ^  c.en:  caius, 
/.  :  carns  —  ^  c.  en  :  tesorent  —  '  /.  :  terier  —  ^  l.  :  mostraral.  —  •  /.: 
bumanir  —  *o  Cette  ligne  doit  être  omise  —  "  c.  tn  :  fai  —  i*  c.  en:  bes 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNARt  AMÔHOS 


333 


5  E  totz  tenis  reuiura  dolor 
Tôt  so  qel  segles  dalegrier 
Car   auer   vas    nostre   se- 

[gnior 
Ni  qan  guers    no   val  vn 

[diner. 

XI.  E  cos  pot  pauc  chascus  fi- 

[zar 
En  can  qe  sai  laissar  transir 
Sel  eis  non  se  sap  deuezir 
Tan  gent  queil  pogues  pro- 

[sechar  ^ 
5  Qe  tan  breu  [jidaj  an  liplu- 

[zor 
Vilan  6  clergae  e  caualler 
Qe  tan  tost  toma  en  amaror 
Lo   iois  daqest  segle  leu- 

[ger. 

XII.  Mas  dieus  per  sa  granda 

[douzor 
Nos  dom  qe  siam  tal  obrier 
Qens  acueilha  en   la  res- 

[plendor 
Don   li  sieu  saint  son  eri- 

[tier.  Amen. 

136 

PEIRE  DALUERGNE 

(=  B.  Gr.  323,  11) 

I .  Chantarai  daqels  trobadors 
Qe  chanton  de  tropas  co- 

[lors 
El  piéger  cuia  o  dir  gent 
E  a  trobar  es  aillors 
5  Qentremetre  naug  cent  pas- 

[tors 


Cus  non  sap  qes  pueg  ni 

[dessent. 
II.  (p.  128)  Daisso  mer   mal 

[peire  rotgier 
Per  so  ner  encolpatz  pri- 

[mer 
Car  chanta  damor  a  prezent 
E  valriail  mais  un  sautier 
5  Dinz  la  glera  ^  ab  un  can- 

[delier 
On  portes  gran  candela  ar- 

[dent. 

III.  Lautre  es  G.  de  borneil 
Qe  par  loira  sec  a  soleil 
Ab  son  chantar  maigre  do- 

[lent 
Qe  chanto  veillas  portaseil 
5  Ë  sis  vezia  en  espeil 
Nos  prezaria  un  aiguilent. 

IV.  El  ters  bemartz  del  venta- 

[dom 
Qes  menre  de  borneil  en- 

[dom 
E  son  paire  al  ^  moût  bel 

[siruent 
Per   traire   ab  arc   manal 

[d'alborn 
5  E  sa  maire  calfaual  fom 
El  gars  amassaual  sirment. 

V.  El  quartz  don  ugo  lemozis 
Us  ioglars  qes  plus  qeren- 

[tis 
Non  a  tal  tro  ab  nauent.  ^ 
E  cui  aratz  ^  fos  pelegris 
5  Malautes  cant  chantai  mes- 

[quis 
A  pauc  pietatz  no  mê  prent. 

VI .  Guillenz  de  ribas  es  lo  qinz 


*  l,  :  profechar. 

Voyez  les  éditions  de  M,  Appel  dans  la  Zeitschr.  f,  r.  Ptiil,  XIV  p.  162 
ss.  et  de  M»  Zenker  p,  111  ss,  ^  ^  c,  en:  gleia  —  •  c.  en.  :  ai  —  *  /.  :  a 
benauent  —  *  c.  en:  cuiaiatz 


d34 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMOROS 


QeV  malaatz  deforse    de- 

[dioz 
E  ditz  totz  808  vers  raaca- 

(ment 
E  non  e  ges  bos  sos  latins 
5  Caatretansenfariuschins 
El  oill  semblo  de  vont  d*ar- 

[gen. 

VII.  El  .VI.  es  gramoart  gaus- 

[mar 
Qii«8  cauallers  e  va  ioglar 
E  fai  o  mal  qe  o  consent 
Nil  dona    vestir   vert  ni 

fvar 
5  Qe  tal  er  adobat  som  par 
Qen  ioglarit  ne  seran  cent. 
VIII.  Ab  p.  de  monzo  so  VII 

Pos  lo  coms  de  tolosau  dec 
Chantan  un  sonet  aoinen 
E  cel  fon  cortes  qel  raubec 
5  E  mal  2  o  fes  car  noil  tren- 

[qet 
Aquel  pe  que  porta  pendent 

IX.  E  loites  bertranz  de  saissac 
Qe  anc  un  bon  mestier  nô 

[ac 
Mas   danar  menus    de  qe- 

[rent 
Et  anc  '  pueis  nol  prezei  un 

[brac 
5  Pos  den  bcrtran  de  cardail- 

[lac 
Prez  un  veill  mantel  suzo- 

[lent. 

X.  (p.  129)  E  lai  de  marseillan 

[folqet 
Qe  cbanta  de  fotre  e  *  folet 
Per  una  buta  '  cui  saten 
Ga  plus  ample  con  dun  cabes 


5  E  fonûl  meils  pesqes  ab 

[ret 
En  mar  can  nO  la  moue  lo 

[vent. 
XI.  El  dezes  gosaluo  roitz 

Qes  fai  trop  de  son  trobar 

[formitz 

En  cui  caualairias  feing 

&  anc  bos  colps  nO  fo  feritz 

5  Per  lui  tam  be  no  fo  gamitz 

Si  nom  lac  trobat  enfugent. 

XII.  El  onzes  es  en  raimbaut 
Qes  fai  trop  de  son  trobar 

[baut 
E  non  es  mia  auinent 
Dôme  qe  a  gran  pez  caut 
5  E  sen  geraua  ni  a  faut 
En  negun  ni  *  a  jauziment. 

XIII.  El  dotz  es  us  dergatz  pei- 

[rols 
Ab  cara  maigra  secs  mur- 

[sols' 
E  can  vol  cbantar  va  tos- 

[sent 

Gaissi  nés  esclarzitz  lo  sols 

5  Ga  totz  vos  en  penria  dois 

Tan  sa  *  lag  son  captene- 

[ment. 

XIV.  El  tretz  es  vs  veils  lumbartz 
Gapela  sos  vezis  coartz 

E  laisal  del  essemiment 
P^o  us  sonetz  fai  galliartz 
5  Ab  motz  maribotz  et  gri- 

[martz 
Et  apelal  hom  consezent. 

XV.  En  G.  faiditz  fai  chanzos 
De  si  dOz  no  podetz  *  pelos 
E  ditz  qe  si  derel  desment 
Ni  la  pot  tener  en  escos 


*  c.  eo  :  Qes  —  *  Appel  :  mat  —  'A.  :  cinc  —  ♦  A.  :  fol  re  —  •  ou'. 
bâta,  A.  :  busta  —  *A  :  non  —  ^A.:  musois  --  8 c.  en:  fa —  •  A, :  ipotetz 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNART  AMÔROS    ââ5 


5  Qe  tantas  dara  dels  dos 
Gazes  a  mal  pos^  plus  non 

[prent. 

XVI.  El  XV  es  p.  vidais 
Gabaires  messongiers  e  fais 
E  noi  qeiratz  gota  de  sen 
Par  so  a  près  .c.  colps  de  ^ 

[pals 

5  Que  amie  noi  ac  nuils  corals 

De  lai  sa  foudatz  nô  dizent. 

XVII.  Peire  daluergne  a  tal  votz 
Qe  chanta  con  granoill  en 

[potz 
£    faz    lauzar    a    maintas 

[genz 
Pero  maestres  es  de  totz 
Ab  on  pauc  qesclarzis  sos 

[motz 
Capenàs  om  negun  nentent. 


137 

PEIRE  DALVERGNE 
(=  B.  Gp.  323, 16) 

I.  (p.  ISO)  Dieus  vera  vide 

[verais 
De  dreg  en  dreg  clers  e  lais 
E  non  anz  saluant  crist 
En  lati.  e  sobra  baitz 
5  E  natz.  ce  pois  mortz.  vius 

[vist 
E  forses^.don  laisses  crist^ 
Aqels  qe  pois  fezetz  iauzenz. 
II.  Segnier  ries,  eu  failli  fais 
Dont  issic  danz  e  granz  mais 
En  cossir  &  en  digz  durs 


Et  enfers  fagz  enfernals 
5  Ab  rodils  destrains  atrus 
Et  entantz  talanz  tafurs 
Mius  ten^  colpables  pene- 

[denz. 

III.  De  tôt  zo  qe  eu  fezi  anc 
Si  nO  ai  cor  ferm  franc 
De  dir  si  corn  agra  obs 
Prec  a  vos  cui  me  plane 

5  Per  cui  son  *  tan  fizels  iob 
Qe  non   gardes  mos  tortz 

[trops 
Mas  graciam  sia  suffrenz. 

IV.  Qieu  no  sen  si  sauizai 
Qe  puesca  conqerer  sai 
Lo  reg  on  miP  set  ni  fara 
Non  han  ni  freg  ni  esmai 

5  Sil  vostra  vertutz  cui  clam 
No  don  esfortz  qieu  desam 
Los  lois,  daqest  segle  gi- 

[qentz. 

V.  Qem  sa  ^  faillir  vas  vos  sol 

Per  quelz  corsmetrentremol 

E   sim   seruatz   mos   fortz 

[faigz 
Tro  lai  al  derrer  trebol 
5  Qabanz    nols    maiatz    far 

[fraigtz 
Segner  ges  bos  nom   ner 

[plaingz 
Si  merces  noi  sobreuentz. 
VI.  De  uos  qestorsetz  sidrac 
Darden  la  âame  mizac 
Ensems  et  ab  denago 
Et  daniel  dinz  del  lac 
5  E  jonas  del  peisso 
Els  très  reis  contra  hero 
E  susannentrels  fais  garenz. 
VIL  E  paguest  segnors  sobranz 


M.  :  pas  —  •  il.  :  le  V.  Véd.  de  U,  Zenker  p.  131  ss,  —  3  /.  :  sopses  — 
♦  /.  :  trist  —  U.  :  ren  —  6/.:  fon  —  '/.  :  nul  —  »  L:  fa 


^36 


LE  CHANSONNIER  DE  BBRNART  AMOROS 


Taotz  de  dos  peÎB  e  ônq 

[panz 
El  lazer  snseitest  nos 
Qera  ia  qatre  daanz 
5  De  vos  ac  pel  bel  respos 
Son  ser  san  centmions 
E  girest*  del  mond  mainti 

[tonnentz. 
VIII.  E  fezest  de  laiga  vin 
Al  cooit  architielin 
E  daatres  mirados*  moitz 
Donc  hom  carnals  non  sap 

[sin^ 
5  Ni  no  mentre  mer  estoitz 
E  parlet  per  vos  lo  yoltz 
De  lucha  treis^  reis  resplâ- 

[dentz. 

IX.  (p.  ni)  E  fezest  la  terrel 

[tron 
E  tôt  quant  es  ni  anc  fon 
DuD  sol  legnel  ^  sus  es  ^  cel 
E  confim  dest^  pharahon 
5  E  dest  als  filz  disrael 
Lag  esbrech  e  manne  mel 
Et  dampnest  ^er   serpent 

[&*serpenz. 

X.  Qils  vostres  fos  reqoies 
Qan  vos  plac  qe  moyses 
Esaazetz  lai  el  dezert 

Eil  solsetzlas  mans  e  les  pes 
5.  Qan  vs  angels  lac  espert 
Faintz  *  peire  e  len  fetz  cert 
Dels  vostres  destrics  des- 

[tra.« 
XL  Quius  qesiron  la  lor  plebs 


Tro  lai  on  es  mons  orebs 
Ancien  dintz  betheleem 
Qan  nos  es  fngi  iosephz 
5.  En  egypte  zo  crezem 
E  pneis  en  ierusalem 
Vengnest  entre  vostre  pa- 

[rentz. 

XII.  Â  nazaret  reis  ihesas 
Pairen  très  personas  vs 
E  silz  "  e  sainz  espmtz 
Adoren  trinitat.  sus 

5.  Qe  sain  era  vs  vs  '^  aditz 
E  dieus  e  de  qant  qes  guitz 
Nom  siatz  sius  platz  defoD- 

[denz. 

XIII.  Que  zai  obrar  e  bon  talan 
Mi  detz  clar  entre  tan 

Qe  quan  venretz  en  las  nius 
Jntgar  lo  seglel  iorn  gran 
5.  Douz  dieus  nom  siatz  esqius 
E  qieu  elars  reis  regum  plus 
Menan  ab  los  iauzenz. 

XIV.  E  signier  nom  oblides  ges 
Qe  ses  vos  no  sui  sostenenz 
E  segnemen  vostre  nom  cre- 

[zen 
In  nie.  p.  et  f.  et  S.  S.  Amen. 

ARGUMBNTO  DE  GAUCELMS  PAIDITZ* 

Gaucelms*'  faiditzsî  fo  dun  bore 
qe  a  nom  nserca  qe  es  el  uescat  *^ 
de  lemozi  e  fo  fils  dun  borges  e 
chantaua  peigz  ^^  dôme  del  mont 
e  fes  molt  bos  sos  e  bos  motz  '*  e 


*  1.:  gitest  ^  ^  c.  eni  miratlus,  Z.miraclas  —  '  /.  :  s. la  fin  —  *c.  en: 
ries  —  •  Z.  :  segnel  —  «  2.  :  el  —  '  ^  :  confundest  —  «  c.  en  :  I  —  •  c. 
en  :  Saintz  —  «û  /.  :  destreignenz  —  "  c.  e?t  :  filz  —  «*  c.  en:  e. 

*  (p.  131)  :  Questo  argumento  de  gaucelms  faiditz  e  scrito  a  Tultimo 
folio  de  questo  libro  (c. -à-dire  à  la  page  166  »).  J/  est  répété  dans  la  der- 
nière partie  du  ms.  au  f.  31  v^.  Ce  second  texte  offre  les  variantes  qui 
«utven/.'i^Gaucelins  —  «*ueschat  —  *•  peigtz  —  *6  ûiotz 


m  C0ANSONNIER  DE 

fes  86  ioglar  p^r  ocaizo  ^  qel  per- 
det  a  ioer  tôt  son  aueraiocde  datz. 
hom  fo  que  ac  molt  grâ  largesa  ^ 
e  fo  molt  glotz  de  maniar  e  de 
beare.  per  so  uenc  el  gros  oitra  ' 
mezura.moltfolongasaizo  desas- 
trucs  de  doz  e  donor  apendre  que 
plus  de  XX  anz  aaet  a  pe  per  lo 
mon  quel  ni  sas  *  chanzos  no  erâ 
grazidas^niuolgudase  si  tolcmu- 
lier  unasoudadeira.qel  menet  lonc 
temps  ab  se  per  cortz.  &  auia  nom 
Guielma  mOija.  ®  fort  fo  bella  e 
be  ensegnada.  '  e  si  uenc  si  grossa 
con  era  el.  &  ela  si  fo  dun  rie  *  qe 
a  nô  (p.  166>)  alest  de  la  marcha 
de  proenza  de  la  segnoria  den 
bernart*  danduza.  e  missers  lo 
marqes  bonifacis  de  monferrat 
mes  lo  en  auer  &  en  ronba  &  en 
tan  gran  pretz  lui  e  sas  chanzos. 

138 

GAUCELMS  FAIDITZ 
(=  B.  Gr.  167,  32) 

I.  {p.  1S2)  Lo  gens  cors  onratz 
Complitz  de  granz  beautatz 
De  leis  qe  plus  maienza 
E  qe  mais  mi  platz 
5  Ont  es  plazens  solatz 
E  franc  humilitatz 
E  do  usa  beneuolensa 
E  gais  prez  prezatz 
Me  fai  chantar  souen 
10  Ses  so  qill  nom  consent 
Qen  ian  sia  iauzire 


BERNART  AMOROS 


837 


Dauer  ioi  plazent 
Ni  de  lei  non  atent 
Mas  lenvei  el  dezire 
15  Qeu  ai  de  son  cor  gent 
Ses  autre  iauziment. 

II.  Eperaitallim  ieni}^ 
A  far  son  mandament 
E  sil  plaz  pot  maucire 
Qeu  nô  lun  "  defent 

5  Pero  be  mes  paruent 
Qe  fos  plus  auinent 
Car  li  soi  francz  suffrire 
E  lam  ônament 
Se  fos  sa  voluntatz 

10  Qeil  plages  mamistatz 
Si  cab  douza  paruensa 
Mi  fos  lois  donatz 
Anz  qe  fos  car  compratz 
Enaissi  ses  faillensa 

15  Forai  dos  el  gratz 
E  cent  dobles  doblatz. 

III.  Ë  pueissas  auziratz 
Gais  son  enamoratz 
De  fina  beneuolensa 
Seu  en  fotz  ben  pagatz 

5  Mas  pels  vilans  baratz 
Dels  falz  pregadors  fatz 
An  mes  en  mescresêza 
E  mal  encolpatz 
Gels  camant  finament 

10  Per  qeu  prec  douzament 
Mi  donz  cui  soi  seruire 
Damar  leialment 
Cautrui  galiament 
En  dampnatge  nom  vire 

15  Q  )  adreit  virament  " 
Er  tortz  si  mal  men  prent. 
I  Y.  Ë  dautre  failliment 


*  ochaizo  —  '  largheza  —   •  outra  —  *  fas  —  '  grazs( 
ma  morja  —  '  e  fort  enseignada  —  8  rie  bore  —  •  bernât. 
*®  l  :  rent  —  **  /.  :  lim  —  *  •  Z.  :  iujament 


a  Guilel. 


Clw) 


336 


LE  GHâN&ONNIEH  OE  BERNàHT  âMOROS 


Regniar  *  vilanament 
Domnas  per  qem  naire 
E  las  en  reprent 
5  Qe  Sun  a  drut  valent 
Âdreit  ni  conoissent 
Don  puesc  hom  gran   ben 

[dire 
Greu  er  longament 
Car  tengutz  ni  amatz 

10  Mas  uns  mal  enseignatz 
Ab  gran  desconoisensa 
Ër  segnier  clamatz 
Qen  sai  de  ries  maluatz 
Senes  tota  temensa 

15  En  aut  luec  poiatz 
Et  en  cambras  priuatz 

V.  (p.  133)  Tant  mes  prez  bais- 

[satz 
Qen  fora  plus  iratz 
Mais  per  lai  nai  temensa 
Em  tenc  a  frenatz 
5  A  cui  non  platz  foudaz 
Ni  faitz  demesuratz 
Ni  maluaitz  entendensa 
Ni  auols  perchatz 
Tant  es  valent  qem  nespau- 

[ent 

10  E  nai  menz  dardiment 
Per  leis  cant  ben  cossire 
Son  afortiment 
Si  merces  noi  descent 
Pro  ai  de  qe  sospire 

15  Qen  als  non  entent 
Ni  ailo  cor  nil  sen. 

VI .  Perqe  a  escient 
Coubre  mon  marriment 
E  sai  de  mon  dan  rire 
Amorosament 

5  E  sages  cor  iauzêt 
Saubral  celadament 


Jauzir  e  escOdire 
Qen  luec  per  vn  cent 
Valgues  mentir  assaz 

10  Mais  qe  fo  la  vertatz 
E  mais  genta  soffrensa 
Qe  ergoils  es  laissatz 
Qeu  nai  vist  so  sapchas 
Venir  maint  escazensa 

15  De  ries  dons  onratz 
Per  gent  sofrir  em  patz. 
Vil.  Donab finas beutatz 
Pros  e  de  gran  valensa 
Na  maria  gratz 
Vos  es  aitals  donatz 

5  Qe  segO  ma  crezensa 
Vos  vei  acordaiz 
Totz  los  pros  els  maluatz 


139 

GAUCELINS  FAIDITZ 
(=  B.  Gr.  167,  51) 

I.  Rason  e  mandament 
Ai  de  leis  on  mentent 
De  far  gala  chanson 
Donc  pois  qil  men  somon 

5  Ben  couen  derenant 
Qeu  malegren  chantant 
Meils  qe  far  non  solia 
Qeras  conosc  e  sai 
Pos  mos  enanz  li  plai 
10  Qen  francha  segnioria 
Ai  mes  mon  cor  e  me 
Pero  tan  g  es  [coue] 
Pois  cuns  segnier  fai  be 

[ ] 

15  Qel  se  meillur  e  cresca  sa 

[valor. 


^  c,  en:  Tegniar 


LE  CHANSONNIER  DE   BERNART  AMOROS 


339 


II.  Qui  don  de  segnior  pren 
Non  68  ges  auinen 

Qeil  fassa  mesprison 
Vas  lui  ses  uchaison 
5  Ni  non  es  benistan 
Se  pois  li  qer  son  dan 
Ni  se  qe  non  deuria 
Epos  domna  tant  fai 
Qa  son  amie  atrai 

10  E  lus  en  laltres  âa 

Non  sai.  c.  don  pos  lar  ve 
Qe  plus  laltre  malme 
Mas  tant  sai  eu  e  cre 
Qe  cel  a  mais  damor 

15  Qi  mielz  ama  e  rete  mais 

[donor. 

III.  (p.  134)  En  aisso  fan  no  sen 
Li  drut  mon  essien 

.    E  quin  iutga  razo 
E  samica  senes  pro 
5  Cades  on  mais  auran 
Damor  meils  preiaran 
Sai  e  lai  chascun  dia 
E  per  aqest  essai 
Baissamors  e  dechai 
10  E  leials  drudaria 
Car  per  vn  qes  capte 
Vas  amor  ni  vas  se 
Leialment  ni  rete 
Daqetz  aibs  lo  meillor 
15  En  vezem  mains  qe  nan  la 

[sordeior. 

IV.  Drutz  cama  foUament 
Deu  per  dreit  iuQament 
Auer  fais  guiardon 
Mas  a  uos  me  razon 

5  Bona  dôpna  daitan 
Qe  mi  non  a  engan 
Contra  vos  ni  bausia 
E  sim  donauaz  lai 
Segon  lo  cors  qeus  ai 


10  Ja  ren  plus  nô  qwerria 
Qe  daitan  bona  fe 
Con  a  ne  hom  amet  re 
Vos  am  e  nom  recre 
Per  mal  ni  per  dolor 

15  Tan  vos  ai  cor  de  leial  ama- 

[dor. 

V.  Domna  lo  cor  el  sen 
Els  oils  el  pessament 
Ai  en  vostra  preizon 
E  non  trob  garizon 
5  Mas  solamen  daitan 
Can  vos  estau  deran  * 
Adonc  me  par  qeu  si  a 
Lomel  mont  oui  meils  vai 
E  qât  mi  part  de  lai 

10  Ven  mi  ira  et  feunia 
Qem  lassai  corem  te 
Mas  pois  qant  mi  soue 
De  vos  cui  iois  mainte 
Oblitlira  maior 

15  E  torn  mon  cor  en  ici  et  en 

[douzor. 
VI.  Bel  dezir  molt  mi  plai 
Del  vostre  gent  cor  gai 
Car  poia  chascun  dia 
En  honor  e  em  be 
5  Qe  chascus  hom  qeu  ve 
Vos  enansaeus  mante 
Qe  de  gaug  e  damor 
Son  vostreil  dig  eil  fag  son 

[de  lauzor. 


140 

GAUCELINS    PAIDITZ 
(=  B.  Gr.  167,  45) 

I.  Per  ioi  del  temps  qes  fluritz 
Salegra  e  sesbaudeia 


*  cen:  denan* 


S40 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNâRT  AMOROS 


Lo  rossigniols  e  dOneîa 
Ab  sa  par  per  plaissatz  * 

5  Don  soi  tritz 
Qe  chantz  e  vontas  e  critz 
Aug  e  no  sai  cô  misteia 
Qe  denueia 

Mes  ab  pauc  lo  cors  partitz. 
IL  Si  tôt  ses  reuerditz  ' 

Lo  mons  res  cauja  ni  veia^ 
Non  cre  calegrar  mî  deia 
Tant  soi  pensius  e  marritz 

5  &  esbahitz 

Qe  iois  nom  vos  *  esser  guitz 
Ves  celui  a  cui  sopleia 
K  sautreia 

Mos  chanz  qi  no  es  aizitz. 
in.  (/}.  135)  Bona  dompna   al 
prim  qem  vitz 
Vos  fiz  certan  homenatge 
Donc    retengues    mon  cor 

[gatge 
Ab  un  esgart  qem  fezis 

5  Lom  saizis 

Si  câc  pois   nous  fo   qezitz 
Ni  en  lautrui  segnioratge 
Mon  viatge 

Non  chamjei  tant  mabeillitz. 
IV.  Vostrom  iuratz  e  pleuitz 
Soi  en  faitz  e  en  paruensa 
Et  en  vos  ai  mentendensa 
E  per  vos  soi  enrichitz 

5[ ] 

E  nés  mos  chantars  grazitz 

Mar  car  no  mou   de  pro- 

[ensa 

Ai  tememsa 

Qen  sia  ves   vos  faillitz. 

V.  Per  lei  seruir  fui  norritz 

Si  qa  totz  iorns  per  vsatge 

Lai  tien  los  oils  el  coratge 

Caillors  n5  fui  escharitz 


5  Ni  cobîtz 
Si  qel  ser  mos  esperitz 
Lai  vai  en  luec  de  messatge 
Son  estatge 
Vezer  can  soi  endormitz. 

VI,  Bona  uentura  e  deleitz  ^ 
Fora  si  magues  tenensa 
Lira  e  la  mal  volensa 
Qai  agut  don  soi  issitz 

5  Fos  trop  ditz 
No  fauc  qel  tortz  esfenitz 
Et  ai  fait  la  penedensa 
Senz  failljensa 
E  soi  del  pechat  garritz. 

VII.  Ignaura  pos  no  vos  vitz 
Ai  estât  en  gran  temensa 
Mas  er  magensa 

Per  nagout  de  soi  aizitz. 

141 

QAUCELMS  FAIDITZ 
(=  B.  Gr.  167,  40) 

I .  Moût  menuiet  ognan  lo  coin- 

[detz  mes 
Dont  lescurs  temps  sadousa 

[e  sesclarzis 
El  rossignols  qe  sol  esser 

[côrtes 
Mes  tan  vilans  ca  pauc  no 

[maucis 

5  Qen  aug  sos  chans  e  vei  qel 

[monz  verdeia 
E  tôt  qant  es  poignia  en  ioi 

[auer 

E  mos  fiz  cors  fen  amor  e 

[feuneia 

Car  no  son  lai  o  nai  mon 

[bon  esper 


«  /.  ;  plaissaditz—  «/.  :  reuerdezitz  —  8  c.  ew  :  vea—  *  /.:  ro\  —  *  l  :  deUtz. 


LE  CHANSONNIER  DE  BERNARD  AMOROS     341 


Car  senes  leis  nom  pot  nuls 

[iois  plazer. 
II.  Pero  de  sai  soplei  lai  on  il 

[es 
De  genoillos.  mas  iointas  e 

[aclis 
E  soi  aissi  del  fuec  damor 

[empres 
Gam  mi  soue  la  loi  ab  q3 

[conquis 

5  Qe  ben  sapchatz  {p. ISO)  qe 

[la  on  qeu  estra  ^ 

No  vir  aillors  ni  als  nO  puesc 

[voler 
Ni  ia  nô  crei  qS  autra  dona 

[veia 
Qem  destregna  iorn  ni  matin. 

[ni  ser 
Tan  qe  de  leis  puesca  mon 

[cor  mouer. 
III.  E  si  no  fos  mosegnel  coms 

[iaufres 
Qô  rete    sai  en  sO  certes 

[pais 
Ja  per  honor  ni  per  ben.  qê 

[vengues 

No  estera  qeu  ades  non  lavis 

5  Qen  autra  part  mes  iînz  cors 

[non  melria* 
El  coms  sa  ben.  com  nô  pot 

[re  saber 
De  finamorqi  amadorguer- 

[reia 
Ni  drutz  nô  deu  ad  amie 

[dan  tener 
Per  qeu  nô  penz  qel  mauzes 

[retener. 


IV.  Ja  nom  agrobs  tan  de  beu- 

[tat  agues 
Qe  can  esgart  los  oils  ab  lo 

[cler  vis 
El  bel  semblan  don  ma  si 

[entrepres 
Qe  ren  non  faz  mas  sospir  e 

[languis 
5  Tremble  trassail  e  mor  de 

[plan  eueia 
Car  nO  soi  la  seruir.  al  sieu 

[iazer 
On  son  gai  cors  iai  ab  ioi  e 

[com  pueia  ' 
Qe  de  talan  qe  non  laus  far 

[parer 
Mi  lais   mil  vetz  plasmatz 

[chaer. 

V.  Souen  recort  las  granz  ho- 

[nors  els  bes 
El  bel  plazer.  quen  sospiran 

[me  dis 
El  douz  conjat  que  rete  mO 

[cor  près 

Adoncs  magrobs  c\ue\x  de- 

[uant  lei  moris 

5  Catressi  muer  per  gran  amer 

[qe  greia 
No  sui  dôc  mortz  cane  lei  nô 

[puesc  vezer 
Si  siu^  camors  polg  ves  mi  e 

[desreia 
Si  qe  ses  lei  nô  pot  vida 

[valer 
Ni  res  mas  lei  nô  a  e  mi 

[poder. 


*  c.  en:  estia  —  '  c.  en  :  merceia  —  ^  /.  ;  e  dompneia  —  *  /-  :  sui. 


[à  suivre). 


E.  Stengbl. 


rv 

DOCUMENTS  SUR  LES  RELATIONS 

L'EMPEREUR  MAXIMILIEN  ET  DE  LUDOVIC  SFORZA 

BN  L^ANN^B  1499 


C'est  dans  ses  relations  avec  l'empereur  Maximilien  qu'il 
faut  chercher  la  clef  de  la  politique  de  Ludovic  Sforza,  en  1499. 
On  sait  quelle  importance  avaient  eue  pour  ce  prince  ses 
tentatives  de  rapprochement  étroit  avec  l'Empire,  en  1498, 
et  ses  démarches  pour  faire  admettre  par  les  princes  d'Allema- 
gne sa  conception  (quelque  peu  due  à  la  nécessité)  que  le  duché 
de  Milan  était  un  duché  impérial^  au  même  titre  que  ceux  de 
Saxe  ou  de  Bavière.  On  sait  comment,  finalement,  avait  échoué 
cette  politique  d'alliance,  malgré  la  sagesse  et  Tadresse  diplo- 
matiques d'Herasmo  Brasca.  Ces  tentatives  furent  reprises  en 
1499,  par  Maximilien,  après  que  Ludovic  Sforza  eût  semblé 
dispo-^é  à  se  rapprocher  de  la  France  ;  elles  furent  conduites 
avec  habileté  par  plusieurs  ambassadeurs  :  Agostino  Somenza, 
Marchesino  Stanga,  Galeaz  Visconti  ;  elles  parurent  aboutir 
en  mai-juin  1499  à  Tinclusion  de  Ludovic  Sforza  parmi  les 
princes  confédérés.  Mais  les  actes  ne  répondirent  pas  aux 
promesses,  et  Maximilien  tarda  trop,  lors  de  l'invasion  fran- 
çaise, à  envoyer  à  son  malheureux  parent  et  allié  les  secours 
nécessaires,  si  longuement  sollicités  et  achetés  si  cher.  Les 
documents  ici  réunis,  choisis  parmi  un  très  grand  nombre  de 
pièces  inédites,  éclairent  quelques  points  de  cet  épisode  d'his- 
toire diplomatique,  que  je  me  propose  de  raconter  quelque 
jour  ^ 

1  L'histoire  en  a  été  esquissée  par  le  savant  historien  milanais 
M.  Ëmilio  Motta,  dans  son  étude  sur  «  La  Battaglia  di  Galven  e  Mais 


MAXIMIUEN  ET  LUDOVIC  SFORZA  343 


L'impératrice  Bianca  Maria  à  LndoTic  Sforza  ^ 

(Pribourg-en-Brisgau,  16  février  1499) 

Ill.me  princeps,  patrue  et  pater  carissime,  Crediamo  che  la  Sig'** V'* 
prima  de  la  receputa  de  questa,  bavera  înteso  li  temerariî  movimenti 
de  Saizeri  contra  questo  paese  del  Ser™*'  Re.  Continuando  quelli 
ne  la  guerra  comenzata  con  tutte  le  lor  forze,  non  senza  periculo  del 
paese  nostro,  parene  conveniente  che  per  esser  la  Sig.V.  colligata  al 
Ser™^  Sig.Reetanuiyinstrectissîmo  grado  de  conjunctîone  e  benivo- 
lentia,  debia  esser  advertita  del  successo,  adciocbe  in  tal  caso  possi 
sapere  corne  governarsi  a  beneficio  et  bonore,  si  del  prefato  Ser°**  Re  e 
noBtro  si  de  la  Sig.V.,  el  bene  de  laquale  ha  pur  dependentia  in  parte 
da  SuaMaestà.  Cossi  advisamola  Sig.V.  che,  havuta  la  nova  de  la  pace 
fatta  per  li  nostri  con  quelli  de  la  Liga  Grisa,  mandate  avanti  le  robe 
de  la  corte  nostra,  eramo  per  partirse  el  lunedi  de  Camevale,  per 
inriarci  al  Sermo  Sig.  Re.  E  la  domenica  de  sera  avanti,  vene  nova  de 
la  scaramuza  facta  apresso  Rienfeld  per  le  nostre  zente  con  Suiceri,  ne 
laquale  furno  morti  de  Suizeri  circa  400  e  de  li  nostri  ne  mancborno 
Otto  :perilche  fà.  necessario  restare,  per  non  lassareel  paese  abandonato 
in  questa  absentia  del  ser^^  Sig.  Re. 

Doppo  successivamente  sono  venuti  li  advisi  :  prima,  che  otto  millia 
Saizeri  erano  venuti  verso  Valckirch,  e  daseveno  grande  danno  al 
paese  ;  secundariamente,  ebe  tutte  le  bandere  d'essi  erano  levate  ad 
uno  trato  con  grande  perforzo,  e  divise  in  tre  parte,  Tuna  de  lequale 
se  drizava  verso  Valckirch,  Taltra  verso  Constantia,  e  la  terza  verso  el 
Rheno  e  terre  nostre  di  Alsatia  poste  sopra  el  fiume,  cioè  Rienfeld, 
Seckingen  e  Walshut,  quale  sono  di  grande  importantia. 

[Il  y  a  ici  plusieurs  lignes  en  parties  détruites  par  l'humidité.  Tl  faut 
comprendre,  avant  la  suite  du  texte,  Le  roi  a  ordonné  que  :] 

andassemo  a  Breysach,  dove,  convocati  tutti  li  principali  del  paese, 
dettemo  ordine  de  quello  se  bavera  a  fare  in  defensione  desso.  Ne  di 


secondo  le  relazioni  degli  ambasciatori  Milanesi.  Pel  quarto  centenario 
délia  detta  battaglia  »  (en  collaboration  avec  E.  Tagliabue).  Roveredo 
(Cantone  Grigione)  G.  Bravo,  1899,  in-8°,  180  pp.).  —  Mais  l'auteur, 
comme  le  fait  pressentir  son  titre,  s'est  occupé  surtout  de  la  question 
militaire,  et  surtout  au  point  de  vue  Suisse. 
•  Milan ,  Archivio  di  Stato,  Carteggio  générale.  Original.  Fragments. 


344  MAXIMILIEN  ET  LUDOVIC  SFORZA 

contiouo  cessamo  a  far  tutte  le  altre  bone  provisione  se  pono  fare. 
Avanti  se  levassemo  de  la,  per  tutto  fu  sonato  a  le  arme,  e  li  paesani, 
con  tanto  bono  animo  se  leveno  per  andar  verso  questi  Suizeri,  soi 
naturali  inimici,  quanto  se  poria  dire. 

Questi  successi  havemo  voluto  sieno  manifesti  a  la  Sig.V.,  quai 
pregiamo  che,  examinandoli  con  la  solita  sua  sapientia,  se  voglia  de- 
monstrar  verso  el  p^  aev'^^  sig.  Re  quella  gli  è  sempre  stata,  con  usar 
in  questo  caso  verso  de  S.  M.  ta  quelli  termini  che  sieno  per  accrescere 
Taffetto  ed  amore  de  quella  ne  la  Sig.V.,  che  siamo  certe,  per  exhi- 
birli  in  tempo  necessario,  serano  acceptissimi  a  S.  Maes.  ta.  La  Sig.V. 
po  considerare  cbe  havendo  el  p^®  ser°^o  sig.  nostro  consorte  maie,  an- 
chora  essa  non  séria  senza  periculo.  Ë  pero  de  novo  la  exhortiamo  a 
far  quello  che  la  prudentia  gli  dictara  esser  perlo  meglio  de  S.  Maestà 
e  del  stato  de  la  Sig.  V. 


Pier  Bonomi  du  Trieste,  conseiller  de  MaaLimllieo« 

à  Ludovic  Sforza  ^ 

(Anvers,  26  février  1499)« 

[Il  y  a  deux  dépêches  de  Pierre  Bonomi,  dit  Pierre  de  Trieste,  à  Ludovic 
Sforza,  sous  la  date  du  26  février.  Dans  l'une,  il  signale  une  conversation 
qu'il  a  eue  sur  les  affaires  de  Milan  avec  Maximilien  et  son  collègue 
Mathieu  Lang,  et  annonce  le  prochain  retour  d'Agostino  Somenza  à 
Milan.  Il  dit  encore  :  ] 

La  natura  de  la  Cesarea  Maestà  è  taie  che,  con  rationabile  per- 
suasione,  sempre  si  po  mutare  in  meglio  ;  ne  dubitamo  esser  gia 
mutata  e  perseverare,  pur  che  conosca  con  effecti  che  li  se  habi  gratitu- 
dine,  e  che  V.  E.  ben  se  fidi  di  haver  in  lei  vero  refugio  e  ferme  prê- 
tée tore,  senza  ricercar  d'altro  canto  sua  salute. 

lo  mi  persuade  che  li  25  milia  ducati  saranno  pagati,  si  corne  mi 
promesse  V.  Ex.,  maxime  havendoli  io  per  altre  mie  dechiarito  quanto 
erano  necessari  a  ridrizar  tutto  a  bene,  e  cossi  ho  confortato  la  Ces. 


1  Milan,  Ad.  S.,  Potenze  Estere,  Germania.  Originaux.  Fragments. 
Suscription  :  c  lU""»  principi  D"o  Duci  Mediolani.  » 

2  Ludovic  Sforza  avait  été  averti,  dès  le  début  de  février,  de  l'envoi  de 
T*ier  Bonomi  c  in  Holanda  »,  par  le  frère  de  celui-ci  ;  le  trésorier  Bon- 
temps  avait  été  envoyé  en  même  temps  à  Anvers  c  per  una  certa  prati- 
cha  ».  Ces  pratiques  de  Bontemps  paraissaient  au  frère  de  Bonomi  être 
<  molto  fantastiche  »  (Lettre  de  ce  personnage,  Maestricht,  3  février 
1499.  Mito,  A.  D.  S.  Pot.  Est,  Germania,  1499.) 


MAXlMïLIEN  ET  LUDOVIC  SFORZA  345 

Maestàmandi  feilouno  de  li.Ë  sta  data  la  commUsione  ad  unofactore 
de  Messer  Baldassare  Bolf  che  lui  li  riceva,  non  havendo  possuto  al 
présente  venire  M.  Juane  Bontemps. 

M.  Matheo  Lang,  et  cossi  el  conte  de  Farstembergo,  el  quai  habiamo 
riduto  ad  optima  inclinatione  di  V.  Ex.,  hano  facta  tal  diligentia  in 
tute  le  cosse  di  quella,  che  meritano  digna  mercede,  e  perche  li  ho 
promesso  che  non  saranno  obliti  da  Y.  E.,  quella  se  degnera  in  parte 
riconosserli  secando  che  di  tuto  ho  parlato  con  Augastino. 

[Dans  l'autre  dépêche,  P.  de  Trieste  accuse  réception  au  duc  de  ses 
lettres,  récemment  reçues  par  Mathieu  Lang  et  par  lui-même.  Il  renou- 
velle l'assurance  que  tous  ses  secrets  et  ses  moindres  pensées  lui  sont 
communs  avec  Mathieu  Lang.  Il  continue  ainsi  :  ] 

De  la  risposta  facta  per  V.  Ex.  a  li  Borgognoni,  la  Cesarea  Maestà 
non  ha  pigliata  molestia  alcuna,  ma  ben  desidera,  si  corne  hogihascripto 
per  altre  mie,  che  li  XXVmilia  ducati  âe  satisfezano^etacionon  para  che 
vadano  a  Borgognoni,  ha  dato  ordine  che  uno  factore  di  M.  Baldassare 
Bolf,  &U0  thesoriero  de  li,  li  habia  a  ricevere,  si  corne  etiam  Augustino 
Somenzio  (8tc)  referira,  e  per  bene e  commodo  di  Y.  Ex.^miparneces- 
sario  che,  quanto  più  presto  sia  possibile,  siano  exborsati. 

Circa  el  mandare  de  sue  nuncio,  over  oratore,  a  li  electori  del  imperio 
a  la  dieta,iterum  ho  consultata  la  Ces.  Mtà,  laquai  persiste  ne  la  sua 
prima  opinione,  si  corne  io  ho  già  scripto,  e  per  M.  Herasmo  per  inante 
ha  significato  a  Y.  Ex.  Perô  non  mi  pare  gia  necessario  gli  si  debia 
mandare  oratore,  per  non  contravenire  a  S.  M.,  ma,  seconde  el  veder 
mio,  non  saria  fuora  di  proposito  Y.  E.  mandasse  de  li  Augustino,  el 
quale  saria  idoneo  a  fare  apresso  dicti  electori  sua  excusatione, 
seconde  el  conseglio  de  la  Ces.  Mtà,  laquai  noie  pigliare  tal  carico 
sopra  di  se  ;  e  cossi  epsa  Y.  Ex.  si  absolveria  di  tal  peso,  et  dimons- 
traria  non  esser  contumace  de  la  promessa,  laquai  fece,  di  mandarli 
uno.  Potria  ancora  esso  Augustino,  el  quale  per  sua  dexterita  assai  è 
piaciuto  a  la  Ces.  Mtà,  al  tempo  di  epsa  dieta  attendere  ad  altre  cosse 
di  Y.  E.,  se  fin  quel  tempo  non  fusse  richiesto  altro  oratore  da  quella: 
in  modo  che  la  spesa  sua  non  saria  inutile. 

De  lenove  de  Italia,  la  Ces.  Mtà  ha  recevuto  summo  apiacere,  maxime 
intendendo  che  le  cosse  di  Y  E.  e  Fiorentini  prosperano  ;  e  del  summo 
pontiôce  resta  in  bono  animo  di  exeguire  el  proposito  de  li  Reali  de 
Hispania  e  Re  de  Portugal,  ma  tuto  si  expedira  ne  la  dieta  a  Colonia, 
acio  si  faza  con  mazor  auctoritaeconsentimento  de'principi  del  imperio, 
i  quali  non  sono  a  cio  manco  inclinati  che  S.  M. 

Le  cosse  di  Geldre  vanno  ogni  zorno  meglio,  et  heri  sera  a  la  cola- 
tione  del  Re,  venero  lettere  che  erano  tali  «  che  per  le  gente  Régie  furno 
tagliati  a  peziepresi  mille  cinquecento  Geldresi,  quelli  erano  usiti  da 


346  MAXIMILIEN  ET  LUDOVIC  SFORZÂ 

la  terra  di  Neumega,  et  in  Homain  li  govematori,  quali  volevano,  per 
eomandamento  del  duca  di  Geldre,  far  uscire  gente  de  la  terra,  erano 
stati  gitati  ne  le  fosse,  e  chiuse  le  porte  ;  dondesihaveaoptima  speranza 
che  si  ridussesseno  a  la  Cesarea  Maestà.  :» 

Questi  stati  del  paese  insieme  con  lo  archiduca  sono  qui  congregati, 
sono  promptissimi  a  fare  tutto  quello  li  comanda  la  Cesarea  Mtà,  e 
cossi  lo  archidaca,  el  quai  con  tutto  el  conseglio  suo  si  dimostra 
obedientissîmO)  si  ne  le  cosse  di  Franza  corne  ne  le  altre,  sicome  a 
bocca  narrara  Augustino,  el  quale  ha  di  tuto  noticia. 

Ex  Antverpia,  die  26  februarii  1499. 

Petrus  db  Tbroesto,  Regius  Consiliarius. 


Bnea  Grlvelli  à  Ludovic  Sforaa  ^ 

(Lugano,  24  mars  1499) 

Illustrissimo  et  excellentissimo  signer  mio. 

In  questo  puncto  m'è  venuto  a  trovare  qua  Bernardino  More- 
xino,  e  me  ha  dicto  chomo  è  gionto  in  Cias  uno  Jorio  Chotits  da  Svit 
merchadante,e  pare  siaanchoraprocuratore,  quale  dissi  chomo  l'ambas- 
ciatore  francese  è  andato  da  la  Mtà  dil  Re  per  ritornarecon  certa  ris- 
posta,  e  che  ogi  a  Suit  se  fa  il  consiglio  générale,  quale  fara  di  sorte 
che  nulla  per  ora  se  concludera,  ma  che  ogniuno  reportara  a  caxa,  e 
che  la  Mta  dil  Re  obtigfnara  questo  suo  intente  ;  e  che  in  questo, 
quando  la  Hlx.  V.  voglia  dare  mente  aile  sue  parole,  operara  che  in 
el  tempo  de  l'absentia  de  questo  francexe,  seli  desfara  ogni  designo. 
E  pare  labia  dicto  a  Dno  Bernardino  chel  verra  a  Milano  da  quella, 
bisognando,  e  chel  fara  intendere  cessa  che  li  sara  grata. 

E  pare  dicha  che  questo  ambassatore  francexe  vadacon  chautella 
in  rechedere  colligatione  con  Svizeri,  con  dire  vol  solamente  al  biso- 
gno,  quando  achadesse  che  altri  volesseno  movere  guerra  a  la  Franza, 
e  che  questo  il  fa  sollo  per  condurli  fuora,  perche  quando  li  ha  fuora 
se  conduxeno  poi  in  ogni  loco.  Me  parso  scriver  queste  poche 
parole,  e  la  E.  V.  deliberato  avra  quanto  li  piace  dil  venire  di  questo 
Jorio,  quale  è  in  Cias,  da  quella.  Allaquale  de  continuo  me  racomando, 

Ex  Lugano,  24  martis  1499. 
Ill.me  ac  Ex.me  Dominationis  servitor, 
Eneas  Cribbllus. 

1  Milan,  A.  d.  S.,  Pot,  Est.^  Svizzera,  Original.  Suscription  :  J&x"'*  prin- 
dpi  Domino  nostro  obseï^'*  Domino  Duci  MecUolani, 


MÂXIMILIEN  ET  LUDOVIC  SFORZÂ  34  7 


liUmpératrice  Bianca-Maria  à  Ludovic  Sforaa  * 

(Brisach,  24  mars  1499) 

111. me  princeps,  patrue  et  pater  carissime,  Heri  recevessemo  più 

lettere  de  la  Signoria  vestra,  de*  4  del  présente,  in  resposta   de  le 

nostre  ad  essa  per  nui  scritte  questi  proximi  zorni,  si  in  dimonstrarli 

li  progressi  de  questa  guerra  e  recercarli  subsidio  in  essa,  como  in  farli 

intenderela  dispositione  del  ser.mo  Re,  nostro  obser"^  consorte,  verso 

de  quella  ;  circa  laqaal  cosa,  benche  habiamo  largamente  quelle  è 

allegato  per  Tuna  parte  e  Taltra,  nientedimancho,  perche  a  nui  non 

apartiene  far  judicio  tra  la  Maestà  sua  e  la  Sig.  V.  circa  cio,  diremo 

questo  solamente  che,  essendosi  govemata  la  Sig.  V.  nel  modo  che  ne 

scrive,  Ihavemo  sentito  volontera,  e  se  quella  ha  fatto  sapientemente, 

da  lei  medesima  lo  potra  judicare  che,mediante  tali  deportamenti,hora 

se  vede  restituta  ne  la  pristina  gratia,  amor  e  benivolentia,  de  Sua  M.tà  ; 

del  che  se  persuadiamo  che  ogni  zorno  la  Signoria  V.  ne  bavera  a  restar 

piu  contenta  di  haver  fatto  quelle  che  ha  fatto.  E  nui,  per  questa  rein- 

tegratione  de  amor  e  gratia,  se  vediamo  in  quella  mazor  alegreza 

che  saperiemo  esprimere  :  existimando  el  bene  de  la  Sig.  V.  nostro 

proprio.  Cossi,  perche  quella  habia  a  remaner  stabile  e  ferma,  non  li 

siamo  per  manchar  de  ogni  nostro  studio.  Ë  quantunche  siamo  advi- 

sati  che  le  cose  de  la  Sig.  V.  sieno   in  bono  termine,  como  de  sopra 

è  ditto,  e  meglio  quella  havera  noticia  da  M.  Petro,  quai  è  in  via  per 

venir  li,  nondimeno  a  magior  confirmatione  de  quelle  è  fatto,  havemo 

voluto  che  S.  M. ta  sia  da  nui  advertita  de  la  bona  dispositione,  affecte, 

e  volunta  de  V.  S.  verso  de  quella,  anchora  che  da  altri  in  nome  de  la 

Sig.  V.  ne  fusse  informata  Cossi  ad  S.  M. ta  havemo  scritto  el  tutto  con 

farli  le  promeâse  recercate  per  la  Sig.  V.,  agiongendoli  apresso  quelle 

n*è  parso  per  officie  nostro  da  esser  agionto  a  bénéficie  et  honore  de 

V.  Signoria.  Laquai  debe  haver  questo  per  ferme,  che  dove  sentiremo 

se  agiti  del  honore  e  commode  sue,  sempre  seremo  prompte  per  far 

quelle  convene  al  grade  de  la  conjunctione,  et  a  li  obligi  havemo  con 

V.  Signoria  ;  le  lettere  nostre  havemo  drizate|al  Lang,  con  recommandar- 

gele  ;  e  cossi  al  ser.mo  signer  nostro  consorte  in  specialità  havemo 

scritto  che  se  degni  tener  occulte  el  prestito  de  li  dinari  fatto  a  quelli 

de  Inspruch  per  bene  de  la  Sig.  Y. 

Li  luizeri  a  questhora  de  questo  canto  stano  quieti.  De  verso 
Inspruck  como  fazemo  non  havemo  veruna  noticia.  El  prefato  ser"!^» 

*  Milan,  A.  d.  S.,  Carteggio  Genet*ale,  Original. 


;{4  8  MAXIMILIEN  ET  LUDOVIC  &FORZA 

nostro  consorte  ne  ha  scritto  che  Taspettiamo  a  Friborgo,  eM.  Petro 
da  Magonza  ne  scrive  che  a  qaest*  hora  doveva  esser  in  camino , 
perilche  havemo  bona  speranza  di  presto  esser  con  sua  M. ta.  ^  Ex 
Prysach,  24  martu  1499. 

Per  nove  venute  in  quest*  hora,  se  iatende  che  Saizeri  se  sono 
mossi  et  intrati  ne  la  Silvanegra,  e  li  comenzeno  a  far  del  maie. 

Ge.  Gadius. 


L^Empereur  Mazimilien  et  Ludovic  Sforsa  * 

(Cologne,  29  mars  1499) 

Illustris  princeps  consanguinee  noster  charissime,  Cum  nuper  intel- 
lexerimas  ligam  inter  RegemFrancie  et  Venetos  firmatam  esse,  non 
dabitamus  quin  dilectio  tua  cum  non  mediocri  admiratione  fnerit, 
cum  maxime  aperte  cognoscere  satis  posset  ipsos  Venetos  ea  de 
causa  in  Italia  favores  habituros  esse  :  visum  igitur  et  nobis  fuit  ad 
te  bas  présentes  litteras  nostras  scribere,  illisque  tibi  significare  nos, 
ob  observantiam  qua  dilectio  tua  nos  summa  fide  et  benivolentia 
semper  in  Italia  et  alias  prosecuta  est,  confidentesque  et  imposte- 
rum  nobis  majorem  observantiam  prestituram,  cumque  precipue 
membrum  Sacri  Romani  Imperii  sit,  et  jure  salutem  suam,  sicuti  res 
nostras  proprias,  tutari  et  deffendere  ad  nos  spectat  ;  dilectionem  tuam 
tenore  presentium  certam  esse  volumus  nos  tantum  effecturos  ut 
spes  quam  in  nos  semper  habuisti  te  minime  decipiet,  et  si  cam 
aliquo  nobis  pacem  sive  treguas  facere  occurrerit,  decrevimus  te 
una  nobiscum  in  socîetate  habere,  et  si  opus  fuerit  deffensionem 
tuam  in  aliquem  suscipere  ;  statuimus  omnino  ipsam  protectionem 
tuam  taliter  suscipere  contra  quemcumque,  qui  contra  statum  et  hono- 
rem  tuum  novi  aliquid  temptare  decreverit,  ut  intelliges  nos  neque 
laboribus  neque  facultatibus  nostris  in  his  quse  honorem  et  dignita- 
tem  tuam  concernunt  parcere,  sed  ostendere  dilectionem  tuam  cor- 
dialiter  diligere,  et  cum  effectu  demonstrare  quod,id  omne  quod 
contra  eam  agetur,  id  totum  contra  nos  et  sacrum  Imperium  actum 
esse.  Datum  Colonie,  die  29  Martii  1499.Begni  nostri  Romani  quarto 
decimo. 

*  Modène,  Archivio  di  Stato^  Cancelleria  ducale,  Carteggio  diph- 
matico  estera.  Copie.  «  Exemplam.  Maximilianus,  diuina  favente  demen- 
tia  Romanorum  Rex  semper  augustus .  etc. ,  ad  ID«n"  Dominom 
Ducem  Mediolani,  etc.  » 


MAIIMILIEN  ET  LUDOVIC  SF0H2À  34 ^ 

6 

L^emperenr  Mazimiilea  à  Pierre  Bonomi 
secrétaire  impérie.1  à  Milan  ^ 

(Fribourg,  20  avril  1499) 

Vidimus  et  inteleximus  que  ill.  affinis  et  consanguineus  noster 
Dominus  Dux  Mediolani  de  pace  tractanda  cum  Francorum  rege 
et  Helvetiis  suaxit;  abi  etiam  operaiu  suam  impartiri  policetur.  Ages 
illi  nostro  nomine  gratias,  qui  ofâcium  boai  principis  et  amici  facit. 
Cupivimus  nos  semper  pacem,  neque  unquam,  nisi  lacessiti,  quem- 
quam  molestavimus,  cum  nostro  desiderii  [sic)  semper  fuerit,  non 
contra  fidem  nostram  sed  pro  fide  pugnare.  Sciunt  omnes  quam  inique 
nos  Helvetii  lacessiverint,  et  cum  Francorum  rege  nullum  bellum 
habemus  nisi  causa  sua,  quia  ipse  quae  nostra  et  illustris  filii  nostii 
sont  contra  equitatem  occupât.  Aquiesceremus  libenter  domini  Ducis 
monitis,  ubi  cum  honore  nostro  id  fieri  posset.  Et  si  for  tasse  no  rit 
ipse  médium  aliquod^  quod  et  nobis  et  sibi  commodum  ac  honorifi- 
cum  sit,  quicquid  aget  ipse  bono  animo  accipiemus.  Nos  tamen 
injuste  ab  Helvetiis  lacessiti,  ita  expedictionem  hancDeiMaximi  aus- 
picio  et  sacri  imperii  viribus  consequemur  ut  speremus  vel  honesta 
pace,  vel  acerrimo  bello  de  temerariis  hostibus  laudem  consequi  et 
victoriam.  Datum  Friburgii,  die  xx  aprilis  1499. 


L'impératrice  Bianca  Maria  à  Ludovic  Sforza  * 

(Fribourg,  22  avril  1499) 

Doppoi  la  gionta  del  Bev^°  Re  nostro  consorto  non  se  scordassemo 
la  Sig'**  V.,  ma  subito  che  heberao  la  commodita  di  parlarli  reposata- 
mente,gli  facessemo  veder  el  summario  mandato  incluse  ne  le  lettere 
de  quella  de  3  del  présente,  continente  lo  adviso  de  la  lega  del  Re 
de  Franza  con  Suiceii  con  altri  advisi,  e  pregassemo  molto  calda- 
mente  S.  M.  de  tntto  quelle  sapevemo  desiderava  la  Sig.  V.,  con  re- 
plicarli  moite  altre  parole,  quale  avanti  gli  bavevemo  scrittoa  bénéficie 

'  Modène.  Ibid.  Copie  :  Exemplum  literarum  Sereniasimi  Domini 
Komanorum  Régis  ad  Magnificum  Dominum  Petrum  Trigestum ,  Maies- 
tatis  sue  oratorem,  Mediolani  agentem,  etc. 

2  MUan.  A.  D.  S.  Carteggio  générale.  Original,  fragment. 


350  MâXIMILIËN  et  LUDOVIC  SF0H2À 

di  quella.  Trovassemo  S.  M.  tanto  ben  disposta  verso  la  Sig.  V. 
quanto  vedessemo  mai.  Fra  le  altre  cose,  ne  rispose  che  era  per 
haver  la  Sig.  V.  ad  una  medesima  fortuna  con  S.  M.,  ne  séria  per  far 
accordio  over  tregua,  ne  laquale  non  volesse  fasse  ben  compresa  V. 
Sig.  ria  et  havuto  particolar  rispetto  de  quella. 


8 

Franoesco  de  11  Monti,  ambassadeur  aapolitain 
en  Allemagne,  et  LudoTic  Sforsa  ' 

(Pribourg,  24  avril  1499) 

111. me  princeps  et  ex. me  Domine,  data  comendatione  plurima  et 
deditissima. 

In  lo  présente  di,  ho  receputo  ana  lettera  de  Y.  Ex.tia  de  viii  de  lo 
passato,  e  tardata  per  lo  messo  [per]  haverla  retornata  da  Colonia  ad 
hora  tarda.  Ho  exposto  a  la  Maestà  Cesarea  la  Ex.tia  V.  offerirli  le 
facultate,  el  stato  e  lapersona,  exhortandola  ad  declarare  quello  fosse 
sua volunta  sehavesse  da fare circa  la  liga, ec. . Nehebe  sua M.tà molto 
piacere,  et  respose  al  présente  se  ritrova  in  questi  tumulti  de  Suizari 
non  possere  fare  pensieri  in  altro  ne  deliberatione,  e  restare  molto 
satisfacia  V.  Ill.ma  Sig.ria  li  habia  scripto  havere  serrate  le victualie  ad 
Suizari,  e  che  mandava  Augustino  Somenza  bene  expedito.  Non  ho 
voluto  pretermectere  dare  questo  brève  aviso  ad  V.  Ill.ma  Sig.ria,  et  in 
lo  advenire  non  mancaro  fare  ogni  cosa  possibile  li  sii  grata  et  ad 
suo  servicio  e  stato. 

La  M.tà  Cesarea,  finiti  li  soprascripti  rasonamenti,  ô  partita  per  pro< 
vedere  de  reprimere  li  successi  de  Suizari,  incerto  de  quello  havera  da 
seguire,  e  me  ha  affermato  me  avisera  de  continente  de  la  delibera- 
tionefara.  Certo  se  trova  sua  M.tà  Cesarea  in  affani,  et  li  animi  de  populi 
vicini  ad  Suizari  molto  aviliti  per  alcune  victorie  prospère  consequte 
da  Suizari.  Spera  pero  sua  M.tà  Cesarea  con  invicto  animo  exuperare 
tucte  le  difficultate.  Et  in  lo  licenciare  fi  (sic)  da  sua  M.tà,  me  ordeno 
scrivesse  ad  Y.  Ex.tia  in  tali  bisogni  non  li  mancasse,  che  sua  Victo- 
ria tucta  redundariain  stato  e  dignita  de  Y.  Ill.ma  Sig.ria.  Certo  ogni 
demonstratione  quella  fara  verso  la  M.tà  Cesarea  la  obligara  molto. 

1  Milan,  A.  D.  S.,  Potenze  Estere,  Germania,  Original.  Suscription  :  Illmo 
principi  et  ex.mo  domino  D.  Ludovico  Maria  Sf.  Anglo  Sacri  Romani 
Imperii  principi,  duci  Mediolani  et  suo  domino  [e  ben]  efactori  collen- 
dissimo. 


MAXIMILIËN  ET  LUDOVIC  SF0ÏV2À  351 

À  la  Ëx.tia  V.ra  quanto  posso  e  de  continao  me  aricomando.  Ex 
Freiburga  die  zxiiij  aprilis  1499.  De  Y.  111.  ma  Signoria  deditissimus 
servitor  Franciscus  de  li  Munti. 


9 

L'empereur  Maxlmilien  &  Ludovic  Sforza  ^ 

(UeberUngen  28  avril  1499) 

Maximilianus  div.,  etc.  illustris.,  etc. 

Accepimus  hiis  diebus  plures  litteras  tuas,  que  nobis  grate  fue- 
runt.  Super  quas  responsum  honorabili  devoto  nobis  dilecto  Petro 
Bonomo,  oratori  nostro  apud  te  degenti,  scripsimus  :  ab  illo  igitur 
dilectio  tua  mentem  nos  tram  super  ea  omniaque  ad  nos  scribis  clari- 
us  intelliges.  Quapropter  te  hortamur  ut  ea  quse  ipse  Petrus  tibi  nostro 
nomine  referet  cordi  suscipias.  Faciès  enim  in  illo  nobis  rem  gratam 
et  tibi  proficuam. 

Datum  in  oppido  nostro  imperiali  Uberling  die  XXVIII  aprilis 
A.  D.  1499.  R.  N.  Rom.  XlV.mo. 

10 
L'ambassadeur  Agostino  Somensa  &  Ludovic  Sfonsa  * 

(du  29  avrU  au  8  mai  1499) 

(UeberUngen,  29  avril  1499) 

Illustrissimo  et  excellentissimo  signer  mio  unico, 

Per  altre  mie  date  a  Marran,  TE.  V.  bavera  inteso  come  alla 
gionta  del  cavallaro  con  la  commissione  andasse  avanti,  che  fu  a 
Brixino,  a  li  18  del  présente,  ad  bore  circa  22,  montai  la  matina 
seguente  a  cavallo  andando  verso  Isprucb.  Hora  l'aviso  cbe  ali  20 
gionse  ad  [sprucb  la  matina  dove  face  recapito  a  M.  Gualtero,  al 
quale,  fatto  intendere  la  causa  de  mia  venuta,  subito  mise  insieme 
qaelli  magnifici  regenti,  aliquali  presentay  le  lettere  e  proposte  quanto 
TE.  me  dette  in  commissione  et  instructione,  extendendomi  alquanto 
piu  ultra  cbe  non  baveva  in  commissione,  in  excusatione  de  quella 
per  le  victualie  et  alimenti  dati  a  Suiceri  e   Grisani,  per  essere  in 

*  Milan,  A.  d.  S.,  Potenze  E  stère.  Germania,  Original. 

*  Milan,  A.  d.  S.,  Potenze  Estere^  Germania.  Toutes  ces  lettres  sont 
originales. 


d5^  MAllLlMlUEN  ET  LUDOVIC  âF0R2A 

qaelli  paesi  grandissima  mnrmaratioBe,  et  anche  facendomene  essi 
BÎgnori  alqaanto  de  qoerela.  De  che,  inteso  la  natara  de  la  cosa,  e 
qnanto  poi  era  seguito,  ne  farno  ben  oontenti. 

Quanto  a  li  2.000  fiorini  ordinorno  che  li  ezbursasse  ad  uno 
sao  secretario  che  venirebe  al  mio  logiamento,  e  cossi  venuto  esso 
secretario,  li  exhortai  e  ne  hebe  la  confessione.  Âcceptorno  per  bona 
la  causa  de  la  mia  tardita  a  Brixino,  et  anche  el  modo  teneva  Y.  Ex. 
in  mandare  epsi  denari,  facendo  molti  ringraciamenti  et  offerte 
amplissime,  con  promesse  de  famé  optima  relatione  alla  Cesarea 
Maestà,  e  che  tenerebeno  taie  conto  de  qaesto  servitio  e  peneÛQiOj 
che  a  qaalche  tempo  se  sforzarebeno  renderli  el  contracambio',  raco- 
mandandosi  molto  a  l'Ex.tia  V.ra  et  in  specie  il  p^<^  M.  Gualtero, 
quale  demonstrô  esserlî  assai  affectionato. 

Facto  questo  effecto  ad  Ispruch,  me  ne  vene  de  longo  al  mio  camino, 
ma  prima  mandai  el  cavallaro  con  le  lettere  me  scrisse  la  S.  V. 
mandasse  alla  Cesarea  M.  ta  et  a  M.  Matheo  Lang,  quale  gionse  d'une 
zomo  e  mezo  avanti  me. 

'  Zobia  a  le  2  hore  pozo  mezo  zomo,  gratia  del  signer  Dio,  gionse  a 
salvamento  dalla  Ces.  M.  ta,  quale  riscontrai  apresso  Filiborgo  tre 
leghe  che  veneva  in  qua.  Quamprimum  me  visse  demonstrô  havere 
gran  piacere  del  mio  ritomo,  e  M.  Lang,  alla  presentia  de  S.  Mtà 
me  disse  che  de  meza  hora  avanti  haveva  a  lungo  parlato  de  mia 
venuta,  tenendo  per  indubitato  che  omnino  dovesse  giongere  quelle 
zomo  ;  dove  io,  fatta  la  débita  reverentia,  cossi  cavalcando  feci  la 
débita  racomandatione  de  V.  Ex.,  seconde  mhaveva  commisse. 
Sua  Maestà  subito  molto  alegramente  domandô  del  ben  stare  de  quella 
et  inteso  essere  in  bona  convaliscentîa,  disse  haverne  grande  contente, 
e  che  non  bisognava  extendersi  troppo  a  longo  in  essa  raccomendatiene 
perche  S.  M.  teneva  per  certe  che  l'E.  V.  l'amasse  de  bon  core  et 
anche  S.  M.  era  per  fare  ogni  effecto  per  farli  conoscere  che  lamava 
e  teneva  bon  conto  de  lei. 

'  Àpresso  notificai  a  S.  M.  del  pagamento  fatto  de  li  13  milia 
ducati  avanti  Pascha  et  la  causa  perche  non  era  pagato  el  reste, 
seconde  me  fu  date  per  instructione.  S.  M.  me  fece  replicare  due  fiate 
questa  partîta,  dicendo  al  fine  che  hora  se  ricordava  dove  era  proce- 
duto  questo  ;  imponendomi  dicesse  a  Langh  ge  le  ricordasse,  perche  de 
novo  scriveria  sopra  dicta  materia,  ma  dimonstrô  restare  ben  satis- 
facta  da  TEx.tia  V.ra. 

*  Une  copie  t  exemplum  litterarum  Aug»*  SomerUU  »  de  cette  lettre 
existe  à  Varchivio  de  Milan  ;  elle  commence  ici  et  comprend  tout  ce 
paragraphe. 

*  Ge  paragraphe  et  les  suivants  manquent  dans  la  copie. 


MAXIMILIBN  Et  LDDOVIC  SPOHZA  S5d 

Qli  sabgianse  qaello  che  TE.  Y.,  in  absentia  de  S.  M.,  per  deffen- 
sione  del  stato  soo,  havera  offerto  fare  a  quelli  soi  regenti  de  Ispruch, 
e  corne  io  per  prineipio  del  effeeto  gli  haveva  portato  doi  milHa  fio- 
rini  de  Reno.  facendoli  intendere  la  causa  perche  non  mandava  tutta 
la  samma  insieme  et  Tordine  se  haveva  a  tenere  del  resto.  Del  che 
S.  M. ta  nefece  molto  honorevole  ringratiamento  con  moite  amorevole 
parole,  restando  contenta  del  ordine  preso. 

Io  non  possete,  cossi  ordinatamente  corne  era  conveniente,  explicare 
qaanto  se  contene  ne  le  mie  instructione,  per  el  cavalcare  e  per  essere 
ogni  poco  spacio  la  Saa  M. ta  impedita  de  capitani,  soldati  et  altre 
gente  che  li  sopragiongeno  ;  e  poi  al  logiamento  era  più  impedito 
assai  che  fora,  ma  me  parse  più  expediente  per  brevita  di  tempo 
movere  e  narrare  de  quelle  parte  che  me  sono  parse  più  importante  e 
necessarie. 

Io  expose  a  la  predicta  Maesta  el  desiderio  che  haveva  TE.  Y.  de 
intrare  in  qnesta  inclita  liga  de  Saevia,  extendendomi  in  questa  expo- 
sitione,  secundo  quella  me  dete  per  instructione  ;  salvo  chel  me  parsi 
de  retenere  qnella  parte  dove  1*  E.  Y.  de  se  offere,  etiam  in  tempo  de 
pace,  de  contribuire  de  qualche  somma  de  dinari,  per  bon  respecte, 
come  intenderane  Faltre  mie  lettere.  Dove  la  p. ta  Maesta,  demonstrô 
haveme  grandissime  piacere  ;  stete  alqnantosenza  respondere  alcuna 
cosa,  poi  disse  faria  pensiere  sopracio,  e  me  responderia  el  suo 
parère  ;  ma  demonstrô  esserli  stato  molto  grato. 

Apresso  fece  intendere  a  S.  M.  la  liga  e  capitali  fatti  fra  el  Re  de 
Franza  •  Suiceri,  e  che  poteva  pensareche  questa  lega  era  fatta,  ultra 
el  disturbo  e  damno  de  S.Mta,  a  damno  e  diffactione  de  V.  Ex.  ^  Ma 
che  la  sperava  dovesse  deffendersi  e  vendicarsi  délie  présente  epassate 
injurie,  e  che  l'E.  Y.  per  la  sua  specialita  haveva  posto  ogni  spe- 
ranzae  riposoin  S.  M.,  sperando  che  la  Io  dovesse  aiutare  e  deffen- 
dere  dal  p*^  Re  de  Franza,  da  Suiceri  e  da  ogni  altro  li  volesse  nocire 
e  fare  damno,come  suo  bono  e  fidèle  servitore  e  membre  del  imperio  ;  e 
che  medesimamente  facendo   pace,  tregua  o   apunctuamento   con 
alcuno  dessi,  dovesse  includerlo  e  nominarlo  in  esse  come  principe 
del  p^  imperio  e  servitore  suo;  talmente  e  con  tali  capituli  chel  havesse 
a  stare  securo.La predicta  Maesta  me  disse  cheomninoIasera,quando 
fosse  al  logiamento,  li  monstrasse  dicti  capituli  et  avisi  de  Franza  e  Sui- 
ceri ;  poi  respose  che  la  saperia  benissimo  al  che  fine  el  Re  di  Franza 
faceva  queste  prattche  e  dissegni,  quali  erano  tutti  a  fine  per  venire 
al  suo  desiderio  de  diffare  l*Ex.  Y.  et  insignorirsi  de  quelle  stato, 

^  Copié  depuis  Apresso  fece  intendere  jusqu'à  diffèctione  di  K  E,  La 
copie  Fecon^mence  plus  loin  à  La  predicta  Maesta  me  disse  jusqu'à  per- 
sona  e  quanto  ha  al  mondo, 

23 


S5  4  MAXmiLIEN  ET  LUDOVIC  SP0R2A 

ma  che  la  stesse  de  bon  animo,  perche  la  non  li  mancharia  cou  la 
persona  tiitte  le  forze  sue  e  del  sacro  imperio  per  aiutarla  non 
mancho  quanto  al  stato  suo  proprîo  ;  certificandola  che  la  non  era 
per  fare  pace,  tregua  ne  apunctamento  senza  la  salveza  sua,  e 
che,  corne  la  poteva  sapere,  già  hâve  va  poseuto  havere  pace  con 
Franza,  con  la  restitutiou  de  le  terre  sue,  ma  non  Iha  volutaaccep- 
tare  ne  Tacceptara,  senza  la  salvatione  de  quella,  per  laquale  voleva 
mettere  la  persona  e  quanto  ha  al  mondo. 

Alla  predicta  Maesta  è  stata  molto  grata  la  provisione  fatta  per 
TE.  V.   che  Suiceri  non  habino  victualie  ne  siano  alimentât!  dal 
Dominio  suo,  ne  potria  havere  facto  cosa  più  grata  a  tutti  li  signori 
e  populo  di  questi  paesi,  perche  dicono  el  retenir  le  victualie  fara  la 
Signoria  V.  fara  una  grandissima  guerra,  ma  la  predicta  Maestà  m'ha 
dicto  apressocheper  cosa  alcuna  la  non  voglia  deviare  da  dicte  provi- 
sione,anzi  perseverare  e  far  fare  bona  guardia,  adcio  non  li  vadi  alcuna 
sorte  de   victualie   dal  suo  dominio.  Ë  similmente   M.  Langh  m'ha 
replicato  in  nome  de  la  predicta  Maestà  e  factomi  grandissima  instancia 
che  avisa  y.  E.  non  voglia  per  alcuna  cosa  mutarsi  de  questo  proposito, 
perche,  quando  la  Sua  Maestà  e  questi  signori  e  populi  intendessino 
altramente,  li   ne  seguira   grandissima  indignatione  che  saria  causa 
de  rompere  Taltri  dissegni  ^  Similmente  ho  significato  alla  predicta 
Maestà  quanto  la  E.  Y.  m*ha  scripto  delà  richestafa  el  Re  de  Franza 
a  Veneciani  de  li  cento  milia  ducati  Sua  Maestà  non  po  quasi  credere 
che  siano  stati  de  tanta  legereza   che  habino   facto   tal  promessa,  e 
se  pur  rhano  facta,  ô  in  openione  non  la  observarano  ;  e  che,  quanto 
alla  specialita  depsi,  ne  parlara  al  longo  cum  M.  Marchesino. 

s  De  scrivere  al  signor  duca  de  Savoia  lettere  de  quella  medesma 
sententia  escrittoper  S.M.tà  a  V.Ex.tia,  conlaadditionechenonaccepti 
in  suo  paese  darli  passe  ne  victualie  a  gente  franzese,  S.  M.tà  m'ha 
resposto  havere  ordinato  de  mandarli  ambasciatori  per  questo  e  per 
altre  occorentie.  M.  Langh  mha  dicto  esserli  deputato  M.  Petro  da 
Triest  e  M.  Ludovico  Bruno,  aliquali  le  instructione  sono  fatte  e  se 
mandarano  subito,  adcio  vadino  presto  a  dicta  legatione  ;  et  in  esse  ins- 
tructione [se  fatta  la  giunta  de  questo  altro  capitule]  chel  non  accepti 
gente  franzese  ne  gli  daghi  passe  ne  victualie,  ne  facia  alcuna  cosa  a 
damno  [de  Y.  E],  e  cossi  credo  se  mandara  in  brève  a  M.  Petro  dicta 

1  Ce  paragraphe  est  copié,  mais  après  non  la  observarano  il  y  a  une 
légère  variante.  La  copie  porte:  e  quando  pur  lo  facino  li  sara  reme- 
dio  al  tutto, 

•  La  copie  a  remplacé  ici  le  texte  de  la  lettre  par  un  résumé  qui  en 
donne  assez  fidèlement  le  sens,  avec  quelques  variantes  sans  impor- 
tance. 


MAXIMILIKN  ET  LUDOVIC  SF0R2A  3o5 

instructione  eM.  Ludovico  se  partira.  lo  nonmancharo  de  sollicitare 
l'effecto. 

^  Sîmilmente  al  signor  marchese  de  Monferrato  e  signor  Constantino 
s*è  Bcripto  per  dicte  victualie  avanti  che  venesse  ;  ma  ho  parlato  alla 
predicta  Maestà  per  farli  replicare,  cob  la  gionta  chel  non  accepti  ue 
dagbi  passe  ne  victualie  a  Franzesi  ne  fazi  alcuna  cosa  a  damno  de 
V.  Ë.  ;  e  cossi  solicitaro  a  farla  fare,  e  domane  spero  expedira  une 
de  l'altri  cavallari  sono  qua,  per  respondere  e  supplire  a  quelle  parte 
che  hora  non  posso  per  non  haver  possuto  expedirla  con  la  p. ta  M.tà 
per  brevita  de  tempo. 

La  predicta  M.tà  hahavuto  gran  contente  e  grandissimo  piacere  del 
bon  successo  de  le  cose  de  Pisa,  et  maxime  essendo  con  honore  de 
TE.  V. 

De  le  lettere  de  la  Cesarea  Maestà  me  commisse  Y.  E.  voler  havere, 
quando  se  dilongasse  la  pratica  de  la  lega  per  monstrare  a  li  magnifici 
oratori  e  soi  zentilhomeni,  M.  Langh  m*ha  dicto  haverglile  mandate 
in  quella  forma  che  quella  gli  ha  rechesto.  Pur  non  restaro  de  farle 
replicare  per  Taltra  cavalcata. 

Sabato  a  li  27  ad  hore  21,  gionse  qua  el  cavallaro  de  Y.  Ex.  con  le 
lettere  sue  de  20  ad  hore  5  de  nocte.  Dove  visto  et  inteso  el  tutto, 
subito  andai  a  M.  Langh,  alquale  dette  le  lettere  a  lui  directive,  ma 
fin  hora  non  ô  stato  possibile  parlare  alla  Cesarea  Maestà  per  li  gran- 
dissimi  impedimenti  ha  de  questa  guerra  per  esser  coadunato  qua  el 
duca  Alberto  de  Baviera,  capitano  générale  de  Timperio,  molti  sui 
capitanei,  gente  de  guerra,  e  quasi  tutti  li  agenti  per  li  participanti  de 
questa  inclita  liga  de  Suevia,  ma  ho  parlato  al  p.to  M.  Matheo,  quale 
dice  havere  refferto  alla  predicta  Maestà. 

Ej  quanto  alla  excusatione  fa  deli  25  milia  ducati  e  de  li  4.000  non 
pag^ati  a  Nicole  Gravier,  S.  Maestà  ne  resta  ben  contenta  e  satisfacta, 
attento  che  M.  Petro  gli  ha  scritto  essere  pagata  tutta  la  summa  a 
quello  factore  de  Yolf.  Per  una  altra  mia,  per  la  prima  cavalcata,  li 
signifîcaro  le  cause  perche  li  fu  scritta  quella  lettera  de  che  la  ...  ^ 
che  fu  per  deffecto  depso  factore. 

El  p.to  M.  Langh  me  dice  che,  avanti  el  zonzer  mio  qua,  era  stato 
scritto  al  signor  marchese  de  Monferrato  a  sùfficientia,  per  la  difierentia 
de  Exeria  et  Carizano  con  el  marchese  del  Finale,  et  essere  drizate  le 
lettere  in  mane  del  pto  M.  Petro.  Ma  io  me  sforzaro  farla  replicare  in 
bona  forma  e  commettere  a  questi  R.di  oratori  che  vano  in  Savoia 


1  Les  paragraphes  suivants  jusqu'à  Heri  matina  la  Cesarea  Maestà 
manquent  dans  la  copie. 
«  Un  mot  illisible. 


356  MAXIMIUEN  ET  LUOOVtC  SF0R2A 

che  nel  trtmnto  Tadino  dal  predicto  ngnore  marchase  e  signore  Con- 
stantino,  et  a  bocha  significano  la  Yolonta  de  la  predieta  Maestà  tanto 
viyameDte  qnanto  la  Bx.tia  Y.tra  deadera. 

^  Heri  matina  la  Cesarea  Maestà,  însiemecoldaca  de  Bavera,  capi- 
tano  générale  del  imperio,  e  eum  gran  namero  de  sîgnori  e  populo, 
andonio  alla  Ecclesia  Mazore,  qna  dove  fft  cantata  la  measa  aolenne  ; 
apresso  laqaale  cam  grandissima  eerimonia  fo  spiegato  e  drizato  lo 
stendardo  impériale  de  l'aquila  ;  col  qaaleritomomo  acasacosi  spiegato 
aTanti  :  cosache  ad  ogniano  fece  commoYere  et  accadere  li  ammi,  per 
essere  questo  spîegare  e  drixare  de  stendardo  de  tanta  grande  impor- 
tantîa,  che  ogninno  sia  sottoposto  a  llmperio,  senza  alcnna  excnsatîone, 
debiaper  la  sua  portione  andare  o  mandare  alla  guerra  o  segnîre  dicto 
stendardo,  fosse  contra  el  padre,  figliolo  o  fratello  ;  como  credo  la 
Ex.tia  V.ra  ne  debia  essere  meglio  infonnata  che  me,  avisandola  che 
hora  é  la  prima  fia  ta  che  la  Cesarea  Maestà  [lliab]ia  spiegato. 

La  venu  ta  delà  predieta  Maestà  de  qaae  lo  apiegare  de  questo  sten- 
dardo ha  tanto  acceso  el  core  de  tati  qaestî  sîgnori  epopnli  che  ogniano 
è  inclinato  andare  a  qaesta  gaerra,  e  li  pare  Tera  gloria  andare  a 
mettere  la  vita  per  diffesa  desao.  Ne  credo  che  la  predieta  Maestà 
mai  per  alcano  tempo  fosse  tanto  teneramente  amata  e  havuta  in 
grandissima  riverentia  da  tutti  questi  signori  e  popali,piccolie  grandi, 
de  qua,  quanto  e  hora,  e  sel  piacera  al  nostro  Signore  Dioe  sua  Gloriosa 
Matrede  donare  alla  Sua  Maestà  rictoria  in  qaesta  impreaacomospero, 
TEx.tia  V.ra  vedera  tanta  exaltatione  in  essa  dal  canto  de  qua  che 
sara  obedito  e  reverito  como  Dio  in  terra.  E  spero  chel  fumo  de  qaesta 
exaltatione  passara  anche  per  de  la  ultra  li  montî,  ad  perpétua  gloria 
e  contento  de  FEx.  Y.,  de  li  ill.mi  signori  soi  figlioli,  et  inclito  stàto 
suo,  perche,  per  quanto  io  conosco,  credo  S. M.  non  havere  persona  al 
mondo,  excludendo  lo  ill.mo  signore  archiduca  chel  habii  più  a  core 
ne  ami  più  cordialmente  quanto  fa  TEx.tia  V.ra,  como  spero  vedere 
cum  yeri  e  boni  effecti. 

El  processo  di  questa  guerra  si  è  stato  fin  qui  fredo  e  lento,  perche 
ogniuno  ha  atteso  mandare  la  sua  portione  de  gente  aile  confine  qua, 
aspectando  la  venuta  de  la  predieta  Maestà,  et  coside  giorno  in  giorno 
arivano  le  gente,  alogiando  per  questi  castelli  et  terre  qua  vicine  ;  che 
fin  hora  non  se  puo  vedere  el  numéro,  ma  dove  io  sono  passato,  per 
qua  lontano  40  miglia  italiani,  è  tuto  pieno  de  gentedarme  e  fantarie, 
tanto  ben  in  ordine  che  è  una  bella  cosa  a  vederli.  E  la  Sua  Maestà 
me  ha  dicto  che  la  mette  hora  in  campo  qua  circa  30  mîlia  persone  da 


<  Tout  ce  qui  suit  est  dans  la  copie  jusqu'à  la  phrase  che  si  puo  andare 
fino  Zurich. 


MAXIMILIEN  ET  LUDOVIC  SFORZA  357 

fati  ben  in  ordine,  ultra  che  gli  sono  dui  altri  campi,  cioe  nno  verso 
Ferreto,  e  Taltro  verso  Valle  Agnelina.  Se  spera  che  fra  tre  o  quattro 
giorni  le  gente  se  aviarano  verso  li  inimici. 

Gli  erano  alcuni  signori  e  terre  franche  che  non  volevano  condes- 
cendere  a  questa  guerra  per  alcune  loro  coUigatione  o  specialita,  quali 
erano  el  signor  conte  Palatine,  le  terre  de  Basilea  et  Argentina  cum 
alcuni  altri,  ma  hora,  al  drizare  de  questo  stendardo,  ogniuno  ha  con- 
sentito  e  manda  la  portione  sua  alla  guerra. 

Gredo  sel  Re  di  Franza  ha  facto  promesse  assai  a  Suiceri  per  le- 
varli  da  PEx.tia  V.  ,conanimodefare  tractare  la  pace  de  queste  guerre, 
el  pensero  li  venera  falito,  perche  de  qua  hora  non  gli  è  uno  pensero 
al  monde  ansi  chi  ne  parlasse  faria  grandissima  injuria  ;  ma  ogniuno  è 
inclinato  seguire  Timpresa  alla  galiarda,  ne  credo  fosse  longo  tempo 
fù  la  più  volunterosa  et  inanimata  guerra  de  questa,  ne  se  puo  sperare 
altro  che  felice  Victoria  de  la  Maestà  Cesarea. 

Suiceri,  per  qoanto  se  puo  intendere,  sono  più  grossi  de  qua  che 
in  altra  parte,  perche  temeno  più  da  questo  canto  per  essere  el  suo 
paese  piano  talmente  ^  che  si  puo  andare  fino  a  Zurich  senza  troppo 
impedimento  B  hano  in  questo  suo  campo  de  qua  circa  8,000  persone 
da  fanti,  ma  non  hano  cavalli,  e  la  Cesarea  Maestà  li  havera  circa 
30,000  persone  da  fanti,  homini  d*arme  e  halistari  assai  ben  a  cavallo, 
schopeteri  e  fanti  ben  in  ordine,  e  tuta  bona  gente  ;  e  li  cavalli,  ba- 
listeri»  schopeteri,  sono  quelli  che  fano  stare  Suyceri  al  signe. 

Heriy  dopo  el  disnare,  vene  a  me  uno  canzelere  de  la  Maestà  del 
Re  de  Napoli  e  monstromi  una  instructione  de  TEx.  Y.  lo  procurai 
subito  de  farli  havere  audientia,  ma  non  fu  possibile  heri  per  li  longi 
consilii  e  grandissima  occupatione  de  la  Maestà,  ma  è  data  speranza 
de  farlo  expedire  in  questa  matina,  et  io  non  li  mancharo  in  cosa  al- 
cuna. 

Se  io  non  respondo  particularmente  a  V.E.  a  tutte  le  commissione, 
instructione  e  lettere  me  ha  date  e  scripte,  pregola  a  perdonarmi  et 
havermi  per  excusato,  non  perche  sia  deffecto  ne  imo  negligentia,  ma 
la  Ces.  Maestà  è  tanto  occupa  ta  in  questi  processi  de  guerra  che  non 
ha  tempo  da  manzare,  e  con  grandissima  difflculta  li  posso  parlare, 
non  che  la  S.  M.  non  sia  ben  disposta,  ma  per  essere  troppo  occupata. 
Pur  me  sforzaro  et  usaro  ogni  dilligentia  per  supplire  al  tutto. 

De  novo  non  ce  altro  per  hora.  Alla  E.  V.  humilmente  me  raco- 
mando,  e  simelmente  pregola  habi  racomandato  Paulo    mio  f râtelle. 

Ex  Uberlingh,  29  aprilis  1499. 
Augustinus  Somentius  ^* 

i  La  copie  s'arrête  à  ce  mot,  à  la  fin  de  la  quatrième  page.  Il  est  pro 
bable  que  la  fin  de  la  copie  est  perdue. 
'  Cette   lettre  fut  jugée  si  importante  par  la  chancellerie  milanaise, 


358  MÂXIHILIEN  ET  LUDOVIC  SFORZA 

(Ueberlîngh,  20  aTril). 

111™»  et  ex"«  signor  mio  nnico, 

Doppo  Bcritte  Talti'e  mie,  havendo  io  fatte  hayere  andientia  al  can- 
zelere  de  la  M. ta  del  Re  de  Napoli  dopo  la  messa,  me  parse  havere  el 
tempo  de  parlare,  et  cussi  me  acnstai  alla  M. ta  Oesarea,  facendoli 
intendere  distinctamente  quanto  TE.  V.  me  sciive  per  Tultime  sue 
de  20  del  présente. 

Primo  fece  Texcusatione  de  V.  E.  per  la  summa  de  li  25  milia  dacati, 
narrandoli  come  è  passato  el  tato,  e  quanto  è  seguito  per  la  venuta  de 
Nicolo  Granier,  e  conclusive  quanto  ha  fatto  per  el  compito  paga- 
mento  dessi,  secondo  chessa  me  scrive.  De  che  S.  M.tÀ  ô  restata  optime 
contenta  e  ben  satisfacta,  ne  circa  questa  particnlarita  me  extendero 
più  volte  per  brevita  de  tempo,  ma  per  Taltre  prime  avisaro  chi  è  stato 
causa  de  far  scrivere  le  lettere  de  le  quale  quella  se  dole. 

De  la  riposta  data  per  TEx.tia  V.  al  messo  de  Mgr  de  Vergi,  SuaM.tà 
n'è  restata  contenta.  Io  la  pregai  a  far  scrivere  al  predicto  Monsignore 
come  y.  E.  baveva  satisfacto  a  S.  M.,  adcio  non  li  desse  più  fastidio 
per  questo.  Respose  esser  contenta  imponendomi  a  farglilo  recordare 
de  M.  Langh,  perche  li  commettera  la  lettera. 

Del  pagamento  de  li  500  ducati  ha  fatto  a  quelli  de  Svitz  et 
Underval,  per  mezo  de  lettere  de  quelli  de  Berna,  similiter  S.  M. ta  è 
restata  contenta  che  la  S.  V.  habi  usato  quello  termine  per  compia- 
cere  a  Bernesi  ;  parendoli  chel  sii  ben  facto  ad  intertenirli  per  amici  per 
molti  rispecti,  et  credo  quando  le  cosse  de  qua  vadino  nvanti  a  damno 
de  Suyceri  che  S.  Mtà  bavera  gran  respecto  a  Bernesi,  per  amor  sao. 
A  quello  de  la  Liga  Grisa,  che  TË.  V.  non  habi  voluto  concedere  la 
licentia  de  condure  sale  e  victualie  S.  M.  dice  piacerli  molto,  et  anche 
mha  commisse  scriva  caldamente  alla  E.  V.  che  la  facia  usare  ogni 
dilligentia  adcio  che  dal  damno  suo  non  habino  victualie  ne  subsidio 
alcuno,  et  che  quella  non  habi  respecto  ne  timoré  dessi  Grisani  perché 
questa  guerra  non  ô  per  mancare  che  siano  al  tutto  abassati  e  des- 
tructi  o  che  facino  acordo  ;  che  seguendo  la  destructione  non  li  biso- 


qu'elle  en  fit  expédier  des  copies  à  ses  agents  à  Tétranger.  Cest  ce  qu'in- 
dique la  note  :  Fiant  exempla  Ro  +,Flo  +,Monferr  -|-,  Genua  +,  Hisp. 
+,  Sen  +,  M"  Orf  +,  Thr.io  Sab.  +,  Luce  +.  Les  croix  qui  accom- 
pagnent ces  noms,  disposés  en  colonne  dans  l'original,  indiquent  que 
ces  copies  ont  été  faites  et  envoyées.  Ces  noms  s'expliquent  d'eux-mêmes. 
Orf.  est  Orfeo  Orfei,  agent  ducal  à  Forli  ;  «  Thr.io  >  le  trésorier  de 
Savoie,  Sébastien  Ferrier,  qui  fut  un  des  fauteurs  de  l'alliance  milanaise 
à  la  Cour  de  Turin,  avant  de  devenir  trésorier  général  des  finances  de 
Louis  XIL 


MAXIMILIEN  ET   LUDOVIC  SFORZA  359 

gna  fare  altro  pensiere  de  loro,  seguendo  anche  acordo  che  l'Ex.  V. 
sia  secura  chel  non  se  fara  senza  secureza  de  le  cose  sue,  taie  che  la 
sera  preservata  corne  Taltri  de  qaesta  lega. 

De  li  capitanei  de  la  p. ta  Mtà  Cesarea,  che  hano  mandato  M.  Gabriele 
da  l'E.  V.,  dice  che  Phano  fatto  per  beneficio  de  l'impresa,  non  inten- 
dendo  più  ultra,  ma  che  essendo  mo  certificati  de  li  boni  effecti  e  pro- 
visione  fatte  per  l'E.  V.,  non  li  sera  più  ditto  altro,  e  che  S.  M.tà,benche 
quella  habia  dato  victualie  perel  passato  apredicti  Suiceri,perquesto 
non  ha  preso  umbra  alcuna,  perche  sa  bene  quelle  ad  che  era  obligata, 
e  quelle  U  bisognava  fare  per  la  vicinità  dessi  e  per  la  loro  mala 
natura. 

De  la  parte  sciivePE.  V.,  chel  signer  Constantino  facia  veniregente 
de  Franzaper  fare  guerra  al  marchese  del  Finale  per  quelle  due  terre  e 
de  la  resposta  ha  dato  lapta  M. ta,  dice  essere  assai  informata  del  animo 
desso  s,  Constantino  verso  Franza,  et  haverli  scritto  ad  plénum,  e 
diizato  la  lettere  a  M.  Petro,  corne  quella  intendera  da  esso,  ma 
havendoli  io  mossoel  partito  de  fare  che  li  R.di  oratori  vanoin  Savoya, 
vadino  anchora  in  Monferrato  per  questo,  e  per  admonere  esso 
signore  Constantino  che  non  présuma  dare  logiamento,  passe  ne  alcune 
subsidio  a  gente  Franzese  de  alcuna  sorte,  S.  M.  è  restata  contenta 
de  farlo  e  commisse  sia  agiente  questa  altra  commissione  ne  la 
instnictione  dessi  oratori,  quale  se  mandera  per  la  prima  cavalcata  che 
hora  non  se  possuta  expedire  per  le  infinité  facende  hano  questi  canze- 
leri  e  secretarii. 

*  Apresso  havendo  io  visto  quanto  la  E.  V.  ha  dato  per  instruc- 
tione  al  canzelaro  de  la  Maestà  del  Re  de  Napoli,  e  maxime  circa 
la  praticade  Venetiani,  io  disse  alla  pta  Maestà  che,  attente  essi,  senza 
alcuno  respecto,  havevano  facto  questa  confederatione  cum  Franza, 
tutto  in  prejudicio  de  S.  Maestà  e  sacro  imperio,  e  presumito  volersi 
insignorire  de  parte  del  stato  de  V.  S.ria  che  era  pur  membre  del  sacro 
Imperio,  a  me  pareva  che  la  S.  Mtà,  a  nome  del  predicto,  per  oratore  o 
per  altro,  mandasse  a  fare  intendere  a  predicti  Venitiani  che  haveva 
inteso  de  queste  sue  pratiche  facte  in  Franza,  e  che  sel  [)oteva  cogno- 
scere  ne  trovare  che  essi  facessino  alcuno  eâecto  ne  cosa  alcuna  fosse 
in  prejudicio  a  V.  Ex.,  principe  e  membre  de  rimperio,in  favore  del  Re 
de  Franza,  chel  p*<»  imperio  cum  le  forze  sue  li  faria  recognoscere  de 
soi  errori  e  protestarli  de  la  guerra.  La  sua  Maestà  me  rispose,  dicendo 
che  non  solum  sono  stati  presumptuosi  de  fare  questo  contra  V.  E., 
ma  che  ancora  S.  M.  ha  trovato  che  hano  dato  dinari  al  duca  Zorzo, 
che  fo  figliolo  del   Re   Mathia,  per  farlo  movere  guerra  contra  S. 

J  Ce  qui  suit  est  chiflré  avec  déchiffrement  de  Tépoque. 


360  MAYIHILIKN  ET  LUDOVIC  «PORZA 

Maestà,  et  cha  dete  prineipio  de  euecâtaie  aleane  parte  e  movere 
alcane  differentie  per  deU.  Similmente  ha  inteso  cbe  hano  dato 
sueeono  de  dînari  a  Gmani,  e  che  sopra  queato  li  faria  penaiero  e 
poi  me  parlaiîa,  e  diria  qaello  era  a  îaie.  lo  non  mancaro  de  aollici- 
tare  de  fiarli  fare  qaalehe  <^porttina  proviaione  ;  ael  piace  a  Dio  cbe 
la  predicta  Maestà  habii  vietoria  contra  qœati  Saiceri,  spero  che 
S.  M.  fiara  taie  provisione  elie  la  E.  V.  sara  aaaiearata  da  ogni 
canto. 

1  El  canzelere  de  la  Maestà  del  Re  di  Napoli,  per  commiaaione  de  la 
Cesarea  Maeatà,  parte  subito  e  va  a  Filiborgo,  dovese  trova  M.  Fran- 
cisco de  Montibos  e  Taltri  oratori,  e  mha  solamente  detto  havere  havoto 
bona  resposta  dalla  predicta  Maestà  circa  el  particnlare  del  aignor  Re 
suo,  et  anche  havere  bene  exeguito  quanto  queUa  gli  ha  dato  per 
instmetione,  alla  qaale  mha  pregato  lo  raccommandi. 

'  De  la  commissione  me  dete  TEx.tia  V.  de  fare  opéra  presso  la  pre- 
dicta Maestà  che  la  facesse  intrare  in  questa  inclita  liga  de  Saevia,  Taviso 
chel  ô  ben  piaciato  a  S.  M.«  e  me  ha  facto  fare  una  informatione,  non  a 
nome  de  V.  E.  ne  de  alcana  altra  persona,  ma  como  amico  secreto 
de  essa  liga,  narrando  in  epsa  quanto  proficuo  e  ben  facto  saria  alla 
predicta  llgaad  incladerli  la  E.  V.  Qaale  informatione  ho  data  a  S.  M., 
perche  vole  vedere  de  fare  opéra  che  i'E.  V.  sia  ricercata  per  la 
Liga  per  mazore  sao  honore  e  secureza,  e  cossi  ancora  hogi  mha 
facto  dire  per  M.  Langh  che  lassi  fare  a  S.  M.  qaesta  pratica»  cbe 
spera  condurla  talmente  che  TE.  Y.  sara  ben  contenta. 

'  Hozi,  circa  le  1 1  hore  è  partito  qaello  cavalaro  va  incontra  a 
M.  Marchesino,  e  la  predicta  Maestà, heri  sera,  andando  a  lecto,  muté 
el  pensiere  de  farlo  venire  qaa,  ma  lo  fa  andare  ad  Ulma,  dovô  stara 
melio  assai  et  bavera  melior  camino,  e  cossi  se  gliè  scripto  demorera 
ad  Ulma  finche  la  predicta  Maestà  li  scrivera  dove  dovera  venire  aley, 
che  sara  in  bono  loco  e  securo  et  anche  sabito  lo  expedira  perche  Sua 
Maestà  è  informata  che  TEx.  Y.  ne  ha  grandissime  bisogno. 

De  novo  altro  non  accade,  salvo  che  tntta  hora  gionge  gente  qua,  et 
in  li  loci  circonstanti,  e  se  spera  che  fra  tri  zomi  se  andara  verso  li 
nimici)  quali,  per  quanto  se  intende,  sono  posti  alla  campagna  per 
aspetare  de  fare  bataglia  per  esser  quasi  come  desperati. 

La  E.  Y.  non  poteria  fare  cosa  più  grata  alla  Gesarea  Maestà  ne 
aquistare  majore  credito  e  benivolentia  da  tutti  questi  signori  e  popali, 
come  dare  qualche  avviso  de  le  occorrentie  de  Franza,  de  Suiceri  e  de 


1  Paragraphe  non  chiffré. 

*  Paragraphe  en  chifire. 

*  Paragraphe  non  chifiré. 


MAXIMILIEN  ET  LUDOVIC  SFOBZ\  361 

altre  particularità  che  tendano  e  tochano  a  questa  guerra  ;  e  quelli 
capituli,  reportiy  e  avisi  che  ho  portato,  la  predicta  Maestà  me  li  ha 
facti  mettere  in  latino,  poi  li  ha  fatti  mettere  in  alemano,  e  li  ha  fatti 
vedere  a  tutti  questi  Si^nori  e  participant!  de  la  lega;  e  anche  credo 
ne  habia  mandate  copie  a  li  Stguori  ellectori,  remettendomi  pero  al 
parère  de  TE.  Y.  .Alla  qaale  humelmente  sempre  me  racomando. 

Ex  Uberlingh,  ultima  aprilis  1499. 
Ill.me  et  Ez.me  Dominationis  Vestre  servulus 

Aug.  SOMBNTIUS. 

(Ueberling,  1"  mai.) 

lU.mo  et  ex.mo  signor  mio  unico, 

Se  io  non  ho  possuto  cossi  ordinariamente  respondere  a  quanto 
TEx.  V.  me  commisse,  dette  per  instructione  e  poi  scritto,  como  era 
débite  mio  e  desiderio  suo,prege]aadhavermi  per  excusato,  facendoli 
intendere  non  essere  mio  deffecto,  ma  procedere  per  essere  la  Gesarea 
Maestà  tante  occupata  e  continue  circondata  da  questi  signori  e  gente 
de  guerra,  che  me  bisogna,  con  gran  fatica,  a  pezo  a  pezo  exponerli 
quanto  ho  in  commissione  e  se  non  fosse  la  grandissima  dilligentia  usa 
M.  Mattee  Langh  in  tutte  le  occorrentie  e  spécial ita  di  V  E.,  io  non 
haveria  possuto  respondere  alla  terciaparte,  corne  son  cerCo  che  quella 
debia  considerare,  et  maxime  essendo  hora  el  tempo  che  besogna 
asceltare  soldati,  et  con  qaalchi  segni  exteriori  farli  bona  démons- 
tratiene,  non  resta  pero  che  la  bona  dispositione  de  la  predicta  Maestà 
verse  TE.  V.  non  li  sia  integramente. 

Alla  parte  me  scrisse  TE.  V.,  de  quelle  haveva predicte  el  magnifiée 
maestro  Ambresie  de  Roxato  in  le  cese  de  Pisa  et  in  moite  altre  occo- 
rentie  sue,  e  de  quelle  poi  cencludeva  de  la  gloriosa  Victoria  haveria 
a  conseguire  la  Maestà  Gesarea  centra  li  Suiceri  e  maxime  fin  ali  22 
del  présente,  io  le  netificai  alla  pta  Maestà  con  le  parole  che  la  me 
scrive;  laquale  ne  rise  et  hebe  grandissime  piacere  intenderlo, 
demonstrande  ben  non  dare  troppo  fede  ad  astrenemi  ;  pur  ho  inteso 
da  alcuni  che  la  sua  Maestà,  a  tavela  più  fiate  et  altramente,  a  molti 
de  questi  signori  e  zentilhemeni,  ha  dicte  con  grandissima  alegreza 
l'Ex.tia  V.  haverli  date  aviso  chel  sue  astronome  ha  dicte  che  S.  M. 
sara  victoriosa  in  questa  impresa,  talmente  che  ho  conosciute  la  S.  M. 
haverne  havuto  piacere;  e  cossi  nel  advenire  quande  TE.  V.  ne  scriva 
qualche  cesa  de  simile  natura,  credo  li  sara  piacere  e  grate. 

Similmente,  de  li  capituli  fatti  tra  el  re  de  Franza  e  Suiceri,  et  altri 
avisi  e  raporti,  come  per  altre  mie  ho  scritto,  la  pta  Maestà  ne  velse 
havere  copia,  e  credo  le  habia  cemmunicati  een  tutti  questi  Sig.ri  nel 
soo  eensilie,  e  ultra  ne  habia  mandate  copia  a  li  Signori  ellectori  et 


362  MAXIMILIEN  ET  LUDOVIC  SFORZÀ 

altri  de  questa  inclita  liga  ;  certificando  TEx.  V.  che  non  solum  ha 
fatto  cosa  grata  a  S.  M.,  ma  etiam  a  tutti  gli  altri  signori  dequa; 
laquale  mhe  ditto  voglia  avisare  e  pregare  quella  a  usare  dilligentia 
per  havere  continue  aviso  e  maxime  délie  occorentie  dessi  Suiceri  e 
de  Franza,  drizandoli  poi  subito  qua  :  che  li  fara  singolar  piacere,  e 
cossi  la  prego  ha  fare,  perche,  ultra  gratificara  la  ptà  Maestà,  acquis- 
tara  ancora  gran  benivolentia  da  tutti  questi  signori  e  populi. 

Ho  significato  alla  predicta  Maestà  quello  è  successo  del.  ill.mo 
Gasparo  da  Sancto  Séverine  ;  deche  essa  ne  hebe  dispiacere,  e  me  la 
fece  replicare  per  due  fiate,  Tuna  separata  de  Taltra;  interrogandome 
se  TE.  Y.  era  ben  certa  de  quella  imputatione  li  dava,  et  a  di  che  modo 
haveva  ritrovato  questa  fraude,  e  quello  chel  pto  M.  Gasparo  era  per 
fare  ?  lo  li  rispose  che  non  sapeva  ad  che  modo  ne  per  quale  via  TE.  V. 
haveva  inteso  taie  cosa  ;  che  me  rendeva  ben  certo  che  quella  non  li 
haveria  dato  taie  imputatione,  se  la  non  fusse  stata  ben  certa,  ne 
sapeva  quello  chel  per  M.  Gasparo  fosse  per  fare.  Me  domandô  ancora 
se  io  sapeva  chel  illmo  M.  Antonio  Maria  fosse  aconzo  al  solde  de 
Venetiani  ?  Io  li  respose  che  da  Y.  Ex.  non  sapeva  cosa  alcuna,  ma 
che  nel  transite  mio  a  venire  in  qua,  haveva  inteso  che  era  a  Gitadella, 
et  era  per  aconzarsi  con  predicti  Yenetiani. 

De  quello  canzelere  delpredicto  M.  Gasparo,  del  quale  mio  fratello 
scrisse  essere  gionto  in  Anversa  et  havere  havuto  audientia  dalla  Ces. 
Mtà,  corne  TE.  Y.  me  scrive,  aviso  quella  chel  gionse  in  Anversa  fin 
quello  proprio  zorno  chio  me  partite  per  venire  li  aquella  ;  et  era  stato 
prima  per  molti  zorni  dalla  Maestà  délia  regina,  e  pero  credo  che  de 
questo  caso  non  havesse  noticia  ne  comission  alcuna.  El  predicto  can- 
zelere si  è  une  de  Yoltolina  quale  se  appella  El  Commissarioto  presso 
la  p.ta  M. ta  de  la  Regina.  Se  altro  intendero  arcano,  exeguiro  quanto 
quella  me  scrive. 

Ho  notificato  alla  predicta  Maestà  quanto  TE.  Y.  me  scrive  de  la 
guerra  intende  movere  M.  Jo.  Jacomo  de  Trivultio  ad  instantia  de 
Astesani  nel  officio  de  Sanzorzo  de  Zenua,  e  la  provisione  che  quella 
ha  fatto  adciô  non  vadi  avanti.  S.  M.  ha  risposto  questi  essere  tutti 
incitamenti  del  Re  de  Franza  per  venire  a  soi  dissegni  de  turbare  Italia, 
e  maxime  TE.  Y.  nel  stato  suo. 

Io  ho  soUicitato  che  quelle  lettere  scrisse TF).  Y.  alla  Cesarea  Maestà 
in  resposta  d'altre  sue,  circa  la  provisione  fatta  per  non  lassare  andare 
victualie  ne  altro  soccorso  delsuo  dominio  a  Suiceri,  fosseno  mandate 
a  li  signori  ellectori;  per  il  respecte  che  lame  scrisse,  M.  Langhnon 
ha  mandate  esse  lettere,  ma  ha  scritto  in  nome  de  la  predicta  Maestà 
a  li  predicti  signori  ellectori  in  optima  forma,  e  drizatola  al  R™'' 
M.  Archiepîscopo  Maguntinensi. 


MAXIMILIEN  ET  LUDOVIC  SFORZA  363 

A  li  ill.mi  signor  duca  de  Savoy  a,  signor  marchese  de  Monferrato 
e  signor  Constantino,  se  li  manda  per  oratori  el  R.  M.  Petro  Bonomo 
e  M.  Ludovico  Bruno,  aliquali,  saltem  a  M.  Petro,  se  manda  hora 
per  questo  cavallaro  le  instructione,  lettere  e  quanto  bisogna  per 
and  are  a  dicta  legatione  ;  e  per  quanto  a  me  è  fatto  intendere,  in 
esse  instructione  e  lettere,  se  contene  non  solum  de  le  prohibi- 
tione  de  victualie  a  Suyceri,  ma  ancora  che  non  daghino  passe,  vic- 
tualie  ne  soccorso  alcuno  a  gente  de  Franza  che  volessino  passare  in 
Italia,  corne  son  certo  che  TBx.  V.  intendera  ad  plénum  dal  predicto 
M.  Petro.  De  M.  Ludovico  non  so  dire  altro,  ma  m'è  fatto  intendere 
chel  sara  li  in  brève. 

Âd  Mgr  de  Vergi  ho  operato  che  la  pta  Maestà  ha  fatto  scrivere 
chel  non  mandi  più  a  domandare  denari  a  Y.  E.,  significandoli  S.  M. 
essere  del  tutto  satisfacta,  e  cossi  credo  non  li  mandara  più. 

La  causa  che  mosse  la  Cesarea  Mtà  a  scrivere  a  TE.  V.  quelle 
lettere  de  lequale  ne  ha  havuto  dispiacere  per  la  summa  de  li 
25  milia  ducati,  fu  perche  el  correro  vene  li,  avanti  la  mia  venuta,  con 
le  lettere  che  dicta  summa  se  dovesse  dare  al  factore  de  Wolf,  haveva 
commissioue  non  partirsi  de  li,  ânche  non  fosse  fatto  lo  intègre 
pagamento,  e  TE.  V.  fece  chel  predicto  factore  avanti  Pascha  scrisse 
alla  predicta  Maesta  havere  ricevuto  13  milia  ducati,  et  similiter  io 
scrisse  et  che  de!  reste,  venuta  la  commissione  de  Sua  M  aestà  ad  chi  se 
havessino  a  dare,  subito  V.  E.  li  exborsariae  con  questo  fu  expedito  esso 
correro,  ma  dicto  factore  duplicô  le  lettere  alla  p.ta  M. ta,  che  per  una 
altra  lettera  li  scrisse,  pur  per  el  medesimo  correro,  che  non  haveva 
havuto  denaro  alcuno,  ma  che  TE.  V.  Thavevaastrecto  a  scrivere  chel 
haveva  recevuto  dicti  13  milia  ducati,  ultra  che  dopo  adaltri  otto  zorni 
ne  scrisse  un  altra,  che  fin  a  quelle  zorno  non  haveva  havuto  alcuno 
denaro  da  V.Ex.tia,  e  per  questo  la  p.ta  M. ta  se  sdegnô  molto  e  fece 
scrivere  quelle  lettere  de  quelle  tenore  ha  visto,  e  questo  me  Iha 
refferto  M.  Matheo  Langh,  ma  poi  quando  la  S.  Mtà  ha  visto  Teffecto 
del  contrario,  e  che  M.  Petro  gli  ha  scritto  essere  pagata  tutta  la 
summa,  è  restata  ben  contenta  e  satisfacta  :  ne  sopracio  me  pare  li  sia 
da  fare  altra  excusatione. 

Alla  predicta  Maestà  è  stato  ultramodum  grato  che  TEx.  V.  in  absen- 
tra  de  S.  M.,  in  questo  urgente  bisogno,  habiaservito  a  quelli  soi  regenti 
de  Isprnch  de  quella  summa,  e  me  commisse  ne  ringratiasse  TEx.  V., 
certificandola  esserli  stato  più  grata  hora  questa  poca  suoama  che 
un  altra  fiata  de  dua  tanta;  ultra  che  ha  acquistato  grandissima  beni- 
volentia  presse  essi  magnifici  regenti,  quali  a  tempo  ne  farano  testi- 
monio. 
A  li  zorni  passati,  cavalcando  significai  alla  p.ta  M.tà  la  singular 


364  MAXIMILIEN  ET  LUDOYIC  SFORZA 

contenteza  haveva  havato  TEx.  Y.  quaado  intese  qaella  demonstratione 
hâve  va  fatta  la  sua  M.  ta,  quando  in  Fiandra  vene  la  nova  de  la  morte 
soa;  perche  havendo  TEx.  Y.  coUocato  in  esaa  ogni  fede  e  speranza 
corne  in  suo  unico  signore,  patrone  e  protectore  a  lei,  a  li  signori  soi 
figlioli  et  al  stato  sno,  e  che  haveva  conosciuto  per  questa  accidentia 
non  vera  la  S.  Mtà  havere  qnello  amore  e  bona  dispositione  verso  lei 
e  cose  sue  corne  la  sperava  e  desiderava,  che  la  non  poteriahavere  ha- 
vato mazore  contenteza  al  monde  ne  havere  inteso  cosa  che  Ihavesse 
più  satisfacta  che  questa;  S.  Mta  rispose  e  disse:  «  Allora  io  non 
disse  cosa  che  non  havesse  facto  con  effecto  e  che  de  novo  non  Io 
facesse,  quando  caso  advenisse,  che  Dio  non  Io  voglia,  e  tanto  faria 
per  el  signor  duca,  figlioli  e  stato  suo  quanto  per  el  figliolo  e  stato  mio.  » 
Con  moite  altre  amorevole  parole,  quanto  se  TEx.  Y.  li  fosse  stata  non 
inferiore,  ma  fratello. 

Le  lettere  del  ill.  signor  conte  figliolo  de  TEx.  Y.  io  le  présentai  alla 
pta  Mtà  e  li  refferite  quanto  sua  S.  M. ta  me  commisse  a  hocha,  con  le 
humile  raccomandationi  ;  de  che  S.  M.tà  ne  prese  grandissime  piacere, 
domandando  come  era  ben  condictionata  :  et  io  li  respose  quelle  me 
parse  conveniente  e  débite  ;  alche  S.  M. ta  ne  restô  ben  satisfacta  et 
ordinô  a  M.  Langh  che  li  respondesse. 

La  p.ta  M.tà  haveva  dicto  voler  scriver  de  sua  mano  a  TEx.  Y.  in 
risposta  alla  sua  de  mano»  ma  per  le  grande  et  infinité  occupazioni  non 
ha  potuto  scrivere,  ma  ha  differito  fin  alla  venu  ta  del  magnifico  M.  Mar- 
chisino.  Altro  non  occorre  à  F  Ex.  Y.  Etc. 

Ex  Ueberlingh,  prima  maii  1499. 

AU6.  SoMBNTins. 

(Ueberling,  !•»  mai) 

Il|mo  q(  ex"**^  sig.  mio  onico, 

A  li  zomi  passa tî,  el  R.  M.  Petro  de  Triest  me  scrisse  de  li  essere 
molto  caricato  de  spesa  et  havere  havuto  poca  subventione  dalla 
Gesarea  Maestà  per  esser  maie  fomita  de  denari  per  le  présente 
guerre,  pregandomi  che  Io  volesse  racomandare  con  bon  modo  a  TEx. 
Y.  adcio  li  porgesse  qualche  adiuto  per  potere  supportare  la  spesa  e 
cossi,  havendoloio  sempre  conosciuto  molto  affectionato  a  TE.  Y.,  et 
in  le  cose  sue  haverli  usato  gran  dilligdntia  como  suo  bon  servitore, 
m'è  parso  per  questa  mia  preg^rla  chel  ge  sia  recommandato  come 
■ono  certo  che  la  fara  ;  perche  so  havere  inteso  de  esso  nel  passato 
essere  stato  ben  gratificato. 

Al  magnifico  M.  Matheo  Langh,  io  dete  li  200  fiorini,  come  TE.  V. 
me  commisse,  quai,  dopo  molto  excusatione,  ne  rendete  infinité  gratie 


MAXMILIEN  ET  LUDOVIC  SÏ-ORZÀ  565 

a  quella,  con  moite  grandissime  o£ferte,  certiôcandola  che  ognî  giorno 
io  lo  trovo  più  caldo  e  soliicifco  al  beneficio  e  specialita  de  Y.  E.  ;  e 
credo  che  ancora  lai  gli  ne  scrivera  e  la  ringratiara. 

£1  conte  de  Fastembergh  non  è  comparse  qua  con  la  p. ta  Maestà, 
e  per  qnanto  ho  inteso  remase  a  Philiborgo  ;  qtM/mprimum  me  ritro- 
varo  dove  sia,  li  presentaro  la  lettera  de  TE.  Y.,  et  exequiro  quanto 
quella   mha  commisse. 

Similmente  el  thexorere  de  Bergogna  ô  rîmasto  in  Fiandra  per 
ritrare  certa  summa  de  dinar!  se  erano  offerti  pagare  quelli  paesi  e 
populî,  seconde  ho  inteso  per  seguire  la  guerra  de  Geldre  e  se  dice 
non  venire  fin  a  molti  zorni  ;  quai  venuto  exequiro  quanto  quella  mha 
commisso. 

La  Cesarea  Maestà,  come  TE.  Y.  sa,  manza  volontiera  el  formaio 
piasentino  ;  hora  la  Maestà  sua  n*ô  in  tutto  vacua  :  m'è  parso  signi- 
ficarlo  a  quella,  adcio  che  quando  la  volesse  mandarli  qualche  cosa 
grata,  gli  mandi  desso  formagio  ;  che  son  certo  de  cose  manzative  non 
li  poteria  hora  mandare  cosa  più  grata  ;  ma  mandando,  bisogna  man- 
dame  una  forma  per  M.  Matheo  Lang,  et  una  altra  per  dividere  ad 
alcuni  che  fano  de  li  servitii  in  questa  corte  a  beneficio  de  quella 

Lunedi  penultimo  del  passato,  vene  qua  une  Antonio  de  Yicenza, 
servi  tore  del  ill.  conte  de  la  Mirandula,  per  fare  confirmare  li  privi- 
legii  concessi  al  quondam  signer  Galeotto  ;  quai  veue  adcio  gli  près- 
tasse  favore  e  indrizo  per  essere  expedito  ;  e  perche  non  me  porto  lettera 
alcuna  de  Y.  Ex.,  sapendo  io  chel  predicto  quondam  signer  Galeotto 
haveva  havuto  dicti  privilegii  et  altri  favori  de  la  predicta  Maestà  per 
intercessione  di  quella,  me  parse  non  intromettermi  in  cosa  alcuna 
in  BUG  favore  ;  anzi  pratichai  con  M.  Langh  chel  non  li  facia  alcuna 
expeditione  fin  alla  vennta  del  magnifiée  M.  Marchesino,  perche  io 
non  intendo  quelle  importi  dicta  expeditione  e  quanto  è  grata  a  Y.  E. 
Ne  credo  havera  quello  ricercayse  non  tante  quanto  a  quelle  piacera. 
Alla  quale  sempre  humelmente  me  raccomando. 

Ex  Ueberlingh.  prima  maîi  1499. 

Ueberling,  3  mai  14d9. 

lU.mo  et  ex.mo  sig.  mio  unico,  havendo  hogiparlato  alla  Cesarea. 
Maestà,  présente  M.  Matteo  Langh,  sopra  moite  particularità,  S. Ma- 
està me  rispose  como  quella  vedera  qua  apresso. 

Primo  sopra  la  particularità  de  scrivere  e  mandare  uno  araldo  a 
Yenetiani  in  quella  forma  che  la  Ex.tia  Y.ra  mi  scrive,  adcio  che  essi 
vadino  alquanto  più  retenuti  contra  TEx.  Y.,  advertendo  a  Toffesa 
fano  alla  prefata  Maestà  e  sacre  imperio ,  parlô  in  todesco  a  longo 


366  MAl:iMlLÏEN  ET  LtïDOVÏC  SP0R2A 

col  predicto  messer  Langh,  quale  poi  me  respose:  che  per  non  es- 
aerli  araldo,  quale  fosse  sufficiente  de  exequire  taie  impresa  cum  quella 
circumspectione  bisognaria  e  reapondere  secundo  fosse  necessario, 
et  anche  per  essere  essi  araldi  per  de  la  in  poca  estîmatione,  li  pareva 
de  lassare  cosi  questa  cosa  per  hora,  ne  doverli  fare  altro,  ma  vedere 
como  se  deportavano  e  come  passaveno  le  cose  ;  che  per  hora  non  po- 
teva  vedere  como  el  Re  de  Franza  potesse  fare  quella  impresa,  per 
molti  respectif  como  intendera  qua  apresso  :  ma  S.  Maestà,  ultra  quello 
gli  è  significato  per  li  avis!  e  instructione  de  V.  Ex.tia,  se  tene  bon 
forte  offesa  da  essi,  como  credo  lo  tempo  li  demonstrara. 

De  fare  scrivere  al  Re  de  Franza  che  voglia  abstenersi  de  dare 
soccorso  ne  favore  a  Suiceri  contra  S.  Maestà  e  sacro  imperio  e  pro- 
testarli  de  la  guerra,  S.  M.  ha  resposto  che  hora  ad  questa  dietafara 
scrivere  secundo  el  bisogno  a  nome  del  imperio,  ma  che  a  suo  nome 
non  li  voleva  fare  scrivere. 

De  scrivere  a  M.  Philiberto,  in  nome  de  S.  Maestà,  che  seguésse 
el  stilo  hano  fatto  li  oratori  de  li  catolici  reali  de  Spagna  e  signor 
Re  de  Portugallo  verso  la  saotità  del  Papa,  facendoli  intendere  de 
quanta  importantia  sia  a  farlo  con  cellerita,  finche  poi  li  fusse  man- 
dato  altri  oratori  a  nome  del  sacro  imperio,  S.  Maestà  ha  resposto 
non  volerlo  fare  per  modo  alcuno,  percbe  la  Santita  predicta,  con 
quanti  ne  sono  a  Roma  tengono  poco  conto  de  S.  Maestà,  e  disse, 
ridendo  d*uno  molto  strano  sopranome  che  gli  dano,  che  mandando 
ley,  mancho  la  extimariano  ;  ma  che  se  la  dieta,  quale  hora  se  ha- 
veva  a  fare  o  qua  o  in  loco  circumstante,  omnino  voleva  fare  mandare 
a  nome  del  imperio  al  predicto  pontefice,  in  quello  megliore  modo  e 
forma  se  potesse,  e  che  la  sua  Maestà  del  predicto  pontifice  teneva 
poco  conto,  e  che  lo  conosceva  esser  tutto  franzese  et  instabile,  ma 
che  poteria  venire  tempo  che  da  se  stesso  se  reconosceria. 

Alla  parte  che  TEx.  V.  me  scrive  voglia  ricercare  la  predicta 
Maestà  a  fare  provisione,  che  accadendo  el  Re  de  Franza  lifacessela 
guerra,  che  la  potesse  havere  doy  o  treimillia  (sic)  homini  de  quelli  de 
S.  Maestà  pagandoli  ;  me  ha  resposto  che,  quando  pur  el  Re  de  Franza 
sia  de  questo  animo  volerli  fare  guerra  per  le  condictione  li  occorreno 
de  présente,  non  potra  esser  tanto  potente  che  TEx.tia  V.ranonsia 
bastante  a  responderli  e  deffenderai  galiardamente,  et  maxime  per 
esser  el  predicto  Re  privo  del  aiuto  de  Suiceri  et  Alemani  durando 
questa  guerra.  Simelmente  non  potera  havere  soccorso  da  Bretoni, 
quali  ullo  modo  non  li  voleno  dare  alcuno  soccorso,  e  questo  essere 
proceduto  per  alcune  pratiche  de  Sua  predicta  Maestà,  come  a  longo 
m'ha  fatto  narrare  da  M.  Langh.  Poi,  de  quelle  gente  ha  el  predicto 
Re  de  Franza,  esser  necessitato  dividerla  aimanco  in  trei  parte  :  Fana 
lassarla  in  Pichardia,  per  diffesa  de  quello  paese  a  le  confine  del 


MàXïMILIEN  Et  LUDOVIC  SfÔR^À  367 

sigaor  arciduca,  quale  al  tutto  se  risolto  éssere  disposto  alla  volunta 
délia  pta  Cesarea  Maestà,  de  pace,  guerra  o  tregua,  corne  ad  esso 
piace  ;  Taltra  darne  in  aiuto  de  Suiceri  durante  questa  guerra,  o 
quando  fusse  finita  lassarla  alla  frontere  de  Bergogna  per  non  essere 
el  pto  Re  senza  gran  suspecte  de  la  guerra  già  principiata  l'anno  pas- 
sato;  e  cum  Taltra  poteria  venire  in  Italia.  Concludendo  S.M.  credere 
fermamente  che  senza  Suiceri  o  Alamani,  el  p.to  Re  non  dobia  fare 
quella  guerra  de  Italia,  e  se  pur  la  fara,  che  senza  altro  aiuto  TEx. 
tia  Y.ra  sara  assai  sufficiente  a  deffendersi  e,  se  pur  bisognera,  che 
la  sua  M.tà  con  le  forze  sue  e  del  sacro  imperio  la  succorrera  e  non 
li  manchara  quanto  al  stato  suo  proprio. 

Ho  fatto  intendere  alla  p. ta  M.tà  seconde  che  TEx.  V.  me  com- 
misse che  accadendo  se  facesse  dieta,  io  haveva  commîssione  da  quella 
de  proponere  e  dire,  secondo  me  fosse  comisso  per  la  sua  Maestà, 
et  maxime  cirea  el  pagamento  rechiesto  per  11  sîgnori  ellectori  per  le 
privilegii  de  la  confirmatione  del  stato,  e  per  la  provisione  fatte  de 
non  lassar  andare  victualie  ne  alcuno  soccorso  del  suo  dominio  a 
Suiceri.  La  sua  Maestà  mha  resposto  che,  essendo  el  bisogno,  me  avi- 
saria  a  fare  intendere  quanto  havero  a  fare,  e  cossi  exeguiro  ;  essa 
dieta  fu  prorogata  a  essere  fatta  de  qua,  dove  se  trovava  S.M.  inco- 
menzando  al  primo  de  mazo,  mafinhora  non  sono  gionti  alcuni  ellectori. 
M.  Langh  dice  che  omnino  venirano. 

De  novo  non  è  altro,  perche  li  campi  finhora  non  se  sono  aproxi- 
mati  ;  ne  questi  de  la  Cesarea  Maestà  li  voleno  andare  avanti  fin  che 
non  sia  gionto  uno  bono  numéro  a  pede  e  a  cavallo,  in  modo  che  con 
avantaggio  possino  affrontare  li  Suiceri.  Se  fa  ben  qualche  correria, 
dove  se  ne  amaza  qualchuno,  pero  se  trovano,  et  anche  se  brusa 
qualche  villa,  ma  non  cosa  de  conto. 

E  venuta  nova  qua  che  nel  campo  deverso  el  paese  de  Inspruch, 
essendo  andati  essi  de  la  Cesarea  Maestà  a  brusare  e  dare  el  guasto  ad 
alcune  ville  de  Suiceri,  che  nel  ritorno  se  scontrorno  con  essi  Suiceri 
e  li  remassino  circa  1600  homini,  tanto  de  Tuno  quanto  de  Taltro. 
Altro  non  occorre  de  novo.  Alla  Ex.tia  Y.ra  sempre  humelmente  me 
racommando. 

Ex  Ueberlingh,  3  maii  1499. 

Rauspurg,  8  mai 
Illustrissimo  et  excellentissimo  signer  mio, 

Benche  io  havessi  scritto  l'altre  mie  e  fossi  per  mandare  el  caval- 
laro,  tum  m'è  bisognato  aspectare  che  M.  Langh  habia  facto  la  sua 
expeditione.  Quale  ha  tenuto  fin  heri,e  credo  l'habia  mutata  trei  fi^te  : 


^6^  MAXtMÏLÏEN  Et  LtFDOViC  SFOMâ 

cioè  la  comniissione  a  M.  Petro  e  M.  Ludovico  Bruno,  per  la  loro 
legatione  in  Savoja  e  Monferrato,  e  peropregoTEx.tia  Vra.non  voglia 
fare  concepto  chel  resti  per  mio  deffecto  a  usare  tanta  tardita  al  gcri- 
vere,  e  avisarla  délie  occorentie  de  qua.  —  .... —  * 

La  Gesarea  Maestà  partite  a  li  4  de  qaesto  da  Ueberlingh,  andô  a 
Martof  apresso  dae  leghe  ;  poi  a  li  5  adhore  24  partite,  andô  più  d'ana 
lega  che  persona  non  sapeva  dove  andaase,  poi  se  voltô  ad  uno  castello 
se  apellaTetingam;  e  moltialtri  e  io  inseme  andassimo  a  Puochomo, 
dove  erano  andati  li  forreri  e  famigli.  El  sequente  zomo,  andai  a 
S.  Maestà,  ma  non  fu  possibile  poterli  parlare,  per  le  infinitie  e  varie 
facende  e  concorrentie  de  signori  e  soldati.  61i  feci  parlare  da 
M.  Langh,dal  quai  me  fece  respondere  ritornasse  a  Puochorno,  cheli 
me  manderia  el  zorno  sequente  la  expeditioneper  spazare  elcavallaro, 
senza  laqnale  non  lo  spazasse. 

Me  disse  ancora  me  mandaria  lettere  directive  al  magnifico  M.  Mar- 
chisino,  quai  dove  va  essere  parti  to  da  Ispruch,  adcio  non  andasse  a 
Ulma,dove  prima  haveva  ordinato,ma  chel  venesse  in  questa  cita  dove 
avisasse  S.  M.  e  aspetasse,  finche  li  facesse  intendere  quello  haveria 
a  fare  ;  laquale  è  lontana  de  qua  leghe  nove  e  meza  ;  et  ancora  io  venesse 
qua  incontra  al  predicto  M.  Marchisino,  havuto  dicta  expeditione  e 
lettera.  Heri  dopo  mezo  zorno  M.  Langh  me  mandô  che  andasse  al 
pto  M.  Marchisino,  quale,  seconde  il  scrîvere  suo,  doveva  giongere 
hozi  a  disnare  a  Ulma,  benche  io  non  lo  credo. 

El  p.to  Langh  me  ha  scritto  de  due  specialita:  Tuna,  che  la  Gesarea 
Maestà  haveva  dato  ordine  al  ill.  duca  Alberto  de  Bavera  che,  quando 
a  FEx.  V.  bisognasse  doy  o  tre  milia  soldati  a  soi  servitii,  li  potasse 
havere  ;  e  cossi  me  scrive  che  ad  ogni  sua  recbesta  li  potera  havere  ; 
Taltra^de  quelli  trenta  homini  rechiesti  per  Tartegliarie,  me  scrive  che 
1»  S.  M.  ha  ditto  che  in  questo  tempo  la  non  po  servire  TEx.  Y.  per  non 
haverli,  ma  col  tempo  procurara  che  quella  ne  sera  provista. 

De  novo  ho  ricordato  a  M.  Langh  la  pratica  de  la  lega  de  Suevia, 
quale  mha  resposto  la  predicta  Maestà  havere  dato  quella  instructione 
chio  feci  a  li  agenti  per  la  predicta  lega  de  che  aspectava  resposta 
quale  spera  sara  ad  vota. 

In  questa  sera  è  gioncto  in  questa  terra  lo  ill.  duca  Alberto  de 
Bavera,  capitano  impériale,  cum  250  eavali  ;  quai  è  stato  molti  zomi 
ad  Uberlinghe.  Non  sa  dove  vada,  ma  s^è  dicto  qua  chel  ritoma  a  casa 
sua,  che  non  credo  ;  alla  partita  mia  de  la  corte,  non  ho  inteso  alcuna 
eosa  de  questa  sua  partita.  Che  quando  pure  sia  chel  vadi  a  casa,  non 
sara  troppo  a  proposito  de  Timpresa  di  questa  guerra  per  esser  tenuto 

1  Je  supprime  quelques  lignes  sans  intérêt. 


MAXIMILIEN  ET  LUDOVIC  SF0R2A  369 

uno  de  li  più  savii  signori  de  Alemagna,  et  essere  capitano  impé- 
riale. 

DeGeldria^M.  Langbm'badictoche  quelli  quattro  duchi  sono  restati 
a  rimpresa,  cioè  duca  Alberto  de  Saxonia,  ducaZorzo  de  Bavera,  duca 
de  Juliers  e  duca  de  Cleves,  facevano  una  dieta  insieme  cou  alcuni  inter- 
veaevano  a  nome  del  duca  de  Geldre,  e  cbe  predicti  signori  ducbi 
havevano  scrittocbe  speravano  redure  la  cosa  a  bon  porto,  a  contenteza 
e  beneficio  de  la  Cesarea  Maestà,  alias  procederiano  alla  guerra,  ne 
laquale  speravano  bavere  felice  Victoria,  e  cbe  non  li  era  comparso 
alcuno  soccorso  al  predieto  duca  de  alcuno  canto. 

Dietro  a  me  a  Brixino  vene  Cristoforo  del  Azale,  cavallaro  de  TËx.tia 
V.ra,  laquale  mandai  inantia  me,  con  lelettere  directive  alla  Cesarea 
Maestà,  e  M.  Langb  come  quella  me  scrisse,  ma  dopo  non  Ibo  mai 
visto.  Porto  le  lettere  e  rimasse  a  Pbiliborgo,  ne  mai  più  bo  inteso  de 
lui,  in  modo  non  so  se  sia  vivo  o  morto.  Etc 

Ex  Rauspur